POURQUOI LES THÉOSOPHES NE CROIENT PAS AU RETOUR DES PURS "ESPRITS"
Question – Que voulez-vous dire ? Pourquoi leur bonheur en souffrirait-il ?
Réponse – En voici tout simplement un exemple. Une mère est morte, laissant en arrière ses pauvres petits enfants – ses orphelins, qu'elle adore – et peut-être aussi un mari bien-aimé. Nous disons que son "Esprit" ou son Ego, cette individualité qui, pour toute la durée de la période Dévakhanique, est complètement imprégnée des plus nobles sentiments de sa dernière personnalité, c'est-à-dire d'amour pour ses enfants, de pitié pour ceux qui souffrent, etc., etc., nous disons que cet Ego est maintenant entièrement séparé de la "Vallée de larmes", et que son bonheur futur consiste en une heureuse ignorance de toutes les misères qu'il a laissées en arrière. Les Spirites, au contraire, disent qu'il est vivement conscient de toutes ces douleurs, et même plus qu'auparavant, car "les Esprits voient plus que ne le font les mortels incarnés". Nous disons que le bonheur du "Devakhani" consiste en une entière conviction de n'avoir jamais quitté la terre et une ignorance complète de l'existence de la mort. La conscience spirituelle de la mère, après la mort, [206] l'entourera de ses enfants et de tous ceux qu'elle aime ; il n'y aura ni vide ni lien absent : tout s'accordera à faire de son état, désincarné le bonheur le plus parfait et le plus absolu. Voici ce que les Spirites nient pertinemment. D'après leur doctrine, la malheureuse humanité n'est pas libérée, même par la mort, des douleurs de cette vie ; pas une goutte des misères et des souffrances contenues dans la coupe de la vie n'échappera à ses lèvres, et, nolens volens, puisqu'elle voit tout maintenant, il lui faudra boire l'amertume jusqu'à la lie. Ainsi la femme aimante qui, durant sa vie, était prête à épargner, au prix du sang de son cœur, tout chagrin à son mari, est condamnée, à présent, à devenir le témoin impuissant de son désespoir et à compter chaque larme brûlante qu'il verse pour l'avoir perdue ! Ou bien, ce qui est pire, elle verra peut-être ces larmes se sécher trop tôt, et un autre visage bien aimé lui sourire, à lui, le père de ses enfants, une autre femme la remplacer dans l'affection de son mari ; elle sera peut-être condamnée à entendre ses orphelins appeler du saint nom de "mère" une personne qui leur est indifférente, et à voir ses petits enfants négligés, sinon maltraités ! D'après cette théorie, la "douce brise qui pousse vers la vie immortelle" conduit sans transition aucune à une nouvelle route de souffrance mentale ! Et pourtant les colonnes de la Banner of Ligth, le doyen des Journaux Spirites Américains, sont couvertes [207] de communications des morts, les "chers défunts", qui tous se déclarent parfaitement heureux ! Le bonheur est-il possible pour qui possède cette connaissance ? Alors, vraiment, le "bonheur" est la plus grande malédiction que l'on puisse imaginer, et la damnation orthodoxe paraît, en comparaison, un véritable soulagement !
Question – Mais comment votre théorie évite-t-elle cette complication ? Comment pouvez-vous réconcilier l'omniscience de l'Ame avec son ignorance de ce qui se passe sur la terre ?
Réponse – Parce que telle est la loi de l'Amour et de la Miséricorde. L'Ego, omniscient en soi, se revêt, pour ainsi dire, pendant chaque période Dévakhanique, de la réflexion de la "personnalité" qui n'est plus. Je viens de vous dire que la fleur idéale de tous les attributs ou de toutes les qualités abstraites, et par conséquent, immortelles et éternelles, qui ont trouvé un écho dans le cœur de la personnalité "vivante", telles que la charité et la Miséricorde, l'amour du bien, du vrai et du beau, s'attache à l'Ego, après la mort, et le suit en Dévakhan. L'Ego devient donc, pour un temps, la réflexion idéale de l'être humain qu'il a été, lors de son dernier séjour sur la terre ; et cet être n'est pas omniscient, car, s'il l'était, il ne se trouverait jamais dans l'état que nous appelons Dévakhan.
