SECTION V

EVOLUTION ORGANIQUE ET CENTRES CREATEURS

 

On prétend que l'Evolution Universelle, autrement dit le développement graduel des espèces dans tous les règnes de la Nature, se fait suivant des lois uniformes. Ceci est admis et la Science Esotérique applique la loi bien plus strictement que ne le fait la Science Moderne, mais on nous dit aussi qu'il existe également une loi suivant laquelle :

Le développement se fait du moins parfait au plus parfait, du plus simple au plus complexe, au moyen d'incessants changements, peu importants par eux- mêmes, mais qui s'accumulent constamment dans la direction voulue 702.

C'est en partant des infiniment petits, que sont produites les espèces comparativement gigantesques.

La Science Esotérique admet cela mais elle ajoute que cette loi s'applique seulement à ce qu'elle connaît sous le nom de Création primaire – l'évolution des Mondes au sein des Atomes Primordiaux et de l'ATOME Pré-primordial, lors de la première différenciation des premiers ; que durant la période d'évolution cyclique dans l'Espace et le Temps, cette loi est limitée et n'agit que dans les règnes inférieurs. Elle a agi de la sorte durant le cours des premières périodes géologiques, du simple au complexe, sur la matière brute qui avait survécu des reliques de la troisième Ronde, reliques qui sont projetées dans l'objectivité lorsque recommence l'activité terrestre.

Pas plus que la Science, la Philosophie Esotérique n'admet de "dessein" ni de "création spéciale". Elle repousse toute [IV 363] prétention au "miraculeux" et n'accepte rien en dehors des lois uniformes et immuables de la Nature, mais elle enseigne une loi cyclique, un double courant de Force (ou d'esprit) et de Matière, qui émane du Centre Neutre de  l'Etre et se développe par ses progrès cycliques et ses incessantes transformations. Comme le germe primitif du sein duquel toute la vie vertébrée s'est développée au cours des siècles, est distinct du germe primitif qui a donné naissance à la vie végétale et à la vie animale, il y a des lois secondaires dont l'action est déterminée par l'état dans lequel elles trouvent les matériaux sur lesquels il faut agir et dont la Science – particulièrement la Physiologie et l'Anthropologie – semble n'avoir guère connaissance. Ses fidèles parlent de ce "germe primitif" et soutiennent qu'il est péremptoirement démontré que :

Le "dessein" (et celui qui l'a conçu), s'il en existe un (dans le cas de l'homme, avec la merveilleuse structure de ses membres et particulièrement de sa main), doit être placé à une époque bien plus reculée et, de fait, se trouve compris dans le germe primitif, d'où émanent, certainement toute la vie vertébrée et probablement toute la vie animale ou végétale, qui ont été lentement développées 703.

702 Modem Science and Modern Thought, p. 94.

703 Ibid.

 

Ceci est exact en ce qui concerne le "germe primitif" mais il est faux que ce "germe" date seulement "d'une époque bien plus reculée" que l'homme ; son origine se trouve, en effet, à une distance incommensurable et inconcevable dans le Temps, mais non dans l'Espace, de l'origine même de notre Système Solaire. Ainsi que l'enseigne très justement la philosophie hindoue, "l'Anîyâmsam Anîyâsam" ne peut être connu qu'à l'aide  de  notions  fausses.  Ce  sont  les  "Multiples"  qui  procèdent     de l' "Unique" – les germes spirituels vivants ou centres de forces – chacun sous une forme septénaire, qui génère d'abord puis donne la première impulsion à la loi d'évolution et de développement lent et graduel.

En limitant strictement l'enseignement à notre propre Terre, on peut démontrer que comme les formes éthérées des premiers hommes furent d'abord projetées sur sept zones par sept Centres de Forces Dhyân- Chohaniques, de même il y a des centres de pouvoirs créateurs  pour chaque espèce fondamentale de la légion des formes de la vie végétale et animale. Il n'y a encore là aucune "création spéciale", ni aucun "dessein", sauf [IV 364] dans le "plan fondamental" général élaboré par la Loi Universelle, mais il y a certainement des "dessinateurs", bien que   ceux-ci ne soient ni omnipotents ni omniscients dans le sens absolu du terme. Ce sont de simples Constructeurs, ou Maçons, travaillant sous l'impulsion qui leur est donnée par le Maître Maçon à jamais inconnu (sur notre plan) – la Vie et la Loi Uniques. Appartenant à cette sphère, ils n'ont pas à intervenir et n'ont pas la possibilité de travailler sur une autre, au moins durant le Manvantara actuel. Ce que les espèces animales éteintes démontrent amplement, c'est qu'ils travaillent par cycles et suivant une progression strictement géométrique et mathématique ; et l'histoire naturelle prouve suffisamment qu'ils agissent à dessein dans le détail des vies inférieures (produits animaux, etc.). Lors de la "création" d'espèces nouvelles, différant parfois beaucoup du groupe ancestral, comme dans la grande variété du genre Félin – le lynx, le tigre, le chat, etc. – ce sont les "dessinateurs" qui dirigent la nouvelle évolution, en ajoutant aux espèces, ou en leur supprimant, certains appendices, devenus utiles ou inutiles dans le nouveau milieu. Aussi, lorsque nous disons que la nature pourvoit aux besoins de chaque animal ou de chaque plante, grands ou petits, nous nous exprimons correctement. Ce sont, en effet, ces Esprits terrestres de la Nature, qui constituent l'ensemble de la Nature – et si elle  se trompe parfois dans ses desseins, il ne faut pas la considérer pour cela comme aveugle, ou la blâmer à cause de l'erreur, puisque appartenant à un ensemble de qualités et d'attributs différenciés, elle est, par cela seul, conditionnée et imparfaite.

