TROIS PROPOSITIONS FONDAMENTALES
[20] NOTE
Dans les notes de Bowen, Madame Blavatsky conseille à l'étudiant
que la première chose à faire, même si cela prend des années, est d'acquérir quelque compréhension des "Trois Principes Fondamentaux" donnés dans le Préambule – le prélude magistral de La Doctrine Secrète. L'énoncé des trois principes est présenté avec une insistance similaire sur leur importance primaire, et à nouveau, en terminant leur présentation, Madame Blavatsky affirme que ce sont les idées de base de la tradition théosophique.
La Doctrine Secrète est en grande partie un commentaire de stances choisies dans un ouvrage ancien, le Livre de Dzyan. Suivant l'usage actuel, le titre de son livre est toujours donné en italiques, alors que ses références à l'ancienne philosophie ésotérique sont restées telles qu'elles sont dans l'édition originale, avec les premières lettres en majuscule, la Doctrine Secrète. [21]
TROIS PROPOSITIONS FONDAMENTALES
Avant que le lecteur porte son intérêt aux Stances du Livre de Dzyan, stances qui forment la base de cet ouvrage, il est absolument nécessaire de lui faire connaître les quelques conceptions fondamentales qui soutiennent et pénètrent tout le système de pensée sur lequel nous appelons son attention. Ces idées de base sont en petit nombre, mais de leur claire appréhension dépend la compréhension de ce qui suit ; par conséquent aucune excuse n'est nécessaire pour inviter le lecteur à se familiariser d'abord avec elles, avant d'examiner le travail lui-même.
La Doctrine Secrète établit trois propositions fondamentales :
- Un PRINCIPE Omniprésent, Eternel, Illimité et Immuable, sur lequel toute spéculation est impossible puisqu'il transcende la puissance de conception humaine et ne pourrait être que rapetissé par toute expression ou comparaison. Ce principe est au-delà de l'horizon et de la portée de la pensée – d'après les paroles de la Mandukya, "inconcevable et innommable".
Afin de comprendre ces idées plus clairement, que le lecteur parte de ce postulat qu'il existe une Seule Réalité Absolue, qui précède tout Etre manifesté et conditionné. Cette Cause Infinie et Eternelle – vaguement formulée dans l' "Inconscient" et l' "Inconnaissable" de la philosophie européenne courante – est la Racine Sans Racine de "tout ce qui fut, est, ou sera jamais". Elle est naturellement dépourvue de tout attribut et essentiellement sans relations avec l'Etre manifesté et fini. C'est l' "Etre- té", plutôt que l'Etre (Sat en Sanscrit) et c'est au-delà de toute pensée ou spéculation.
Cet Etre-té est symbolisé ; dans la Doctrine Secrète, sous deux aspects. D'un côté, l'Espace Abstrait, absolu, représentant la pure subjectivité, la seule chose qu'aucun mental humain ne puisse ni exclure d'aucune conception, ni concevoir par lui-même. De l'autre, le Mouvement Abstrait Absolu représentant la Conscience Inconditionnée. Nos penseurs [22] occidentaux eux-mêmes ont prouvé que la conscience distincte du changement, nous est inconcevable, et que le mouvement est le meilleur symbole du changement, sa caractéristique essentielle. Ce dernier aspect de l'Unique Réalité est aussi symbolisé par le terme "le Grand Souffle", un symbole suffisamment expressif pour n'avoir pas besoin de plus ample éclaircissement. Ainsi, le premier axiome fondamental de la Doctrine Secrète est cet UN ABSOLU – ETRE-TE – que l'intelligence limitée a symbolisé par la Trinité théologique.
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Parabrahman, l'Unique Réalité, l'Absolu, est le champ de la Conscience Absolue, c'est-à-dire de cette Essence qui est hors de toute relation avec l'existence conditionnée, et dont l'existence consciente est un symbole conditionné. Mais une fois que nous sortons, en pensée, de cette Négation (pour nous) Absolue, la dualité survient dans le contraste de l'Esprit (ou Conscience) et de la Matière, du Sujet et de l'Objet.
L'Esprit (ou Conscience) et la Matière doivent cependant être considérés, non comme des réalités indépendantes, mais comme les deux facettes ou aspects de l'Absolu, Parabrahman, lesquels constituent la base de l'Etre conditionné, soit subjectif, soit objectif.
Si nous considérons cette triade métaphysique comme la Racine dont procède toute manifestation, le Grand Souffle assume le caractère de l'Idéation Pré-Cosmique. C'est le fons et origo de la Force et de toute conscience individuelle, et il fournit l'intelligence conductrice dans le vaste schéma de l'évolution cosmique. D'autre part, la Substance Racine Pré- Cosmique (Mulaprakriti) est cet aspect de l'Absolu qui est sous-jacent à tous les plans objectifs de la Nature.
De même que l'Idéation Pré-Cosmique est la racine de toute conscience individuelle, ainsi la substance Pré-Cosmique est le substratum de la Matière dans ses divers degrés de différenciation. [23]
D'où il apparaîtra que le contraste de ces deux aspects de l'Absolu est essentiel à l'existence de l'"Univers Manifesté" . Séparée de la Substance Cosmique, l'Idéation Cosmique ne pourrait se manifester comme conscience individuelle, puisque ce n'est qu'à travers un véhicule ( Upâdhi) de matière que la conscience jaillit comme "Je suis Moi", une base physique étant nécessaire pour concentrer un rayon du Mental Universel à un certain degré de complexité. Et à son tour, séparée de l'Idéation Cosmique, la Substance Cosmique resterait une abstraction vide, et aucune apparition de conscience n'en pourrait résulter.
