SECTION V
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LE PLEROME EST-IL LE REPAIRE DE SATAN ?
Ce sujet n'est pas épuisé et doit encore être étudié sous d'autres aspects.
Il est impossible de savoir si la description grandiose que Milton donne de la bataille de trois jours livrée par les Anges de Lumière aux Anges de Ténèbres, permet de supposer, qu'il ait eu connaissance de la tradition Orientale correspondante. Néanmoins, s'il n'a pas eu de rapports personnels avec un Mystique, il a dû en avoir avec une personne qui pouvait consulter les ouvrages Secrets du Vatican. Parmi ceux-ci se trouve une tradition concernant les "Beni Shamash" – les "Fils du Soleil" – qui décrit l'allégorie Orientale, avec des détails bien plus [IV 75] minutieux, dans sa triple version, que ceux que l'on pourrait trouver dans le Livre d'Enoch, ou dans la bien plus récente Révélation de saint Jean, au sujet de "l'Antique Dragon" et de ses divers Meurtriers, comme on vient de l'expliquer.
Il semble inexplicable de trouver encore, jusqu'à présent, des auteurs qui appartiennent à des sociétés mystiques et qui persistent dans leurs doutes préconçus au sujet de l'antiquité "supposée" du Livre d'Enoch. Ainsi, l'auteur des Sacred Mysteries among the Mayas and Quiches est porté à voir dans Enoch un Initié converti au Christianisme (!!) 142, et le compilateur anglais desMystères de la Magie d'Eliphas Lévi partage la même opinion. Il fait remarquer que :
A part l'érudition du Dr Kenealy, aucun savant moderne n'attribue à ce dernier ouvrage (le Livre d'Enoch) une antiquité remontant plus loin que le IVème siècle av. J.- C. 143.
142 P. 16.
143 "Biographical and Critical Essay", p. 38.
La science moderne s'est rendue coupable d'erreurs plus graves que celle-ci. Tout récemment encore, les plus grands critiques littéraires d'Europe niaient l'authenticité même de cet ouvrage, ainsi que des Hymnes Orphiques et même du Livre d'Hermès ou Thoth, jusqu'au moment où des versets entiers de ce dernier ouvrage furent découverts sur des monuments et des tombeaux égyptiens, des premières dynasties. L'opinion de l'archevêque Laurence est donnée ailleurs.
"L'Antique Dragon" et Satan, qui sont devenus maintenant, séparément et collectivement, les symboles des "Anges Déchus" et les termes théologiques employés pour les désigner, ne sont décrits sous cet aspect, ni dans la Cabaleoriginale (le Livre des Nombres Chaldéen), ni dans la Cabale moderne. En effet, le très érudit, sinon le plus grand des Cabalistes Modernes, Eliphas Lévi, décrit Satan en ces termes ardents :
C'est cet Ange qui était assez fier pour se croire un Dieu, assez courageux pour acheter son indépendance au prix d'une éternité de supplices ; assez beau pour s'être adoré lui-même en pleine lumière divine ; assez fort pour régner encore dans les ténèbres, au milieu de la douleur et pour se faire un trône de son inextinguible bûcher. C'est le Satan du républicain et de l'hérétique Milton... le prince de l'anarchie, servie par une hiérarchie de purs esprits (!!) 144. [IV 76]
144 Histoire de la Magie, pp. 16-17.
Cette description – qui concilie avec tant d'adresse le dogme théologique avec l'allégorie Cabalistique et trouve même le moyen d'englober un compliment politique dans son texte est tout à fait correcte lorsqu'on la lit convenablement.
Oui vraiment ; c'est l'idéal le plus haut, ce symbole à jamais vivant – on pourrait dire cette apothéose – du sacrifice de soi-même en faveur de l'indépendance intellectuelle de l'humanité ; cette Energie toujours active protestant contre l'Inertie Statique : ce principe en vertu duquel l'affirmation de Soi-même est un crime et pour lequel la Pensée et la Lumière du Savoir sont odieuses. Comme le dit Eliphas Lévi, avec une justice et une ironie, qui n'ont jamais été égalées :
C'est ce prétendu héros des éternités ténébreuses qui, calomnié de laideur, est affublé de cornes et de griffes, qui conviendraient plutôt à son implacable tourmenteur 145.
C'est lui qui a finalement été transformé en un Serpent, le Dragon Rouge, mais Eliphas Lévi encore soumis aux autorités Catholiques Romaines – on pourrait ajouter, était trop jésuite – pour confesser que ce Diable n'était autre que l'humanité et n'avait jamais existé sur la Terre en dehors de cette humanité 146.
145 Ibid., loc. cit.
146 Quel diable aurait pu être plus rusé, plus habile et plus cruel que l'assassin de Whitechapel, "Jack l'Eventreur", de 1888, que sa soif de sang et sa froide méchanceté poussèrent à massacrer et à mutiler froidement sept femmes infortunées et d'ailleurs innocentes ? Il suffit de lire les journaux pour reconnaître, dans les brutes ivres (époux et pères) qui battent les femmes et les enfants et dont un petit nombre est journellement traduit devant les tribunaux, la personnification complète des démons de l'Enfer Chrétien !
En ceci, la Théologie Chrétienne, bien que marchant servilement sur les traces du Paganisme, n'a fait que se conformer à sa politique traditionnelle. Elle devait s'isoler et affirmer son autorité. Elle ne pouvait donc mieux faire que de transformer en démons, toutes les Divinités Païennes. Chaque brillant Dieu Solaire de l'antiquité – Divinité glorieuse pendant le jour et son propre adversaire et antagoniste pendant l'a nuit, appelée Dragon de Sagesse, parce qu'elle était supposée renfermer les germes de la nuit et du jour – a été maintenant transformée en une hypothétique ombre de Dieu et est devenue Satan de par la seule autorité, sans sanction, d'un despotique dogme humain.
