DIFFÉRENCE ENTRE LA THÉOSOPHIE ET LE SPIRITISME

 

Question – Mais vous ne croyez pas au Spiritisme ?

Réponse – Si vous voulez parler de l'explication donnée par les Spirites, au sujet de certains phénomènes anormaux, nous n'y croyons certainement pas. Car, selon eux, toutes ces manifestations sont dues aux "Esprits" de personnes (le plus [41] souvent leurs parents), qui ont quitté ce monde et qui y reviennent pour entrer en communication avec ceux qu'ils ont aimés, ou auxquels ils sont restés attachés ; et, voilà ce que-nous nions formellement. Nous disons que les Esprits des morts ne peuvent pas retourner sur la terre, sauf en de rares exceptions, dont je parlerai probablement plus tard, et qu'ils n'ont de communication avec les hommes que par des moyens entièrement subjectifs. Ce que l'on voit objectivement n'est que le fantôme de l'homme physique qui n'existe plus.

Quant au Spiritisme psychique et "spirituel", pour ainsi dire, nous y croyons très fermement.

Question – Niez-vous aussi l'existence des phénomènes ?

Réponse – En aucune façon, à moins qu'il n'y ait fraude consciente.

Question – Comment les expliquez-vous alors ?

Réponse – De plusieurs manières. Les causes de ces manifestations ne sont pas du tout aussi simples que les Spirites voudraient bien le croire. Avant tout, le Deus ex machinâ de ce que l'on appelle "matérialisations" est, d'ordinaire, le corps astral ou le "double" du médium, ou d'une des personnes présentes. Ce corps astral est aussi la force qui produit les manifestations comme celles des "Davenport", l'écriture directe, etc.

Question – Vous dites que le corps astral est "ordinairement" la force qui agit ; quelles sont donc les autres causes ? [42]

Réponse – cela dépend de la nature des manifestations ; quelquefois, ce sont les dépouilles astrales, les "Coquilles astrales" de Kama-loka, ce qui reste des personnalités qui ont disparu ; d'autres fois, ce sont les Élémentaux.

Le mot "Esprit" a plus d'une signification s'étend au loin. Je ne sais pas ce que les spirites entendent vraiment par ce terme ; mais, d'après leur opinion, telle que nous la comprenons, les phénomènes physiques sont produits par l'Ego (le principe qui se réincarne),  l' "individualité" spirituelle et immortelle. Et nous rejetons entièrement cette hypothèse.

L'Individualité consciente des êtres désincarnés ne peut, ni se matérialiser, ni quitter la sphère dévachanique et mentale dans laquelle elle se trouve, pour retourner au plan de l'objectivité terrestre.

Question – pourtant, un grand nombre de communications des "Esprits" sont dictées, non seulement avec intelligence, mais aussi avec connaissance de faits ignorés du médium ; souvent même l'investigateur ou les autres personnes qui composent la réunion ne se rendent pas compte de la présence de ces faits dans leur mémoire.

Réponse – Ce qui n'est pas nécessairement une preuve que l'intelligence et la connaissance dont vous parlez appartiennent à des Esprits ou proviennent d'âmes désincarnées. Il y a assez d'exemples de somnambules qui, pendant leur sommeil magnétique, ont écrit de  la poésie, composé de la [43] musique, ou résolu des problèmes de mathématique, sans avoir jamais possédé la moindre connaissance de la musique ou des mathématiques. D'autres, également plongés dans une profonde léthargie, ont répondu avec intelligente aux questions qui leur ont été adressées ; Même, en plusieurs occasions, ont parlé des langues qu'ils ignoraient complètement à l'état de Veille ; le latin ou l'hébreu. Faut-il absolument que tout ceci ait été l'œuvre des "Esprits" ?

Question – Mais quelle autre explication en donneriez-vous ?

