FEE (suite 2)

Esprits élémentaires et forces de la nature

Bon nombre de fées personnifient des forces de la nature et peuvent avoir pour fonction de la protéger ou de symboliser ses attraits comme ses dangers[36]. Il est universellement reconnu que les fées ne sont jamais liées aux zones urbaines, mais plutôt à la nature, et particulièrement aux forêts, collines et points d'eau[37]. Gaston Bachelard, notamment, a attribué aux Éléments naturels une existence autre que physique, ayant trait à leur symbolisme, à leur côté poétique et aux créations imaginaires qu'ils suscitent, comme celle des fées[38]. Certains cultes à la nature sont à l'origine de croyances féeriques, un peu partout dans le monde[39].

Fées des eaux

Du côté gauche de la peinture se tient une sirène. Assise sur une berge, elle observe une fillette nue qui vient vers elle du côté droit. En arrière-plan se trouve une paroi rocheuse.

 

Les sirènes font partie des fées aquatiques selon Pierre Dubois. Ici, The Land Baby de John Collier, 1899.

Les fées des eaux sont universellement connues, et incluent les sirènes, les nixes, les ondines, la vouivre, les Marie Morganes[40], la Rusalka, Vila, et même Mélusine, Morgane ou la Dame du lac à l'origine. Claude Lecouteux cite un grand nombre d'êtres anthropomorphes cachées sous les eaux à guetter le passage d'imprudents pour les dévorer, dans le folklore germanique[18]. Il semblerait que les naïades, les néréides et les sirènes de la mythologie grecque soient aussi à l'origine de la « fée des eaux »[41]. La folkloriste Françoise Morvan a étudié ces créatures féminines qui, depuis des siècles, hantent les traditions populaires et donnent naissance à des récits étranges, qui ont eux-mêmes servis de source au romantisme européen[42]. La mer primordiale étant un élément féminisé, la perception symbolique des rivières, sources et lacs est alors la même, celle d'un élément féminin qui influence la représentation des fées aquatiques comme superbes femmes à la longue chevelure flottante. Les fées des eaux ont toutes été diabolisées par le christianisme médiéval[43].

Fées des végétaux

Wistman's Wood, dans la forêt du Dartmoor, est un lieu que l'on dit fréquenté par les fées.

Les fées des végétaux, de la minuscule pillywiggin anglaise protectrice des fleurs à la dame verte de Franche-Comté[44], sont très nombreuses. Le culte des arbres est attesté avant la christianisation, preuve que le règne végétal est personnifié et considéré (en quelque sorte) comme « fée » depuis l'Antiquité[45]. Alfred Maury assure que le respect religieux avec lequel les anciens Celtes pénétraient dans les forêts est dû à leur considération comme demeure des divinités[46]. Les dryades et hamadryades, à l'origine divinités mineures du culte des arbres et de la forêt dans la mythologie grecque, sont parfois vues comme des fées[47]. La blanche biche des légendes médiévales, qui apparaît au milieu des forêts et pousse les hommes à la suivre, est encore une fois liée aux fées[48] puisque dans ce type de légende, la poursuite d'un gibier blanc (biche, cerf, lièvre ou sanglier) en pleine forêt mène à leur royaume[49].

Cette association des fées aux forêts est due au fait qu'il suffit d'entrer dans une forêt pour ressentir l'impression de « s'enfoncer dans un monde sans limite », d'après Gaston Bachelard. Pierre Dubois interprète cette sensation comme une ouverture aux rencontres féeriques[50].

La croyance populaire associe les forêts de Huelgoat, de Fouesnant, de Brocéliande (la forêt de Paimpont), du Dartmoor et du Devon (Wistman's Wood), ainsi que les landes écossaises et Irlandaises (telles Glendalough) aux demeures des fées, assurant que ces créatures s'y trouvent encore[49].

