13. Ou bien, imaginez que les cinq couleurs des ocelles du paon sont vos cinq sens, dans un espace sans limites. Laissez leur beauté envahir l'espace. De même, n'importe quel point dans l'espace ou sur un mur. Jusqu'à ce que le point se dissolve. Alors, le désir d'autre chose se réalisera.
14. Concentrez toute votre attention sur le nerf, aussi délicat qu'une fibre de lotus, au centre de la colonne vertébrale. Et ainsi, soyez transformé.
L’homme naît avec un centre. Mais il en est totalement ignorant. L'homme peut vivre sans savoir qu'il possédé un centre, mais il ne peut pas vivre sans que ce centre existe. Le centre est le lien entre l'homme et l'Existence, la racine. Vous pouvez l'ignorer; la connaissance n'est pas essentielle à l'existence du centre. Mais si vous ne le connaissez pas, votre 'vie sera celle d'un déraciné. Vous ne sentirez pas le sol sous vos pieds; vous ne sentirez pas les assises de votre demeure; vous ne serez qu'un vagabond dans l'univers.
Le centre est là, mais si vous ne le savez pas, votre vie sera une errance perpétuelle dépourvue de sens, vide, sans direction. Vous aurez l'impression de vivre à côté de la vie, d'errer en attendant la mort. Vous pouvez très bien vivre en remettant toujours votre vie au lendemain, mais vous savez aussi que cela ne sert à rien. C'est une simple manière de passer le temps et le sentiment de frustration profonde que vous éprouvez vous suivra toujours, partout, comme une ombre. L'homme naît avec un centre mais non pas avec la connaissance de ce centre. Cette connaissance, il lui faudra l'acquérir.
Le centre est là, vous ne pouvez pas exister sans lui. C'est un pont jeté entre vous et l'Existence (ou si vous préférez, entre vous et Dieu). Vous ne pouvez pas exister sans ce lien profond. Vos racines plongent dans le Divin. Comme les racines d'un arbre s'enfoncent dans la terre. Mais, au contraire de l'arbre, vous pouvez prendre conscience de vos racines, sentir le lien qui vous unit à l'Existence. Sans cette prise de conscience, votre vie sera un profond sommeil, un rêve.
Ce qu'Abraham Maslow a appelé (( l'auto-actualisation » n'est pas autre chose, en fait, que la prise de conscience du centre intérieur qui vous relie à l'univers tout entier, la prise de conscience de vos racines. Vous n'étés pas seul, vous faites partie du Tout Cosmique. Cet univers n'est pas un monde étranger, c'est votre demeure. Mais si vous ne découvrez pas vos racines, votre centre, l'univers vous restera étranger, extérieur.
Sartre dit que l'homme est « jeté là ».II est bien clair que si vous ne connaissez pas votre centre, vous aurez l'impression d'être « jeté là » dans le monde. Vous êtes un intrus: vous n'appartenez pas à ce monde et le monde ne vous appartient pas. De cette approche, il ne peut résulter que la peur, l'anxiété et l'angoisse. La vie toute entière n'est qu'une lutte, un combat, et un combat qui ne peut se solder que par un échec, parce que la partie ne peut triompher du tout.
Vous ne pouvez pas l'emporter contre l'Existence, vous pouvez l'emporter avec elle. Voici la différence qui existe entre un homme religieux et un homme non religieux. L'homme religieux est en harmonie avec l'univers, l'homme non religieux se bat contre l'univers. l'homme religieux n'est pas un « être jeté là », c'est un être en devenir. La différence est extrême.
Quand Sartre dit que l'homme est un être « jeté là », la formulation même montre que l'homme n'appartient pas au monde. On l'a jeté là, on l'a obligé, on ne lui a pas demandé son avis. Dans ce cas, le monde ne peut que lui être hostile et l'angoisse qu'il éprouve n'est qu'une conséquence logique.
Il peut en être autrement si, au lieu d'être jeté dans le monde, vous croissez comme une partie de lui, une partie organique. En vérité, il serait plus juste de dire que l'homme est une autre dimension de l'univers, la dimension qu'on appelle humaine l'univers est multidimensionnel il est dans les arbres, dans les collines, dans les étoiles, dans les planètes. L'homme représente une dimension de croissance, différente des autres.
Si vous ne prenez pas conscience de vos racines, de votre centre, vous ne pourrez jamais prendre conscience de votre mort. La mort n'existe que pour l'homme parce que lui seul peut prendre conscience de sa totalité et de son enracinement dans l'univers.
Si vous vivez sans connaître votre centre, si vous vous sentez un intrus, vous ressentirez l'angoisse. Au contraire, si vous êtes en harmonie avec le monde, si vous sentez que vous êtes une partie du tout, une réalisation de la potentialité de l'Existence elle-même comme si elle s'était réalisée à travers vous, comme si elle s'était développée en vous, si vous sentez vraiment votre existence de cette manière, alors, vous atteindrez la félicité.