 Réponse – Nous disons que l'étincelle divine, dans l'homme, est une et identique en essence avec l'Esprit Universel ; et que, par conséquent, notre "Moi spirituel" est en réalité, omniscient, mais que les obstacles de la matière l'empêchent de manifester sa connaissance. Donc, tout ce qui tend à écarter ces obstacles, c'est-à-dire à paralyser l'activité et la conscience qui appartiennent exclusivement au corps matériel comme il arrive, par exemple, dans un profond Sommeil naturel ou magnétique, ou bien par l'effet d'une maladie ; tout cela, disons-nous, permet au Soi intérieur de se manifester plus clairement sur notre plan. Et voilà comment nous expliquons ces phénomènes vraiment merveilleux, d'un ordre très élevé, qui sont dus à une intelligence et une connaissance que l'on ne peut mettre en doute. Quant aux manifestations du genre terre-à-terre, comme les [44] phénomènes physiques, ainsi que les platitudes et le langage insignifiant attribués aux "Esprits" en général, si nous voulions expliquer ce que nous aurions même de plus important à dire à ce sujet, nous serions obligés d'y consacrer plus de temps et d'espace que nous ne le pouvons pour le moment. Nous n'avons pas plus le dessein de chercher à influencer la croyance Spirite que tout autre croyance. C'est sur les croyants aux "Esprits" que doit retomber l'onus probandi. Et bien que pour le présent, les principaux spirites, et parmi eux, les plus instruits et les plus intelligents, soient encore convaincus que les manifestations d'un ordre élevé ont lieu par l'intervention des âmes désincarnées, ils sont pourtant les premiers à avouer que tous les phénomènes ne peuvent pas être produits par les Esprits. Ils finiront par reconnaître la vérité entière ; mais jusque-là, nous n'avons aucun droit et aucun désir de les convertir à notre manière de voir ; – et cela d'autant moins que, lorsqu'il s'agit de Manifestations purement psychiques et spirituelles, nous-mêmes croyons à la communication réciproque de l'esprit de l'homme vivant avec celui de personnalités désincarnées 2. [45]

 2 Nous disons qu'en de pareilles circonstances, ce ne sont pas les Esprits des morts qui descendent sur la terre, mais les Esprits des vivants qui montent vers les âmes purement spirituelles. En réalité, il n'est question ni de monter ni de descendre ; mais il se fait chez le médium, un changement d'état ou de condition. Le corps se paralyse et tombe dans une profonde léthargie ; l'Ego spirituel est alors dégagé de ses liens et se trouve sur le même plan de conscience que les Esprits désincarnés. C'est ainsi qu'il peut y avoir communication entre deux personnes, comme il arrive parfois en rêve, s'il existe entre elles quelque affinité spirituelle.

Il y a, entre la nature médiumnique et la non-sensitive. La différence que voici : l'esprit du médium, une fois en liberté, possède les conditions nécessaires pour influencer les organes passifs de son corps endormi, et les faire agir, parler ou écrire, d'après sa volonté ; l'Ego peut alors se servir de son corps comme d'un écho, et lui faire répéter, en langage humain, les pensées et les idées de l'entité désincarnée (avec laquelle il se trouve en communication), aussi bien que les siennes propres. Mais un organisme qui n'est doué d'aucune réceptivité, ou qui est extrêmement positif, ne peut pas être influencé de cette manière. Voilà pourquoi, bien qu'il n'existe peut-être pas un seul être humain dont l'Ego ne soit, durant le sommeil du corps, en pleine communication avec ceux qu'il a aimés et perdus, la personne n'en conserve, à son réveil, aucun souvenir, à moins que ce ne soit l'impression confuse d'un rêve ; ce qui provient de la nature positive et du manque de réceptivité du cerveau et de l'enveloppe matérielle.

Question – Cela veut dire que vous rejetez en bloc la philosophie spirite ?

Réponse – Certainement, si, par "philosophie", vous entendez les théories grossières des spirites ; mais, franchement, ils n'ont pas de philosophie, et, parmi leurs défenseurs, ce sont les plus zélés, les plus sérieux et les plus intelligents, qui le disent. Personne, excepté un des matérialistes aveugles de l'école de Huxley, ne peut nier l'existence de leur vérité fondamentale, la seule qui soit inattaquable, savoir : que les [46] phénomènes se produisent par des médiums agissant sous l'influence de forces et d'intelligences invisibles. Mais, pour ce qui regarde leur philosophie, permettez-moi de vous citer ce que l'excellent éditeur  de Light, le plus dévoué, en même temps que le plus éclairé des champions du Spiritisme, écrit à ce sujet. Voici ce que dit M. A. Oxon, un des rares spirites philosophes, touchant la bigoterie et le manque d'organisation du Spiritisme :

