CE QU'IL FAUT QU'UN THÉOSOPHE NE FASSE PAS
Question – Avez-vous, dans votre Société, des lois ou des clauses prohibitives pour les Théosophes ?
Réponse – Nous en avons plusieurs ; mais, hélas ! elles ne sont pas mises en pratique. Elles sont l'expression de l'idéal de notre organisation ; mais nous sommes obligés d'en abandonner l'application à nos membres eux-mêmes. Et malheureusement, l'état mental est tel dans le siècle actuel qu'il ne se trouverait ni homme ni femme [353] qui oserait se joindre à la Société Théosophique, si nous ne laissions ces clauses hors d'usages. Voilà pourquoi je ne puis assez insister sur la différence qui existe entre la véritable Théosophie et la Société Théosophique qui, malgré ses efforts constants et ses intentions excellente, n'en est que le véhicule indigne.
Question – Pourriez-vous me, dire quels sont ces écueils dangereux semés dans la mer de la Théosophie ?
Réponse – Vous avez raison de les appeler des écueils, car plus d'un
M. S. T. sincère et bien intentionné y a brisé son canot Théosophique ! Et pourtant il semblerait qu'il n'y a rien de plus facile au monde que d'éviter certaines choses. Voyez, par exemple, les devoirs Théosophiques suivants, devoirs négatifs qui ne font qu'en recouvrir autant de positifs. – Aucun Théosophe n'a le droit de se taire, lorsqu'il entend de fausses accusations ou des calomnies contre la Société, ou contre des personnes innocente, que ces personnes soient ses collègues ou des étrangers.
Question – Mais, supposez que ce que l'on entend soit la vérité, ou puisse être la vérité, bien que l'on n'en sache rien ?
Réponse – Alors, il faut exiger des preuves valables d'une telle assertion, et entendre les deux partis impartialement, avant de tolérer que cette accusation se répande sans protestation. Vous n'avez pas le droit de croire au mal que l'on dit, [354] avant de posséder des preuves incontestables de son existence.
Question – Et que faut-il faire, alors ?
Réponse – Il faut toujours que la pitié et la tolérance, la charité et la patience, nous portent à excuser nos frères coupables et à juger avec la plus grande douceur ceux qui tombent. Il faut qu'un Théosophe n'oublie jamais de faire la part des erreurs et des infirmités inhérentes à la nature humaine.
Question – Faut-il qu'il pardonne entièrement en pareils cas ?
Réponse – Dans tous les cas, mais surtout si c'est lui qui est l'offensé. Question – Mais si, de cette façon, il court le risque de faire,
directement ou indirectement, du tort aux autres, quelle devra être sa ligne de conduite ?
Réponse – Il devra faire son devoir ; c'est-à-dire ce que lui suggèrent sa conscience et sa nature supérieure ; mais il n'agira qu'après de mûres délibérations. La justice consiste à ne faire du tort à aucun être vivant ; mais la justice nous ordonne aussi de ne jamais tolérer que plusieurs personnes, ou même qu'une seule personne innocente soit condamnée à souffrir, afin que le coupable puisse échapper à son châtiment.
Question – Quelles sont les autres clauses négatives ?
Réponse – Aucun Théosophe n'a le droit d'être [355] satisfait de mener une vie frivole et paresseuse qui ne sert pas à son propre bien et encore moins au bien des autres. Il lui faut travailler à se rendre utile aux quelques personnes qui ont besoin de lui, s'il n'a pas l'occasion de se vouer à l'Humanité ; et de cette façon il contribuera à l'avancement de la cause Théosophique.
Question – Il n'y a qu'une nature exceptionnelle qui puisse agir ainsi ; ce serait trop exiger de bien des personnes.
Réponse – Ces personnes-là feraient mieux de rester hors de la Société Théosophique, plutôt que d'y entrer, sous de fausses couleurs. On ne réclame de personne plus qu'il ne lui est possible de donner de dévouement, de temps, de travail ou d'argent.
