VIII
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RÉINCARNATION OU RENAISSANCE
QU'EST-CE QUE LA MÉMOIRE D'APRÈS LES ENSEIGNEMENTS THÉOSOPHIQUES ?
Question – Vous allez éprouver la plus grande difficulté à expliquer cette croyance et à lui trouver une base raisonnable ; je n'ai encore rencontré aucun Théosophe qui ait réussi à fournir une seule preuve assez importante pour ébranler mon scepticisme à ce sujet. Vous avez, avant tout, contre cette théorie de la Réincarnation, le fait que l'on n'a pas encore trouvé un seul homme qui se souvienne d'avoir déjà vécu, et, encore moins, qui sache ce qu'il a été dans sa dernière existence.
Réponse – Je vois que votre argument tend vers la même vieille objection que nous rencontrons partout, c'est-à-dire la perte du souvenir, chez chacun de nous, de notre incarnation précédente. Et vous croyez que cela affaiblit notre doctrine ? Je vous assure que non ; et, du reste, une objection de ce genre ne peut pas être finale. [174]
Question – Je voudrais, bien entendre vos arguments.
Réponse – Ils sont courts et peu nombreux. Si, toutefois, vous prenez en considération, d'abord : l'entière incapacité des meilleurs psychologistes modernes à expliquer au monde la nature de l'intelligence, et ensuite leur ignorance complète de ses potentialités et de ses états supérieurs, vous et serez obligé d'admettre que cette objection est basée sur une conclusion tirée a priori de preuves superficielles, dépendant de circonstances plutôt que tout autre chose. – Quelle est, par exemple, la conception que vous vous faites de "la mémoire ?"
Question – Celle que l'on s'en fait généralement ; c'est cette faculté de notre intelligence qui se souvient de pensées, d'actions et d'évènements antérieurs, et en retient la connaissance.
Réponse – Veuillez ajouter à cela qu'il y a une grande différence entre les trois formes de mémoire reçues. Outre la Mémoire en général, vous avez le Souvenir, le Rappel à la mémoire et à la Réminiscence, n'est ce pas ? – Avez-vous jamais réfléchi à ces différences ? N'oubliez pas que le mot de Mémoire est nom générique.
Question – Mais tous ces noms sont synonymes.
Réponse – Non, certes ; ils ne sont pas, surtout pas dans le langage de la philosophie. La mémoire est simplement un pouvoir naturel aux [175] êtres pensants, et même aux animaux, de reproduire les impressions passées, au moyen d'une association d'idées suggérées surtout par les choses objectives ou par quelque action des organes extérieurs de nos sens. La mémoire est une faculté qui dépend entièrement des fonctions plus ou moins saines et normales de notre cerveau physique ; le souvenir et le rappel à la mémoire sont les attributs et les serviteurs de cette mémoire. Mais la Réminiscence est une chose entièrement différente. La "Réminiscence" est définie par les psychologistes modernes, comme étant intermédiaire entre le souvenir et le rappel à la mémoire, "le procédé conscient de faire revivre les événements passés, mais sans les détails complets et variés concernant certains sujets, qui caractérisent le rappel à la mémoire".
Locke dit, en parlant du souvenir et du rappel à la mémoire : "Lorsqu'une idée revient, sans l'opération de l'objet qui s'y rapporte sur l'organe extérieur, c'est le souvenir ; lorsqu'il faut que l'intelligence cherche cette idée et ne la découvre qu'avec effort et avec peine, c'est le rappel à la mémoire. "Mais Locke même ne donne pas de définition claire de la réminiscence, parce que ce n'est ni une faculté, ni un attribut de notre mémoire physique, mais une perception de l'intuition qui se trouve en dehors du cerveau physique et qui en est séparée ; or cette perception, mise en action par la connaissance toujours présente [176] notre Ego spirituel, et se rapportant à toutes les visions qui, dans l'homme, sont appelées anormales, depuis les tableaux inspirés par le génie jusqu'au délire de la fièvre et même de la folie, cette perception, disons-nous, n'a, d'après la science, d'existence que dans notre imagination. L'Occultisme et la Théosophie considèrent, néanmoins, la réminiscence d'un tout autre point de vue. Car, tandis que, pour nous, la mémoire est physique, passagère, et dépend des conditions physiologiques du cerveau (proposition fondamentale soutenue par tous, ceux qui enseignent la Mnémonique, et qui, à leur tour, sont appuyés par les recherches scientifiques des psychologistes modernes), nous appelons la Réminiscence, la mémoire de l'âme. Et c'est par cette mémoire que, tout en le comprenant ou ne le comprenant pas, presque tous les êtres humains possèdent l'assurance d'avoir déjà vécu et de devoir revivre encore.
