SECTION XVII

RESUME DE LA SITUATION

 

La question tout entière a été soumise au lecteur sous ses deux faces et c'est à lui qu'il appartient de décider si l'ensemble est en notre faveur ou non. S'il existait dans la Nature quelque chose ressemblant à un vide, on devrait en constater l'existence, conformément à une loi physique, dans le cerveau des impuissants admirateurs des "lumières" de la Science qui passent leur temps à détruire mutuellement leurs enseignements. Si jamais la théorie d'après laquelle "deux lumières produisent l'obscurité" a trouvé son application, c'est dans ce cas où une moitié des "lumières" impose ses forces et ses "modes de mouvement" à la foi des fidèles, et où l'autre moitié en nie jusqu'à l'existence. "L'Ether, la Matière, l'énergie" – la trinité hypostatique sacrée, les trois principes du Dieu véritablement inconnu de la Science, qu'ils appellent : NATURE PHYSIQUE.

La Théologie est prise à partie et ridiculisée parce qu'elle croit à l'union de trois personnes en une Divinité – un seul Dieu, quant à la substance, trois personnes, quant à l'individualité – et on se moque de nous parce que nous croyons à des doctrines qui ne sont pas prouvées et ne peuvent l'être, à des Anges et à des Démons, à des Dieux et à des Esprits. En effet, ce qui a donné la victoire à la Science contre la Théologie, dans le grand "conflit entre la Religion et la Science", c'est précisément la remarque que ni l'identité de cette substance ni la triple individualité proclamée – après avoir été conçues, inventées et parachevées dans les profondeurs de la conscience Théologique – n'ont pu être établies par aucun procédé inductif de raisonnement scientifique et encore moins par le témoignage de nos sens. La Religion doit périr, dit-on, parce qu'elle enseigne des mystères. "Le Mystère est la négation du Sens Commun" et la Science le repousse. Suivant Tyndall, la Métaphysique est une "fiction", comme la poésie. Le Savant "n'accepte rien de confiance" ; il repousse tout "ce qui ne lui est pas prouvé", tandis que le théologien accepte "tout avec une foi aveugle". Le Théosophe et l'Occultiste, qui n'acceptent rien de confiance, pas même la Science exacte, le Spirite qui nie les dogmes mais croit aux Esprits et à des influences invisibles mais puissantes, tous sont englobés dans le même mépris. Fort bien ; ce qu'il nous reste à faire maintenant, c'est de rechercher pour la dernière fois si la Science exacte n'agit pas précisément [II 461] de la même façon que la Théosophie, le Spiritisme et la Théologie.

Dans un ouvrage de S. Laing, considéré comme un livre modèle sur la Science, Modern Science and Modern Thought, ouvrage dont l'auteur, selon l'article élogieux que lui consacre le Times, "expose d'une manière puissante et saisissante les immenses découvertes de la Science et les nombreuses victoires qu'elle a remportées sur les antiques opinions, toutes les fois que celles-ci ont eu l'audace de défier ses conclusions", nous lisons ce qui suit :

De quoi l'univers matériel est-il composé ? D'Ether, de Matière et d'Energie.

Nous nous arrêtons pour demander : "Qu'est-ce que l'Ether ?",  et Laing répond au nom de la Science :

L'Ether ne nous est encore connu par aucun test qui soit à portée de nos sens, mais c'est une sorte de substance mathématique dont nous sommes obligés d'admettre l'existence afin de pouvoir expliquer les phénomènes de lumière et de chaleur 782.

Et qu'est-ce que la Matière ? Etes-vous mieux renseignés à son sujet qu'au sujet de cet agent "hypothétique", l'Ether ?

A strictement parler, il est vrai que les recherches chimiques ne nous donnent... aucun renseignement direct sur la composition de la matière vivante et... il est aussi

strictement

vrai    que

nous

ne    savons

rien

de    la

composition

d'aucun

corps

[matériel],

telle

qu'elle

existe 783.