Changelings

Un changeling (ou changelin) est un être féerique substitué à un enfant, dont la légende est connue dans toute l'Europe de l'Ouest. Les raisons d'un tel échange sont multiples, il peut s'agir d'un tour joué par les fées, du paiement d'une dette contractée par les parents de l'enfant ou de la fascination des fées pour les bébés humains.

Classifications

Selon l'illustrateur et spécialiste anglais Brian Froud, « la classification des fées est notoirement difficile parce que les fées sont des êtres fluides et se métamorphosent, changeantes comme l'humeur ou les pensées de qui les observe »[51]. Ce serait même dangereux selon Pierre Dubois, qui affirme que tenter de classifier le petit peuple serait « la plus grave des impolitesses »[52]. De nombreuses classifications ont toutefois été établies depuis celle de Paracelse : l'allemand Karl Grün, l'auteur des Esprits élémentaires paru en 1891[53], classe ainsi les fées en « déesses du Destin » (à l'origine des personnages qui visitent les demeures au Nouvel An), esprits élémentaires féminins des forêts, collines, rochers et eaux (Makrâlle, Dame Abonde...), et « femmes réputées être des fées », devenues des apparitions aériennes ou des sorcières[54].

L'une des classifications les plus influentes chez le petit peuple est la division entre la Cour Seelie (ou parfois « Cour de l'Eté » ou « des Lumières ») et la Cour Unseelie (ou parfois « Cour de l'Hiver » ou « des Ténèbres »), d'après le folklore écossais et dont parle Brian Froud[55]. Cette distinction accentue l'étrangeté de ces créatures, et se différencie d'une distinction plus manichéenne présente dans les folklores scandinave et écossais, qui transposent sur le petit peuple les valeurs d'une morale humaine (bien et mal) et différencient créatures « bienveillantes » et « malveillantes »[14].

Paracelse

L'alchimiste Paracelse associe un certain nombre de créatures féeriques aux quatre éléments, dans Astronomia magna et Le livre des nymphes, des sylphes, des pygmées, des salamandres et de tous les autres esprits[56]. Il voit dans les nymphes des habitantes des eaux et dans les sylphes ceux de l'air.

« Le mot inanimatum désigne six familles d'hommes sans âme... Ces hommes sans âme sont d'abord ceux des quatre familles qui habitent les quatre Éléments : les nymphes, nymphae, filles de l'eau ; les fils de la terre, lémures, qui habitent sous les montagnes ; les esprits de l'air, gnomi ; les génies du feu, vulcani. Les deux autres familles sont composées d'hommes qui sont également nés sans âme; mais qui, comme nous, respirent en dehors des Éléments. Ce sont d'une part les géants et d'autre part les nains qui vivent dans l'ombre des forêts, umbragines... [...] Tous ces êtres sans âme sont produits à partir de semences qui proviennent du ciel et des Éléments, mais sans le limon de la terre... Ils viennent au monde comme les insectes formés dans la fange [par génération spontanée]. »

— Paracelse, La grande astronomie[57]

Seelie

Les fées Seelie sont vues comme plus gentilles envers les humains. « Seelie » signifie « béni » ou « saint », il est semblable au mot allemand « selig » et au mot de vieil anglais « sælig » (l'ancêtre du mot anglais « silly » : « joyeux », « inoffensif » ou « bénéfique »). En irlandais, le mot s'épèle « seleighe ». Elles rechercheraient l'aide des humains, mettant en garde ceux qui les ont offensées involontairement et répondant en retournant des faveurs. Pourtant, une fée qui appartient à cette cour se venge des insultes et demeure capable de malice[58]. Selon Briggs, elles apprécient jouer des tours mais restent dans le fond très gentilles et généreuses[59]. Le meilleur moment de la journée pour les voir serait le crépuscule[60]. Le hobgoblin est l'une des fées Seelie les plus communes (Puck du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare est probablement le plus connu). Le brownie, les selkies et les leprechauns sont aussi des fées Seelie.

