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ENSEIGNEMENTS FONDAMENTAUX DE LA THÉOSOPHIE
DIEU ET LA PRIÈRE
Question – Croyez-vous en Dieu ?
Réponse – Cela dépend de ce que vous entendez par ce terme.
Question – Je veux parler du Dieu des Chrétiens, du Père de Jésus, du Créateur ; du Dieu de la Bible et de Moïse, en un mot.
Réponse – Nous ne croyons, point en un Dieu semblable à celui-là. Nous rejetons l'idée d'un Dieu personnel, ou extra-cosmique et anthropomorphe, qui n'est que l'ombre gigantesque de l'homme, sans même reproduire ce qu'il y a de meilleur dans l'homme. Nous disons et prouvons que le Dieu de la Théologie n'est qu'un amas de contradictions, une impossibilité logique. Voilà pourquoi nous refusons de le reconnaître.
Question – Veuillez nous donner vos raisons.
Réponse – Nous en avons plusieurs, et elles ne peuvent pas toutes être énumérées ; mais, en voici [89] quelques-unes. – Ce Dieu n'est-il pas déclaré infini et absolu par ses adorateurs ?
Question – Il me semble que oui.
Réponse – Mais alors, s'il est infini, c'est-à-dire sans limites, et surtout s'il est absolu, comment peut-il avoir une forme, ou être le créateur de quoi que ce soit ? L'idée de forme correspond à celle de limite, de quelque chose qui a un commencement et une fin ; ensuite, pour créer, il faut qu'un Être pense, fasse un plan. Comment l'ABSOLU pourrait-il penser, c'est-à- dire avoir la moindre relation avec ce qui est limité, fini et conditionné ? C'est une absurdité au point de vue de la philosophie et de la logique. Cette idée n'est pas même admise par la Kabbale des Hébreux, qui fait de l'unique et Absolu Principe Divin une Unité infinie, appelée En-soph 8. Il faut que le Créateur devienne actif pour créer ; et puisque c'est une chose impossible à l'ABSOLU, le principe infini dut être représenté comme devenant indirectement la cause de l'évolution (et non de la création), c'est- à-dire comme faisant émaner de soi les Séphiroth (une autre absurdité, due cette fois aux traducteurs de la Kabbale) 9. [90]
8 En-Soph, דיא ףיס τό πάν έπειрος, ce qui est sans fin ou sans limite, dans la Nature, et avec elle, le non-existant qui EST, mais qui n'est pas un Etre.
9 Comment le principe éternel et non actif peut-il produire par émanation ou par émission ? Rien de semblable n'est attribué au Parabrahm des Védantins, ni à l'En-Soph. De la Kabbale Chaldéenne. C'est l'œuvre d'une loi périodique et éternelle, qui, au commencement de chaque Maha-Manvantara, ou nouveau cycle de vie, fait émaner une force active et créatrice (le Logos), du principe unique, incompréhensible et sans cesse caché.
Question – Comment expliquez-vous qu'il y ait des Kabbalistes qui puissent encore croire en Jéhovah, le Tétragrammaton, tout en restant Kabbalistes ?
Réponse – Ils sont libres de croire à ce qui leur plaît, car ce qu'ils croient ou ne croient pas ne peut guère changer un fait évident. Les Jésuites nous disent que deux et deux ne font pas toujours quatre, puisque, si telle est la volonté de Dieu, 2 × 2 = 5. Faut-il pour cela accepter leurs sophismes ?
Question – Mais alors vous êtes Athées ?
Réponse – Pas que je sache, à moins que l'épithète d'Athées ne s'applique à ceux qui ne croient pas en un Dieu anthropomorphe. Nous croyons en un Divin Principe Universel, racine de Tout, de qui tout provient et en qui tout sera absorbé, à la fin du grand cycle de l'Être.
Question – C'est l'antique théorie du Panthéisme. Si vous êtes Panthéistes, vous ne pouvez pas être Déistes ; et si vous n'êtes pas Déistes, il faut bien que vous soyez Athées.
Réponse – Ce n'est pas absolument nécessaire. Le terme de "Panthéisme"est encore une de ces nombreuses expressions mal jugées, dont la signification primitive et véritable a été faussée [91] par un préjugé aveugle et un point de vue borné. Il va sans dire que, si vous acceptez l'étymologie Chrétienne de ce mot composé, si vous le faites dériver de παν, "tout", et θεοσ, "dieu" ; si vous vous imaginez ensuite et allez enseigner aux autres que cela signifie que chaque pierre et chaque arbre dans la Nature est un Dieu ou le Dieu UNIQUE ; Alors, en effet, vous aurez raison, et vous convertirez les Panthéistes, outre ce qu'ils sont déjà, en adorateurs de fétiches. Mais vous n'obtiendrez pas tout à fait le même résultat, si vous cherchez, comme nous, l'étymologie ésotérique du mot Panthéisme.
Question – Et quelle est donc votre définition de ce mot ?