 

 

 

 

 

 

Et l'Energie ? Sûrement vous pouvez définir la troisième personne de la Trinité de votre Univers Matériel ? Nous pouvons puiser la réponse dans n'importe quel traité de Physique :

 782 Ch. III. "On Matter", p. 51.

783 Lecture on Protoplasm, par Huxley.

 

L'Energie est ce que nous ne connaissons que par ses effets.

Expliquez-vous, je vous prie, car cela est plutôt vague.

["En mécanique il y a l'énergie réelle et l'énergie potentielle : le travail réellement accompli et le pouvoir de l'accomplir. En ce qui concerne la nature de l'Energie moléculaire ou des Forces,] les divers phénomènes que présentent les corps prouvent que leurs molécules subissent l'influence de deux forces contraires, dont l'une tend à les rapprocher et l'autre à les séparer...  La première [II 462] force... est appelée l'attraction moléculaire... la seconde est due à la vis viva ou force impulsive 784..."

Précisément : c'est la nature de cette force impulsive, de cette vis viva que nous voulons connaître. Quelle est-elle ?

"Nous L'IGNORONS !" telle est la réponse invariable. "C'est une ombre creuse de mon imagination", dit le Prof. Huxley dans sa Physical Basis of Life.

Tout l'édifice de la Science moderne a donc pour base, une sorte "d'abstraction mathématique", une Substance Protéenne qui élude les sens" (Dubois Reymond) et des effets, qui sont comme les illusoires feux follets de quelque chose entièrement inconnu et hors de la portée de la Science. Des Atomes "Auto-moteurs" ! Des Soleils, des Planètes et des Etoiles auto-moteurs ! Mais enfin qui sont-ils ou que sont-ils tous, s'ils possèdent ainsi par eux-mêmes le mouvement ? Pourquoi donc, vous, les Physiciens, vous moqueriez-vous de notre "Archée Auto-moteur" ? La Science repousse et méprise le Mystère, mais, comme le dit si bien le Père Félix :

Elle ne peut y échapper. Le Mystère est la fatalité de la Science.

Nous nous associons aux paroles du prédicateur français que nous avons citées dans Isis Dévoilée. Qui, demande-t-il, qui de vous, ô Savants :

784 Physics, de Ganot, p. 68, traduction d'Atkinson.

 

S'est montré capable de pénétrer le secret de la formation d'un corps, de la génération d'un simple atome ? Qu'y a-t- il, je ne dirai pas au centre d'un soleil, mais au centre d'un atome ? Qui a sondé jusqu'au fond l'abîme qu'offre un grain de sable ? Le grain de sable, Messieurs, a été étudié par la science durant des milliers d'années ; elle l'a tourné et retourné ; elle le divise et le subdivise ; elle le torture par ses expériences ; elle le tourmente, par ses questions, pour lui arracher le dernier mot de sa constitution secrète ; elle lui demande avec une insatiable curiosité : "Faudra-t-il te diviser d'une manière infinitésimale ?" Suspendue au-dessus de cet abîme, la science hésite, elle perd pied, elle se sent éblouie, elle se sent prise de vertige et s'écrie dans son désespoir : "JE NE SAIS PAS."

Si vous êtes aussi complètement ignorants au sujet de la Genèseet de la nature cachée d'un grain de sable, comment pourriez-vous avoir l'intuition de la génération d'un seul être vivant ? D'où l'être vivant tire-t-il sa vie ? Où commence-t-elle ? Qu'est-ce que le principe Vital 785 ?

Les Savants nient-ils toutes ces accusations ? En aucune façon, car voici un aveu de Tyndall qui prouve à quel point [II 463] la Science est impuissante, même en présence du monde de la Matière.

La marche originale des atomes, dont dépendent toutes les actions subséquentes, défie un pouvoir plus puissant que celui du microscope... En raison même de leur excessive complexité et bien avant que l'observation puisse avoir voix au chapitre, l'intellect le plus exercé, l'imagination la plus subtile et la plus disciplinée, reculent effarés devant l'examen du problème. Nous sommes frappés de mutisme par une stupéfaction dont aucun microscope ne peut nous délivrer et non seulement nous doutons de la puissance de notre instrument, mais encore nous nous demandons si nous possédons nous- mêmes les éléments intellectuels qui nous permettront d'arriver un jour à la compréhension des énergies structurales ultimes de la nature.