Question – Pour quelles raisons ? [208]
Réponse – Si vous désirez une réponse qui soit strictement d'accord avec notre philosophie, je vous dirai que c'est parce que tout est illusion (Maya), excepté l'éternelle Vérité, qui n'a ni forme ni couleur, ni limite. Celui qui s'est placé au-delà du voile de Maya – comme les initiés et les Adeptes les plus élevés – ne peut avoir de Dévakhan ; tandis que le mortel ordinaire y jouit d'un bonheur parfait, dans un oubli absolu de tout ce qui, durant sa dernière incarnation, lui a causé de la douleur ou du chagrin, et même dans l'oubli du fait qu'il existe au monde des choses telles que le chagrin et la douleur. Pendant le cycle intermédiaire entre deux incarnations, le Devakhani vit entouré de tout ce qu'il a souhaité en vain, et se trouve dans la société de tous ceux qu'il a aimés sur la terre. Il obtient l'accomplissement de tous les désirs de son âme ; et il mène ainsi, de longs siècles durant, une existence de bonheur sans mélange, vraie compensation des souffrances de sa vie terrestre. Il est plongé, en un mot, dans un Océan de félicité sans interruption, mesurée seulement par des événements d'une félicité plus grande encore.
Question – Mais c'est pire qu'une simple illusion ; c'est une existence passée dans les hallucinations de la folie !
Réponse – A votre point de vue, peut-être ; mais la Théosophie en juge différemment. Du reste, notre vie terrestre toute entière n'est-elle [209] pas remplie d'illusions de ce genre ? N'avez-vous jamais rencontré d'hommes et de femmes qui ont vécu de chimères, pendant des années ? S'il vous arrivait d'apprendre qu'un mari adoré de sa femme ; qui se croit chérie à son tour, lui est infidèle, iriez-vous interrompre le beau rêve qu'elle fait et lui briser le cœur, en la rappelant à la réalité ? Je ne le pense pas. Je le répète, un oubli, une hallucination pareille (si vous tenez à l'appeler ainsi), n'est qu'une loi miséricordieuse de la nature et de la stricte justice ; et c'est, de toute manière, infiniment plus attrayant que la perspective orthodoxe d'une harpe d'or et de deux ailes. L'assurance que "l'âme qui vit s'élève souvent vers la Jérusalem céleste et en parcourt familièrement les rues, visitant les patriarches et les prophètes, saluant les apôtres, et admirant l'armée des martyrs", peut sembler plus pieuse à quelques personnes ; mais c'est une hallucination d'un genre infiniment plus illusoire – car nous savons tous que les mères aiment leurs enfants d'un amour immortel, tandis que les personnages de la "Jérusalem céleste" sont encore d'une existence plus ou moins douteuse. Pourtant, je préfèrerais la "Nouvelle Jérusalem" et ses rues semblables à l'étalage d'un magasin de bijouterie, à la consolation qui doit se trouver dans la doctrine impitoyable des Spirites. La seule idée que les âmes intellectuelles et conscientes de père, mère, fille ou frère, peuvent découvrir leur bonheur dans un [210] "Summerland" 41, dont la description n'est qu'un peu plus naturelle, mais tout aussi ridicule que celle de la "Nouvelle Jérusalem", suffirait pour nous faire perdre tout vestige de respect pour "nos défunts". Et l'on se sentirait vraiment devenir fou, si l'on en venait à croire qu'un Esprit pur pourrait être heureux, tout en restant condamné à être témoin des péchés, des erreurs, des trahisons, et surtout des souffrances, de ceux dont il est séparé par la mort et qu'il aime le plus au monde, sans être en état de les secourir.
Question – Il y a du vrai dans votre argument ; j'avoue que je n'avais encore jamais considéré cette théorie de ce nouveau point de vue.