Après quoi tous ces producteurs de lumière et d'ombre, tous ces Dieux Solaires et Lunaires, ont été maudits, et un Dieu, choisi dans le nombre, puis Satan, ont été ainsi anthropomorphisés [IV 77] tous deux. Mais la Théologie semble avoir perdu de vue la faculté que possède l'homme de discerner et enfin d'analyser tout ce qu'on impose artificiellement à son respect. L'Histoire fait ressortir chez toutes les races et les tribus, surtout chez les nations Sémitiques, une tendance naturelle à exalter la divinité de leur propre tribu au-dessus de toutes les autres, à lui conférer la suprématie sur les Dieux et elle prouve que le Dieu des Israélites était un Dieu de tribu de ce genre et rien de plus, bien que l'Eglise Chrétienne, suivant l'exemple du peuple "élu", trouve bon d'imposer le culte de cette divinité spéciale et de lancer l'anathème contre toutes les autres. Qu'il s'agisse à l'origine, d'une erreur consciente ou inconsciente, c'est une erreur en tout cas. Dans l'antiquité, Jéhovah n'a jamais été qu'un Dieu "parmi" d'autres "Dieux" 147. Le Seigneur apparut à Abraham et tout en lui disant : "Je suis le Dieu tout- puissant", il ajouta : "J'établirai mon union... afin d'être un Dieu pour toi" (Abraham) ; et pour sa descendance après lui 148 mais non pour les Européens Aryens.
Mais il y avait alors la grandiose et idéale figure de Jésus de Nazareth, à placer contre ce fond obscur, pour la rendre plus radieuse par le contraste, et l'Eglise ne pouvait inventer un fond plus obscur. Ne possédant pas la symbologie de l'Ancien Testament, ignorant la computation véritable du nom de Jéhovah – le substitut rabbinique secret du nom Ineffable et Imprononçable – l'Eglise prit pour la réalité, l'ombre savamment fabriquée, prit le symbole générateur anthropomorphisé pour l'Unique Réalité Sans Rivale, la Cause Inconnaissable de Tout. Comme conséquence logique, l'Eglise, dans un but de dualisme, se trouva dans la nécessité d'inventer un Diable anthropomorphisé – créé, comme elle l'enseigne, par Dieu lui- même. Satan est aujourd'hui devenu le monstre fabriqué par Jéhovah- Frankenstein, c'est la malédiction de son père et une épine dans le flanc divin, un monstre, dont aucun Frankenstein terrestre n'eût pu fabriquer une plus ridicule copie.
L'auteur de New Aspects of Life décrit fort correctement le Dieu Juif, en se plaçant au point de vue cabalistique, comme étant :
L'esprit de la Terre, qui s'était révélé au juif comme Jéhovah 149... C'est aussi cet Esprit qui, après la mort de Jésus, prit sa forme et joua son rôle comme Christ ressuscité. [IV 78]
147 Psaume LXXXI.
148 Genèse, XVII, 7.
149 Op. cit., p. 209.
C'est, comme on peut le voir, la doctrine de Cérinthe et de plusieurs Gnostiques, avec fort peu de variations, mais les, explications et les déductions de l'auteur sont remarquables :
Personne ne savait… mieux que Moise... (ni) aussi bien que lui, combien était grande la puissance de ces (Dieux de l'Egypte), avec les prêtres desquels il avait discuté... de ces dieux dont on prétend" que Jéhovah est le Dieu (les Juifs seulement).
L'auteur pose cette question :
Qu'étaient-ce donc ces Dieux, ces Achar dont Jéhovah, l'Achad, aurait été le Dieu... en les dominant ?
L'Occultisme répond à ceci : C'étaient ceux que l'Eglise appelle maintenant les Anges Déchus et, collectivement, Satan,. le Dragon – vaincu, si nous acceptons ce qu'elle dit, par Michel et sa Légion, Michel qui n'était autre que Jéhovah lui-même ou, tout au plus, un des Esprits subordonnés. Aussi l'auteur a-t-il encore raison de dire :
Les Grecs croyaient à. l'existence de... daimons, mais... furent devancés en cela par les Hébreux, qui croyaient qu'il y avait une classe d'esprits représentatifs qu'ils désignaient sous le nom de démons, "acteurs"... En admettant, avec Jéhovah qui affirmait expressément l'existence d'autres dieux, qui... jouaient le rôle du Dieu Unique, ces autres dieux ne constituaient-ils qu'une classe supérieure d'esprits acteurs qui avaient acquis et exerçaient de grands pouvoirs ? Et le rôle joué par d'autres ne constitua-t-il pas la clef du mystère de l'état d'esprit ? Mais, ceci une fois admis, comment pourrons- nous savoir si Jéhovah n'était pas un esprit jouant un rôle, un esprit qui prétendait être, et qui devint aussi, le représentant du Dieu unique, inconnu et inconnaissable ? Comment saurions-nous si l'esprit qui se donnait le nom de Jéhovah ne fut pas cause, en s'appropriant ses attributs, que sa propre désignation fut imputée à l'Unique qui est en réalité, aussi dépourvu de nom qu'il est inconnaissable 150.
150 Ibid., pp. 144-145.
L'auteur démontre alors que "l'esprit Jéhovah est un acteur" de son propre aveu. Il avoua à Moïse "qu'il était apparu aux patriarches comme le Dieu Shaddai et le Dieu Hélion".