785 Voyez Vol. II, 63, Citation tirée des conférences faites à Notre-Dame par le père Félix sur Le Mystère et la Science, pp. 338-9.

 

Il y a du reste bien des années que l'on soupçonne à quel point nous connaissons peu l'Univers matériel, et cela de l'aveu même de ces Savants. Il y a même aujourd'hui des Matérialistes qui voudraient se débarrasser de l'Ether – si c'est là le nom que donne la Science à la Substance infinie, dont les Bouddhistes appellent le noumène, Svabhâvat – en même  temps que des Atomes, tous deux trop dangereux à cause de leurs anciennes associations philosophiques et de leurs associations actuelles, chrétienne et théologiques. Depuis les premiers Philosophes, dont les archives ont été transmises à la postérité, jusqu'à notre époque actuelle – qui, tout en niant l'existence d'Etres Invisibles dans l'Espace, ne saurait jamais pousser la folie jusqu'à nier l'existence d'un "Plenum" quelconque – la Plénitude de l'Univers a toujours été une croyance acceptée. Quant à ce qu'il renfermait, on l'apprend par Hermès Trismégiste, auquel on fait dire (dans l'habile traduction du docteur Anna Kingsford) :

En ce qui concerne le Vide... j'estime qu'il n'existe pas, qu'il n'a jamais existé et qu'il n'existera jamais, car toutes les parties de l'univers sont remplies, comme la Terre aussi est pleine et remplie de corps qui diffèrent par la qualité et par la forme, qui ont chacun son genre, et sa dimension, l'un grand, l'autre plus petit, l'un  solide, l'autre raréfié. Les grands se voient aisément ; les petits sont difficiles à percevoir ou tout à fait invisibles. Nous ne connaissons leur existence que par les sensations que nous éprouvons, aussi beaucoup de personnes nient-elles que ces entités soient des corps et les considèrent-elles comme de simples espaces 786, mais l'existence de tels espaces est impossible. En effet, s'il [II 464] existait quelque chose en dehors de l'univers... ce serait alors un espace occupé par des êtres intelligibles analogues à sa Divinité [La Divinité de l'univers]... Je parle des génies, car j'estime qu'ils habitent avec nous, et les héros qui habitent au-dessus de nous, entre la terre et l'atmosphère supérieure, là où il n'y a ni nuages, ni tempêtes 787.

786 Considérez l'œuvre des Cycles et leur retour périodique ! Ceux qui niaient que ces entités (ces forces) fussent des corps et les appelaient "espaces", furent les prototypes du public "hypnotisé par la science" et de ses instructeurs officiels, qui parlent des forces de la Nature comme de l'énergie impondérable de la matière et comme des modes de mouvement et qui pourtant considèrent l'électricité, par exemple, comme étant aussi atomique que la matière elle-même (Helmholtz). L'inconséquence et la contradiction règnent en maîtresses sur la science officielle, comme sur la science hétérodoxe.

 787 The Virgin of the World d'Hermès-Mercure Trismégiste ; traduction anglaise du docteur Anna Kingsford et d'Edouard Maitland, pp. 83, 84.

788 "Hermès comprend ici, parmi les Dieux, les forces sensibles de la nature, les éléments et les phénomènes de l'univers", fait remarquer le docteur Anna Kingsford dans une note marginale qui donne une explication très correcte. La Philosophie Orientale fait de même.

 

C'est ce que nous "estimons" aussi. Seulement, comme nous l'avons déjà fait observer, aucun Initié Oriental ne ferait mention de sphère "au- dessus de nous, entre la terre et l'atmosphère", même s'il s'agit des plus hautes, attendu que le langage Occulte ne comporte ni division ni mesure de ce genre, pas au-dessus, ni au-dessous, mais un éternel dedans, dans deux autres dedans, ou les plans de la subjectivité se  fondent graduellement dans celui de l'objectivité terrestre – qui, pour l'homme, est le dernier, son propre plan. Nous pouvons terminer cette explication indispensable en donnant, dans les termes dont s'est servi Hermès, la croyance, sur ce point particulier, de tout le monde des Mystiques :