Question – Et ensuite ?
Réponse – Aucun membre actif ne doit attacher trop de valeur à son progrès personnel ou à l'avancement de ses études Théosophiques, mais doit être prêt à s'acquitter de toute l'œuvre altruiste qu'il est en son pouvoir d'accomplir. Il n'a pas le droit de laisser peser tout le poids et toute la responsabilité du mouvement Théosophique sur les épaules des travailleurs peu nombreux qui s'y dévouent complètement. Chaque membre doit sentir qu'il est de son devoir de prendre toute la part qu'il peut du travail commun et d'y concourir par tous les moyens qui lui sont possibles.
Question – C'est parfaitement juste. Et ensuite ? [356]
Réponse – Aucun Théosophe ne doit mettre sa vanité ou ses sentiments personnels au-dessus des intérêts de la Société. Celui qui sacrifie la réputation du Corps Théosophique ou celle d'autres personnes sur l'autel de sa vanité, de ses intérêts mondains ou de son orgueil, n'a pas le droit d'être toléré parmi les membres ; car la gangrène dont un membre est attaqué se communique au corps tout entier.
Question – Est-il du devoir de chaque membre d'instruire les autres et de prêcher la Théosophie ?
Réponse – Sans aucun doute. Aucun membre n'a le droit de rester oisif, sous prétexte qu'il ne sait pas assez pour enseigner ; car il peut toujours être sûr de trouver des personnes qui savent encore moins que lui. Et, du reste, ce n'est que lorsqu'un homme essaie d'instruire les autres qu'il s'aperçoit de sa propre ignorance et qu'il s'efforce d'y remédier. Mais cette clause est d'une importance secondaire.
Question – Quel est donc, selon vous, le principal de ces devoirs Théosophiques négatifs ?
Réponse – C'est d'être toujours prêt à reconnaître et à confesser ses propres fautes ; de pécher plutôt par une louange exagérée des efforts du prochain que de ne pas les apprécier à leur juste valeur ; de ne jamais médire d'une personne et de ne calomnier qui que ce soit ; de toujours dire franchement à un autre ce que l'on a contre lui ; de rie jamais se faire l'écho de ce[357] qui se dit contre les autres, et de ne conserver aucune rancune envers ceux qui nous offensent.
Question – Mais il est souvent dangereux de dire au monde la vérité. Qu'en pensez-vous ? Je connais un de vos membres qui a été amèrement offensé, a abandonné la Société et est devenu un de ses ennemis mortels, simplement parce que quelques vérités désagréables lui ont été dites sans ménagement.
Réponse – Il n'est pas le seul ; aucun membre, ayant occupé une place importante ou insignifiante dans la Société, ne nous a quittés sans devenir un ennemi mortel.
Question – D'où cela vient-il ?
Réponse – Cela vient tout simplement de ce que, ayant été, au premier abord, extrêmement dévoué à la Société et l'ayant accablée des louanges les plus exagérées, il ne reste à un déserteur de ce genre d'autre moyen d'excuser sa conduite future et son aveuglement passé, que de se poser en victime innocente et trompée, se déchargeant ainsi du blâme qui pèse sur lui, pour en charger les épaules de la Société, tout particulièrement celles des chefs.
Ces personnes-là vous font penser à la fable de l'homme qui avait le visage tors et qui brisa son miroir, sous prétexte que ses traits s'y reflétaient de travers.
Question – Mais pourquoi ces gens prennent ils parti contre la Société ?