Il assuma d'un seul trait le nom de Jéhovah et c'est sur la foi de l'affirmation de cet acteur que les noms de El, Eloah, Elohim et Shaddai ont été lus et interprétés en juxtaposition avec Jéhovah, comme signifiant le "Seigneur Dieu Tout-Puissant". (Puis quand) [IV 79] le nom de Jéhovah devint ineffable, la désignation d'Adonaï, "Seigneur", lui fut substituée et… c'est par suite de cette substitution que le "Seigneur" passa des Juifs au "Verbe" et au Monde Chrétien comme une désignation de Dieu 151.
Et comment saurions-nous, pourrait ajouter l'auteur, si Jéhovah ne représentait pas de nombreux esprits jouant le rôle de l'apparemment unique – Jod ou Jod-Hé ?
Mais si l'Eglise Chrétienne fut la première à faire de l'existence de Satan un dogme, ce fut, comme on le démontre dans Isis Dévoilée, parce que le Diable – le puissant Ennemi de Dieu (!!) – devait devenir la pierre d'assise et le pilier de l'Eglise. En effet, comme le fait observer avec raison un Théosophe M. Jules Baissac, dans son ouvrage intitulé Satan ou le Diable :
Il fallait éviter de paraître autoriser le dogme du double principe, en faisant de ce Satan créateur une puissance réelle et pour expliquer le mal originel, on profère contre Manès l'hypothèse d'une permission de l'unique Tout- Puissant 152.
151 Ibid., p. 146.
152 Op. cit., p. 9. Après le Panthéisme polymorphe de certains Gnostiques, vint le Dualisme exotérique de Manès, qui fut accusé de personnifier le mal et de faire du diable un Dieu – le rival de Dieu lui-même. Nous ne voyons pas que l'Eglise Chrétienne ait beaucoup amélioré cette Idée exotérique des Manichéens, car elle appelle jusqu'à présent Dieu son Roi de Lumière, et Satan le Roi des Ténèbres.
Ce choix et cette politique furent en tout cas malheureux. On aurait dû établir une distinction bien tranchée entre le personnage jouant le rôle du Dieu inférieur d'Abraham et de Jacob et le "Père" mystique de Jésus, ou bien les Anges, "Déchus" n'auraient pas dû être calomniés par de nouvelles fictions.
Chaque Dieu des Gentils se rattache à Jéhovah – les Elohim et a des rapports étroits avec lui, car ils ne forment à eux tous "Une Légion, dont les unités ne diffèrent que par le nom dans les Enseignements Esotériques. Il n'y a aucune différence entre les Anges "Obéissants" et les Anges "Déchus", sauf en ce qui concerne leurs fonctions respectives, ou plutôt l'inertie des uns et l'activité des autres, parmi les Dhyân Chohans, ou Elohim, qui eurent pour mission "de créer", c'est-à-dire de fabriquer le monde extérieur à l'aide de la matière éternelle.
Les Cabalistes disent que le véritable nom de Satan est celui de Jéhovah retourné, attendu que "Satan n'est pas un Dieu noir mais la négation de la Divinité blanche", ou de la Lumière[IV 80] de la Vérité. Dieu est la Lumière et Satan représente les Ténèbres ou l'Ombre nécessaire pour la faire ressortir, sans quoi la pure lumière serait invisible et incompréhensible 153.
153 Citons à ce sujet l'admirable ouvrage de M. S. Laing, Modern Science and Modern Thought (p.222) : "Il n'y a aucun moyen d'échapper à ce dilemme (l'existence du mal dans le monde), à moins d'abandonner complètement l'idée d'une divinité anthropomorphe et d'adopter franchement l'idée scientifique d'une Cause Première, inscrutable et à l'abri de toute découverte et celle d'un univers dont nous pouvons relever les lois, mais dont l'essence réelle nous est complètement inconnue, tout en soupçonnant ou en soupçonnant vaguement l'existence d'une loi fondamentale qui peut faire de da polarité du bien et du mal une condition nécessaire de l'existence." Si la Science connaissait "l'essence réelle" au lieu de l'ignorer complètement, le vague soupçon se transformerait en une certitude de l'existence de cette loi et la connaissance de cette loi se rattache au Karma.
"Pour les Initiés, dit Eliphas Lévi, le Diable n'est pas une personne, mais une Force créatrice, pour le Bien comme pour le Mal." Les Initiés représentaient cette Force, qui préside à la génération physique, sous la mystérieuse forme du Dieu Pan ou de la Nature ; de là les cornes et les sabots de cette figure mythique et symbolique, comme aussi le "bouc" chrétien du "Sabbat des Sorcières". A ce sujet, les Chrétiens ont encore imprudemment oublié que le "bouc" était aussi la victime choisie pour l'expiation de tous les péchés d'Israël, que le bouc émissaire était en réalité le martyr du sacrifice, le symbole du plus grand mystère existant sur la Terre – la "chute dans la génération". Seulement, les Juifs ont depuis longtemps oublié la véritable signification (pour les non-initiés) de leur ridicule héros, tiré du drame, de la vie dans les Grands Mystères représentés par eux dans le désert ; les Chrétiens ne l'ont jamais connue.
Eliphas Lévi cherche à expliquer le dogme de son Eglise par des paradoxes et des métaphores, mais il réussit bien misérablement, en présence des nombreux volumes écrits par les pieux Démonologistes Catholiques Romains, avec l'approbation et sous les auspices de Rome, au cours de notre XIXème siècle. Pour le vrai Catholique Romain, le Diable, ou Satan est une réalité ; le drame joué dans la Lumière Sidérale, suivant le voyant de Patmos – qui voulait, peut-être, renchérir sur le récit que contient le Livre d'Enoch –est un fait aussi réel et aussi historique que toute autre allégorie ou que tout autre événement symbolique que l'on trouve dans la Bible. Les Initiés donnent toutefois une explication qui diffère de celle d'Eliphas Lévi, dont le génie et l'intellect plein de ruse devaient se soumettre à un certain compromis qui lui était dicté de Rome.