Il existe de nombreuses catégories de Dieux, et dans toutes il y a une partie intelligible. Il ne faut pas supposer qu'ils ne rentrent pas dans le champ qu'embrassent nos sens ; au contraire, nous les percevons, mieux même que ceux que l'on appelle visibles... Il y a donc des Dieux supérieurs à toutes les apparences ; après eux viennent les Dieux dont le principe est spirituel ; ces Dieux étant sensés, conformément à leur double origine, manifestent toutes choses par une nature sensée, chacun d'eux éclairant ses œuvres l'une par l'autre 788. L'Etre suprême du Ciel, ou de tout ce que l'on comprend sous ce nom, est Zeus, car c'est par le ciel que Zeus donne la vie à toutes choses. L'Etre suprême du Soleil est la Lumière, car c'est par le disque du Soleil que nous bénéficions de la lumière. Les trente-six horoscopes des étoiles fixes ont pour Etre suprême ou Prince, celui dont le nom est Pantomorphos, qui possède toutes les formes, parce qu'il donne des formes divines à divers types. Les  sept planètes ou sphères errantes ont, pour Esprits suprêmes, la Fortune et la Destinée qui maintiennent l'éternelle stabilité des lois  de  la  Nature  au  milieu  d'incessante [II 465] transformation et de perpétuelle agitation. L'éther est l'instrument ou milieu par lequel tout est produit 789.

Cela est tout à fait philosophique et s'accorde avec l'esprit de l'Esotérisme Oriental, car toutes les forces, telles que la Lumière, la Chaleur, l'Electricité, etc., sont appelées "Dieux" – Esotériquement.

Il doit vraiment en être ainsi, puisque les Enseignements Esotériques étaient les mêmes en Egypte et en Inde. C'est pourquoi la personnification de Fohat, pour synthétiser toutes les Forces de la Nature qui se manifestent, constitue un résultat légitime. De plus, ainsi que nous l'établirons plus tard, les Forces réelles et Occultes de la Nature ne font que commencer à être connues – et même, dans ce cas, par la Science hétérodoxe et non par la science orthodoxe 790, bien que leur existence, dans un exemple tout au moins, soit corroborée et certifiée par un nombre immense de personnes instruites et même par quelques Savants officiels.

En outre, l'affirmation que contient la STANCE VI – que Fohat met en mouvement les Germes primordiaux du Monde ou l'agrégat des Atomes Cosmiques et de Matière, "les uns d'une façon, les autres d'une autre", dans la direction opposée – cette affirmation, dis-je, semble suffisamment orthodoxe et scientifique. En effet, il existe, en tout cas, à l'appui de cette opinion, un fait parfaitement reconnu par la Science et c'est celui-ci. Les pluies de météores, périodiques en novembre et en août, font partie d'un système qui se meut autour du Soleil suivant une orbite elliptique. L'aphélie de cet anneau se trouve à 1.732 millions de milles au-delà de l'orbite de Neptune, son plan est incliné sur l'orbite de la Terre suivant un angle de 64°3, et la direction de l'essaim de météores qui se meuvent suivant cette orbite est contraire à celle de la révolution de la Terre.

789 Ibid, pp. 64, 65.

790 Voyez aussi Section IX, LA FORCE DE L'AVENIR.

 

Ce fait, reconnu en 1833 seulement, démontre que c'est la redécouverte  moderne  de  ce  qui  était  très  anciennement  connu. Fohat tourne avec ses deux mains et en sens contraire la "semence" et le "lait caillé" ou Matière Cosmique ; pour parler plus clairement, il tourne des particules dans un état extrêmement raréfié et des nébuleuses.

En dehors des limites du Système Solaire, ce sont d'autres Soleils et, particulièrement, le mystérieux Soleil Central – la "Demeure de la Divinité Invisible", comme certains révérends l'ont appelé – qui déterminent le mouvement et la direction des corps. Ce mouvement sert aussi à différencier [II 466] la Matière homogène, autour et entre les différents corps, en Eléments et en Sous-éléments inconnus sur notre Terre et que la Science moderne considère comme des Eléments distincts et individuels, tandis que ce ne sont que des aspects temporaires qui changent  avec chacun des petits cycles du Manvantara et que les ouvrages Esotériques appellent des "Masques Kalpiques".

