DEFINITION D'UNE PLANETE

Ecrit en collaboration avec Michael E. Brown de Caltech, dessins planétaires de T.Lombry

Introduction

Qu'est-ce qu'une planète ?
Ainsi que nous l'avons expliqué dans les généralités, l'Académie Nationale des Sciences américaine définit une planète comme étant un corps de moins de 2 masses joviennes gravitant autour d'une étoile. Et de fait, autour du Soleil gravitent dix planètes en tenant compte de Xéna, 2003 UB313 découverte en 2005. Mais historiquement, en 2003 Sedna avait déjà été décrétée comme étant la 10eme planète du système solaire... Comment une planète peut-elle ainsi voir son titre usurpé ?

Cela vient du fait qu'il n'existe pas de définition scientifique du mot "planète". Pour le dictionnaire il s'agit d'un "objet céleste compact, dépourvu de réactions thermonucléaires, gravitant autour du Soleil ou, par extension, d'une étoile". On peut donc en conclure par extension que tout corps céleste inférieur à deux masses joviennes et ne produisant pas sa propre lumière est une planète. Si nous prenons l'exemple de la Terre, effectivement elle est 317 fois plus légère que Jupiter et ne fait que réfléchie la lumière qu'elle reçoit du Soleil. Jupiter en revanche émet 2.5 fois plus de rayonnement qu'il n'en reçoit mais il n'agit pas de lumière. Ouf ! C'est donc bien une planète. Mais qu'en est-il advenu de Sedna qui usurpa un temps le titre de 10eme planète ? Elle répond pourtant aux mêmes critères mais les astronomes l'ont exclue du club fermé des planètes. Notre définition manque donc clairement de précision.

La question serait-elle liée à la taille minimale de l'astre ? Pas uniquement. De quelles propriétés peut-il s'agir ? Je vous laisse y réfléchir quelque secondes.
D'un autre côté nous n'avons pas réellement besoin d'une définition car ce mot est tellement commun que même un enfant en âge de raison comprend très bien de quoi il s'agit et fait bien la distinction entre une étoile et une planète. Mais tout astronome a besoin de construire une définition scientifique qui peut s'avérer parfois assez éloignée de la définition communément admise.

Quatre définitions

Nous allons devoir faire une distinction entre la signification populaire du mot "planète" et tout le charroi historico-culturel qu'elle véhicule et sa définition purement scientifique. Michael Brown et ses collègues de Caltech, très impliqués dans la découverte de la 10eme planète et des KBO ont trouvé 4 définitions du mot "planète", allant du plus simple mais non moins rigoureux au plus complexe :


1. Point vue purement historique.

Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton sont des planètes et aucune autre de plus. Mais confrontée aux scientifiques, cette définition échoue lamentablement à définir son objet d'étude. En effet, que devons-nous faire si un jour nous découvrons une planète plus grosse que Pluton ? Et si nous avons décrété que Pluton est une planète, pourquoi Sedna qui représente les 3/4 de sa taille ne serait-elle pas également une planète ? Poser des critères de manière aussi arbitraire ne pourra jamais satisfaire personne et certainement pas les astronomes.

2. Historique mis à jour.
On peut envisager des raisons historiques tenant compte des dernières découvertes. Dans ce cas Mercure jusque Pluton sont des planètes ainsi que tout nouvel objet plus grand que Pluton. Brown ainsi que probablement la majorité des astronomes acceptent cette définition qui, soi dit en passant, est la définition la plus logique et communément acceptée par le public. C'est ainsi que si Sedna avait été plus volumineuse que Pluton, tout le monde aurait été d'avis de la considérer comme la 10eme planète.
Malheureusement cette définition ne résiste pas non plus à une critique scientifique. En effet, pourquoi la taille de Pluton constituerait-elle un seuil ? Y a-t-il une différence de taille si importante entre Pluton (2274 km), Sedna (~1700 km) et Quaoar (1280 km) pour décréter arbitrairement que la première est une planète et pas les autres ? L'astronome est forcé de répondre non.