Réponse – C'est évident ; et il faut être foncièrement égoïste et entièrement dénué du sentiment de la justice compensatrice, pour pouvoir inventer une situation semblable. Nous sommes avec ceux que nous avons perdus sous leur forme matérielle, et ils se trouvent infiniment plus près de nous, à présent, que lorsqu'ils vivaient ici. Et ce n'est pas uniquement un effet de l'imagination du Dévakhani, comme quelques personnes pourraient le croire, mais c'est une Réalité. Car l'amour pur et divin n'est point seulement la fleur d'un cœur humain ; ses racines s'étendent jusque dans l'éternité. L'amour spirituel et saint est immortel ; et Karma rassemble tôt ou tard tous ceux qui se sont [211] aimés d'une semblable affection spirituelle et les fait incarner ensemble, encore une fois, dans un même cercle de famille. Et nous disons aussi que l'amour d'au-delà de la tombe, bien que vous puissiez l'appeler une illusion, possède une puissance magique et divine qui réagit sur les vivants. L'Ego d'une mère, plein d'amour pour les enfants imaginaires qu'il voit autour de lui, vivant d'une vie de bonheur aussi réelle pour lui 42 que lorsqu'il habitait la terre, influencera toujours par son affection ses enfants incarnés. Cet amour se manifestera dans leurs rêves, et souvent aussi en diverses circonstances, par des protections et des délivrances providentielles ; car l'amour est un bouclier puissant, qui n'est limité ni par le temps ni par l'espace. Et il en sera de toutes les autres affections et des autres attachements humains (à l'exception des liens égoïstes et matériels), comme de l'amour de cette "Mère" Dévakhanique ; vous pouvez vous en faire une idée par analogie.
41 "Pays de l'Été" (N. D. T)
42 "It" en anglais, pronom neutre.
Question – Par conséquent, vous n'admettez jamais la possibilité de communications entre les vivants et les esprits désincarnés ?
Réponse – Si ; il y a même deux exceptions à cette règle. La première exception peut avoir lieu durant les quelques jours qui suivent immédiatement la mort d'une personne, avant que l'Ego ne passe dans l'état Dévakhanique. Ce qui reste douteux, [212] c'est l'importance de l'avantage qu'un mortel quelconque ait pu retirer du retour d'un Esprit dans le plan objectif ; si ce n'est en quelques cas très rares, lorsque, par exemple, l'intensité du désir de la personne mourante de revenir, pour un but spécial, a forcé la conscience supérieure à demeurer éveillée, ce qui fait que c'est vraiment l'individualité, l' "Esprit" qui s'est manifesté. Après la mort, l'Esprit se trouve dans un état d'étourdissement et tombe bientôt dans ce que nous appelons "l'inconscience pré-dévakhanique".
La seconde exception se rapporte aux Nirmanakayas. Question – Qui sont-ils ? Que signifie ce nom, pour vous ?
Réponse – Ce nom est donné à ceux qui, ayant gagné le droit d'entrer en Nirvana et d'obtenir le repos cyclique (il ne s'agit pas de "Dévakhan" qui est une illusion de notre conscience, un rêve heureux, tandis que ceux qui sont prêts pour Nirvana doivent avoir entièrement perdu tout désir des illusions de ce monde et toute possibilité d'en jouir), ont renoncé à l'état Nirvanique, par pitié pour l'humanité et pour ceux qu'ils ont laissés sur cette terre. Un Adepte semblable, ou un Saint, n'importe comment vous l'appellerez, croyant que c'est un acte égoïste que de jouir du repos et du bonheur, tandis que l'humanité gémit sous le poids de la misère produite par l'ignorance, renonce à Nirvana, et se décide à rester invisible, en Esprit, [213] sur cette terre. Les Nirmanakayas n'ont plus de corps matériel, puisqu'ils l'ont laissé en arrière ; mais, à part cela, ils conservent tous leurs principes, même dans la vie astrale de notre sphère ; ils peuvent entrer en communication avec quelques rares élus parmi les mortels, et ils le font, mais ce n'est, certes, jamais avec des médiums ordinaires.
Question – Je vous fais cette question au sujet des Nirmanakayas, parce que j'ai lu, dans quelques ouvrages Allemands et autres, que, dans les enseignements Bouddhistes du Nord, ce nom est donné aux apparitions terrestres ou aux corps des Bouddhas.