Fohat est, en Occultisme, la clef qui ouvre et résout les symboles et les allégories multiformes de la prétendue mythologie de chaque nation ; qui démontre la merveilleuse Philosophie et la profonde connaissance des mystères de la Nature contenues dans les religions des Egyptiens et des Chaldéens, aussi bien que celle des Aryens. Fohat, présenté sous son vrai jour, prouve à quel point toutes ces nations préhistoriques étaient versées dans toutes les Sciences de la Nature, que l'on appelle aujourd'hui les branches physique et chimique de la Philosophie Naturelle. En Inde, Fohat représente l'aspect scientifique de Vishnou et d'Indra, et ce dernier est plus ancien et plus important dans le Rig Véda que son successeur sectaire, tandis qu'en Egypte l'on connaissait Fohat sous le nom de Toom issu de Noot 791, ou Osiris en sa qualité de Dieu primordial créateur du ciel et des êtres 792. En effet, on parle de Toom comme du Dieu Protéen qui génère d'autres Dieux et prend lui-même la forme qui lui plaît, comme du "Maître de la Vie qui confère aux Dieux leur vigueur" 793. C'est le surveillant des Dieux et celui "qui crée les esprits et leur donne forme et vie" ; c'est "le Vent du Nord et l'Esprit de l'Occident", et, finalement, c'est le "Soleil Couchant de la Vie" ou la force électrique vitale qui abandonne le corps à la mort ; c'est pourquoi le Défunt prie Toom de lui donner le souffle de sa narine droite (électricité positive) afin qu'il puisse vivre sous sa seconde forme. L'hiéroglyphe aussi bien que le texte du chapitre XLII du Livre des Morts prouve l'identité de Toom et de Fohat. Le dessin représente un homme debout tenant dans ses mains l'hiéroglyphe des souffles. Le texte dit :

 J'ouvre au chef de An (Héliopolis). Je suis Toom. Je traverse l'eau répandue par Thot-Hapi, le seigneur de l'horizon, et je suis le diviseur de la terre [Fohat divise l'Espace et, avec  ses  Fils,  la  Terre,  en  sept  zones]... [II 467]

Je traverse les cieux ; je suis les deux Lions. Je suis  Ra, je suis Aam, je dévore mon héritier 794... Je glisse sur le sol du champ d'Aanroo 795, qui m'a été donné par  le maître de l'éternité sans limites. Je suis un germe d'éternité. Je suis Toom, à qui l'éternité est accordée.

Ce sont les paroles mêmes que prononce Fohat dans le XIème Livre, et les titres qu'on lui donne. Dans les Papyrus Egyptiens, toute  la Cosmogonie de la DOCTRINE SECRETE se retrouve, éparpillée en phrases isolées, même dans le Livre des Morts. On y appuie sur le nombre sept et on lui donne de l'importance, tout autant que dans le LIVRE DE DZYAN. "Les Grandes Eaux [l'Abîme ou Chaos] est réputé être profond de sept coudées" ; le mot "coudées" veut évidemment dire ici : divisions, zones et principes. Là, "dans la grande Mère, naissent tous les Dieux et les Sept Grands Etres". Fohat et Toom sont tous deux qualifiés, par ceux qui s'adressent à eux, de "Grands Etres des Sept Forces Magiques" qui "vainquent le serpent Apap" ou la Matière 796.

791 "O Toom, Toom ! issu de la grande [femelle] qui est dans le sein des eaux [le grand Abîme ou Espace], lumineux à travers les deux Lions", la Force double ou le pouvoir des deux yeux solaires, ou la force électro-positive et la force électro-négative. Voyez le Livre des Morts, ch. III.

792 Voyez le Livre des Morts, chapitre XVII.

793 Chapitre LXXIX.

794 C'est une image qui exprime la succession des fonctions divines, la transmutation d'une forme en une autre, ou la corrélation des forces. Aam, c'est la force électro-positive, qui dévore tous les autres comme Saturne dévorait sa progéniture.