Xéna, la 10eme planète et son satellite Gabrièlle.

3. La sphère gravitationnelle.
Tout objet arrondi en raison de sa force gravitationnelle, qui ne produit pas sa propre lumière et qui gravite directement autour du Soleil, et par extension d'une étoile, est une planète. Cette définition est très différente et fait appel à des propriétés physiques. Elle est scientifique, également valide historiquement et par la plus grande coïncidence elle détermine une ligne de démarcation entre les objets arrondis et ceux en forme de "patate" juste un peu plus petits que Pluton. Pourrait-on alors utiliser cette définition et considérer qu'une planète est un astre arrondi qui ne fait que réfléchir la lumière de son étoile ? Dans ce cas nous devons admettre que Sedna et Quaoar ainsi que l'astéroïde Cérès et probablement quelques KBO sont par définition des planètes. Pour Michael Brown si cet amendement est le seul prix à payer pour obtenir une définition qui se base sur de solides arguments scientifiques, il est partant.
Malheureusement, cette définition échoue également face à la question scientifique. Historiquement parlant le critère de sphéricité est apparu suite à une coïncidence. Cérès fut initiallement considérée comme une planète car c'était le seul objet que l'on avait découvert entre Mars et Jupiter. Comme son emplacement obéissait à la loi de Titius-Bode, tout le monde accepta ce nouveau membre comme un fait accompli. Jusqu'au jour où de nouveaux astéroïdes furent découverts et que les astronomes se rendirent compte qui peuplait tout l'espace situé entre les deux planètes. Il s'en fallut de peu que le système solaire contienne dix mille planètes ! De statut de planète Cérès est donc passée à celui de membre de la Ceinture des astéroïdes.

Une (exo)planète est reconnaissable à sa forme sphérique; il s'agit d'un planétoïde. Mais tous les planétoïdes ne sont pas des (exo)planètes, c'est notamment le cas des milliers d'astéroïdes et de KBO. A gauche, représentation du système Bêta Pictoris, au centre une éclipse partielle de soleil vue depuis l'espace et à droite le système Tau Ceti. Documents T.Lombry.
D'un autre côté, le critère physique à son importance car la sphéricité est étroitement liée à la masse et donc à la taille du corps. Il serait donc intéressant de conserver ce critère qui décrit une classe particulière d'objets du système solaire.
Mais si historiquement toutes les planètes se sont avérées rondes, tout scientifique sait bien que tous les objets ronds ne sont pas des planètes, sans quoi il y aurait des luminaires parmi les planètes... voyez ce que je veux dire (cf la Bible et sa référence au Soleil).
Nous devrions trouver un meilleur mot pour décrire ces objets. Sphéroïdes ? Gravisphères ? Aujourd'hui ces objets n'existent pas dans le cortège planétaire et les astronomes préfèrent utiliser le néologiste "planétoïde" pour décrire un objet rond en orbite autour du Soleil. Toutes les planètes sont des planétoïdes mais tous les planétoïdes ne sont pas des planètes.