Réponse – Presque toujours parce que leur [358] vanité a été blessée de l'une ou de l'autre façon ; souvent parce que leurs conseils et leurs paroles ne sont pas adoptés et suivis comme des lois, ou bien, parce qu'ils appartiennent au nombre de ceux qui préfèrent régner en enfer que servir au ciel. En un mot, parce qu'ils ne peuvent pas se contenter de n'être que les seconds. Un de ces membres, par exemple, un vrai "Sir Oracle", censura et calomnia à peu près tous les membres de la S. T. , en présence d'étrangers, aussi bien que de Théosophes, sous prétexte qu'il n'y en avait "pas un qui se conduisit théosophiquement", et les blâmant précisément de ce qu'il faisait lui-même. Il nous quitta enfin, en se déclarant profondément convaincu que nous n'étions tous que des "DUPEURS"surtout ceux qui ont fondé la Société. Un autre, après avoir tâché, par tous les moyens possibles de se faire placer à la tête d'une section importante de la Société, voyant que les membres ne voulaient pas de lui, se tourna contre les Fondateurs et devint leur ennemi mortel, accusant l'un d'eux, toutes les fois qu'il en avait l'occasion, simplement parce que la personne dont il s'agit ne pouvait pas, et ne voulait pas, forcer les Membres à l'accepter. Ce ne fut qu'une affaire de vanité profondément blessée. Un autre encore voulut exercer la "Magie Noire", et l'exerça de fait, c'est-à-dire qu'il employa une influence personnelle et psychologique illicite pour agir sur quelques-uns des membres, tandis que, d'autre [359] part, il prétendait être dévoué à la cause Théosophique et posséder toutes les vertus imaginables. Lorsque l'on mit fin à tout cela, il abandonna la Théosophie ; et à présent il répand des mensonges et des calomnies sur le compte des chefs destinés à avoir toujours tort, et s'applique avec une extrême violence à détruire la Société, en tâchant de noircir la réputation de ceux que ce "digne Membre" n'a pas réussi à tromper.
Question – Que faut-il faire avec des gens de cette trempe ?
Réponse – Les abandonner à leur Karma. Parce qu'un homme agit mal, ce n'est pas une raison pour que les autres en fassent autant.
Question – Pour en revenir à la calomnie, où se trouve la ligne de démarcation entre la médisance et une juste critique ? N'est-il pas de notre devoir d'avertir nos amis et notre prochain en général contre ceux que nous savons être de dangereux compagnons ?
Réponse – Si, en laissant toute liberté d'action à de telles personnes, d'autres courent le risque d'en souffrir, il est certes de notre devoir de conjurer le danger, en avertissant ces dernières en secret. Mais il ne faut jamais répandre une accusation, qu'elle soit vraie ou qu'elle soit fausse ; car, si elle est vraie, et que la faute commise ne puisse faire de tort qu'au coupable, abandonnez ce dernier à son Karma. Et si l'accusation est fausse, vous aurez, en gardant le silence, à cet [360] égard, évité le péril d'ajouter encore à l'injustice du monde. Voilà pourquoi vous ferez bien de vous taire sur toutes les choses de ce genre, vis-à-vis de ceux qu'elles ne concernent pas directement. Mais, si votre discrétion et votre silence peuvent être dangereux pour d'autres, j'ajoute à ce que je viens de dire : Dites la vérité à tout prix, et je répète les paroles d'Annesly : "Il faut consulter le devoir, et non les circonstances. " On se trouve parfois forcé de s'écrier : "Périsse la discrétion, plutôt qu'elle ne vienne entraver le devoir !"
Question – Il me semble que si vous vous en tenez à ces maximes, vous avez toutes les chances de vous attirer une légion de difficultés !
Réponse – C'est précisément ce qui nous arrive. Nous sommes obliges de reconnaître que l'on peut dire de nous, en ce moment, ce que l'on disait des premiers Chrétiens : "Voyez comme ces Théosophes s'aiment les uns les autres !" Et il ne se trouve là aucune ombre d'injustice.
Question – Puisque vous admettez vous-même qu'il se trouve dans la Société Théosophique, autant, sinon plus, de calomnies, de médisances et de querelles, que dans les Eglises Chrétiennes, sans parler des Sociétés Scientifiques, me permettrez-vous de demander quel est ce genre de Fraternité ?