795 Aanroo, c'est, dans le domaine d'Osiris, un champ divisé en quatorze sections, "entouré d'une enceinte de fer, dans l'intérieur de laquelle croît le froment de la vie, de sept coudées de haut", le Kama Loka des Egyptiens. Parmi les morts, ceux-là seuls qui connaissent les noms des gardiens des portes des "sept salles", seront admis dans l'Amenti pour toujours ; c'est-à-dire ceux qui ont passé par les Sept Races de chaque Ronde – autrement ils resteront dans les champs inférieurs et cela représente aussi les sept Dévachans ou Lokas successifs. Dans l'Amenti, on devient un pur esprit pour l'éternité (XXX, 4) tandis que dans l'Aanroo "l'âme de l'esprit", ou le Défunt est dévoré chaque fois par Uræus – le Serpent, Fils de la Terre (dans un autre sens, les principes vitaux primordiaux du Soleil), c'est-à-dire que le Corps Astral du défunt ou "l'Elémentaire" s'efface et disparaît dans le "Fils de la Terre", le temps limité. L'âme quitte les champs d'Aanroo et va sur Terre sous la forme qu'il lui plaît de prendre. (Voyez chapitre XCIX du Livre des Morts.)

 

Aucun étudiant de l'Occultisme ne devrait cependant être trompé par les expressions employées d'habitude dans les traductions d'Ouvrages Hermétiques, au point de croire que les anciens Egyptiens ou Grecs faisaient à chaque instant allusion dans leurs conversations, à la façon des moines, à un Etre Suprême, Dieu le "Père unique, Créateur de toutes choses", etc., comme on le constate à chaque page de ces traductions. Rien de semblable assurément, et ces textes ne sont pas les textes originaux des Egyptiens. Ce sont [II 468] des compilations grecques, dont la plus ancienne ne remonte pas au-delà de la première période du Néo- Platonisme. Aucun livre Hermétique écrit par des  Egyptiens  – comme nous le constatons par le Livre des Morts – ne fait mention de l'Unique Dieu universel des systèmes Monothéistes ; l'unique Cause Absolue de tout était aussi innommable et inarticulable dans l'esprit de l'ancien Philosophe Egyptien, qu'elle est à jamais Inconnaissable suivant la conception de Spencer. En ce qui concerne l'Egyptien, en général, comme le fait si bien remarquer Maspero, dès qu'il atteignait la notion de l'Unité divine, le Dieu Un n'était jamais "Dieu" tout court. M. Lepage-Renouf  fait observer avec raison que le mo Nouter, Nouti, "Dieu" n'avait jamais cessé d'être un nom  générique pour devenir un nom personnel.

Pour eux chaque Dieu était "un Dieu vivant et unique".

Leur monothéisme était purement géographique. Si l'Egyptien de Memphis proclamait l'Unité de Phtah à l'exclusion de celle d'Ammon, l'Egyptien de Thèbes proclamait l'Unité d'Ammon à l'exclusion de celle de Phtah [comme cela se passe de nos jours en Inde dans le cas des Shaivas et des Vaishnavas]. Ra, le "Dieu Unique" d'Héliopolis, n'est pas le même qu'Osiris, le "Dieu Unique" d'Abydos, et peut être adoré en même temps par lui, sans être absorbé par lui. Le Dieu Unique n'est autre que  le  Dieu  du  nome  ou  de  la  cité,  Noutir  Nouti, et n'exclut pas l'existence du Dieu Unique de la ville ou du nome voisin. Bref toutes les fois que nous parlons du Monothéisme Egyptien, nous devons parler des Dieux Uniques de l'Egypte et non du Dieu Unique 797.

