"Les Vérités Éternelles", L’origine du mal

[Traduction de 3 exposés de Robert Crosbie (fondateur de la Loge Unie des Théosophes) extraits de l’ouvrage The Friendly Philosopher, publication posthume (1934) contenant également des lettres du même auteur. Les prochains Cahiers publieront la suite de la série “Les Vérités Éternelles” d’où proviennent ces textes. (N.d.éd.)]

La théologie chrétienne prétend que le mal fit son apparition dans le monde lorsque le premier homme commit le péché de manger du fruit de l’arbre défendu. Tous les hommes ont péché par l’entremise d’Adam ; à cause de son péché, tous les autres êtres ont été et sont encore des pécheurs. Curieusement, ce premier homme aurait été créé à l’image d’un Être Supérieur, en d’autres termes, il aurait été rendu parfait ; et pourtant, il fut incapable de s’empêcher de faire ce qu’on lui avait interdit. Dans la toute première créature faite à l’image du "Suprême", il y avait donc déjà une tendance à mal agir !

Cette création à partir du néant nous donne l’image d’un Créateur très limité, ce qui est d’ailleurs parfaitement normal pour un être. Aucun être ne peut être infini, suprême, omniprésent. Ce en quoi existent tous les êtres — quel que soit leur niveau d’évolution, qu’il s’agisse de planètes ou de systèmes solaires — c’est l’Espace, qui existe avec ou sans contenu ; qui n’a ni commencement ni fin ; qui est, de toute éternité ; aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des êtres. Tout être est forcément plus petit que l’Espace. L’Absolu pourrait-il être inférieur à l’Espace ? L’absence de limites, l’infinitude sont sans commune mesure avec un être quelconque, et c’est pourquoi il convient d’abandonner le point de vue d’une création par un Créateur.

Mais il nous faut justifier l’existence de tous les êtres — non seulement des êtres humains — mais de l’ensemble des entités, à tous les niveaux et en tous lieux. Quelle est la base de leur existence ? Nous devons remonter à l’origine de toute forme, à l’origine de toutes sortes d’êtres, et constater que tous ont pour origine une Source Unique et lui sont tous identiques. C’est vraiment le Suprême qui réside en chaque être, qui sous-tend chacun d’eux ; toutes les entités de tous les règnes de l’univers sont Ses rayons, identiques à Lui dans leur essence profonde. Il est la Vie, l’Esprit, la Conscience. Chacun est Dieu dans son essence intime.

Sur cette base de réflexion, posons-nous la question suivante : quel est le processus qui amène les choses à l’existence ? Qu’est-ce qui fait fonctionner toutes les formes variées que nous observons ? Consciemment ou non, nous reconnaissons tous que la Loi régit l’univers, mais il nous faut en outre comprendre que la Loi n’est que l’interconnexion, l’interaction et l’interdépendance des actes de tous les êtres existant dans l’univers. La seule loi universelle est celle de l’action et de la réaction, et elle est inhérente à la nature de chaque être, et non pas extérieure à elle. Une potentialité d’action existe dès la Source, mais il n’y a pas d’action tant qu’il n’y a pas d’être pour agir et ressentir les effets de ses actes. Si nous agissons, nous ressentons les effets de nos agissements. Et il en va de même pour le plus grand archange.

Les actes peuvent produire deux sortes de réactions : les bonnes, ou bénéfiques, et les mauvaises, ou maléfiques. Chaque être est entièrement responsable de ses actes. Ainsi, lorsqu’un être particulier se trouve dans une situation quelconque, bonne ou mauvaise, c’est uniquement en raison de ses pensées, de ses paroles et de ses actes, des siens, et non de ceux de quelqu’un d’autre. Bon ou mauvais, ce qui nous échoit constitue toujours notre récolte personnelle ; cependant, à chaque instant de notre existence, nous pouvons choisir entre une bonne et une mauvaise option.