Aussi les véritables cabalistes "qui n'acceptent pas de compromis" [IV 81] admettent que pour tout ce qui concerne la Science et la Philosophie, il suffit que le profane sache que le Grand Agent Magique, appelé Lumière Astrale par les disciples du Marquis de Saint-Martin, ou Martinistes, Vierge Sidérale et Mysterium Magnum par les Cabalistes et Alchimistes du Moyen Age et Æther, ou reflet de l'Akâsha, par les Occultistes Orientaux, n'est autre que ce que l'Eglise appelle Lucifer. On n'apprendrait rien à personne en disant que les scolastiques latins ont réussi à transformer en Satan l'Ame Universelle et le Plérôme, le Véhicule de Lumière et le réceptacle de toutes formes, une Force répandue dans tout l'Univers, avec ses effets directs et indirects, mais on est prêt maintenant à communiquer aux profanes mentionnés plus haut les secrets mêmes auxquels Eliphas Lévi fait allusion, sans explication suffisante, car le Système de révélations voilées d'Eliphas Lévi ne pourrait conduire qu'à de nouvelles superstitions et à de nouveaux malentendus. Qu'est-ce qu'un étudiant en Occultisme, qui serait un commençant, pourrait tirer de phrases hautement poétiques comme celles d'Eliphas Lévi que nous citons plus bas et qui sont aussi apocalyptiques que les œuvres de n'importe quel Alchimistes ?
Lucifer (la Lumière astrale)... est une force intermédiaire répandue dans toute la création ; elle sert à créer et à détruire ; et, la chute d'Adam fut le résultat d'une ivresse érotique qui a fait de sa génération l'esclave de cette fatale Lumière... toute passion amoureuse qui envahit les sens est un tourbillon de cette Lumière qui cherche à nous entraîner vers les abîmes de la mort. La folie, les hallucinations, les visions, les extases sont des formes d'une excitation très dangereuse due à ce phosphore intérieur (?) Enfin, cette lumière est de la nature du feu, dont l'usage intelligent échauffe et vivifie, dont l'excès, au contraire, brûle, dissout et anéantit.
L'homme serait appelé à prendre un souverain empire sur cette Lumière (Astrale) et à conquérir par ce moyen son immortalité et il serait menacé en même temps d'être enivré, absorbé et éternellement détruit par elle.
Cette lumière, en tant que dévorante, vengeresse et fatale, serait le feu de l'enfer, le serpent de la légende ; l'erreur tourmentée dont elle serait pleine, les larmes et les grincements de dents des êtres avortés qu'elle dévore, le fantôme de la vie qui leur échappe, tout cela, serait le Diable ou Satan 154.
Il n'y a rien de faux dans tout ceci ; rien, sauf une surabondance [IV 82] de métaphores mal employées, comme, par exemple, l'emploi du mythe d'Adam pour donner un exemple des effets astraux. L'Akâsha 155, la Lumière Astrale, peut être définie en quelques mots ; c'est l'Ame Universelle, la Matrice de l'Univers, le Mysterium Magnum d'où naît tout ce qui existe, par séparation ou différenciation. C'est la cause de l'existence ; elle remplit tout l'Espace infini, c'est l'Espace lui-même, dans un sens, ou, tout à la fois, son sixième et son septième principe 156. Mais en
tant que fini dans l'Infini, par rapport à la manifestation, cette Lumière doit avoir son côté sombre – ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer. Or, comme l'Infini ne peut jamais être manifesté, il s'ensuit que le monde fini doit se contenter de l'ombre seule, que ses actions attirent sur l'humanité et que les hommes attirent et forcent à l'activité. Aussi, tandis que la Lumière Astrale est la Cause Universelle dans son unité, et dans son infini non- manifesté, elle n'est plus, en ce qui concerne l'humanité, que les effets des causes produites par les hommes au cours de leurs vies pleines de péchés. Ce ne sont pas ses brillants habitants – qu'on les appelle Esprits de Lumière ou de Ténèbres – qui produisent le Bien ou le Mal, mais c'est l'humanité elle-même qui détermine des actions et des réactions inévitables dans le Grand Agent Magique. C'est l'humanité qui est devenue le "Serpent de la Genèse" et qui est ainsi cause, jour par jour et heure par heure, de la Chute et du Péché de la "Vierge Céleste" – qui devient alors, en même temps, la Mère des Dieux et des Diables ; car c'est la Divinité toujours [IV 83] aimante et bienfaisante pour tous ceux qui émeuvent son Ame et son Cœur, au lieu d'attirer vers eux-mêmes l'ombre manifestée de son essence, désignée par Eliphas Lévi sous le nom de "lumière fatale" qui tue et détruit. L'Humanité, dans ses unités, peut surmonter et maîtriser ses effets, mais seulement par la sainteté des vies et en produisant des causes bonnes. Elle n'a de pouvoirs que sur les principes inférieurs manifestés – l'ombre de la Divinité Inconnue et Inconnaissable dans l'Espace. Mais dans l'antiquité, et en réalité, Lucifer, ou Luciferus, était le nom de l'Entité Angélique qui présidait à la Lumière de la Vérité, comme à la lumière du jour. Dans le grand Evangile Valentinien, Pistis Sophia, on enseigne que parmi les trois Puissances qui émanent des Noms Sacrés des trois Triples Pouvoirs (Τριδυνάµεις), celle de Sophia (le Saint Esprit suivant ces Gnostiques – la plus raffinée de toutes), réside dans la planète Vénus ou Lucifer.