Unseelie

Les fées Unseelie (du gaélique Seelie, béni, avec le préfixe privatif un) sont les plus malintentionnées envers les humains. Généralement hideuses, solitaires, capables d'attaquer des personnes sans raison, elles se soumettent rarement à une quelconque autorité[61]. La nuit, ces fées formeraient des bandes pour attaquer les voyageurs : projetés dans les airs, ils sont battus et forcés à tirer des projectiles elfiques vers des troupeaux de vaches[62],[63]. Tout comme les fées Seelie ne sont pas toujours bienveillantes, les fées Unseelie ne sont pas toujours mauvaises, mais lorsqu'elles ont le choix, elles préfèrent blesser les humains plutôt que de les aider. Les Fuathan, le Red Cap, les boggarts et les buttery spirits font partie des fées Unseelie[64].

Trooping fairies et solitary fairies

 

Carterhaugh, en Écosse, serait le lieu où la troupe des fées de la légende de Tam Lin vient à passer.

William Butler Yeats a partagé les fées en solitary fairies « fées solitaires » et en trooping fairies « fées en troupe » dans Fairy and Folk Tales of the Irish Peasantry (1888)[65], toute sa conception de l'univers féerique étant basée sur cette classification, qui n'avait jamais été évoquée par les folkloristes irlandais auparavant[66]. James Macdougall (dans Folk Tales and Fairy Lore) et Katharine Mary Briggs mentionnent cette distinction. Les fées qui apparaissent en groupe pourraient constituer des colonies[14]. Katharine Mary Briggs a fait remarquer qu'un troisième classement pourrait être nécessaire pour les « fées domestiques » qui vivent dans les maisons, même si elles se joignent à d'autres fées pour danser par exemple[67]. L'aristocratie du monde féerique appartient aux trooping fairies[62]. Leur nom provient du fait qu'elles circulent en de longues processions (des troupes), telle celle dont Tam Lin a été libéré[68]. Une fée de ce groupe peut être grosse ou petite, amicale ou sinistre[67]. Au contraire des trooping fairies, les solitary fairies vivent seules et sont réputées mauvaises et malicieuses, les brownies exceptés puisqu'ils aideraient aux tâches ménagères[67].

Fées issues de cultures non-occidentales

La fée est originellement spécifique à l'Europe de l'Ouest, mais l'utilisation du nom et la symbolique attachée font que le mot « fée » a pu être utilisé pour désigner des créatures issues de cultures différentes, remplissant les mêmes fonctions. En Malaisie, sous le nom de pari-pari (en Malais) ou peri (en Indonésien), on retrouve des créatures exquises, ailées, entre les anges et les esprits maléfiques, qui visitent parfois le royaume des mortels, viennent en aide aux personnes dotées d'un cœur pur et sont liées à la nature. Walter Scott dit, sans certitude, qu'elles étaient originellement des fées dans son ouvrage Démonologie et sorcellerie, paru en 1832[69]. Les créatures liées à la mythologie Shinto et au folklore japonais, telle que le kappa, sont également très proches des fées et remplissent les mêmes fonctions[70], tout comme Matergabia et les Poludnitsa de la mythologie slave, ou encore les Suchi du Pakistan.

Apparence et nature des fées

La peinture montre une petite fée aux ailes de libellules dont la tête cache en partie le Soleil. Elle se tient dans un décor brumeux.

 

Dans le folklore anglais influencé par l'époque victorienne (et contrairement au folklore français), les fées sont perçues comme de petits êtres ailés. Spirit of the Night de John Atkinson Grimshaw, 1879.

L'apparence et la nature supposées des fées ont largement évolué au fil du temps, et présentent des différences en fonction des pays. L'écrivain C. S. Lewis a noté que celles-ci peuvent être perçues comme des revenantes, une forme de démon, une espèce totalement indépendante des humains, ou même des anges[71].

