SECTION XV
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SAINT PAUL, REEL FONDATEUR DU CHRISTIANISME ACTUEL
Nous pouvons répéter avec l'auteur de Phallicism :
Nous sommes tous pour l'interprétation – même pour l'interprétation chrétienne – mais, bien entendu, philosophique. Nous n'avons rien à faire avec la réalité, dans le sens scientifique limité et mécanique, que lui donna l'homme, ni avec le réalisme. Nous avons entrepris de montrer que le mysticisme est la vie même et l'âme de la religion 221... ; que la Bible est simplement mal lue et mal représentée lorsqu'on la repousse comme avançant des choses supposées fabuleuses et contradictoires : que Moïse ne commit pas d'erreurs, mais parla aux "enfants des hommes" de la seule façon que l'on puisse employer pour s'adresser à des enfants en bas âge ; que le monde est, en vérité, un endroit bien différent de ce que l'on suppose ; que ce dont on se moque comme d'une superstition est l'unique savoir vrai et scientifique et qu'en outre le savoir moderne et la science moderne sont, dans une large mesure, non seulement de la superstition, mais encore une superstition d'un genre très destructeur et mortel 222.
Tout cela est parfaitement vrai et correct, mais il est également vrai que le Nouveau Testament, les Actes et les Epîtres – si vraie que puisse être la figure historique de Jésus – sont tous des récits symboliques et allégoriques et que "ce ne fut pas Jésus, mais bien Paul, qui fut le réel fondateur du Christianisme 223 ; mais, en tout cas, ce ne fut pas l'Eglise chrétienne officielle, car "ce fut d'abord à Antioche que les disciples reçurent pour la première fois le nom de chrétiens" nous disent les Actes des Apôtres 224, et auparavant ils n'étaient pas appelés ainsi, ni même longtemps après, mais simplement des Nazaréens. [V 138]
221 Nous ne pouvons admettre avec l'auteur "que les rites, le rituel, le culte de pure forme et les prières, soient des choses absolument nécessaires", car ce qui est externe ne peut se développer, grandir et être l'objet d'un culte, qu'aux dépens et au détriment de ce qui est interne, de ce qui seul est réel et vrai.
222 H. Jennings, op. cit., pp. 37, 38.
223 Voyez Isis Dévoilée, IV, 305.
224 XI, 26.
225 Art. du Dr A. Wilder, dans Evolution.
Cette opinion se retrouve chez plus d'un auteur du siècle présent et des siècles passés, mais jusqu'à présent, elle a été laissée de côté comme étant une hypothèse sans preuve, une supposition blasphématoire, bien que l'auteur de Paul, the Founder of Christianity 225 dise avec raison :
Des hommes comme Irénée, Epiphane et Eusèbe ont transmis à la postérité la réputation d'un tel mépris de la vérité et de pratiques si malhonnêtes, que le dégoût monte au cœur, en lisant le récit des crimes de cette époque.
Et cela d'autant plus que le thème chrétien tout entier est basé sur leurs dires, mais nous découvrons maintenant une autre corroboration et, cette fois, d'après la lecture parfaite des glyphes bibliques. Dans The Sources of Measures nous découvrons ce qui suit :
Il ne faut pas oublier que notre Christianisme actuel est l'œuvre de Paul et non de Jésus. Jésus, durant sa vie, fut un Juif qui se conformait à la loi ; bien plus, il disait : "Les scribes et les pharisiens occupent la chaire de Moïse, faites donc tout ce qu'ils vous ordonnent de faire." Et encore : "Je ne suis pas venu pour détruire, mais pour accomplir la loi." Il fut donc soumis à la loi jusqu'au jour de sa mort et ne put, tant qu'il vécut, en abroger un iota on un point. Il était circoncis et ordonnait la circoncision, mais Paul déclara que la circoncision ne servait à rien et lui [Paul] abrogea la loi. Saül et Paul – c'est-à-dire Saül soumis à la loi et Paul libéré des obligations de la loi – n'étaient en un seul homme que les parallèles incarnés de Jésus, l'homme soumis à la loi qu'il observait, qui mourut ainsi en Chrestos et apparut libéré de ses obligations, dans le monde des esprits comme Christos, ou le Christ triomphant. Ce fut le Christ qui fut libéré, mais le Christ était dans l'Esprit. Saul, incarné, faisait fonction de Chrestos, en était le parallèle. Paul, incarné, faisait fonction de Jésus devenant le Christ dans l'Esprit, en était le parallèle, en qualité de prompte réalité répondant à l'apothéose et en tenant lieu ; il était ainsi, dans son incarnation, armé de toute autorité pour abroger la loi humaine 226.
226 Op. cit., p. 262.
La véritable raison pour laquelle on nous représente Paul comme "abrogeant la loi" ne peut être découverte qu'en Inde, où jusqu'à présent les plus antiques coutumes et privilèges sont conservés dans toute leur pureté, malgré les injures lancées contre eux. Il n'y a qu'une seule catégorie de personnes qui puissent impunément méconnaître les institutions brahmaniques, y compris celle des castes, et ce sont les [V 139] parfaits "Swâmis", les yogis – qui ont atteint, ou sont supposés avoir atteint le premier échelon qui mène à l'état de Jîvanmoukta – d'Initié complet. Or, Paul fut incontestablement un Initié. Nous allons citer un ou deux passages tirés d'Isis Dévoilée, car nous ne pourrions aujourd'hui rien dire de mieux que ce que nous avons dit alors :
Prenez Paul, lisez le peu d'écrits originaux qui subsistent parmi ceux qui sont attribués à cet homme brave, honnête et sincère et voyez s'il est possible d'y trouver un seul mot prouvant que Paul entendait désigner par le terme Christ autre chose que l'idéal abstrait de la divinité personnelle qui a sa demeure dans l'homme. Pour Paul, le Christ n'est pas une personne, mais la personnification d'une idée. "Si un homme est en Christ, c'est une créature nouvelle, il est né de nouveau, comme après l'initiation, attendu que le Seigneur est l'esprit – l'esprit de l'homme. Paul était le seul des apôtres qui eût compris les idées secrètes sous-jacentes aux enseignements de Jésus, bien qu'il ne l'eût jamais rencontré.