154 Histoire de la Magie, pp. 196, 197.
155 L'Akâsha n'est pas l'Ether de la Science, comme le prétendent certains Orientalistes.
156 Jean Trithème, Abbé de Spanheim, le plus grand Astrologue et Cabaliste de son époque, s'exprime ainsi "L'art de la magie divine réside dans la faculté de percevoir l'essence des choses dans la Lumière de la Nature (Lumière Astrale) et dans l'emploi des pouvoirs de l'âme de l'Esprit pour produire des choses matérielles tirées de l'univers invisible et dans ces opérations d'En-haut, et l'En-bas doivent être réunis et amenés à agir harmonieusement. L'Esprit de la Nature (la Lumière Astrale) est une unité, créant et formant toutes choses, et en agissant avec le concours de l'homme il peut produire des choses merveilleuses. Ces processus sont accomplis conformément à la loi. Vous apprendrez à connaître la loi en vertu de laquelle ces choses sont accomplies, et vous apprenez à vous connaître vous-mêmes. Vous la connaîtrez grâce au pouvoir de l'esprit, qui réside en vous et vous vous y conformerez en unissant votre esprit à l'essence qui jaillit de vous. Si vous voulez réussir dans cette tâche, il vous faut connaître le moyen de séparer l'esprit et la vie dans la Nature et, en outre, de séparer l'âme astrale qui est en vous et de la rendre tangible, après quoi la substance de l'âme apparaîtra visible et tangible, rendue objective par la puissance de l'esprit." (Cité dans le Paracelsus du Dr Franz Hartmann, pp. 164, 165.)
Ainsi, pour le profane, la Lumière Astrale peut être Dieu et le Diable à la fois – Demon est Deus inversus – c'est-à-dire qu'à tous les points de l'Espace Infini vibrent les courants magnétiques et électriques de la Nature animée, les vagues qui donnent la vie et la mort, car la mort sur la terre devient la vie sur un autre plan. Lucifer, c'est la Lumière divine et terrestre, le "Saint-Esprit" et "Satan", tout à la fois, l'Espace visible étant véritablement rempli, d'une manière invisible, par le Souffle différencié et la Lumière Astrale, les effets manifestés des deux qui n'en font qu'un, guidée et attirée par nous, est le Karma de l'Humanité, une entité à la fois personnelle et impersonnelle – personnelle, parce que c'est le nom mystique que Saint-Martin donne à la Légion des Créateurs Divins, des Guides et des Souverains de cette Planète ; impersonnelle, en tant que Cause et Effet de la Vie et de la mort Universelles.
La Chute fut le résultat du savoir de l'homme, car ses "yeux furent, ouverts". Il fut, en effet, instruit dans la Sagesse et dans le Savoir Occulte par l' "Ange Déchu", car ce dernier était devenu depuis lors son Manas, son Mental et sa Soi-conscience. Chez chacun de nous, ce fil d'or de la Vie interrompue – passant périodiquement par des cycles actifs et passifs d'existence sensible sur la Terre et suprasensible dans le Dévachan – existe depuis le moment de notre apparition sur cette Terre. C'est le Sûtratmâ, le fil lumineux de l'état de la Monade immortelle, impersonnelle, sur lequel nos "vies" terrestres, ou Egos éphémères, sont enfilées comme des perles – suivant la belle expression de la philosophie védantine. [IV 84]
Il est maintenant prouvé que Satan, ou le Dragon Rouge Ardent, le "Seigneur du Phosphore" – soufre fut une amélioration théologique – et Lucifer ou le "Porte-Lumière", sont en nous : c'est notre Mental, notre Tentateur et Rédempteur, notre intelligent Libérateur et notre Sauveur du pur animalisme. Sans ce principe – émanation et essence même du pur principe divin Mahat (l'Intelligence), irradiation directe du Mental Divin – nous ne vaudrions certainement pas mieux que les animaux. Le premier homme, Adam, ne fut créé que comme une âme vivante (Nephesh), le dernier Adam fut créé comme un esprit vivifiant 157 – dit saint Paul, en parlant de la construction ou de la création de l'homme. Sans cet esprit vivifiant, ou ce mental humain, ou cette âme il n'y aurait pas de différence entre l'homme et la bête ; pas plus qu'il n'y en a, par le fait entre les animaux, en ce qui concerne leurs actions. Le tigre et l'âne, le faucon et la colombe, sont tous aussi purs et aussi innocents les uns que les autres, parce qu'ils sont irresponsables. Chacun d'eux obéit à son instinct, le tigre et le faucon tuent avec la même insouciance dont l'âne fait preuve en mangeant un chardon et la colombe en picorant un grain de blé. Si la Chute avait la signification que lui donne la Théologie ; si cette Chute se produisait comme le résultat d'un acte contraire aux intentions de la Nature – si c'était un péché, que dirait-on donc des animaux ? Si l'on nous dit qu'ils procréent leurs espèces d'une façon qui est la conséquence de ce même "péché originel" qui fut cause que Dieu maudit la Terre – et par suite tout ce qui vivait sur elle – nous répondrons par une autre question. La Théologie, ainsi que la Science, nous disent que l'animal existait sur la Terre bien avant l'homme. Nous demanderons donc à la Théologie : Comment cet animal procréait-il son espèce, avant que le Fruit de l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal n'eût été cueilli ? Comme on l'a déjà fait remarquer :
Les chrétiens – infiniment moins clairvoyants que le grand Mystique et Libérateur dont ils ont pris le nom, dont ils ont mal interprété et travesti les doctrines et dont ils ont obscurci la mémoire [IV 85] par leurs actions – prirent le Jéhovah Juif tel qu'il était et, bien entendu, firent de vains efforts pour concilier l'Evangile de Lumière et de Liberté avec la Divinité des Ténèbres et de la soumission 158.
