CHAPITRE II

CRIMES CHRETIENS ET VERTUS PAIENNES

 

"Ils prétendent connaître, à l'échelle des milles, les limites,

[les dimensions et l'étendue de l'enfer,

……………………………………………………………

Où les âmes impures sont suspendues pour être fumées comme des jambons et des langues de Westphalie, et qu'on rachète au moyen d'une messe ou d'une chanson."

 Oldham, Satire sur les Jésuites, 1678.

"York. Mais vous êtes encore plus inhumains, plus inexorables,

Oui, dix fois plus – que des tigres d'Hyrcanie."

 Shakespeare, Henry VI, 3ème partie, acte I, scène IV.

"War. Ecoutez, Messieurs, parce que c'est une femme N'épargnez pas les fagots, qu'il y en ait beaucoup ; Placez des tonneaux de poix sur le bûcher fatal. Pour abréger son supplice.

 Shakespeare, Henry VI, 1ère partie, acte V, scène IV.

Bodin, dans son célèbre ouvrage sur la sorcellerie 109 raconte une histoire effrayante au sujet de Catherine de Médicis. L'auteur était un savant publiciste, qui pendant vingt années de sa vie, collectionna des documents  authentiques  dans  les  archives  de  presque  toutes  les plus importantes villes de France, afin d'écrire un ouvrage très complet sur la sorcellerie, la magie et le pouvoir de divers "démons". D'après une expression d'Eliphas Lévi, son livre présente une collection surprenante de "faits sanglants et hideux ; des actes de superstition la plus révoltante, d'arrestations et d'exécutions commises avec une férocité stupide. Brûlez tout le monde, semblait dire l'Inquisition – Dieu retrouvera facilement les siens ! Pauvres diables, femmes hystériques et malheureux idiots, tous furent brûlés vifs sans merci, sous l'accusation de "Magie". Mais en même temps, combien de misérables coupables échappèrent à cette  Justice injuste et sanguinaire. Voilà ce que Bodin nous fait apprécier dans son livre." 110 [68]

109 La Démonomanie, ou Traité des Sorciers, Paris, 1587.

110 [Dogme et rituel, etc., II, ch. XV.]

 

Catherine, la pieuse Catherine – celle qui mérita les éloges de l'Eglise du Christ pour l'atroce et inoubliable massacre de la Saint-Barthélemy – la Reine Catherine avait à son service un prêtre jacobin apostat. Très versé dans la magie, et sous le patronage de la famille des Médicis, il s'était acquis la gratitude et la protection de sa pieuse maîtresse, par sa maîtrise incomparable de faire mourir les personnes à distance en torturant leurs effigies de cire avec diverses incantations. Le procédé a été souvent décrit, nous n'y reviendrons pas.

Charles (IX) se mourait d'une maladie incurable. La Reine Mère qui avait tout à perdre par suite de son décès, décida d'avoir recours à la nécromancie et de consulter l'oracle de la "tête sanglante". Cette opération infernale exigeait la décapitation d'un enfant qui devait être pur et beau. Il avait été préparé en secret pour sa première communion par le chapelain du palais qui était au courant du projet, et à minuit du jour fixé, dans la chambre du mourant, en présence seulement de Catherine et de quelques complices, la "messe du diable" fut célébrée. Nous donnons la suite telle que nous la trouvons dans un des ouvrages d'Eliphas Lévi. "Pendant cette messe, célébrée devant l'image du démon, ayant sous ses pieds une croix renversée, le sorcier consacra deux hosties, une blanche et une noire. L'hostie blanche fut administrée à l'enfant, qu'on amena vêtu de blanc comme pour le baptême, et qui fut égorgé sur les marches de l'autel à l'instant même où il reçut la communion. La tête fut tranchée d'un seul coup, placée toute sanglante et palpitante sur la grande hostie noire qui recouvrait le fond de la patène, et mise sur la table où brûlaient quelques lampes mystérieuses. A ce moment commença l'exorcisme, et le démon fut sommé de prononcer un oracle et de répondre par la bouche de cette tête d'enfant, à une question secrète que le roi n'osait pas faire à haute voix, et qui n'avait été confiée à âme qui vive. Alors, une faible et étrange voix, qui n'avait rien d'humain, se fit entendre dans la bouche du pauvre petit martyr." La sorcellerie ne servit à rien ; le roi mourut, et – Catherine demeura néanmoins la pieuse et fidèle servante de l'Eglise de Rome !