Dans la littérature médiévale française, les fées sont des femmes parfaites qui ne présentent aucun attribut physique différent des humains : celles du XIIe siècle apparaissent grandes, blondes, et d'une beauté sans égale. Elles sont distinguées davantage par leurs habitudes et occupations que par leur physique. Les ailes et la baguette magique sont des ajouts des auteurs de l'époque classique[6]. Le Dictionnaire Bouillet, au XIXe siècle dit qu'on les représente tantôt sous la figure d'une femme jeune, belle, couverte d'habits magnifiques, tantôt comme une vieille ridée et couverte de haillons, parfois armées d'une baguette magique, instrument de leur puissance surnaturelle. Enfin, sans être immortelles, elles ont une existence de plusieurs milliers d'années. La plupart du temps, les fées semblent porter des vêtements correspondant à leur époque, toutefois, les lais des XIIe et XIIIe siècles les présentent dévêtues, en relation avec l'érotisme de la fée amante[29]. En Angleterre, les vêtements des fées sont verts[72], tout comme ceux des dames vertes en Franche-Comté.

À la gauche de la photo, un chevalier qui semble blessé est supporté par une femme, les deux étant assis par terre. À la droite, une fée en position debout brandit une baguette.

 

La présence d'ailes et d'une baguette magique chez les fées est apparue à l'époque classique, et en est devenue une caractéristique populaire. Scène du film de 1918 Queen of the Sea.

Dans les croyances germaniques, les fées peuvent être très laides et posséder des attributs monstrueux tels que des écailles et des cheveux en soies de porc, ou alors se révéler comme des femmes d'une beauté incomparable[18]. Dans la culture populaire anglo-saxonne (notamment en Angleterre), les fées sont souvent dépeintes comme de jeunes femmes, parfois ailées et généralement de petite taille (un héritage du XVIe siècle et notamment du Songe d'une nuit d'été qui a popularisé cette idée[73]). Elles étaient à l'origine représentées très différemment, de la grande créature lumineuse et angélique à la petite créature ratatinée à l'allure de troll. Leur taille va du minuscule, comme les pillywiggins qui mesureraient un centimètre, à celle d'un enfant humain[74]. Toutefois, cette petite taille est le résultat de leur magie plutôt qu'une caractéristique naturelle[75]. Les ailes, qui sont un élément si commun dans les représentations d'artistes à l'époque victorienne, et plus tard un attribut indissociable de la fée anglo-saxonne, sont très rares dans le folklore. Les fées, même de très petite taille, sont censées voler grâce à la magie, parfois sur des tiges de séneçon ou sur le dos des oiseaux[76]. Au début du XXIe siècle, ces fées sont souvent représentées avec des ailes d'insecte ordinaire, comme le papillon.

Revenantes

À la gauche du dessin, un homme malade ou mourant est allongé dans un lit. Au centre, une femme s'éloigne à la course d'une femme masquée et habillée en blanc qui se tient à la droite du dessin.

 

La dame blanche est à la fois vue comme une fée et comme un fantôme (Apparition d'une dame blanche au chevet d'un mourant, Labeauce et Minne, 30 septembre 1857).

Une croyance populaire, rapportée par Katharine Mary Briggs, décrit les fées comme une forme de revenantes[77]. La banshee irlandaise, bean sí en gaélique irlandais et bean shìth en gaélique écossais, est quelquefois dite être une fée, d'autres fois un fantôme[78], tout comme la dame blanche[79] qui prédit la mort des rois[36]. Le Cauld Lad of Hylton du Nord de l'Angleterre, décrit comme un petit garçon assassiné, est un autre esprit de la maison semblable aux brownies[80], apparaissant la plupart du temps sous la forme d'un Barghest ou d'un elfe[81]. Un conte mentionne un homme, capturé par les fées, et qui constate un jour, alors qu'il en regarde une fixement, que la fée est l'un de ses voisins morts[82]. Cette conception de la fée en tant que revenante serait l'une des plus courantes dans les pays anglo-saxons, bien que la plupart des personnes s'étant exprimées sur le sujet aient également mentionné leurs doutes[83]. Il existe d'étroites similitudes entre le monde féerique, tel qu'il est perçu par le folklore, dans lequel s'élèvent des châteaux et vivent des fées en tous points semblables à des femmes magnifiques, et le sidh de la mythologie celtique, que l'on nomme également l'« Autre Monde », et où les morts sont en tous points semblables aux êtres humains[84].