"Ce point est d'une telle importance qu'il vaut la peine d'être consciencieusement examiné. L'expérience et la connaissance que nous possédons rendent à peu près insignifiante toute autre connaissance. Le Spirite ordinaire s'indigne au moindre doute que l'on ose exprimer touchant sa connaissance parfaite de l'avenir et sa certitude absolue de la vie future. Il avance, sans hésitation, comme un homme qui porte sur lui la carte du pays qu'il parcourt et qui est sûr de sa route, là même où d'autres ont étendu leurs mains tremblantes, en tâtonnant dans les ténèbres de l'avenir inconnu. Tandis que d'autres ne sont pas allés au-delà d'une aspiration pieuse, ou se sont contentés de la foi de leurs pères, il se vante de savoir ce qu'ils ne font que croire, et il offre d'enrichir de ses trésors les croyances mourantes, bâties sur l'espoir seulement. Il traite avec munificence les souhaits les plus chers de l'humanité. "Vous ne faites qu'espérer ce que je puis vous prouver", [47] semble-t-il dire. "La croyance traditionnelle que vous avez acceptée, je puis, moi, vous en démontrer la vérité, expérimentalement, d'après les plus stricts procédés scientifiques. Les vieilles croyances s'en vont ; il faut vous en séparer : elles contiennent autant d'erreurs que de vérités. Votre édifice ne peut être solide que s'il est fondé sur une base de faits certains et prouvés. Tout tombe en ruine autour de vous ; sauvez- vous avant l'écroulement. Mais, lorsqu'il s'agit de la pratique que cet homme généreux vous a promise, le résultat que l'on obtient est aussi étonnant que désillusionnant ; car votre guide est si sûr de ce qu'il avance qu'il ne se donne même pas la peine de s'enquérir de ce que les autres pensent des faits qu'il accepte. La Sagesse des siècles s'est chargée d'expliquer ce qu'il considère, à bon droit, comme déjà prouvé ; mais il ne daigne pas jeter, en passant, un regard sur ces recherches. Il n'est pas même toujours d'accord avec ses frères Spirites. C'est une répétition de l'histoire de la vieille femme Ecossaise qui, seule avec son maris, formait une "église". Ils avaient leurs clefs particulières pour  entrer au ciel ; c'est-à-dire qu'elle en avait, car elle "n'était pas sûre du salut de Jamie". C'est ainsi que les sectes spirites se divisent, se subdivisent, et se, re-subdivisent ; et que chacun secoue la tête d'un air de doute, parce qu'il "n'est pas sûr" que son voisin a raison. Et pourtant l'expérience collective de l'humanité [48] prouve invariablement que l'union fait la force, et que la désunion est une source de faiblesse et d'insuccès. Une simple foule devient une armée, lorsque tous ceux qui la composent sont solidement alignés et soumis à la discipline ; chacun de ces hommes vaut alors cent de ceux qui se précipiteront sur eux, sans ordre. Une bonne organisation  économise le temps et le travail, et apporte, à toute œuvre humaine, le succès, le développement et le profit ; tandis que le manque de méthode et de plan d'action, le travail fait au hasard, l'énergie dépensée capricieusement et les efforts indisciplinés,  conduisent  tous  sûrement  à  une   défaite éclatante. La voix de l'humanité atteste cette vérité ; le Spirite est-il disposé à écouter l'avertissement qui lui est donné, et à agir en conséquence ? Non. Il ne veut pas d'organisation ; il est lui-même sa propre loi, et une épine dans le côté de son prochain". (Light, 22 juin 1889).

Question – On m'a dit que la Société Théosophique a été fondée, afin d'écraser, avec le Spiritisme, toute croyance à la persistance de l'individualité dans l'homme.

Réponse – On vous a mal informé. Toutes nos croyances sont fondées sur cette individualité immortelle. Mais vous faites comme tant d'autres, vous confondez la personnalité avec l'individualité ; il parait que les psychologues de l'Occident n'ont pas su établir clairement une distinction [49] entre ces deux termes. Et pourtant, la note fondamentale, indispensable, pour comprendre la philosophie orientale, se trouve dans cette différence même ; et c'est encore cette différence qui est la base de toutes les divergences entre les enseignements théosophiques et spirites. – Au risque de nous attirer un redoublement d'hostilité de la part de quelques Spirites, je suis obligé de constater que la Théosophie est le vrai et pur Spiritualisme, tandis que le système moderne, pratiqué par la foule, sous le nom de Spiritisme, n'est autre chose que du matérialisme transcendant.