157 Le véritable texte original de la 1ère aux Corinthiens, XV, 44, traduit au point de vue Cabalistique et Esotérique, serait le suivant : "Il est semé un corps animé (non pas un corps "naturel"), il ressuscite un corps spirituel." Saint Paul était un initié et ses paroles ont un sens tout à fait différent lorsqu'on les lit au point de vue Esotérique. Le corps "est semé dans la faiblesse (passivité) ; il ressuscite dans la puissance" (V, 43) ou dans la spiritualité – l'intellect.
158 "The War in Heaven" (Theosophist, III, 24, 36, 67), par Godolphin Mitford, devenu plus tard Mourad Aly Bey. Né aux Indes, fils d'un missionnaire, G. Mitford fut converti à l'Islam et mourut Mahométan en 1881 Ce fut un mystique très extraordinaire, possédant un grand savoir, et une remarquable intelligence, mais Il abandonna la Voie de Droite et tombe aussitôt sous le châtiment karmique. Comme l'expose si bien l'auteur de l'article cité : "les partisans de "l'Elohim" vaincu, massacrés d'abord par les Juifs victorieux (les Jéhovistes), puis persuadés par les Chrétiens et les Mahométans victorieux, continuèrent (néanmoins)... Quelques-unes (de ces sectes éparses)... ont perdu jusqu'à la tradition de l'exposé raisonné de leurs croyances – pour vouer un culte secret et mystérieux au Principe du Feu, de la Lumière et de la Liberté. Pourquoi les Bédouins Sabéens (ouvertement monothéistes lorsqu'ils habitent des villes Mahométanes), invoquent-ils encore dans la solitude des nuits du désert la "légion sidérale du ciel" ? Pourquoi les Yésidis, les "Adorateurs du Diable", vouent-ils un culte au "Malek-Taous" – au "Seigneur Paon" – l'emblème de l'orgueil et de
Mais il est suffisamment établi maintenant que tous les soi-disant mauvais Esprits que l'on accuse d'avoir fait la guerre aux Dieux, sont identiques en tant que personnalités ; qu'en outre, toutes les anciennes religions enseignaient la même doctrine, sauf la conclusion finale, qui diffère de celle des Chrétiens. Les sept Dieux, primordiaux avaient tous un double état ; l'un essentiel et l'autre accidentel. Dans leur état essentiel ils étaient tous les Constructeurs ou Façonneurs, les Conservateurs et les Souverains de ce Monde et dans leur état accidentel, se revêtant d'un corps visible, ils descendaient sur la Terre et régnaient sur elle en qualité de Rois et d'Instructeurs, des Légions inférieures qui s'étaient incarnées une fois de plus comme homme.
Ainsi la Philosophie Esotérique établit que l'homme : est véritablement la divinité manifestée sous ses deux aspects : bon et mauvais, mais la Théologie ne peut admettre cette vérité philosophique. Enseignant comme elle le fait le dogme des [IV 86] Anges Déchus, au pied de la lettre et ayant fait de Satan la pierre angulaire et le pilier du dogme, de la rédemption, elle se suiciderait en l'admettant. Puisqu'elle a déclaré que les Anges Rebelles étaient distincts de Dieu et du Logos dans leurs personnalités, si elle admettait que la chute des Esprits désobéissants signifiait simplement leur chute dans la génération et la matière, cela équivaudrait pour elle à déclarer que Dieu et Satan sont identiques. En effet puisque le Logos, ou Dieu, est l'agrégat de la Légion jadis divine qui est accusée d'avoir fait une chute, il s'ensuivrait tout naturellement que le Logos et Satan ne font qu'un.
Telle était pourtant la véritable idée philosophique que se faisait l'antiquité de ce dogme aujourd'hui défiguré. Le Verbe ou le "Fils" était représenté sous un double aspect par les Gnostiques Païens – en fait, c'était un dualisme en pleine unité. De là les innombrables versions différentes. Les Grecs avaient Jupiter, le fils de Cronos, le Père, qui le précipite dans
l'intelligence aux Cent-Yeux (et aussi de l'initiation), qui fut chassé du Ciel avec Satan, suivant une antique tradition Orientale ? Pourquoi les Gholaïtes et les sectes Mahométanes Mésopotamo- Iraniennes, avec lesquelles elles ont des liens de parenté, croient-ils au "Nour Illahi" – à la "Lumière de l'Elohim" – transmis par anastasis par l'entremise de cent Prophètes Guides ? C'est parce qu'ils ont conservé, comme superstition ignorante, la religion traditionnelle des "Divinités de Lumière" que Jahveh, renversa" (p. 69) – que l'on prétend qu'il renversa, plutôt, car en les renversant Il se serait renversé lui-même. Le Mal'k-Taous est Malèkr, "Souverain" comme l'indique la note marginale. Ce n'est qu'une nouvelle forme de Moloch, Mélék, Moléch, Mal-ayak et Malachim – Messager Anges, etc. les profondeurs du Cosmos. Les Aryens avaient Brahmâ (dans la Théologie postérieure), précipité par Shiva dans l'Abîme des Ténèbres, etc. Mais la Chute de tous ces Logoï et Démiurges, du haut de la position exaltée qu'ils occupaient primitivement, avait dans tous les cas un seul et même sens Esotérique ; la Malédiction, dans son sens philosophique, consistait à être incarné sur cette Terre ; c'était là-un échelon inévitable de l'Echelle de l'Evolution Cosmique, une Loi Karmique hautement philosophique et appropriée, sans laquelle l'existence du Mal sur la Terre demeurerait un mystère à jamais impénétrable pour la vraie philosophie. Dire, comme l'auteur des Esprits Tombés des païens, que, depuis que :
L'on donne pour base au Christianisme deux piliers, celui du mal (πονηρου̃) et celui du bien (άγαθου̃) ; deux forces en résumé (άγαθαὶ καὶ κακαὶ δυνάµεις). Si nous supprimons le châtiment des forces du mal, la mission protectrice des puissances bienfaisantes n'aura plus ni valeur ni sens.