S'il n'existait pas de cycles d'évolution, sous forme d'un  éternel progrès en spirale dans la Matière, avec une obscuration proportionnée de l'Esprit (bien que les deux n'en fassent qu'un), suivi d'une remontée inverse dans l'Esprit et de la défaite de la Matière – tour à tour active et passive – comment pourrions-nous expliquer les découvertes de la Zoologie et de la Géologie ? Comment se fait-il que sur l'affirmation pleine d'autorité de la Science, l'on puisse suivre les traces de la vie animale, depuis le mollusque jusqu'au grand dragon marin, depuis le plus petit ver de terre jusqu'aux gigantesques animaux de la période Tertiaire et qu'il soit prouvé que ces derniers aient été jadis croisés, par le fait que toutes les espèces ont diminué de taille, ont dégénéré et rapetissé ? Si le processus apparent de développement allant du moins au plus parfait et du simple au complexe, était une loi universelle, au lieu d'être la très imparfaite généralisation d'une simple nature secondaire au milieu du [IV 365] grand processus cosmique, et si les cycles que l'on admet n'existaient pas, la faune et la flore de l'époque Mésozoïque devraient changer de place avec celles de l'époque Néolithique plus récente. Ce sont les plésiosaures et les ichtyosaures que nous devrions voir dériver des reptiles actuels des mers et des fleuves, au lieu de les voir céder la place à leurs analogues modernes rapetissés. C'est aussi notre vieil ami, le bon éléphant, qui devrait être l'ancêtre fossile et c'est le mammouth de l'époque Pliocène qui devrait être dans les ménageries ; ce sont le mégalonyx et le gigantesque mégathérium et non l'Aï paresseux, que l'on devrait trouver dans les forêts de l'Amérique du Sud, dans lesquelles les colossales fougères des époques carbonifères remplaceraient les mousses et les arbres actuels – tous des nains, même les géants de la Californie si on les compare aux arbres Titans des époques géologiques du passé. Assurément, les organismes mégasthènes 704 des époques Tertiaires et Mésozoïde doivent avoir été plus complexes et plus parfaits que ceux des plantes et des animaux microsthènes de l'époque actuelle ! Le dryopithèque, par exemple, est anatomiquement plus parfait, est plus apte à un développement supérieur des facultés cérébrales, que ne le sont le gorille et le gibbon modernes. Que signifie donc tout ceci ? Devons-nous admettre que la constitution des colossaux dragons de terre et de mer et des gigantesques reptiles volants, n'était pas beaucoup plus développée et beaucoup plus complexe que l'anatomie des lézards, des tortues, des crocodiles et même des baleines – en un mot, que l'anatomie de tous les animaux que nous connaissons ?

Admettons néanmoins, dans l'intérêt de la discussion, que tous ces cycles, toutes ces races, toutes ces formes septénaires d'évolution et les tutti quanti de l'enseignement Esotérique ne sont qu'une illusion et un piège. Mettons-nous d'accord avec la Science pour déclarer que l'homme – au lieu d'être un "esprit" emprisonné dans son véhicule, dans sa coque ou corps, mécanisme graduellement perfectionné et aujourd'hui complet, destiné à être utilisé sur Terre comme le prétendent les Occultistes – est simplement un animal plus développé, dont la forme primaire émergea sur cette Terre, du sein du même germe primitif que le dragon volant et le moucheron, la baleine et l'amibe, le crocodile et la grenouille, etc. Dans ce cas, il doit avoir passé par des développements identiques et par les mêmes processus – de croissance que les autres mammifères. Si l'homme est un animal et rien de plus, une "ex-brute" hautement intellectuelle, [IV 366] on devrait, au moins, admettre qu'il a dû être un mammifère gigantesque dans son genre, un "mégalanthrope" de son époque. La Science Esotérique enseigne précisément qu'il en fut ainsi durant les trois premières Rondes et en cela, comme en bien d'autres choses, elle est plus logique et plus conséquente que la Science Moderne. Elle classe le corps humain avec la création animale et le maintient, depuis le commencement jusqu'à la fin, dans la voie de l'évolution animale, tandis que la Science fait de l'homme un orphelin sans famille, né d'auteurs inconnus, un véritable "squelette non spécialisé" ! Et cette erreur est due à l'entêtement avec lequel elle repousse la doctrine des cycles.

704 du grec µέγας = grand et στένος = force – (Note du traducteur.)