Question – Veuillez vous expliquer plus clairement ?

Réponse – Voici ce que je veux dire. D'après nos enseignements, l'Esprit et la Matière sont identiques ; l'Esprit contient la Matière à l'état latent, et la Matière n'est que l'Esprit cristallisé, comme la glace est de la vapeur solidifiée. Néanmoins, comme la condition première et éternelle de tout ce qui existe, n'est pas l'esprit, mais le sur esprit (meta-spirit), pour ainsi dire (la matière visible et solide n'étant tout simplement que sa manifestation périodique), nous soutenons que le terme Esprit ne peut s'appliquer à autre chose qu'à la véritable individualité.

Question – Mais quelle distinction faites-vous entre cette "véritable individualité", et le "Moi" ou "Ego", dont nous avons tous conscience ? [50]

Réponse – Avant que je puisse vous répondre, il faut nous entendre sur la signification que vous donnez au "Moi" ou à l' "Ego". Nous faisons une  distinction  entre  la  simple  conscience  de  soi-même,  le   sentiment simple exprimant. "Je suis Moi", et la pensée complexe renfermée dans : "Je suis M. Smith", ou "Mme Brown". Cette distinction est le pivot sur lequel tourne toute l'idée d'une série de naissances pour le même Ego ; autrement dit, de la Réincarnation, à laquelle nous croyons. "M, Smith" représente, en réalité, une longue série d'expériences journalières reliées entre elles par le fil de la mémoire, et formant ce que M. Smith considère comme "lui-même". Mais aucune de ces expériences ne constitue véritablement le "Moi" ou l' "Ego" ; et ce n'est pas grâce à elles non plus que "M. Smith" se sent être lui-même, car il en oublie la plus grande partie, et ce n'est que tant qu'elles durent qu'elles produisent en lui l'impression de l'Egoïté. Voilà pourquoi les Théosophes font une distinction entre cet assemblage d'expériences qu'ils appellent la fausse personnalité (parce qu'elle est finie et passagère), et cet élément qui donne à l'homme le sentiment : "Je suis Moi". Ce "Je suis Moi" est ce que nous appelons la véritable individualité ; et nous disons que cet "Ego", ou cette individualité, remplit, comme un acteur, plusieurs rôles sur la scène de la vie 3. Comparons chaque [51] nouvelle vie d'un même Ego, sur la terre, à une soirée sur la scène d'un théâtre. Un soir, l'acteur, ou l' "Ego", paraît dans le rôle de "Macbeth" ; le lendemain, dans celui de "Shylock" ; le troisième soir, il est "Roméo" ; le suivant "Hamlet" ou le "Roi Lear", et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il ait parcouru le cycle entier de ses incarnations. L'Ego commence son pèlerinage sous la forme d'un lutin, comme "Ariel" ou "Puck" ; puis il devient figurant, il est Soldat, Suivant, ou fait partie du chœur. Ensuite, il monte en grade et remplit les "rôles parlés", tantôt importants, parfois insignifiants ; et lorsque enfin il abandonne la scène, il est "Prospero", le Magicien.

3 Voyez plus loin : "Individualité et Personnalité".

 

Question – Je comprends. Cela signifie donc que ce véritable Ego ne peut pas retourner sur la terre, après la mort. Pourtant, si l'acteur  a conservé le sentiment de son individualité, n'est-il pas libre, s'il le désire, d'aller revoir la scène de ses anciens rôles ?

Réponse – Non ; et cela pour la simple raison que ce retour sur la terre rendrait impossible un état de bonheur sans mélange, après la  mort, comme je le prouverai, du reste. Notre opinion est que l'homme endure, pendant sa vie, soit par suite de son entourage, soit par la faute des personnes avec lesquelles il est en relation, tant de souffrances, qu'il n'a pas méritées, qu'il a bien droit à sa part de repos et de calme parfaits, sinon [52] de bonheur, avant de reprendre le fardeau de l'existence terrestre. Mais nous pourrons traiter ce sujet en détail un peu plus tard.