SECTION VII

LES JOURS ET LES NUITS DE BRAHMA

 

Tels sont les noms donnés aux périodes appelées MANVANTARA (MANOU-ANTARA, ou entre les Manous) et PRALAYA ou Dissolution ; la première se rapporte aux périodes actives de l'Univers, l'autre à ses époques de repos relatif et de Repos complet, qu'ils aient lieu à la fin d'un Jour, ou d'un "Age" (d'une vie) de Brahmâ. Ces périodes qui se suivent avec régularité, sont aussi appelées les petits et les grands Kalpas, les Kalpas mineurs et les Mahâ Kalpas, bien qu'à proprement parler le Mahâ Kalpa ne soit jamais un "jour", mais toute une vie ou tout un âge de Brahmâ, car il est dit dans le Brahmâ Vaivarta : "Les chronologistes comptent un Kalpa pour chaque Vie de Brahmâ. Les Kalpas mineurs, comme Samvarta et les autres sont nombreux." En réalité, leur nombre est infini, car ils n'ont jamais eu de commencement ou, en d'autres termes, il n'y a jamais eu de premier Kalpa et il n'y aura jamais de dernier dans l'Eternité.

Un Parârdha, ou la moitié de l'existence de Brahmâ, dans l'acception ordinaire de cette mesure du temps, s'est déjà écoulé dans le Mahâ Kalpa actuel. Le dernier Kalpa était le Padma, ou celui du lotus d'Or ; le Kalpa actuel est le Varâha 159  l'Incarnation ou l'Avatar du "Sanglier". [II 84]

 159 Il y a un renseignement assez curieux, dans les traditions ésotériques des Bouddhistes. La biographie exotérique ou allégorique de Gâutama Bouddha nous montre ce grand Sage mourant d'une indigestion de "porc et de riz" ; fin bien prosaïque en vérité, bien peu solennelle en elle- même ! On explique ce récit en le représentant comme une allusion allégorique à ce qu'il est né dans le Kalpa du "Sanglier" ou Varâha-Kalpa, lorsque Vishnou prit la forme de cet animal pour faire sortir la Terre des "Eaux de l'Espace". Or, comme les Brahmanes descendent directement de Brahmâ et sont, pour ainsi dire, identifiés avec lui et comme ils sont, en même temps, les ennemis mortels de Bouddha et du Bouddhisme, nous avons là le fin mot de cette curieuse combinaison allégorique. Le Brahmanisme (du Kalpa du Sanglier, ou Varahâ Kalpa) a détruit la religion du Bouddha dans l'Inde et l'a balayée du pays. C'est pourquoi Bouddha, qui est identifié avec sa philosophie passe pour être mort parce qu'il avait mangé la chair d'un porc sauvage. L'idée seule que celui qui a établi le végétarisme et le respect de la vie, les plus rigoureux, qui refusait  de manger des œufs parce qu'ils étaient les véhicules d'une vie latente future, ait pu mourir d'une indigestion de viande, est absurde au plus haut point et contradictoire et elle a dérouté plus d'un Orientaliste. Toutefois, l'explication que nous donnons maintenant, dévoile l'allégorie et explique tout le reste. Le Vahâra, cependant, n'est pas un simple Sanglier, mais paraît avoir désigné jadis quelque animal lacuste antédiluvien "se plaisant à s'ébattre dans l'eau" (Vâyou Pourâna).

 