Car véritablement, comme le dit Wordsworth : "Notre naissance n'est que le sommeil et l'oubli ; "L'âme qui se lève avec nous, étoile de notre vie, "A eu son couchant ailleurs, "Et vient de bien loin. "
Question – Si votre doctrine est basée sur ce genre de mémoire, qui, d'après votre propre aveu, est faite de poésie et d'imagination, je crains que vous ne réussissiez guère à convaincre beaucoup de monde. [177]
Réponse – Je n'ai pas "avoué" que ce ne soit que de l'imagination. J'ai dit seulement que les physiologistes et les hommes de la science, en général, considèrent des réminiscences semblables comme des imaginations et des hallucinations, et ils sont libres de s'en tenir à cette conclusion savante. Nous reconnaissons que ces visions du passé et ces coups d'œil furtifs jetés dans les profondeurs lointaines du temps sont des choses anormales, en comparaison de l'expérience normale de notre vie ordinaire et de notre mémoire physique. Mais nous soutenons aussi, avec le Professeur W. Knight, que "le fait de ne pas se souvenir d'une action qui aurait eu lieu, dans un état antérieur à celui-ci, ne peut être un argument concluant contre la possibilité d'avoir passé par cet état". Et tout opposant impartial doit être d'accord avec ce que Butter dit, dans ses Conférences sur la philosophie Platonicienne, savoir : "que le sentiment d'extravagance qui nous frappe dans l'idée de la préexistence tire sa source secrète de préjugés matérialistes ou à moitié matérialistes. " Nous soutenons, en outre, que la mémoire n'est, comme le dit Olympiodore, qu'une fantaisie 30, [178] et, par conséquent, la chose sur laquelle il faut compter le moins 31. Ammonius Saccas a déclaré que la mémoire est l'unique faculté de l'homme qui soit directement opposée à la pronostication, c'est-à-dire à la prévision de l'avenir. Souvenez-vous ensuite que la mémoire est une chose, et que l'intelligence ou la pensée en est une autre ; l'une est un instrument enregistreur qui peut très facilement se déranger ; l'autre (la pensée) est impérissable et éternelle. Refuseriez-vous de croire à l'existence de certains hommes ou de certaines choses, simplement parce que vous ne les auriez pas vues au moyen de vos yeux physiques ? Le témoignage collectif de ceux qui, dans les temps passés, ont vu Jules César, n'est-il pas suffisant pour prouver qu'un tel homme a vécu ? Pourquoi ne pas prendre également en considération le témoignage des sens psychiques d'une multitude de personnes ?
30 "La fantaisie, dit Olympiodore (Platonis Phaed.), Met obstacle A nos conceptions intellectuelles ; et par conséquent, lorsque nous sommes agités par l'influence inspiratrice de la Divinité, l'action de l'enthousiasme cesse, si la fantaisie intervient ; car l'enthousiasme et l'extase sont contraires l'un à l'autre. Demande-t-on si l'âme peut agir sans la fantaisie, nous répondrons qu'elle prouve, par sa perception de l'Universel, qu'elle en est capable. Elle possède donc des perceptions indépendantes de la fantaisie ; en même temps, toutefois, la fantaisie suit l'action de l'âme, comme l'ouragan poursuit celui qui navigue sur la mer. "
31 Fantaisie, en anglais phantasy, dans le sens de fancy, imagination (N. D T. )
Question – Mais ne croyez-vous pas que ces distinctions sont trop subtiles pour être acceptées par la majorité des mortels ?
Réponse – Dites plutôt par la majorité des matérialistes ; et voici ce que nous avons à leur dire : Même durant le court espace de l'existence ordinaire, la mémoire est trop faible pour enregistrer tous les événements d'une vie humaine. Combien de fois n'arrive t-il pas que des événements d'une haute importance restent endormis au fond de notre mémoire, jusqu'au moment où une association d'idées en réveille le souvenir ou que quelque autre lien le rappelle à l'activité ? Voilà ce qui a lieu surtout avec les personnes d'un âge avancé, qui ont toujours de la peine à se rappeler le passé. Si donc, nous tenons compte de ce que nous savons au sujet des principes physiques et spirituels de l'homme, nous ne nous étonnerons plus de ce que notre mémoire n'a pas été capable de retenir le souvenir d'une ou de plusieurs vies antérieures, mais ce serait le contraire, s'il avait lieu, qui devrait vous surprendre.