Réponse – Permettez-moi de vous faire une question à mon tour.
Qu'est-ce que vous entendez par Pan, ou Nature ?
Question – Mais je suppose que la Nature est la totalité de ce qui existe autour de nous, l'agrégation des causes et des effets qui se trouvent dans le monde matériel, la création ou l'Univers.
Réponse – Par conséquent, l'ensemble et l'ordre personnifiés des causes et des effets connus ; la somme de toutes les énergies et de toutes les forces finies, entièrement isolée de toute relation avec un ou plusieurs Créateurs intelligents, et même peut-être "considérée comme une seule force séparée", ainsi que cela se trouve dans vos encyclopédies ? [92]
Question – Je suppose que c'est cela.
Réponse – Eh bien, nous ne prenons pas en considération cette nature matérielle et objective que nous appelons une illusion passagère ; et nous ne donnons pas à πάv la signification de Nature, prise dans le sens de sa dérivation latine : Natura (devenir, de nasci, naître). Lorsque nous parlons de la Déité et que nous l'identifions avec la Nature, par conséquent aussi dans son existence et sa durée, c'est de la nature incréée et éternelle qu'il s'agit, et non point de votre agrégation d'ombres changeantes et de chimères fugitives. Nous abandonnons aux poètes de chants pieux la liberté d'appeler le ciel ou le firmament, le Trône de Dieu, et notre terre de boue son marchepied. Notre DÉITÉ n'a pour résidence ni un paradis, ni un édifice, une montagne ou un arbre spécial, mais se trouve partout : dans chaque atome du Cosmos visible ou invisible, autour et au-dessus et au- dedans de chaque atome indivisible et de chaque molécule divisible ; car c'est le pouvoir mystérieux de l'évolution et de la ré involution, la puissance créatrice omniprésente, omnipotente et même omnisciente 10.
10 Il. , c. à, d. ce, étant employé ici avec une force particulière, lorsque l'auteur parle de l'Absolu, j'ai cru bien faire d'éviter le pronom il, dans quelques phrases, au moins, afin de conserver, autant que possible, l'idée de complète impersonnalité qui caractérise tout ce que ces pages contiennent au sujet du Principe Inconnaissable (N. D. T. ).
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Question – Arrêtez ! L'omniscience est la prérogative de ce qui pense, et vous refusez à votre Absolu le pouvoir de la pensée.
Réponse – Nous le refusons à l'ABSOLU, parce que la pensée est une chose limitée et conditionnée. Mais vous oubliez évidemment que, d'après la philosophie, l'inconscience absolue est aussi 1a conscience absolue, sans cela, ce ne serait pas absolu.
Question – Alors votre Absolu pense ?
Réponse – Non, CELA ne pense pas ; tout simplement parce que c'est la pensée Absolue elle-même. Et CELA n'existe pas, pour la même raison, car c'est l'existence absolue, l'Etre, (Be-ness), et non pas un Etre, Lisez le magnifique poème Kabbalistique de Salomon Ben Jehudah Gabirol, dans la Kether-Malchut, et vous comprendrez : "Tu es UN, la racine des nombres, mais non point comme un élément de numération ; car l'unité n'admet ni multiplication, ni forme, ni changement. Tu es UN, et les plus sages d'entre les hommes se perdent dans le secret de ton unité, car ils ne la connaissent pas. Tu es Un, et ton unité ne diminue jamais, n'augmente jamais, et ne peut changer. Tu es Un, et aucune de mes pensées ne peut te fixer une limite, ni te définir. Tu ES, mais non point comme un être qui existe, car la compréhension et la vision des mortels ne peuvent atteindre à ton existence, ni déterminer, en ce qui te concerne, le où, le comment, le pourquoi, etc., etc. " [94] En résumé, notre Déité est l'éternel constructeur de l'univers, produisant sans cesse, mais ne créant pas ; car cet univers, qui se développe, en sortant de sa propre essence, n'est pas fait. Son symbole est la sphère sans circonférence, qui n'a qu'un seul attribut toujours actif, embrassant tous les autres attributs possibles ou imaginables ; et cet attribut est : SOI-MEME. C'est la loi unique donnant l'impulsion aux lois immuables et éternelles manifestées dans le sein de cette Loi, qui ne se manifeste jamais, parce qu'elle est absolue, et qui dans ses périodes de manifestations est l'Eternel Devenir.
Question – Il m'est arrivé d'entendre dire, à l'un des membres de votre Société, que la Déité Universelle, étant partout, se trouve aussi bien dans une coupe de déshonneur que dans une coupe d'honneur, et, par conséquent, était présente dans chaque- atome de la cendre de mon cigare ! N'est ce pas un blasphème grossier ?
Réponse – Telle n'est pas mon opinion, car la simple logique ne peut pas être considérée comme un blasphème. Si le Principe omniprésent était exclu d'un seul point mathématique de l'univers ou d'une seule parcelle de matière, occupant un espace concevable, pourrait-il encore être infini ?