Il y a une chose que l'on doit surtout noter en étudiant la religion hindoue dans les Pourânas. On ne doit jamais prendre littéralement et dans un seul sens les déclarations que l'on y trouve, et celles qui se rapportent aux Manvantaras ou aux Kalpas doivent surtout être prises avec leurs différentes significations. C'est ainsi que ces Périodes se rapportent, dans les mêmes termes, aux grandes et aux petites Périodes, aux Mahâ Kalpas et aux Cycles mineurs. Le Matsya, ou l'Avatar du Poisson, eut lieu avant l'Avatar du Sanglier ou Varâha ; les allégories, par conséquent, doivent se rapporter aussi bien au Padma Manvantara qu'au Manvantara  actuel et aussi aux Cycles mineurs qui se sont écoulés depuis la réapparition de notre Chaîne de Mondes et de la Terre. Et comme le Matsya Avatar de Vishnou et le Déluge de Vaïvasvata sont liés, avec raison, à un événement qui se produisit sur notre Terre pendant la Ronde actuelle, il est évident que tout en pouvant se rapporter à des événements précosmiques (au point de vue de notre Cosmos ou Système solaire), il se rapporte, dans notre cas, à une période géologique éloignée. La philosophie Esotérique elle-même ne peut prétendre savoir, sauf par déduction analogique, ce qui s'est passé avant la réapparition de notre Système Solaire et avant le dernier Mahâ Pralaya. Toutefois, elle enseigne clairement qu'après le premier trouble géologique qui se produisit dans l'axe de la Terre, trouble qui se termina par l'écroulement au fond des mers du second Continent tout entier, avec ses races primordiales – Continents ou "Terres" successifs, dont Atlantis était le quatrième – un autre trouble se produisit car l'axe reprit son ancien degré d'inclinaison aussi vite qu'il avait été modifié ; lorsque la Terre fut effectivement tirée de nouveau des Eaux – en haut, comme en bas et vice versa. Il y avait à cette époque des "Dieux" sur la Terre ; des Dieux et non pas des hommes, comme nous les connaissons maintenant, dit la tradition. Comme nous le démontrerons dans le volume III, la computation des périodes, dans l'Hindouisme exotérique, se rapporte tant aux grands événements cosmiques, qu'aux petits événements et aux petits cataclysmes terrestres et l'on peut prouver qu'il en est de même en ce qui concerne les noms. Par exemple, le nom de Youdishthira – le premier roi des Sacae ou Shakas [II 85] qui ouvre l'ère de Kali Youga, dont la durée doit être de 432.1 ans, "un roi réel qui vécut 3.102 ans avant J.-C." – s'applique aussi au grand Déluge, à l'époque du premier engloutissement d'Atlantis. C'est le  "Youdishthira" 160 né sur la montagne aux cent pies, à l'extrémité du monde et au-delà de laquelle personne ne peut aller et "immédiatement après le déluge" 161. Nous n'avons connaissance d'aucun "Déluge" 3.102 ans avant J.-C., pas même celui de Noé, car, d'accord avec la chronologie Judéo- chrétienne, il eut lieu 2.349 ans avant Jésus-Christ.

160 Selon le Colonel Wilford, la "Grande Guerre" prit fin 1.370 ans avant J.-C. (Asiatic Researches, IX, pp. 88-9) ; selon Bentley, 575 ans avant J.-C. ! ! ! Nous pouvons encore espérer voir, avant la fin de ce siècle [le XIXème], l'épopée du Mahâbhârata proclamée identique aux guerres du grand Napoléon.

161 Voir Royal Asiat. Soc., IX, 364.

 

Cela se rapporte à une division ésotérique du temps et à un mystère que nous expliquerons ailleurs et que nous pouvons, par  conséquent, laisser de côté pour le moment. Qu'il nous suffise de dire, pour l'instant, que tous les efforts d'imagination des Wilford, des Bentley et autres soi- disant Œdipes de la Chronologie ésotérique hindoue, ont piteusement échoué. Aucune computation, tant des Quatre Ages que des Manvantaras, n'a jamais encore été tirée au clair par nos très savants Orientalistes qui ont, en conséquence, tranché le Nœud Gordien en déclarant que le tout n'était "qu'une fiction du cerveau brahmanique". Soit, et que les grands savants reposent en paix ! Cette "fiction" est donnée à la fin des Commentaires de la STANCE II de l'Anthropogenèse, dans le Volume III, avec des additions Esotériques.

Voyons, cependant, quels étaient les trois genres de Pralayas et quelle est la croyance populaire à leur sujet. Pour une fois, elle s'accorde avec l'Esotérisme.

Au sujet du Pralaya avant lequel s'écoulent quatorze Manvantaras, ayant à leur tête un même nombre de Manous pour les diriger et à la fin desquels a lieu la Dissolution "incidente" ou Dissolution de Brahmâ, il est dit, en substance, dans le Vishnou Pourâna :

A la fin de mille périodes de quatre âges, qui complètent un jour de Brahmâ, la terre est presque épuisée. L'éternel (Avyaya) Vishnou assume alors le rôle de Roudra, le destructeur (Shiva) et réunit à lui-même toutes (ses) créatures. Il entre dans les sept rayons du Soleil et boit toutes les eaux du (globe) ; il fait évaporer l'humidité, desséchant ainsi toute la terre. Les océans et les  rivières, les torrents des montagnes et les sources, sont tous absorbés. Ainsi nourris d'humidité abondante, les sept rayons solaires deviennent, [II 86] par dilatation, sept Soleils et finalement incendient les trois mondes. Hari, le destructeur de toutes choses, qui est la flamme du temps (Kâlâgni), [finit par consumer la Terre]. Alors Roudra, devenant Janârdana, exhale des nuages et de la pluie 162.