Élémentaires

Fées transparentes et éthérées sur une peinture. Formant une file, leur attention est attirée vers la gauche d'où sort une lumière.

 

Les fées peuvent être vues comme des esprits de l'air ou des êtres éthérés (Fairies Looking Through A Gothic Arch par John Anster Fitzgerald).

Une autre perception des fées en fait une espèce distincte des humains et des anges, dotée d'intelligence[85]. En alchimie, tout particulièrement, on trouve la mention d'élémentaires comme les gnomes et les sylphes, tels qu'ils ont été décrits par Paracelse[86]. Cette conception est rare dans le folklore, mais quelques occurrences décrivant les fées comme des esprits de l'air ont connu une certaine popularité[87].

Le révérend Robert Kirk de la paroisse d'Aberfoyle, à Stirling en Écosse, a écrit un ouvrage majeur consacré aux connaissances féeriques en 1691, La République mystérieuse des elfes, faunes, fées et autres semblables, dans lequel il les décrit en temps qu'élémentaires :

Fée ailée volant sur le dos d'un insecte.

 

Fée anglaise volant sur le dos d'un insecte (illustration pour Princess Nobody par Richard Doyle, vers 1884).

Anges ou démons

« Entre le bien et le mal, l'archange et le daymon, la légende découvre un être. Cet être, c'est la Fée. Entre l'Eden et les Enfers, la légende rêve d'un monde. Ce monde est peuplé par les Fées. Entre la lumière et les ténèbres, la légende crée un crépuscule. Ce crépuscule devient la Féerie. »

— Pierre Dubois, La Grande Encyclopédie des fées[90]

Une autre croyance voit dans les fées une classe particulière d'anges déchus[91]. Cette croyance peut expliquer la tradition selon laquelle les fées ont dû payer une dîme à l'enfer, parce qu'elles étaient considérées comme des anges déchus, mais pas tout à fait comme des démons[92]. L'association des fées aux anges, moins courante qu'avec les revenants, a cependant acquis une certaine popularité, en particulier dans les cercles théosophiques tel que le rapporte l'anthropologue et théosophe Walter Evans-Wentz[93],[94]. Les sources décrivant la nature des fées ont parfois soutenu les deux thèses d'ange déchu (troisième point de vue) et de démon (quatrième point de vue) simultanément, ou bien ont noté que la question est controversée[93].

Nature humaine

Deux fées se prélassent sur l'herbe en bordure d'un cours d'eau.

 

Les Huldres, fées réputées d'origine humaine. Huldra's Nymphs par Bernard Evans Ward.

Une croyance plus rare voit dans les fées des êtres humains, mais cachés. Un conte populaire dit comment une femme avait caché certains de ses enfants au regard de Dieu, puis se mit à les chercher en vain car ils étaient devenus le peuple des fées. L'histoire des Huldres scandinaves présente un fort parallèle, bien qu'elle soit plus développée[95]. En Irlande, les fées seraient les enfants qu'Adam et Ève n'ont pas présentés à Dieu[69].

Pouvoirs et attributs

Différents petits être luminescents, probablement des fées, font la danse sous l'œil attentif d'un être plus grand.

 

« Come, now a roundel », illustration de la danse des fées vue par Arthur Rackham en 1908 pour Le Songe d'une nuit d'été.

Dans un champ alors que le Soleil semble se lever, plusieurs êtres féeriques se tiennent par la main en exécutant des mouvements complexes. En arrière-plan de la peinture, un cavalier les observe.

 

Ängsälvor (Elfes dans un pré) par Nils Blommér, 1850.