Le bien n’a pas d’existence propre, pas plus que le mal. Ces deux termes se rapportent à des comportements, aux impressions que nous avons. Ils ne font que qualifier les effets qu’ils ont sur nous : pour nous, une chose est "bonne" si elle nous est d’un bénéfice quelconque, et "mauvaise" dans le cas contraire. Qui juge qu’un effet est bon ou mauvais ? Dans tous les cas, c’est la personne elle-même qui dira que telle ou telle chose est bonne pour elle, et telle autre mauvaise, alors qu’une autre personne, dans la même situation, pensera exactement le contraire, parce qu’elle a peut-être un autre point de vue, une autre attitude dans la vie. Ainsi, l’ultime critère est toujours le point de vue individuel ; en dernière analyse, l’homme est le seul juge, la seule autorité suprême quant à ce qui est bon ou mauvais pour lui.

Nous devrions nous demander si nous avons toujours suivi la trajectoire qui nous semblait la meilleure ; et si oui, si nous avons évalué cette ligne d’action sous l’angle de l’intérêt personnel, ou de l’intérêt général. Car si nous avons agi selon la trajectoire de ce qui, à l’époque, nous semblait le plus profitable sur le plan personnel, nous avons forcément nui à autrui ; nous avons fait du tort aux autres, consciemment ou non, en leur barrant la route. Nous avons alors mal semé, et avons fait, ou ferons, une mauvaise récolte. Le premier acte égoïste d’une personne est à l’origine du mal qui la concerne. De même, son premier acte désintéressé est à l’origine du bien qui lui échoit. N’oublions pas que l’arbre mentionné dans la Bible était celui de la Connaissance du bien et du mal. Bien et mal ne doivent pas être considérés séparément, mais ensemble. On ne peut parler du bien sans évoquer son opposé, le mal. Le bien cesserait bien vite d’exister en l’absence de son contraire.

Dans la vie, beaucoup de choses que nous considérons comme néfastes — la mort et la souffrance, par exemple — ne le sont pas en réalité. Ce ne sont que des stades ou des circonstances que nous traversons dans notre ascension sur l’échelle de l’évolution. Nous ne devrions pas avoir peur de la mort, car celle-ci ne nous affectera jamais. Nous ne faisons que sortir de la vie, encore et encore. Un grand Instructeur a dit que la mort venait toujours à la rencontre de l’Ego comme une amie (Note 1). Il n’y a aucune raison d’avoir peur, car rien dans l’univers, en haut comme en bas, ne pourra jamais nous détruire, détruire notre conscience, notre individualité acquise. Beaucoup de nos actes se fondant sur l’ignorance, des erreurs peuvent être commises et entraîner des résultats néfastes. Mais même dans ce cas, elles sont pour nous une occasion d’apprendre. C’est l’existence même du vice qui permet de considérer la vertu comme étant opposée au vice.

L’origine du mal doit être imputée à l’ignorance de notre nature véritable. Nul autre que nous-mêmes ne nous afflige. Certaines choses affectent terriblement les uns, et très peu, voire pas du tout les autres. Pourquoi ? Leur opinion fournit l’explication. C’est notre attitude envers les choses, et non les choses en elles-mêmes, qui fait que nous souffrons ou non, que nous nous réjouissons ou pas. Si nous nous concevions comme des êtres divins ne faisant qu’aller à l’école de la vie — notre seul but étant d’apprendre — qu’y aurait-il à craindre, de quoi devrions-nous nous soucier ? Sans les obstacles de la vie — si la vie n’était qu’un long rêve tranquille et heureux — nous ne ferions jamais le moindre geste, le moindre effort susceptible d’exalter les qualités les plus sublimes de la pensée et de l’action. Ce sont les obstacles que nous devons surmonter qui nous rendent plus forts et plus généreux. Aucun être n’a été créé par un dieu, car tout ce qui existe est en devenir.

Aujourd’hui, ne sommes-nous pas capables de regarder en arrière et de sourire d’un "malheur" passé ? Sur le moment, cela nous a semblé horrible, mais c’est du passé maintenant et nous sommes en mesure d’apprécier aujourd’hui ce que cela nous a apporté en force et en sagesse. La loi empêche qu’aucun de nous soit confronté à un obstacle insurmontable ; cet obstacle n’est qu’une occasion de nous débarrasser d’un de nos défauts actuels. Ce sont souvent les choses qui nous semblent le plus difficiles qui s’avèrent les plus bénéfiques.