Il y a plusieurs genres de Pralayas, mais on parle surtout dans les vieux livres hindous de trois périodes principales. La première, comme le démontre Wilson, est appelée NAIMITTIKA 163, "occasionnelle" ou "incidente" et est causée par les intervalles entre les "Jours de Brahmâ" ; c'est la destruction des créatures, de tout ce qui vit et a une forme, mais non pas de la substance, qui reste dans le statu quo jusqu'à la nouvelle AURORE qui suit cette Nuit. La seconde est appelée PRAKRITIKA et arrive à la fin de l'Age ou Vie de Brahmâ, lorsque tout ce qui existe est refondu dans l'Elément Primordial, pour être modelé de nouveau à la fin de cette Nuit plus longue. La troisième, l'Atyantika, ne concerne ni les Mondes, ni l'Univers, mais seulement les individualités de quelques personnes. C'est donc la Pralaya individuel, ou NIRVANA, après avoir atteint celui-ci, il n'y a plus d'existence ultérieure possible, il n'y a plus de renaissance jusqu'après le Mahâ Pralaya. Cette dernière Nuit – dont la durée est de trois cent onze trillions et quarante milliards d'années, avec la possibilité d'être presque doublée pour l'heureux Jîvanmoukta qui atteint Nirvâna presque au début d'un Manvantara – est assez longue pour être regardée comme éternelle bien qu'elle ne soit pas sans fin. La Bhâgavata Pourâna 164 parle d'un quatrième genre de Pralaya, le Nitya, ou dissolution constante et le décrit comme étant le changement qui se produit, imperceptiblement, mais sans cesse, dans tout ce que contient cet Univers, depuis le globe jusqu'à l'atome. C'est la croissance et le dépérissement, la vie et la mort.

 162 Livre VI, chap. III.

163 Dans le Védânta et le Nyâya, Nimitta, d'où Naimittika, est traduit par la Cause Efficiente, lorsqu'il est mis en opposition avec Oupâdâna, la Cause Physique ou Matérielle. Dans le Sânkhya, Pradhâna est une cause inférieure à Brahmâ, ou, plutôt, Brahmâ étant lui-même une cause, est supérieur à Pradhâna. Par conséquent "Incidente" est une mauvaise traduction et devrait être remplacé, selon quelques érudits, par cause "Idéale" : Cause Réelle aurait même été mieux.

164 XII, IV, 3[La Bhâgavata Pourâna, par Pournendou Narayan Sinba. Skanda XII, ch. IV, donne les quatre Pralayas comme : Nitya, Nimittika, Prakritika et Atyantika.]

 

Lorsque arrive le Mahâ Pralaya, les habitants de Svarloka (la sphère supérieure), troublés par les conflagrations, se réfugient "avec les Pitris leurs ancêtres, les Manous, les sept Richis, les divers ordres d'Esprits célestes et les Dieux [II 87] dans le Mahar-loka". Lorsque ce dernier lieu est atteint aussi, tous les êtres que nous venons d'énumérer émigrent à leur tour du Mahar-loka et s'en vont dans le Jana-loka, "dans leurs formes subtiles, destinés à se réincarner, avec des capacités similaires à celles qu'ils avaient auparavant, lorsque le monde est renouvelé au commencement du Kalpa suivant" 165.

Des nuages énormes et remplis de tonnerre remplissent tout l'Espace [Nabhas-tala]. Versant des torrents d'eau, ces nuages éteignent les feux terribles... et il pleut ainsi sans cesse pendant cent années [divines] et c'est un déluge pour le monde tout entier [le Système solaire]. Tombant en gouttes de la grosseur de dés à jouer, ces pluies envahissent la terre, remplissent la région moyenne (Bhouva-loka) et inondent les Cieux. Le monde est alors enveloppé de ténèbres et, toutes les choses animées ou inanimées ayant péri, les nuages continuent à déverser leurs eaux... [et la Nuit de Brahmâ règne suprême sur la scène de désolation] 166.

165 Vâyou Pourâna.

166 Wilson, Vishnou Pourâna, Vol. V, p. 194.

 

C'est ce que nous appelons dans la Doctrine Esotérique un Pralaya Solaire. Lorsque les Eaux ont atteint la région des Sept Richis, et que le monde, notre Système Solaire, est devenu un Océan, elles s'arrêtent. Le souffle de Vishnou devient un vent violent qui souffle aussi pendant cent Années [divines], jusqu'à ce que tous les nuages soient dispersés. Le vent est alors réabsorbé et ce qui donne naissance à toutes choses, le Seigneur par qui tout existe, Celui qui est inconcevable, sans commencement, qui est le commencement de l'Univers, se repose en dormant sur Shesha [le Serpent de l'Infini] au milieu de l'abîme. Le Créateur ["?" Adikrit] Hari, dort (sur l'océan) [de l'Espace] sous la forme de Brahmâ – glorifié par Sanaka 167 et les Saints (Siddhas) de Jana-loka et contemplé par les saints habitants de Brahmâ-loka qui désirent leur libération finale – plongé dans un sommeil mystique, personnification céleste de ses propres illusions... Voilà la dissolution ["?" Pratisanchara] appelée Incidente parce que Hari est sa cause incidente [idéale] 168. Lorsque l'Esprit universel s'éveille, le monde reprend vie ; lorsqu'il ferme les yeux, toutes les choses tombent dans un sommeil mystique. De même que mille grands âges constituent un jour de Brahmâ [dans l'original c'est Padmayoni, le même que Abjayoni "né du Lotus" et non pas Brahmâ] de même sa [II 88] nuit est composée des mêmes périodes... s'éveillant à la fin de sa nuit, le non-né... crée de nouveau l'univers 169.