Réponse – Un fort triste spécimen de Fraternité, pour le moment, j'en conviens ; et qui ne [361] sera pas meilleur que les autres, avant d'avoir été soigneusement revu et réorganisé. N'oubliez pas, toutefois, que la nature humaine est partout la même, dans la Société Théosophique comme en dehors ; ses membres ne sont pas des Saints ils ne sont que des pécheurs qui tâchent de se réformer, mais que leur faiblesse personnelle peut faire retomber dans leurs erreurs passées. Ajoutez à cela que notre "Fraternité" n'est pas un corps reconnu on établi légalement, mais se trouve, pour ainsi dire, hors de l'enceinte de la juridiction. Elle est, en outre, dans un véritable chaos et, ce qui est vraiment injuste, plus impopulaire qu'aucune autre Société. Comment s'étonner, alors, de ce que les membres qui ne réussissent pas à réaliser notre idéal, se tournent, après nous avoir quittés, vers nos ennemis pour adresser leurs plaintes et leur amertume à des oreilles trop complaisantes ! Sûrs de rencontrer l'appui, la sympathie et une parfaite crédulité prête à accepter toutes les accusations, même les plus absurdes, qu'il leur plaira de lancer contre la Société Théosophique, ils ne perdent pas de temps, et se hâtent d'accabler de leur vengeance le miroir innocent dont l'unique faute est de refléter trop fidèlement leurs visages. Les hommes ne pardonnent jamais à ceux auxquels ils ont fait tort ; le sentiment d'avoir payé en ingratitude la bonté qui leur a été témoignée transforme en une sorte de folie leur désir de se justifier devant le monde [362] et devant leur propre conscience. Le monde n'est que trop disposé à croire tout ce que l'on peut dire contre une Société qu'il déteste ; et quant à leur conscience – mais je m'arrête ici, car je crains, d'en avoir déjà trop dit à ce sujet.
Question – Votre position ne me semble pas enviable.
Réponse – Vous avez raison. Mais ne pensez vous pas que, puisque les chefs et les fondateurs du mouvement continuent à travailler de toutes leurs forces, il doit y avoir, derrière la Société et sa philosophie, quelque chose de très noble, de très élevé, de très vrai ? Ils sacrifient tout bien-être, tout succès, toute prospérité mondaine, et jusqu'à leur nom, leur réputation, et leur honneur même, pour ne récolter en échange de tout cela que des reproches continuels, des persécutions sans fin, des calomnies incessantes, une constante ingratitude ; leurs meilleurs efforts sont mal compris, les coups pleuvent sur eux de tous côtés – et pourtant, s'ils abandonnaient tout simplement leur travail, ils se verraient immédiatement dégagés de toute responsabilité, et à couvert de toute nouvelle attaque.
Question – J'avoue que cette persévérance me semble parfaitement étonnante ; et je me suis demandé dans quel but vous supportiez tout cela.
Réponse – Ce n'est pas pour obtenir une satisfaction personnelle, croyez-le bien, mais dans le seul espoir de former et de préparer quelques [363] hommes capables de continuer notre œuvre, d'après le plan primitif, lorsque les Fondateurs seront morts ; ceux-ci ont déjà découvert quelques êtres nobles et dévoués prêts à les remplacer et grâce à ce petit noyau de travailleurs, les générations futures trouveront le sentier à parcourir un peu moins épineux, la route un peu plus large – de sorte que toute cette souffrance aura produit de bons résultats et que ceux qui se sont sacrifiés ne l'auront pas fait en vain. Pour le moment, le but fondamental de la Société est de semer dans les cœurs des hommes des germes qui pousseront, un jour, et qui, lorsque les circonstances seront propices, conduiront à une saine réforme, dont les conséquences pour les masses seront de leur faire connaître un bonheur qu'elles n'ont pas encore goûté jusqu'ici.
———