4. Les classes de populations.
Cette définition du terme "planète" est la plus complexe mais également la plus satisfaisante d'un point de vue scientifique. Une population est un ensemble d'individus appartenant à la même espèce. Dans notre contexte il s'agit d'un ensemble d'objets solitaires partageant les mêmes propriétés. Sachant cela, l'une des populations les plus connues est la Ceinture des astéroïdes. Sa population est localisée dans une zone délimitée de l'espace et contient des corps dans une gamme continue de dimensions allant de l'objet modérément grand (Cérès, 1025 km) en passant par la poignée d'objets plus petits (Vesta, Pallas, Hermione, ~550 km) jusqu'à l'immense quantité d'objets extrêmement petits (rochers, particules de poussières).
Les individus solitaires sont très différents. Dans leur région de l'espace, ils sont soit isolés (comme la Terre) soit font partie d'un ensemble d'objets beaucoup plus petits (par exemples les astéroïdes NEA) sans population continue entre eux, à l'inverse de ce qu'on observe par exemple dans la Ceinture des astéroïdes. La taille entre deux astéroïdes n'est jamais supérieure à un facteur 2. A l'inverse, entre la Terre (12756 km) et disons l'astéroïde Ganymède (41 km) qui ère dans la région, la différence atteint un facteur 311 ! De Mercure à Neptune, les planètes font partie des individus solitaires par définition. Pluton et Quaoar n'en font pas partie.
Récemment, suite à la découverte des KBO, les planétologues se sont rendus compte que Pluton est de toute évidence membre de la population de la Ceinture de Kuiper car il présente les mêmes caractéristiques orbitales que Quaoar, 2004 DW ou Varuna par exemple qui sont légèrement plus petits.


Sedna, un KBO.

Et que devient Sedna ? Ainsi que nous l'avons dit dans l'article qui lui est consacré, comme toute déesse elle réside à part dans son royaume. Sedna est à ce jour la seule représentante connue à cette vitesse orbitale. Les astronomes pensent toutefois qu'ils devraient bientôt découvrir d'autres corps similaires. Michael Brown suggère donc de classer Sedna parmi les membres d'une grande population en devenir telle que les "Objets du Nuage interne de Oort" plutôt que tel un objet solitaire mais certainement pas comme une planète. Cette classification évite de faire marche arrière dans dix ans et de devoir reclasser Sedna lorsque les astronomes découvriront d'autres objets de cette famille ! Etant donné qu'il existe une distinction scientifique claire entre les individus solitaires et les membres des grandes populations, il n'est pas inutile d'inventer des mots pour décrire ces objets.

Nous pouvons décrire les grandes populations de petits corps en fonction de leur population (Ceinture d'astéroïdes, Ceinture de Kuiper, Nuage interne de Oort, Nuage de Oort) tout en sachant très bien qu'il peut y avoir ses sous-ensembles dans ces populations (comme il en a en biologie). Que faire des individus solitaires ? N'y a-t-il pas de meilleur mot pour les qualifier que celui de "planète" ?


Commentaires

A la lumière de cette quatrième définition, examinons en détails la description du mot "planète". Tout d'abord, elle n'est pas "pire que la précédente" quoiqu'en disent certains critiques. De fait elle est plus complexe mais elle est scientifiquement plus claire et rassemblera probablement tout le monde autour d'une définition qui ne laisse planer aucun doute sur la nature des planètes.
En effet, notre 4eme définition tient compte des populations. Elle est motivée scientifiquement parlant et bien fondée sur des arguments physiques objectifs. Mais la définition de "gravisphère" l'était tout autant.

Existerait-il un un fondement historique nous permettant de dire qu'une planète est un objet solitaire qui n'est pas membre d'une grande population ? Oui ! Ainsi que nous l'avons expliqué, historiquement Cérès fut classé parmi les planètes, mais dès que l'on découvrit l'existence d'autres corps ayant des orbites similaires, on changea son statut.
Historiquement, il existe donc une distinction claire entre planètes et populations. Toute définition qui ne permet de faire cette distinction échouera donc devant le verdict de l'Histoire. C'est ainsi que Pluton fut originellement considérée comme un objet solitaire. Avec le temps, de nombreux objets présentant ses caractéristiques ont été découverts et les astronomes réalisent aujourd'hui qu'il fait en réalité partie d'une grande population, celle des KBO. Historiquement donc, en tenant compte des récentes découvertes, Pluton ne devrait plus être considérée comme une planète.


Gros-plan sur une terre du ciel habitée.