167 Le principal Koumara, ou Dieu-Vierge, un Dhyân Chohan qui refuse de créer. Un prototype de saint Michel qui refusa aussi de le faire.

168 Voir les dernières lignes de la Section intitulée : "Chaos, Théos, Cosmos".

169 Ibid., V, pp. 195-6.

170 Cette perspective ne serait guère d'accord avec la Théologie chrétienne qui préfère pour ses adhérents un enfer éternel, sans fin.

 

Tel est le Pralaya "incident". Qu'est-ce que la dissolution Elémentale [Prâkritika] ? Parâshara la décrit comme suit, à Maîtreya :

Lorsque par la disette et le feu tous les mondes et les Pâtâlas [Enfers] sont détruits... 170 le progrès de la dissolution élémentale est commencé. Alors, en premier lieu, les eaux absorbent la propriété de la terre (qui est le rudiment de l'odorat) et la terre privée de cette propriété commence à se détruire... et finit par ne faire qu'un avec l'eau... Lorsque l'univers est ainsi envahi par les ondes de l'élément aqueux sa saveur rudimentaire est absorbée par l'élément du feu... et les eaux elles-mêmes sont détruites... et ne font plus qu'un avec le feu ; l'univers est, dès lors, entièrement rempli de la flamme [éthérée] qui... se répand peu à peu sur la terre entière. Lorsque l'espace n'est plus qu' [une] flamme... l'élément du vent s'empare de la propriété rudimentaire, ou de la forme, qui est la cause de la lumière et celle-ci étant retirée (pralina) tout devient de la nature de l'air. Le rudiment de la forme étant détruit et le feu ["?" Vibhâvasou] dépourvu de son rudiment, l'air éteint le feu et se répand... à travers l'espace qui est privé de lumière, en même temps que le feu se mêle à l'air. Alors l'air, accompagné du Son, qui est la source de l'éther, s'étend partout à travers les dix régions... jusqu'à ce que l'éther ait acquis le contact ["?" Sparsha, la Cohésion, le Toucher ?], sa propriété rudimentaire, dont la perte amène la destruction de  l'air et l'éther ["?" Kha] reste sans modifications ; sans forme, sans goût, sans toucher (Sparsha) et sans odorat ; il existe [non, incarné [mourttimat] et vaste et pénètre tout l'espace. L'éther [Akâsha] dont la  propriété caractéristique et le rudiment est le son [le "Verbe"] existe seul, occupant tout le vide de l'espace [ou plutôt, occupant toute la capacité de l'Espace]. Alors l' (Origine) [le noumène ?] des éléments (Bhoûtâdî) dévore le Son [le Démiurge collectif] ; [et les légions des Dhyân-Chohans] et tous les Eléments [existants] 171 sont à  la  fois, immergés dans leur original. Cet élément primaire est la conscience combinée avec la propriété de l'obscurité [Tâmasa plutôt l'Obscurité Spirituelle] et il est lui-même absorbé [désintégré] par Mahat [l'Intellect universel], dont la propriété caractéristique est l'intelligence [Bouddhi] et la terre et Mahat sont les [II 89] limites intérieures et extérieures de l'univers. De sorte que, de même [qu'au commencement] on a compté les sept formes de la nature [Prakriti] depuis Mahat jusqu'à la terre, de même... ces sept rentrent successivement l'une dans l'autre 172.

 171 Il faut ici entendre par le terme "Eléments" non seulement les éléments visibles et physiques, mais aussi ce que saint Paul appelle éléments – les Pouvoirs spirituels Intelligents – Anges et Démons sous leurs formes manvantariques.

172 Lorsque cette description sera correctement comprise par les Orientalistes, dans sa signification ésotérique, on reconnaîtra que cette corrélation Cosmique des Eléments du Monde, explique mieux la corrélation des forces physiques que les corrélations que nous connaissons maintenant. En tout cas les Théosophes remarqueront que Prakriti a sept formes ou principes "comptés depuis Mahat jusqu'à la Terre". Les "Eaux" signifient ici la "Mère" mystique ; la Matrice de la Nature Abstraite, dans laquelle est conçu l'Univers Manifesté. Les sept "zones" se rapportent aux Sept Divisions de cet Univers, ou aux Noumènes des Forces qui sont cause de son existence. Le tout est allégorique.