Ceux qui n’ont pas de problèmes sont les plus susceptibles de connaître des lendemains qui déchantent. Quand une personne a un "bon Karma" — c’est à dire quand elle a tout ce qu’elle désire — elle a tendance à en profiter et à se laisser emporter par le courant des événements, manquant ainsi beaucoup d’occasions de faire le bien. Ces erreurs par omission, aussi graves que des fautes effectivement commises, l’empêchent de comprendre qu’elle a entamé sa réserve personnelle de bon Karma, et qu’elle sera forcément concernée par le mal résultant de ce manque de discernement quant à la situation et à ses opportunités. Sans jamais craindre les opportunités, nous devrions agir en fonction du défi qu’elles représentent, en nous fiant à la loi de notre être spirituel pour surmonter tous les obstacles. Le Sentier est en nous, et non à l’extérieur. Chacun est la voie de son propre développement.

Nous avons été si longtemps régis par des lois politiques et religieuses humaines que nous avons fini par y ajouter foi. Et pourtant le Bien n’a nul besoin de lois. Nos lois sont fondées sur l’ignorance, l’égoïsme et la méchanceté de la nature humaine ; elles sont faites pour endiguer le mal, que nous croyons inexpugnable et incurable, "ayant tous péché par l’entremise d’Adam, et n’y pouvant rien changer". En outre, croyant savoir ce qui est bien et ce qui est mal, nous sommes très désireux que tous les autres soient du même avis que nous. Nous voudrions interdire ce que nous considérons comme indésirable, nous voudrions que les autres mangent ce que nous pensons qu’ils devraient manger, qu’ils s’habillent comme nous pensons qu’ils devraient s’habiller. Nous parlons beaucoup des "droits" de l’homme. Mais nous n’avons qu’un seul droit, celui de faire le bien. Aucun homme n’a jamais été rendu bon, ni moral, par une loi. Chaque homme doit être sa propre loi, à la fois morale et spirituelle.

Sommes-nous fiers de cette civilisation, construite par les pensées et les actes de chacun des individus qui la composent ? Nos téléphones, nos automobiles, nos avions et nos radios nous ont-ils rendus plus divins ? Rendent-ils compte d’un progrès véritable ? Non, car l’ignorance et l’égoïsme règnent encore dans le cœur des hommes : croyant à la rédemption des péchés, ils rendent leurs parents responsables de leurs défauts et de leurs mauvaises tendances, ne prenant à leur compte que leurs qualités. En cela, ils sont injustes, car le bien et le mal font également partie de leur récolte personnelle. Si un bien nous échoit, réjouissons-nous de l’avoir mérité à un moment ou à un autre ; et si nous nous trouvons dans une situation inconfortable, soyons contents, assumons-la, comprenons-la et corrigeons-la. Si nous voulons une société meilleure, c’est à nous qu’il appartient de commencer à la construire, dès maintenant. Personne ne le fera à notre place. Il nous faut fixer les directives menant à une civilisation véritable, fondée sur une base authentique. Si nous pensons ne pas être en mesure de changer grand-chose, et si nous ne faisons pas immédiatement tout notre possible, il est évident que nous ne pourrons jamais avancer. Si nous faisons de notre mieux, de meilleures opportunités surgiront. Tant que nous ne ferons pas ce qui se présente à nous dans l’immédiat, aucune possibilité plus intéressante ne nous sera offerte.

Avec une attitude mentale correcte — qui est en fait celle du disciple — c'est tout l’ensemble des qualités, énergies et attributs qui nous sont inhérents qui sera poussé au summum de sa capacité. Il ne s’agit pas de quitter le plan qui est le nôtre, ni de nous amputer d’aucune partie utile, mais de consacrer le tout à un service, à un objectif juste. C’est à ce stade qu’on peut faire la différence entre une personne détenant la connaissance et une autre qui en est dépourvue. Celui qui sait ne va pas au Paradis, qu’il s’agisse de celui des chrétiens ou d’un autre. Il travaille là où il se trouve, il utilise au mieux les instruments dont il dispose actuellement, ne craignant rien et faisant confiance à la Loi de son être profond. Si quelqu’un se fie à la Loi qui régit sa nature véritable, s’il travaille avec la nature en aidant tous les êtres, dans tous les domaines possibles, l’ensemble de la nature se mettra de son côté et l’aidera. Il n’en a jamais été et il ne peut en être autrement.

Note

1) [H.P. Blavatsky, Clef de la Théosophie, page 176]