Habitudes et comportements

Les habitudes des fées sont connues depuis les premiers écrits du Moyen Âge, en passant par la matière de Bretagne, les contes de fées et le folklore plus récent. Ainsi, la rencontre fortuite avec une fée ne se révélerait pas toujours bénéfique. L'un de leurs passe-temps favoris est de jouer des tours inoffensifs, par exemple en emmêlant les cheveux des dormeurs (ce sont les fairy locks ou elf-locks), en volant de petits objets ou en conduisant un voyageur à s'égarer. Des comportements beaucoup plus dangereux leur sont attribués : l'enlèvement par des fées provoquerait une forme de mort subite, et le cadavre de la victime demeurerait dans les bois avec l'apparence de la personne enlevée[96]. Les fées sont également réputées forcer de jeunes hommes et femmes à danser toute la nuit, jusqu'à ce qu'ils dépérissent par manque de repos. Ce tour était considéré alors comme l'une des causes de la tuberculose[97]. Celles qui chevauchent des animaux domestiques (comme les vaches, les porcs ou les canards) pourraient provoquer chez eux l'apparition de mystérieuses maladies ou même de paralysies[98].

Monde parallèle et enlèvements

Les fées sont étroitement liées au concept de monde parallèle, tel qu'il est évoqué dans la mythologie celtique et à travers le mot irlandais sidh. Elles peuvent habiter de merveilleux palais, le plus souvent situés au fond des eaux ou sur une île, telle la mythique Avalon[84]. Dans les récits à leur sujet, ces lieux merveilleux de l'Autre Monde peuvent être découverts par un homme lors d'un voyage ou d'une quête, mais les fées peuvent aussi enlever des humains pour les y conduire. Selon le folklore, personne n'est à l'abri d'un enlèvement féerique et celui-ci peut ne durer qu'un temps ou pour toujours, et se révéler plus ou moins dangereux pour le kidnappé. Une femme qui venait de donner naissance et ne s'était pas encore rendue à l'église était considérée comme particulièrement vulnérable[99]. Les histoires divergent quant au sort des captifs : certains mènent une vie joyeuse, d'autres sont à l'inverse tourmentés, d'autres enfin désirent ardemment revoir leurs vieux amis[100]. Au XIXe siècle, dans Lady Isabel and the Elf Knight, le chevalier-elfe est un avatar de Barbe-Bleue et Isabel doit le tuer afin de sauver sa vie. Tam Lin révèle que le personnage-titre, bien que vivant au milieu des fées et possédant leurs pouvoirs, est en fait un « chevalier terrestre » qui mène une vie agréable mais craint que les fées lui fassent payer la dîme de l'enfer[101]. Sir Orfeo raconte comment la femme de ce dernier est enlevée par le roi de Faerie, et parvient à s'échapper par la ruse, grâce à son excellent jeu de harpe. Sir Degaré raconte l'histoire d'une femme qui vient à bout de son amant féerique, lequel est démasqué comme un mortel dans les versions ultérieures de l'histoire. Dans Thomas le Rimeur, Thomas s'échappe avec moins de difficulté mais passe sept ans au pays des elfes[102].

Dans un bois, une fillette vêtue de blanc aux cheveux longs est précédée d'un troll monstrueux, et un autre troll ferme la marche.

 

Dessin de John Bauer représentant deux trolls en compagnie d'un enfant humain qu'ils ont enlevé.

Une part considérable des légendes associées aux fées mentionne les histoires de changelings, leurre ou enfants de fées que ces dernières abandonnent à la place de bébés humains qu'elles enlèvent dans leur royaume[103].

Nourriture

Une croyance partagée dans bon nombre de folklores veut que consommer la nourriture des fées scelle l'impossibilité de quitter leur royaume, tout comme dans le mythe de Perséphone et Hadès. Cette consigne est souvent donnée aux captifs qui se libèrent du pouvoir des fées grâce à d'autres personnes venues les délivrer : s'ils ont consommé la nourriture des fées, ils ne peuvent pas être libérés[104]. Dans le lai de Guingamor, ce dernier semble pouvoir quitter le royaume des fées bien qu'il y ait mangé, mais lorsqu'il mange une pomme après avoir franchi la rivière qui sépare les deux royaumes, les trois siècles qui se sont écoulés sur Terre le rattrapent[105].