 

L'œuf de Brahmâ (Sarva-mandala) est dissous dans les eaux qui l'entourent, avec ses sept zones (dvîpas), sept océans, sept régions et leurs montagnes. Le revêtement aqueux est bu par le feu ; la (couche de) feu est absorbée par (la couche) d'air : l'air se mêle avec l'éther [Akâsha] ; l'élément primaire [Bhoûtâdî, l'origine ou, plutôt, la cause de l'élément primaire] dévore l'éther et est (lui-même) détruit par l'intellect [Mahat, le Grand, l'Universel mental] qui, avec tous ceux-ci, est saisi par la Nature [Prakriti] [et disparaît]... Cette Prakriti est essentiellement la même, qu'elle soit composée de parties distinctes ou non, seulement, ce qui est composé de parties distinctes est finalement perdu ou absorbé dans ce qui ne l'est pas. L'Esprit [Poums] aussi, qui est un, pur, impérissable, éternel, qui pénètre tout, est une partie de cet esprit suprême qui est toutes choses. Cet esprit [sarvesha] qui diffère de l'esprit (incarné) et dans lequel il n'y a pas les attributs de nom, d'espèce [nâman et jâti, ou roupa, par conséquent corps plutôt qu'espèce] et autres... [subsiste] comme la (seule) existence [Sattâ]. La nature et l'esprit [Pourousha] se résolvent [finalement] l'un et l'autre dans l'esprit suprême 173.

C'est là le PRALAYA final 174, la Mort du Cosmos, après quoi son Esprit repose en Nirvâna, ou dans le sein de CELA pour qui il n'y a ni Jour ni Nuit. Tous les autres Pralayas sont périodiques et succèdent régulièrement aux Manvantaras, comme la nuit succède au jour pour toute créature humaine, tout animal et toute plante. Le cycle de création des vies du Cosmos est écoulé ; l'énergie du "Verbe" manifesté ayant sa croissance, sa culmination et son déclin, comme toutes les [II 90] choses temporaires, quelque longue que soit leur durée. La Force Créatrice est Eternelle, en tant que Noumène ; en tant que manifestation phénoménale, sous ses divers aspects, elle a un commencement et doit, par conséquent, avoir une fin. Durant ce temps elle a ses périodes d'activité et ses périodes de repos, qui sont les Jours et les Nuits de Brahmâ. Mais Brahman, le Noumène, ne se repose jamais puisqu'IL ne change jamais, mais qu'il EST toujours, bien que l'on ne puisse dire qu'IL soit en un endroit quelconque...

 173 Vishnou Pourâna. Livre VI, chapitre IV, après correction des fautes de Wilson et avec les termes originaux mis entre parenthèses.

174 Comme le Pralaya décrit ici est le Mahâ, le grand, ou celui que l'on appelle le Final, tout est réabsorbé dans l'Elément Unique original ; les "Dieux eux-mêmes, Brahmâ et le reste" disparaissaient, dit-on, durant cette longue Nuit.

 

Les Cabalistes Juifs ont senti la nécessité de cette immutabilité chez une Divinité éternelle, infinie et ont, par suite, fait l'application de cette pensée au Dieu anthropomorphe. L'idée est poétique et très convenable dans son application. Dans le Zohar nous lisons ceci :

Comme Moïse veillait sur le Mont Sinaï, en compagnie de la Divinité, qui était cachée à sa vue par un nuage, il sentit une grande crainte l'envahir et demanda, tout à coup : "Seigneur, où es-tu... dors-tu, O Seigneur ?..." Et l'Esprit lui répondit : "Je ne dors jamais ; si je venais à m'endormir un seul instant AVANT MON TEMPS, toute la création tomberait aussitôt en ruines."

"Avant mon temps" est très suggestif. Cela démontre que le Dieu de Moïse n'est qu'un substitut temporaire, comme Brahmâ, le mâle, un substitut et un aspect de CELA qui est immuable et qui, par conséquent, ne peut aucunement participer aux "jours" ou aux "nuits", ni s'occuper en aucune façon de réaction ou de dissolution.

Tandis que les Occultistes de l'Orient ont sept modes d'interprétation, les Juifs n'en ont que quatre, savoir : l'interprétation réelle-mystique, l'allégorique, la morale et la littérale ou Pashout. Cette dernière est la clef des Eglises exotériques et ne mérite pas discussion. Voici quelques phrases qui, lues au moyen de la première clef, ou clef mystique,  montrent l'identité de la base sur laquelle reposent toutes les Ecritures Saintes. Elles sont données dans l'excellent livre d'Isaac Myer sur les ouvrages Cabalistiques qu'il paraît avoir bien étudiés. Je cite textuellement.