Réponse – En effet ; mais les Orientalistes ont produit une confusion au sujet de ce corps terrestre, en le supposant objectif et physique, tandis qu'il est purement astral et subjectif.
Question – Et quel est le bien que les Nirmanakayas peuvent faire sur la terre ?
Réponse – Pas grand-chose, pour ce qui concerne les individus, puisqu'ils n'ont pas le droit d'interrompre le cours de Karma et qu'ils ne peuvent qu'inspirer les mortels et leur donner des conseils pour le bien général. Mais on leur doit, néanmoins, une influence beaucoup plus bienfaisante que vous ne le pensez.
Question – Voilà ce que, ni la Science, ni même la psychologie moderne, n'admettraient jamais ; car, à leur point de vue, aucune partie de l'intelligence [214] ne peut survivre au cerveau physique. Que leur répondriez-vous ?
Réponse – Je ne me donnerais pas même la peine de leur répondre, mais je leur dirais ton, simplement, en employant les paroles communiquées à "M. A. Oxon" : "L'intelligence est perpétuée après la mort du corps". Ce n'est point une question de cerveau seulement... L'on peut, raisonnablement, d'après ce que nous savons ; Soutenir l'indestructibilité de l'esprit humain. " (Identité de l'Esprit, page 69).
Question – Mais "M. A. Oxon" est Spirite !
Réponse – Précisément ; et c'est même le seul vrai Spirite que je connaisse, bien que nous ne soyons pas d'accord sur plus d'un point de moindre importance ; sans cela, il n'existe pas d'autre spirite qui soit aussi près que lui des Vérités Occultes. Il parle constamment, comme chacun de nous, des dangers extérieurs qui attaquent l'imprudent qui se lance étourdiment, sans préparation, dans l'Occultisme, et en franchit le seuil, sans avoir calculé ce que cela lui coûtera 43. Notre seul désaccord se trouve dans la question de "l'Identité de l'Esprit". Autrement, quant à moi, je suis presque entièrement de son avis, et je souscris aux trois propositions qu'il a traitées dans son discours de Juillet 1884. C'est, du reste, plutôt cet [215] éminent spirite qui est en désaccord avec nous que nous avec lui.
Question – Quelles sont ces propositions ?
Réponse – "1. Qu'il y a une vie qui coïncide avec la vie physique du corps, mais qui en est indépendante. "
"2. Que, la conséquence nécessaire de cette vie est qu'elle s'étend au- delà de la vie du corps. " (Nous disons qu'elle s'étend à travers Dévakhan).
"3. Qu'il existe des communications entre les habitants de cet état d'existence et ceux du monde dans lequel nous vivons. "
Comme vous le voyez, tout dépend des aspects secondaires de ces propositions fondamentales ; tout dépend de notre manière d'envisager l'Esprit et l'Ame, l'Individualité et la Personnalité. Les Spirites confondent les deux et les font "Une" ; nous les séparons, et nous disons que, à part les exceptions citées plus haut, aucun Esprit ne revient sur la terre, bien que l'Ame animale puisse le faire. Mais retournons à notre sujet direct, les Skandhas.
Question – Je commence à comprendre. C'est, pour ainsi dire, l'Esprit des plus nobles de ces "Skandhas" qui, s'attachant à l'Ego réincarnant, survivent avec lui et sont ajoutés à l'ensemble de ses expériences angéliques. Tandis que les attributs des Skandhas matériels, des motifs égoïstes et personnels, disparaissent de la scène de l'action, entre deux incarnations, pour reparaître, [216] lors de l'incarnation suivante, sous la forme de résultats Karmiques qui doivent être expiés. Voilà pourquoi l'Esprit ne quitte pas Dévakhan. Est-ce bien ainsi ?
Réponse – A peu près ; et vous serez tout à fait dans le vrai, si vous y ajoutez que cette même loi de la rétribution, Karma, qui récompense, en Dévakhan, les êtres les plus élevés en spiritualité, ne manque jamais de les récompenser aussi sur la terre, en les conduisant à un développement croissant et en enveloppant leur Ego du corps qu'il lui faut pour cela.
43 "Ce que je sais et ce que je ne sais pas au sujet du spiritisme".