Distorsion temporelle

L'un des aspects les plus dangereux du séjour en contrées féeriques réside dans le fait que le temps s'y écoule différemment. Dans la mythologie celtique, Oisín est mis à mal non par son séjour, mais par son retour : quand il descend de cheval, les trois siècles qui sont passés dans le monde réel le rattrapent, le faisant tomber en poussière[106]. Le roi Herla (Herla cyning), originellement un aspect d'Odin christianisé sous les traits d'un roi, dans un conte de Walter Map, rend visite à un nain dans sa demeure souterraine et en revient trois siècles plus tard. Bien que certains de ses hommes soient tombés en poussière lorsqu'ils mirent pied à terre, Herla et les hommes qui restèrent en selle furent condamnés à ne jamais pouvoir descendre. Ce conte est l'une des origines de la chasse sauvage du folklore européen[107],[108]. On retrouve ce thème dans le lai de Guingamor[105], et de nombreuses autres légendes.

Métamorphoses et illusions

Une caractéristique commune à toutes les fées est l'utilisation de la magie afin de déguiser leur apparence et celle de ce qui les entoure. L'or des fées est universellement connu pour être peu fiable, apparaissant comme de l'or quand il est donné en paiement, puis se révélant comme des feuilles, des ajoncs, des fleurs, des épices, des gâteaux ou une grande variété d'objets inutiles[109]. L'illusion est également implicite dans le conte Fairy Ointment et ses variantes fréquentes en Europe du Nord[110],[111], qui racontent comment une femme humaine est convoquée pour assister à une naissance féerique, ou parfois à l'accouchement d'une femme mortelle capturée par les fées. Invariablement, elle se fait remettre une pommade pour les yeux de l'enfant et on lui demande de l'oindre. Par hasard, ou quelquefois par curiosité, la femme utilise la pommade sur l'un de ses yeux, parfois les deux. À cet instant, elle prend conscience que tout autour d'elle n'était qu'illusion, qu'elle n'assiste pas une riche dame dans une maison cossue, mais sa propre servante qui s'était enfuie, dans une grotte misérable. Elle s'enfuit sans révéler sa nouvelle capacité, mais trahit tôt ou tard le fait qu'elle soit capable de voir les fées. Ces dernières se vengent en la rendant aveugle de l'œil clairvoyant, ou des deux si elle a utilisé la pommade sur les deux[112]. L'onction serait pratiquée par les fées afin de guérir certaines maladies, notamment la folie[113].

Dissuasion

La photo montre un bâtiment en pierre d'un âge certain. Au milieu du bâtiment se trouvent les restes d'une roue en bois.

Les meuniers écossais protégeaient leur moulin et leur four des pillages nocturnes en répandant la rumeur qu'ils sont de connivence avec les fées. Ici, un moulin à eau restauré sur les îles Orcades.

La fée peut aussi être invoquée pour protéger certains lieux. Le meunier, considéré comme « peu futé » par les Écossais, avait toutefois la capacité de contrôler les forces de la nature, comme le feu dans le four et l'eau durant la cuisson, par le biais de plusieurs machines. Les communautés superstitieuses ont cru que le meunier était de connivence avec les fées, qui en Écosse sont souvent malicieuses et à craindre. Personne n'osait mettre le pied au moulin ou au four durant la nuit car il est bien connu que les fées apportent leur blé à moudre dès la nuit tombée. Tant que les gens du pays croyaient cela, le meunier pouvait dormir tranquille, sachant que personne n'oserait tenter de le voler. John Fraser, le meunier de Whitehill, près d'Hamilton, a affirmé s'être caché et avoir vu les fées essayer en vain de moudre. Il a décidé de sortir de sa cachette et de les aider, là-dessus, l'une des femmes-fée lui aurait donné un gowpen (une double poignée de grain) et lui dit de la mettre dans son girnal (magasin) vide, car les réserves resteraient alors pleines pendant une longue période, quoi qu’il en sorte[114].