"B'raisheeth barah elohim ath hashama' yem v'ath haa'retz, c'est-à-dire : Au commencement, le(s) Dieu(x) créa(èrent) les cieux et la terre : (ce qui signifie) les six (Séphiroth de construction) 175, au-dessus desquels  se tient B'raisheeth, appartiennent tous au Bas. Il en créa six (et) sur ceux-ci reposent (existent) toutes Choses. Et celles-ci dépendent des sept formes du crâne jusqu'à la Dignité de toutes les Dignités. La seconde "Terre" n'entre pas dans les [II 91] calculs et c'est pourquoi l'on a dit : "Et d'elle (cette Terre) qui a subi la malédiction, il en sortit... Elle (la Terre) était sans forme et vide et les ténèbres étaient sur la surface de l'Abîme et l'esprit d'Elohim... soufflait (me'racha'pheth, c'est-à-dire planait, couvait se mouvait...) sur les eaux. Treize dépendent de treize (formes) de la Dignité la plus respectable.  Six mille années gisent dans (se rapportent aux) six premiers mots. Le septième (mille, le millénaire) au-dessus d'elle (la Terre maudite) est celui qui est fort par Lui-même. Et elle fut ravagée entièrement pendant douze heures (un... jour...). Durant la Treizième, Elle (la Divinité) les rétablira... et tout sera renouvelé comme auparavant et tous ces six continueront 176."

175 Les "Constructeurs" des STANCES.

 176 De la Siphra Dtzenioutha, c. 1, § 16 et seq. ; telle qu'elle est citée dans la Qabbalahde Myer, 232-3.

177 Agents symbolisés par le double triangle entrelacé dont la reproduction n'a pu être faite conformément à l'original. N.D.L.R.

 

Les "Sephiroth de Construction" sont les six Dhyân-Chohans, ou Manous, ou Prajâpatis, synthétisés par le septième "B'raisheeth", la Première Emanation, ou Logos, et qui sont appelés, par conséquent, les Constructeurs de l'Univers Inférieur ou physique, appartenant tous au bas. Ces six agents 177 "dont l'essence est du Septième, sont l'Oupâdhi, la base ou la Pierre Fondamentale sur laquelle l'Univers objectif est édifié, le noumène de toutes choses. Ils sont donc, en même temps, les Forces de la Nature ; les Sept Anges de la Présence ; le sixième et le septième Principes de l'Homme ; les Sphères spirituo-psycho-physiques de la Chaîne Septénaire, les Races-Mères, etc. Ils "relèvent tous des Sept formes du Crâne", jusqu'au plus haut. La "seconde" Terre "n'entre pas dans les calculs", parce que ce n'est point une Terre, mais le Chaos ou l'Abîme de l'Espace, dans lequel reposait le paradigme, ou Univers modèle dans l'idéation de la SUR-AME qui le couve. Le mot "Malédiction" trompe ici beaucoup, car il signifie tout simplement Destin ou sort, ou cette fatalité qui l'envoya dans l'état objectif. C'est démontré par le fait que la "Terre", soumise à la "Malédiction", était représentée comme "sans forme et vide" dans les abîmes profonds de laquelle le "Souffle" de l'Elohim (on des Logoï collectifs) produisit, ou, pour ainsi dire, photographia, la première IDEATION Divine des choses à venir. Ce processus est répété après chaque Pralaya, avant le commencement d'un nouveau Manvantara, ou période d'existence sensible et individuelle. "Treize dépendent de treize formes" se rapporte aux treize Périodes, personnifiées par les treize Manous, avec Svâyambhouva, le quatorzième – 13 au lieu de 14, ne constituant qu'un voile additionnel – ces quatorze Manous qui règnent pendant la durée [II 92] d'un Mahâ Youga, d'un "Jour" de Brahmâ. Ces (treize-quatorze) de l'Univers objectif dépendent des treize-(quatorze) formes paradigmatiques et idéales. La signification des "six mille Ans" qui "gisaient dans les premiers six mots" doit être encore recherchée dans la Sagesse Indienne. Ils se rapportent aux six (sept) premiers "Rois d'Edom" qui typifient les mondes ou les sphères de notre Chaîne, pendant la Première Ronde, aussi bien que les hommes primordiaux de notre Ronde. Ils sont la Première Race-Racine, septénaire et pré-Adamique, ou ceux qui existèrent avant la Troisième Race Séparée. Comme ils étaient des ombres, dépourvues de sens, car ils n'avaient pas encore goûté au fruit de l'Arbre de la Connaissance ils ne pouvaient pas voir les Parzuphim, ou "la Face ne pouvait voir la Face", c'est-à-dire que les hommes primordiaux étaient "inconscients". "C'est pourquoi les (sept) Rois primordiaux moururent", c'est-à-dire furent détruits 178. Maintenant qui sont ces Rois ? Ces Rois sont les "sept Richis, certaines divinités (secondaires), Indra [Shakra] Manou et les rois ses fils [qui] sont créés et périssent durant une période", comme nous le dit le Vishnou Pourâna 179. Pour le septième ("mille") qui n'est pas le millénium du Christianisme exotérique, mais celui de l'Anthropogenèse, il représente, en même temps, la "Septième période de création", celle de l'homme physique, d'après le Vishnou Pourâna et le septième Principe, tant macrocosmique que microcosmique, et aussi le Pralaya qui suit la septième Période, la "Nuit", qui a la même durée que le "Jour" de Brahmâ. "Elle fut ravagée entièrement pendant douze heures." C'est dans la treizième (deux fois six et la Synthèse) que tout sera rétabli et les "six continueront".