Mais Paul, lui-même, n'était ni infaillible ni parfait.
Décidé à inaugurer une nouvelle et large réforme, embrassant l'humanité tout entière, il plaça sincèrement ses propres doctrines bien au-dessus de la sagesse des siècles, au-dessus des anciens Mystères et de la révélation finale faite aux Epoptes.
Une autre preuve que Paul faisait partie du cercle des "Initiés", réside dans le fait suivant. L'apôtre se fit couper les cheveux à Cenchrées, où Lucius (Apuleius) fut initié, parce qu'il "avait fait un vœu". Les Nazars – ou les choisis – ainsi que nous l'apprennent les Ecritures Juives, devaient couper leurs cheveux, qu'ils portaient longs et "qu'aucun rasoir ne touchait" à nul autre moment et les sacrifier sur l'autel de l'initiation. Or, les Nazars constituaient une classe de Théurgistes ou d'initiés Chaldéens.
Il est établi dans Isis Dévoilée que Jésus appartenait à cette classe.
Paul déclare que "Selon la grâce de Dieu qui m'a été donnée, j'ai posé le fondement comme un sage maître- constructeur" (1 Corinth., III, 10).
Cette expression de maître-constructeur, employée une fois seulement dans toute la Bible, et par Paul, peut être considérée comme une révélation complète. Dans les Mystères, on donnait à la troisième partie des rites sacrés le nom d'Epopteia, ou révélation, admission aux secrets. En substance, ce mot veut dire le plus haut état de clairvoyance – la clairvoyance divine... mais le vrai sens du mot est "avoir l'œil sûr", d'όπτοµαι, – "Je me [V 140] vois moi-même". En sanscrit, la racine âp avait à l'origine, le même sens, bien qu'on la traduise aujourd'hui par "obtenir 227"
227 Dans son interprétation la plus étendue, le mot Sanscrit a le même sens littéral que le mot Grec ; tous deux impliquent une "révélation", par aucun agent humain, mais grâce à la "réception de la boisson sacrée". En Inde, l'initié recevait le "Sôma", boisson sacrée qui l'aidait à libérer son âme de son corps, et dans les Mystères d'Eleusis, c'était la boisson sacrée offerte durant l'Epopteia. Les Mystères Grecs sont entièrement dérivés des rites Brahmaniques Védiques et ceux-ci des Mystères religieux Ante-Védiques de la primitive Philosophie Sagesse.
Le mot epopteia est composé de έπὶ "sur" όπτοµαι "regarder" et désigne un surveillant, un inspecteur – il est aussi employé pour "maître-constructeur". Le titre de maître-maçon de la Franc-Maçonnerie, en dérive, dans le sens qu'il avait dans les Mystères. Aussi, lorsque Paul s'intitule "maître-constructeur", il emploie une expression éminemment cabalistique, théurgique et maçonnique, qu'aucun autre apôtre n'emploie. Il se révèle ainsi comme un adepte, ayant le droit d'initier les autres.
Si nous cherchons dans cette direction, en ayant sous les yeux ces deux guides sûrs, les Mystères grecs et la Cabale, il nous sera facile de découvrir le motif secret pour lequel Paul fut si persécuté et si haï par Pierre, Jean et Jacques. L'auteur de l'Apocalypse était un cabaliste juif pur sang, ayant hérité de toute la haine de ses ancêtres pour les mystères païens 228. Durant la vie de Jésus, sa jalousie s'étendait même jusqu'à Pierre et ce n'est qu'après la mort de leur maître que nous voyons les deux apôtres – dont le premier portait le titre et le Pétaloun des Rabbins juifs – prêcher avec tant de zèle la circoncision. Aux yeux de Pierre, Paul qui l'avait humilié et qu'il sentait lui être si supérieur en "science grecque" et en philosophie, devait naturellement apparaître comme un magicien, un homme contaminé par la "Gnose" et par la "Sagesse" des Mystères grecs – de là peut-être le nom de "Simon le Magicien", à titre de comparaison et non comme surnom 229.
228 Il est inutile, de rappeler que l'Evangile selon saint Jean ne fut pas écrit par Jean, mais par un Platonicien ou par un Gnostique appartenant à l'école Néoplatonicienne.
229 Ibid. loc. cit. Le fait que Pierre persécuta "l'Apôtre des Gentils" sous ce nom, n'implique pas nécessairement qu'il n'exista pas un individu du nom de Simon le Magicien et distinct de Paul. Ce nom a pu devenir un terme générique d'insulte. Théodoret et Chrysostome, les premiers et les plus féconds commentateurs du Gnosticisme de cette époque, paraissent réellement faire de Simon un rival de Paul et déclarent qu'ils échangèrent de fréquents messages. Le premier, comme ardent propagateur de ce que Paul appelle l'antithèse de la Gnose" (I Epître à Timothée), doit avoir constitué une douloureuse épine dans le flanc de l'apôtre. Il existe des preuves suffisantes de l'existence réelle de Simon le Magicien. [Voir note Isis Dévoilée, III, p. 124]