Nous voici donc avec un concept du mot "planète". Tout objet du système solaire peut assez naturellement être classé soit comme individu solitaire soit comme membre d'une grande population. Les individus sont les planètes. Les populations ne sont pas des planètes. Cette définition épouse notre désir historique de distinguer les astéroïdes des planètes et satisfait notre curiosité scientifique.
Aucune méthode de classement n'est parfaite. Une navette spatiale peut être classée à la rubrique Astronautique comme à Transport. On peut toujours imaginer (ou même trouver) des "scénarii pathologiques" comme les qualifie Michael Brown ou notre classification si laborieusement établie échouera.
A l'inverse, les trois premières définitions sont beaucoup plus rigoureuses et ne devront jamais être affinées puisqu'elles excluent à peu près tout pour des raisons on ne peut moins scientifiques !


Saturne et Titan.

Mais leurs qualités ne sont pas vraiment des avantages. A mesure que notre connaissance du système solaire s'améliorera, notre langage, tant populaire que scientifique, devra s'adapter afin d'exprimer nos connaissances de la manière la plus précise qui soit. Selon Michael Brown et son équipe, la classification en population suffira pour classer tous les objets que l'on découvrira encore dans le système solaire, mais ils ne demanderaient pas mieux que de découvrir un objet qui défierait tous les classements et les forcerait à complètement repenser la question de savoir "qu'est-ce qu'une planète ?".
Si la plupart des gens étaient près à passer de 9 à 10 planètes (2eme définition) dès l'annonce de la découverte de Sedna, c'est aujourd'hui chose faite avec Xéna. Toutefois il semble peu probable que beaucoup de personnes seraient heureuses si les astronomes annonçaient subitement "nous avons décidé qu'il y a 23 planètes dont voici la liste" ou s'ils décidaient de supprimer Pluton de cette liste.

Culturellement, je me rappelle que l'annonce faite en 2003 que Sedna était la 10eme planète m'avait quelque peu surpris car je ne comprenais pas sur quel(s) critère(s) avait été fondé cette décision. Le temps a heureusement rétablit la donne.
Malgré des années de débat, le statut de Pluton n'est toujours pas tranché et tous les astronomes ne partagent pas l'idée de l'exclure du petit club fermé des planètes. Mais je dirais que débattre de son statut est un peu normal dans la mesure où physiquement sa taille et ses propriétés la situe à la limite entre deux classes, individu isolé et membre d'une population.

Cependant son statut de planète est bien ancré. Pluton est traitée comme une planète sur les sites officiels de la NASA pour ne citer que "The Nine planets", des trucs mnémoniques permettent de les retenir (notamment "Me Voici Toute Mignonne, Je Suis Une Nouvelle Planète Xéna), elles figurent toutes sur des timbres et tous les sites d'astronomie l'ont imposée comme planète à part entière. En fait, quand bien même les astronomes voudraient soustraire Pluton à son statut, ils constateraient que le mot "planète" ne leur appartient plus car il s'entoure d'un sens historique et culturel très complexe.
Bien sûr il n'est pas impossible qu'une nouvelle génération de chercheurs bouscule une nouvelle fois nos habitudes. Mais jusqu'à nouvel ordre tout objet plus grand que Pluton et n'assurant pas son propre rayonnement lumineux est une planète. Une planète culturelle, une planète historique si vous voulez.


Exoplanètes gravitant près d'un jeune amas d'étoiles entouré de gaz.

Je ne dirai pas qu'il s'agit d'une planète scientifique parce que Michael Brown et son équipe reconnaissent qu'il n'existe pas de définition scientifique qui épouse à la fois les conditions rencontrées dans le système solaire et notre culture. Comme il l'a écrit "pour une fois j'ai décidé de laisser gagner la culture. Nous, scientifiques, pouvons continuer nos débats, mais j'espère que nous serons globalement ignorés".
La question est donc entendue : en 2005 il existe donc 10 planètes dans le système solaire et une quirielle d'autres populations de petits corps.