La félicité est le résultat de l'union organique avec l'univers, et l'angoisse le résultat d'une désunion. L'homme réalise l'union organique avec l'univers quand il prend conscience du centre qui est en lui. Et ce centre, qui est là, même si l'homme n'en a pas conscience, est l'objet des sutras dont nous allons parler. Avant d'aborder le « Vigyana Bhairava Tantra » et ses techniques, encore quelques mots.
L'homme naît, enraciné dans un lieu particulier, dans un « chakra » (centre) particulier, le nombril. Les Japonais l'appellent « hara " ; d'où le terme hara-kiri qui signifie littéralement, détruire le centre. En réalité, nous faisons tous hara-kiri. Nous n'avons pas détruit le centre, mais nous l'avons oublié, nous nous en sommes éloignés de plus en plus.
A sa naissance, l'enfant est au centre de lui-même, dans le « hara ", le nombril. Son existence est intimement liée au « hara ". Regardez un bébé respirer; il respire avec son ventre, il vit avec son ventre non pas avec sa tête, ni avec son coeur. Mais au fil des années, il va s'en éloigner.
L'enfant va se développer à travers le coeur, centre des émotions. Il va apprendre l'amour, il va apprendre à être aimé et à aimer. Le coeur est un centre secondaire mais il a son importance.
Si l'enfant grandit sans amour, il ne pourra jamais aimer, parce que son coeur est atrophié. L'amour maternel, l'amour paternel, l'amour familial, l'amour de la société, contribuent au développement de ce centre. Le coeur, le centre de l'amour, est un centre secondaire. Si on ne l'aide pas à se développer, il restera atrophié. Combien de personnes ont un coeur atrophié ! Chaque père, chaque mère imagine aimer son enfant. Mais l'amour est une croissance difficile. Et si l'enfant grandit sans amour, il sera incapable d'aimer à son tour.
C'est ainsi que l'humanité toute entière vit sans amour. On fait des enfants, sans savoir leur donner de l'amour, sans développer leur coeur. En réalité, à mesure que la société devient de plus en plus civilisée, elle pousse à la création d'un troisième centre: l'intellect. Le premier centre est le centre originel; il nous est donné à notre naissance. Sans lui, la vie est impossible. Le second centre est secondaire: si l'enfant reçoit de l'amour, il y répond. Et c'est en y répondant, qu'il développe le centre de ses émotions. Le troisième centre est la raison, l'intellect, la tête. C'est également un centre secondaire qui se développe avec l'édu- cation, la logique et l'enseignement.
Nous vivons surtout dans le troisième centre. Le second est presque absent -ou s'il existe, il ne fonctionne pas, ou même s'il fonctionne, il fonctionne irrégulièrement. Mais le troisième centre, la tête, est devenu fondamental dans notre existence. Nous en avons besoin pour raisonner, pour réfléchir, pour penser.
La tête, le coeur, le nombril voici les trois centres. Le nombril est le centre originel. Il est bon de développer le coeur pour de nombreuses raisons. Il est nécessaire de développer le troisième centre, la tête, mais pas au détriment du coeur, parce qu'à ce moment-là, il vous manquera un maillon dans la chaîne et vous ne pourrez plus retrouver le centre originel. Le développement se fait de la raison à l'existence pour aboutir à l'être. Essayons de comprendre.
Le centre du nombril est dans l'être, le centre du coeur est dans l'émotion, le centre de la t:te est dans la connaissance. La connaissance est plus éloignée de l'être que l'émotion. S'il vous manque le moyen terme le coeur il vous sera plus difficile de jeter un pont entre la raison et l'être. C'est la raison pour laquelle une personne sensible aux émotions peut prendre conscience de son harmonie avec le monde plus facilement qu'une personne sensible aux arguments intellectuels.
La culture occidentale a choisi de mettre l'accent sur l'intellect, créant ainsi l'angoisse du vide, du néant, de l'inaptitude. Simone Weil a donné comme titre à l'un de ses livres, « L'Enracinement ». Si l'homme occidental se sent déraciné, c'est bien parce que sa tête est devenue le centre principal. Le coeur a été négligé et il lui manque.
Par « coeur », nous n'entendons pas l'organe physiologique, mais la capacité de ressentir et par « être », la capacité d'union avec l'univers. ,
L' « être » est l'objet de la religion; le coeur, l'objet de la poésie; la tête, celui de la philosophie et de la science. L'être est le « horo » originel. Comment l'atteindre ? Comment parvenir à sa Réalisation ?