c'est exprimer la plus antiphilosophique des absurdités. Si elle concorde avec le dogme Chrétien et l'explique, elle obscurcit les faits et les vérités de la Sagesse primitive des anciens âges. Les prudentes allusions de Paul renferment tout le véritable sens Esotérique et il a fallu des siècles de casuistique pour leur donner le faux sens de leurs interprétations actuelles. Le Verbe et Lucifer ne font qu'un sous leur double aspect et le "Prince de l'Air" (princeps aeris hujus) n'est pas le "Dieu de cette [IV 87] période", mais un principe éternel. Lorsqu'il représentait ce dernier comme circulant sans cesse autour du monde (qui circumambulat terram), le grand Apôtre faisait simplement allusion aux cycles ininterrompus des Incarnations humaines, dans lesquels le mal dominera sans cesse, jusqu'au jour où l'Humanité obtiendra sa rédemption grâce à la véritable Lumière divine qui procure une perception correcte des choses.
Il est aisé de dénaturer de vagues expressions écrites dans des langues mortes et oubliées depuis longtemps et de les imposer aux masses ignorantes comme des vérités et du faits révélés. L'identité de la pensée et de la signification est la seule chose qui frappe l'étudiant, dans toutes les religions qui font mention de la tradition des Esprits Déchus et, dans ces grandes religions, il n'y en a pas une qui omette d'en faire mention et de la décrire sous une forme ou sous une autre. Ainsi, Hoàng-ty, le Grand Esprit, voit ses Fils, qui avaient acquis la sagesse active, tomber dans la Vallée des Misères. Leur guide, le Dragon Volant, ayant bu l'Ambroisie interdite, tomba sur la Terre avec sa Légion (les Rois). Dans le Zend Avesta Angra Mainyu (Ahriman), s'entourant de Feu (les "Flammes" des Stances), cherche à conquérir les Cieux 159, lorsque Ahura Mazda, descendant du Ciel solide qu'il habite, pour venir en aide aux Cieux qui tournent (dans le temps et l'espace, les mondes manifestés des cycles comprenant ceux de l'incarnation) et les Amshaspands, les "sept brillants Sravah", accompagnés de leurs étoiles, combattent Ahriman et les Dévas vaincus tombent sur la Terre avec lui 160. Dans la Vendidad, les Daêvas sont appelés "malfaisants" et sont représentés comme se précipitant "dans les abîmes du monde de l'enfer", ou de la Matière 161. C'est là une allégorie qui nous montre les Dévas obligés de s'incarner, dès qu'il se furent séparés de leur Essence-Mère, ou, en d'autres termes, après que l'Unité fut devenue multiple, après la différenciation et la manifestation.
159 Il en est ainsi de tous les Yogis et même de tous les Chrétiens, car l'on doit conquérir le Royaume du Ciel par la violence – nous apprend-on. Dès lors, pourquoi un pareil désir ferait-il de quelqu'un un Diable ?
160 Acad. du Inscrip., XXXIX, 690.
161 Fargard XIX, 47 trad. de Darmesteter, p. 218.
Typhon, le Python Egyptien, les Titans, les Bouras et les Asouras appartiennent tous à la même légende d'Esprits peuplant la Terre. Ce ne sont pas des "Démons chargés de créer et d'organiser l'univers visible", mais les Façonneurs ou "Architectes" des Mondes et les Progéniteurs de l'Homme. [IV 88] Ce sont métaphoriquement les Anges Déchus – les "vrais miroirs" de la "Sagesse Eternelle".
Quelle est la vérité complète au sujet de ce mythe universel ; quelle est sa signification Esotérique ? L'essence entière de la vérité ne peut être transmise de bouche à oreille. Aucune plume ne peut non plus la décrire, pas même celle de l'Ange Archiviste, l'homme doit découvrir la réponse dans le sanctuaire de son propre cœur, dans les profondeurs de son intuition divine. C'est le grand Septième Mystère de la création, le premier et le dernier ; et ceux qui lisent l'Apocalypse de saint Jean peuvent découvrir son ombre dissimulée sous le septième sceau. On ne peut le représenter que sous sa forme objective apparente, comme l'éternelle énigme du Sphinx. Si le Sphinx se jeta dans la mer et périt, ce ne fut pas parce qu'Œdipe avait découvert le secret des temps, mais parce qu'en anthropomorphisant l'à-jamais-spirituel et le subjectif, il avait déshonoré pour toujours la grande vérité. Aussi ne pouvons-nous le donner que sur ses plans philosophique et intellectuel, qu'ouvrent respectivement trois clefs – car les quatre dernières clefs des sept, qui ouvrent toutes grandes les portes des Mystères de la Nature, sont entre les mains des plus hauts Initiés et ne peuvent être livrées aux masses, durant ce siècle, tout au moins.