C'est donc avec raison que l'auteur de la Qabbalahfait remarquer que :

 Bien avant son époque [d'Ibn Gébirol]... bien des siècles avant l'ère chrétienne, il existait au centre de l'Asie une "Religion Sagesse" dont des fragments existèrent plus tard parmi les hommes érudits de l'Egypte archaïque, chez les anciens Chinois, les Hindous, etc. [Et que] la Qabbalah provint vraisemblablement de sources aryennes, par l'Asie Centrale, la Perse, l'Inde et la Mésopotamie, car c'est d'Ur et de Haran qu'Abraham et plusieurs autres vinrent en Palestine 180.

178 Comparez avec la Siphra Dtzenioutha.

179 Livre I, chap. III.

 180 pp. 219, 221.

 

Telle était aussi la ferme conviction de C. W. King, l'auteur de The Gnostics and Their Remains. [II 93]

Vâmadeva Moudaliyar décrit très poétiquement la "nuit" future. Bien que nous l'ayons cité dans Isis Dévoilée, cela mérite d'être répété.

On entend de tous côtés des bruits étranges... Ce sont les bruits précurseurs de la Nuit de Brahmâ ; le crépuscule monte à l'horizon et le Soleil se couche derrière le treizième degré de Makara [le dixième signe du Zodiaque] et n'atteindra plus le signe de Minas [le signe zodiacal des Poissons]. Les Gourous des Pagodes, chargés de veiller sur le Râshichakram [Zodiaque], peuvent maintenant briser leur cercle et leurs instruments, car ils sont dorénavant inutiles.

La lumière pâlit peu à peu, la chaleur diminue, les lieux inhabités se multiplient sur la terre, l'air devient de plus en plus raréfié ; les sources d'eau tarissent, les grands fleuves voient s'épuiser leurs ondes, l'océan laisse voir son fond de sable et les plantes périssent. La taille des hommes et des animaux décroît tous les jours. La vie  et le mouvement perdent leur force, les planètes gravitent avec peine à travers l'espace ; elles s'éteignent l'une après l'autre, comme une lampe que la main du chokra [serviteur] néglige de remplir. Soûrya [le Soleil] vacille et s'éteint, la matière tombe en dissolution [Pralaya] et Brahmâ rentre dans Dyaus, le Dieu Non-Révélé, et, sa tâche étant accomplie, il s'endort. Un nouveau jour vient de s'écouler, la nuit commence et continue jusqu'à l'Aurore future.

Et maintenant rentrent de nouveau dans l'œuf d'or de sa pensée, les germes de tout ce qui existe, comme nous   le dit l'Homme divin. Pendant Son paisible repos, les êtres animés, doués des principes de l'action, cessent leurs fonctions et tout sentiment [Manas] s'endort. Lorsqu'ils sont tous absorbés dans L'AME SUPREME, cette Ame de tous les êtres dort dans un repos complet, jusqu'au Jour où elle reprend sa forme et se réveille encore de son obscurité primitive 181.

Comme le "Satya Yoûga" est toujours le premier dans la série des quatre Ages ou Yoûgas, de même le Kali vient toujours le dernier. Le Kali Yoûga règne aujourd'hui souverainement dans l'Inde et semble coïncider avec celui de l'Age Occidental. En tout cas, il est curieux de voir à quel point l'auteur du Vishnou Pourâna était prophétique sur presque tous les sujets, lorsqu'il prédisait à Maîtreya quelques-unes des influences sombres et des péchés de ce Kali Yoûga. Car après avoir dit que les "barbares" seraient maîtres des bords de l'Indus, de Chandrabhâgâ et de Kâshmir, il ajoute :