796 Voyez le Livre des Morts, chapitre CVIII, 4.

 797 Maspero, dans le Guide au Musée de Boulaq, p. 152. Ed. 1883.

798 Voir le Livre des Morts, ch. XCIV.

799 Revue des Deux-Mondes, 1865, pp. 157 et 158.

 

C'est à l'épreuve de ce trait distinctif, éminemment égyptien, que l'on devrait soumettre les nombreux ouvrages prétendus Hermétiques, et il est totalement absent dans les fragments grecs qui sont connus sous ce nom. Cela prouve qu'une main grecque, Néo-platonicienne ou, peut-être, Chrétienne, a largement participé à la confection de ces ouvrages. Assurément la Philosophie fondamentale s'y trouve et, dans bien des endroits, intacte. Mais le style a été altéré et adouci dans un sens monothéiste, autant, si ce n'est plus, que le texte Hébreu de la Genèsedans ses traductions grecque et latine. Il se peut que ce soient des ouvrages Hermétiques, mais ce ne sont pas des ouvrages écrits par l'un des deux Hermès – ou plutôt par Thot-Hermès,  l'Intelligence  directrice  de l'Univers 798, ou par Thot, son incarnation terrestre, le Trismégiste de la pierre de Rosette.

Mais tout est doute, négation, iconoclasme et brutale [II 469] indifférence à notre époque qui compte une centaine de "ismes" et pas une religion. Toutes les idoles sont brisées, sauf le Veau d'Or.

Malheureusement, les nations, pas plus que les groupes et les individus, ne peuvent échapper à leur destinée Karmique. Les soi-disant historiens traitent l'histoire avec aussi peu de scrupules qu'ils traitent les légendes. A ce sujet, Augustin Thierry a fait amende honorable si l'on en croit ses biographes. Il a déploré les principes erronés qui ont égaré les prétendus historiographes et ont fait croire à chacun qu'il corrigeait la tradition, "cette vox populi qui, neuf fois sur dix, est vox Dei", et il a fini par admettre que l'histoire vraie ne se trouve que dans la légende, car il ajoute :

 La légende, c'est la tradition vivante et trois fois sur quatre elle est plus vraie que ce que nous appelons l'Histoire 799.

 Tandis que les Matérialistes nient tout dans l'Univers, sauf la Matière, les Archéologues essaient de rapetisser l'Antiquité et cherchent à détruire toute prétention à la Sagesse Antique, en jouant avec la Chronologie. Nos Orientalistes et nos Historiens actuels sont, pour l'Histoire ancienne, ce que les termites sont pour les maisons, en Inde. Plus dangereux encore que ceux-ci, les Archéologues modernes – les "autorités" de l'avenir,  en matière d'Histoire Universelle – préparent à l'histoire des nations disparues le sort de certains édifices des pays tropicaux. Comme l'a dit Michelet :

L'histoire tombera et se brisera en atomes dans le courant du vingtième siècle, dévorée jusque dans ses fondations par ceux qui rédigent ses annales.

Dans très peu de temps, sous leurs efforts combinés, elle partagera le sort de ces cités en ruines des deux Amériques qui gisent profondément enfouies sous d'infranchissables forêts vierges. Les faits historiques resteront cachés aux regards par les jungles inextricables des hypothèses modernes, des démentis et du scepticisme. Fort heureusement l'Histoire réelle se répète, car elle procède par cycles, comme toutes choses, et les faits passés, ainsi que les événements noyés de propos délibérés dans l'océan du scepticisme moderne, remonteront une fois de plus pour apparaître à la surface.

Dans les volumes suivants, l'assertion qu'un ouvrage qui a des prétentions à la philosophie, qui est aussi l'exposé des problèmes les plus abstraits, doit commencer par décrire l'évolution de l'humanité depuis ceux que l'on considère comme des êtres surnaturels – des Esprits – cette assertion [II 470] soulèvera les critiques les plus  malveillantes. Néanmoins, ceux qui croient à la DOCTRINE SECRETE et la défendent devront supporter l'accusation de folie, et pis encore, aussi philosophiquement que l'a fait l'auteur depuis de longues années. Toutes les fois qu'un Théosophe est accusé d'insanité, il devrait répondre par la citation suivante des Lettres Persanes de Montesquieu :

En ouvrant si facilement leurs hospices d'aliénés à leurs prétendus fous, les hommes ne cherchent qu'à s'assurer mutuellement qu'ils ne sont pas fous eux-mêmes.

 

FIN DU SECOND VOLUME DE L'EDITION FRANÇAISE