Il arrive parfois rarement, accidentellement que vous vous approchiez du « haro », lors des moments de félicité. Pendant l'amour, par exemple, pendant l'orgasme sexuel, il arrive que vous vous approchiez du « horo ». C'est pour cette raison que le sexe exerce cette fascination. En réalité, ce n'est pas l'orgasme qui vous apporte la félicité, c'est le « horo ».
En descendant de la tête vers le sexe, vous passez par le « horo », vous le touchez. Mais pour l'homme moderne, même cela est devenu impossible, parce que même le sexe est devenu une affaire cérébrale, une affaire mentale. Même le sexe doit passer par la tête. D'où l'abondance de films, de livres, de littérature pornographique. La sexualité est devenue objet de réflexion. Mais c'est une absurdité. La sexualité est une expérience, et non pas un objet de réflexion. Si vous vous mettez à réfléchir sur ce sujet, il vous sera de plus en plus difficile de l'expérimenter, de le vivre, parce que la tête, la raison, ne sont pas concernées.
Plus l'homme moderne est incapable de vivre sa sexualité, plus il réfléchit sur ce sujet. Et plus il réfléchit, plus sa sexualité devient cérébrale, futile, ennuyeuse. Et en fin de compte, on se sent frustré, comme si on avait été trompé. Pourquoi ? Parce que la conscience reste dans la tête.
Ce n'est que lorsqu'on passe par le « hara » qu'on ressent la félicité. Qu'elle que soit la cause, si l'on passe par le « hara », on ressent la félicité. Un guerrier au combat peut ressentir la félicité. Je ne parle pas des guerriers modernes, parce que ce ne sont pas des guerriers. La personne qui jette des bombes sur une ville, est endormie. Ce n'est pas un Kshatriya ce n'est pas Arjuna luttant.
Il arrive aussi qu'au seuil de la mort, on s'approche du « hara ». Pour le guerrier qui se bat avec sa seule épée, la mort est possible à tout instant. Et quand on se bat avec une épée, on n'a pas le temps de penser. La pensée demande du temps. Dans le combat, le .temps est compté. Si on prend le temps de réfléchir, on est mort. Alors, la conscience revient au hara. Et le guerrier ressent la félicité. C'est pour cette raison que la guerre exerce cette fascination. La guerre et le sexe. Parce qu'on passe par le hara.
Nietzsche a dit qu'il fallait vivre dangereusement. Pourquoi ? Parce que le danger vous rapproche du hara. Vous n'avez plus le temps de penser, il faut agir immédiatement.
Imaginons qu'un serpent passe près de vous. Brusquement, à la vue du serpent, vous faites un bond de côté pour vous en éloigner. Vous ne pensez pas: « il y a un serpent; les serpents sont dangereux, il faut donc que je m'en éloigne. » Non, vous n'avez pas le temps de raisonner, sinon le serpent va vous mordre. Il faut agir spontanément, immédiatement. L'acte vient d'abord, la pensée après.
D'habitude, quand il n'y a pas de danger, vous pensez d'abord, vous agissez après. Dans le danger, le processus est inversé. Vous agissez d'abord, et vous pensez après. Cette action spontanée, qui n'est pas le fruit d'une réflexion, vous rapproche du « hara ». C'est la raison pour laquelle le danger fascine.
Quand vous conduisez une voiture très, très vite, chaque instant est dangereux. A chaque instant, vous risquez la mort. Dans cet instant de suspense, quand la vie et la mort sont aussi proches, l'esprit s'arrête, vous êtes au centre de vous-même, dans le hara. C'est encore la fascination du danger. Ou bien, vous êtes à une table de jeu, et vous avez posé tout ce que vous aviez sur un numéro. L'esprit s'arrête; le moment est dangereux. En une seconde, vous pouvez devenir un mendiant. L'esprit ne peut plus fonctionner; vous êtes dans le hara.
Le danger fascine parce que dans une situation dangereuse, la conscience ordinaire, la conscience quotidienne, ne peut pas fonctionner. Le danger est une expérience profonde. L'esprit n'est pas sollicite. Il n'est pas là, et VOUS ETES. La pensée n'est pas là, et vous êtes conscient. Vous atteignez l'état méditatif. En fait, le jeu, le combat, le duel, la guerre, toute situation dangereuse, provoque un état méditatif. C'est sans doute la raison pour laquelle, l'homme les recherche.
La félicité vous envahit soudain, explose en vous. Comme une pluie de lumière. Mais ces moments sont accidentels et très brefs. Une chose, cependant, est certaine: quand vous ressentez la félicité, vous êtes proche du hara, qu'elle qu'en soit la cause.
Ces sutras ont pour but de vous enraciner dans le hara, dans le centre, scientifiquement, d'une façon permanente, et non pas temporaire. Vous pouvez rester perpétuellement dans le hara. Ces sutras vous donnent la manière d'y parvenir.