 [Il Y] aura des monarques contemporains régnant sur la terre, [II 94] rois à l'esprit brutal et au caractère violent, sans cesse adonnés au mensonge et à la méchanceté. Il tueront des femmes, des enfants et des vaches ; ils s'empareront des biens de leurs sujets [ou, suivant une autre tradition, ils désireront les femmes des autres] ; ils auront un pouvoir limité... leurs vies seront courtes, leurs désirs insatiables... Les peuples de divers pays, se mêlant à eux, suivront leur exemple, et, les barbares étant puissants [en Inde] sous la protection des princes, tandis que les tribus pures seront négligées, le peuple périra [ou, comme dit le commentateur : "les Mlechchhas seront dans le centre et les Aryas au bout"] 182. Les richesses  et la piété diminueront chaque jour, jusqu'à ce que  le monde soit entièrement dépravé... Les biens seuls conféreront le rang ; les richesses seront la seule source de dévotion ; la passion sera le seul lien entre les sexes ; le mensonge sera le seul moyen de succès dans les litiges et  les  femmes  ne  seront  que  des  objets  servant  à la gratification des sens... Les types externes seront la seule distinction des divers ordres de vie, le manque d'honnêteté [anyâya] sera le moyen (universel) de subsistance ; la faiblesse... la cause de la dépendance ; la menace et la présomption seront substituées au savoir ; la libéralité sera dévotion... le consentement mutuel remplacera le mariage ; les beaux vêtements tiendront lieu de dignité... Celui qui sera le plus fort régnera... le peuple, incapable de supporter les fardeaux si lourds [Khara-bhâra, le poids des impôts], se réfugiera dans les vallées... Ainsi, dans l'âge de Kali, la décadence continuera sans arrêt jusqu'à ce que la race humaine approche de son annihilation [pralaya]. Lorsque... la fin de l'âge de Kali sera toute proche, une partie de cet Etre divin qui existe par sa propre nature spirituelle [Kalkî Avatâra]... descendra sur la terre... doué des huit facultés surhumaines... Il rétablira la justice sur la terre... et le mental de ceux qui vivront vers la fin du Kali Yoûga seront réveillés et seront aussi transparents que le cristal. Les hommes ainsi changés... constitueront la semence d'Etres humains et donneront naissance à une race qui suivra les lois de l'âge de Krita [ou âge de pureté]. Comme il est dit : "Lorsque le Soleil, la Lune (l'astérisme lunaire) Tishya et la planète Jupiter seront dans une même maison, l'Age de  Krita  [ou  de  Satya] reparaîtra... 183.

181 Voyez les Fils de Dieu et l'Inde des Brahmes, de JACOLLIOT, p. 230.

182 Si cela n'est pas prophétique, qu'est-ce donc ?

183 WILSON, Vishnou Pourâna, livre IV, chap. IV.

184 Le Matsya Pourâna dit Katâpa.

185 Vishnou Pourâna, ibid.

 

Deux personnes, Devâpi, de la race de Kourou, et Marou [Morou], de la famille d'Ikshvâkou... continuent à vivre durant les Quatre Ages et demeurent à... Kalâpa 184. Ils retourneront ici au commencement de l'Age de Krita 185... Marou [II 95] [Morou] 186, le fils de Shîghra, grâce au pouvoir de la dévotion (Yoga), vit encore... et sera celui qui rétablira la race Kshattriya de la Dynastie Solaire 187.

Que ce soit vrai ou faux en ce qui concerne cette dernière prophétie, les bénédictions du Kali Yoûga sont bien décrites et s'accordent admirablement, même avec ce que l'on voit et entend en Europe et dans d'autres pays civilisés et chrétiens en plein dix-neuvième siècle et  à l'aurore du vingtième de notre grande ère de LUMIERE.

 186 Max Müller traduit le nom de Morya, de la dynastie Morya, à laquelle appartenait Chandragoupta (Voir History of Ancient Sanskrit literature). Dans le Matsya Pourâna, chapitre CCLXXII, on cite une dynastie de dix Moryas, ou Maureyas. Dans le même chapitre, il est dit que les Moryas régneront un jour sur l'Inde, après avoir rétabli la race Kshattriya, dans bien des milliers d'années. Seulement, ce règne sera purement Spirituel et "pas de ce monde". Ce sera le royaume  du prochain Avatar. Le Colonel Tod croit que le nom de Morya (ou Maurya) est une corruption de Mori, nom d'une tribu Radjpoute et le commentaire du Mahâvanso croit que quelques princes ont tiré leur nom de Maurya de leur ville de Mori, ou, d'après le professeur Max Müller, de Morya- Nâgara, ce qui est plus correct d'après le Mahâvanso original. L'Encyclopédie sanscrite Vâchaspattya, nous dit notre frère Devan Bâdhâdur R. Ragoonath Rao, de Madras, place Katâpa (Kalâpa) sur le côté nord des monts Himalayas, par conséquent au Tibet. On dit la même chose dans le Bhâgavata Pourâna, Skanda XII.

187 Ibid., chap. III, p. 325. Le Vayou Pourâna déclare que Morou rétablira les Kshattriyas dans le dix-neuvième Yoûga futur. (Voir Five Years of Theosophy, 482, article intitulé : "The Puranas on the Dynasty of the Moryas and on Koothoomi").

[II 96]