La lettre-morte est partout la même. Le dualisme dans la religion Mazdéenne est né de l'interprétation exotérique. Le saint Airyaman, le "dispensateur du bonheur" 162, invoqué dans la prière appelée Airyama- ishyô, est l'aspect divin d'Ahriman, "le mortel, le Daêva des Daêvas" 163 et Angra Mainyu est l'aspect matériel sombre du premier. "Préserve-nous de celui qui nous hait, ô Mazda et Armaita Spenta" 164, est une prière et une invocation ayant identiquement le même sens que "Ne nous induis pas en tentation" et elle est adressée par l'homme au terrible esprit de dualisme qui se trouve dans l'homme lui-même. En effet, Ahura Mazda n'est autre que l'homme Spirituel Divin et Purifié, et Armaita Spenta, l'Esprit de la Terre où matérialité, est, dans un sens, le même qu'Ariman ou Angra Mainyu.
La littérature Magienne ou Mazdéenne tout entière – ou ce qui en reste – est magique, occulte et, par suite, allégorique et symbolique, même dans son "mystère de la loi" 165. Or, le Mobed [IV 89] et le Parsi gardent, pendant le sacrifice, les yeux axés sur le Baresma – la divine branche arrachée à l' "Arbre" d'Ormazd ayant été transformée en un faisceau de baguettes métalliques – et s'étonnent de ce que ni les Amesha Spentis, ni "le grand et superbe, Haômas d'or, ni même leur Vohu-Manô (bonnes pensées), ni leur Râta (offrande du sacrifice)", ne les aident beaucoup. Qu'ils méditent sur "l'Arbre de Sagesse" et que, par l'étude, ils s'en assimilent les fruits un à un. La voie qui mène à l'Arbre de la Vie Eternelle, le Haôma blanc, le Gaokéréna, traverse la Terre d'une extrémité à l'autre et Haôma est dans le Ciel comme il est sur la Terre ; mais pour en devenir encore une fois un prêtre et un "guérisseur", l'homme, doit se guérir lui-même, car ceci doit se faire avant qu'il ne puisse guérir les autres.
Ceci prouve une fois de plus que, pour que l'on puisse s'occuper des soi-disant "mythes", avec, tout au moins, un degré approximatif de justice, ceux-ci doivent être étudiés de près sous tous leurs aspects. En fait, chacune des sept clefs doit être correctement employée et n'être jamais mélangée aux autres – si l'on veut dévoiler le cycle entier des mystères. A notre époque de Matérialisme lugubre qui tue l'Ame, le terme Prêtres- Initiés est devenu, suivant l'opinion de nos savantes générations, synonyme d'habiles imposteurs qui attisent le feu de la superstition afin d'obtenir une domination plus aisée sur le mental des hommes. C'est là une calomnie qui ne repose sur rien et qui est l'œuvre du scepticisme et des pensées peu charitables. Personne ne croyait davantage qu'eux aux Dieux – nous pourrions les appeler les Puissances aujourd'hui invisibles, ou les Esprits, les Noumènes des phénomènes – et ils croyaient simplement parce qu'ils savaient. Et, bien qu'après avoir été initiés dans les Mystères de la Nature, ils fussent obligés de cacher leur savoir aux profanes, qui en auraient sûrement abusé, ce secret était indéniablement moins dangereux que la politique de leurs usurpateurs et successeurs. Les premiers n'enseignaient que ce qu'ils savaient bien. Les derniers enseignant ce qu'ils ne savaient pas, ont inventé, en guise de port de refuge pour leur ignorance, une Divinité jalouse et cruelle qui interdit à l'homme de scruter ses mystères sous peine de damnation ; ils ont bien fait, car ses mystères peuvent tout au plus être insinués à une oreille cultivée, mais jamais décrits. Reportez-vous à Gnostics and their Remains de King et assurez-vous par vous-mêmes de ce qu'était la primitive Arche d'Alliance, suivant l'auteur, qui dit :
Il existe une Tradition Rabbinique... d'après laquelle les Chérubins – [IV 90] placés au-dessus étaient représentés comme mâle et femelle, durant l'acte de la copulation, afin d'exprimer la grande doctrine de l'Essence de la Formeet de la Matière, les deux principes de toutes choses. Lorsque les Chaldéens envahirent le Sanctuaire et aperçurent ce stupéfiant emblème, ils s'écrièrent bien naturellement : "Est-ce donc là votre Dieu dont vous êtes si fiers, parce qu'il est tellement attaché à la pureté !" 166.
King est d'avis que cette tradition "a une saveur qui rappelle trop la philosophie Alexandrine, pour que l'on puisse y ajouter foi", mais nous en doutons. La forme des ailes des deux Chérubins qui se trouvent à la droite et à la gauche de l'Arche, ailes qui se rencontrent au-dessus du "Saint des Saints", sont un emblème assez éloquent par lui-même, sans parler du "saint" Jod qui se trouve dans l'Arche ! Le Mystère de l'Agathodaemon, dont la légende dit : "Je suis Chnumis, Soleil de l'Univers, 700", peut seul résoudre le Mystère de Jésus, dont le nom a pour nombre "888". Ce n'est pas la clef de saint Pierre, ou le dogme de l'Eglise, mais le Narthex – la Baguette du Candidat à l'Initiation – qu'il faut arracher à l'étreinte du Sphinx silencieux des temps passés. D'ici là : "Les Augurcs qui, en se rencontrant, doivent faire des efforts pour réprimer un éclat de rire", sont peut-être plus nombreux à notre époque qu'ils ne le furent jamais aux jours de Sylla.
166 op.cit., p 441