L'univers manifesté est donc pénétré par la dualité qui est, pour ainsi dire, l'essence même de son EX-istence comme "Manifestation". Mais, de même que les pôles opposés de Sujet et d'Objet, d'Esprit et de Matière, ne sont que des aspects de l'Unité dans laquelle ils sont synthétisés, ainsi, dans l'Univers Manifesté il y a "ce" qui lie l'Esprit à la Matière, le Sujet à l'Objet.
Ce quelque chose actuellement inconnu de la spéculation occidentale est appelé par les occultistes Fohat. C'est le "pont" au moyen duquel les idées qui existent dans la Pensée Divine sont imprimées sur la Substance Cosmique comme "lois de la Nature". Fohat est donc l'énergie dynamique de l'Idéation Cosmique ; ou bien, si on le regarde de l'autre côté, c'est le médium intelligent, le pouvoir conducteur de toute manifestation, la "Pensée Divine" transmise et manifestée à travers les Dhyân Chohans, les Architectes du monde visible. Ainsi, de l'Esprit ou Idéation Cosmique, vient notre Conscience ; de la Substance Cosmique viennent les divers véhicules dans lesquels cette Conscience est individualisée et arrive à la soi-conscience ou conscience réfléchissante ; tandis que Fohat, dans ses diverses manifestations, est le mystérieux lien entre l'Esprit et la Matière, le principe animateur qui électrifie tout atome et lui donne la vie.
Le résumé suivant donnera une idée plus claire au lecteur :
- L'ABSOLU : le Parabrahman des Védantins ou Unique Réalité, SAT, qui est... à la fois Etre Absolu et Non-Etre. [24]
- La première manifestation, l'impersonnelle et, en philosophie, le Logos non manifesté, le précurseur du "manifesté"...
- Esprit-Matière, VIE ; "Esprit de l'Univers", Purusha et Prakriti, ou le second Logos.
- Idéation Cosmique, MAHAT ou Intelligence, l'Ame Universelle du Monde ; le Noumène Cosmique de la Matière, la base des opérations intelligentes de la Nature et dans la Nature...
La REALITE UNIQUE ; ses aspects doubles dans l'univers conditionné.
La Doctrine Secrète affirme en outre :
- L'Eternité de l'Univers in toto comme plan illimité qui, périodiquement, est "le terrain de jeu d'innombrables Univers se manifestant et disparaissant incessamment", appelés "étoiles qui se manifestent" et "étincelles d'Eternité". "L'Eternité du Pèlerin" est comme un clin d'œil de la Soi-Existence (Livre de Dzyan). "L'apparition et la disparition des mondes est comme le retour régulier du flux et du reflux".
Cette seconde assertion de la Doctrine Secrète est l'universalité absolue de cette loi de périodicité de flux et de reflux, de croissance et de déclin, que la science physique a observée et notée dans tous les départements de la nature. Les alternatives du Jour et de la Nuit, de la Vie et de la Mort, du Sommeil et de la Veille, sont choses si communes, si parfaitement universelles et sans exception, qu'il est facile de comprendre que nous y voyions une des lois absolument fondamentales de l'Univers.
En outre la Doctrine Secrète enseigne :
- L'identité fondamentale de toutes les Ames avec la Sur-Ame Universelle, celle-ci étant elle-même un aspect de la Racine Inconnue ; et le pèlerinage obligatoire pour toute Ame – étincelle de la première – à travers le Cycle d'Incarnation (ou de "Nécessité") d'accord avec la loi cyclique et [25] karmique durant le terme entier. Autrement dit, aucun Buddhi purement spirituel (Ame divine) ne peut avoir une existence (consciente) indépendante avant que l'étincelle issue de la pure Essence du Sixième Principe Universel – ou la SUR-AME – n'ait (a) passé par toutes les formes élémentales du monde phénoménal de ce Manvantara, et (b) acquis l'individualité, d'abord par impulsion naturelle, puis par des efforts personnels, volontaires et résolus, modifiés par les restrictions de son Karma, montant ainsi par tous les degrés de l'intelligence, du Manas le plus bas jusqu'au plus élevé, du minéral et de la plante, jusqu'au plus saint des Archanges (Dhyâni-Buddha). La doctrine-pivot de la Philosophie Esotérique n'admet pas de privilèges, ni de dons spéciaux pour l'homme, sauf ceux gagnés par son propre Ego à force d'effort et de mérite personnels, au cours d'une longue série de métempsychoses et de réincarnations. C'est pour cela que les Hindous disent que l'Univers est Brahman et Brahmâ, car Brahman est dans tout atome de l'univers, les six Principes de la Nature étant tous le résultat – les aspects variés et différenciés – du PRINCIPE SEPTIEME et UN, l'unique Réalité de l'Univers, tant cosmique que microcosmique ; et c'est pour cela aussi que les permutations psychiques, spirituelles et physiques, sur le plan de la manifestation et de la forme du Sixième Principe (Brahmâ véhicule de Brahman) sont regardées, par antiphrase métaphysique, comme illusoires et mayaviques. Car, bien que la racine de chaque atome individuellement, et de toute forme collectivement, soit ce Septième Principe, ou l'Unique Réalité, pourtant, sous son apparence manifestée, phénoménale et temporaire, il n'est rien de plus qu'une illusion évanescente de nos sens.
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Telles sont les conceptions fondamentales sur lesquelles repose la Doctrine Secrète.
La Doctrine Secrète, XC-XCIV.