Il est étrange que des Mousseaux, qui fit de copieux emprunts dans les matériaux de Bodin pour échafauder sa formidable accusation contre les spirites et autres sorciers, ait laissé passer inaperçu cet intéressant épisode.

C'est un fait avéré que le Pape Sylvestre II fut publiquement accusé par le cardinal Benno, de s'adonner à la sorcellerie et aux enchantements. La "tête oraculaire" que Sa Sainteté fit couler en bronze, était de même nature que celle fabriquée par Albertus Magnus. Celle-ci fut brisée par saint Thomas d'Aquin non parce qu'elle était l'œuvre d'un "démon" ou qu'elle fut habitée par lui, mais [69] parce que l'esprit qui résidait à l'intérieur parlait sans cesse, par la puissance mesmérique, et que ce verbiage empêchait le saint de s'adonner à ses problèmes mathématiques. Ces têtes et autres statues parlantes, trophées de l'habileté magique de quelques moines et évêques, étaient des copies des dieux animés des temples de l'antiquité. L'accusation contre le pape fut prouvée, voire même qu'il était constamment en compagnie de "démons" ou d'esprits. Dans le chapitre précédent, nous avons parlé de Benoît IX, Jean XX et Grégoire VI et VII, qui, tous, passaient pour être des magiciens. Ce dernier pape était le célèbre Hildebrand qu'on disait pouvoir "faire sortir l'éclair de sa manche". Cette expression fait croire à M. Howitt, le vénérable écrivain spirite, "qu'elle est l'origine des célèbres foudres du Vatican" 111.

111 [Hist of the Supernatural, vol. I, p. 483.]

 

Les exploits magiques de l'Evêque de Ratisbonne et ceux de "l'angélique docteur", saint Thomas d'Aquin, sont trop bien connus pour être relatés ici ; mais il n'est pas inutile d'expliquer comment les "illusions" de celui-là furent produites. Si l'évêque catholique était assez habile pour faire croire à ses sujets pendant une nuit d'hiver mordante, qu'ils jouissaient de la température délicieuse d'un jour d'été et que les glaçons qui pendaient aux branches des arbres dans le jardin étaient autant de fruits tropicaux,  les  magiciens  hindous  pratiquent  encore  de  nos  jours des pouvoirs biologiques analogues, mais sans se prévaloir de l'aide de dieu ou du diable. Les "miracles" de cette nature sont tous le produit de la même force humaine, inhérente en chaque individu, si seulement il apprend à la développer.

L'étude de l'alchimie et de la magie s'était développée, au moment de la Réformation, parmi le clergé, au point de créer un grand scandale. Le cardinal Wolsey fut ouvertement accusé devant la cour et le conseil privé, de complicité avec un sorcier nommé Wood, qui affirma que : "Monseigneur le cardinal possédait un anneau en vertu duquel tout ce qu'il demandait à sa grâce le Roi, il l'obtenait ; et il ajouta que : Messire Cromwell lorsqu'il... était domestique dans la maison de Monseigneur le Cardinal... lut beaucoup de livres et surtout le livre de Salomon... qu'il étudia les métaux et les vertus qu'ils possédaient suivant le canon de Salomon." On trouve la relation de ce cas, ainsi que beaucoup d'autres tout aussi curieux, dans les papiers de Cromwell au Bureau des Annales de la Rolls House 112.

On arrêta sous l'accusation de sorcellerie, pendant le règne d'Henri VIII, un prêtre, nommé William Stapleton, et le récit de ses aventures est encore conservé dans les annales de la Rolls House. [70] Le prêtre sicilien que Benvenuto Cellini taxe de nécromancien devint célèbre par ses évocations, couronnées de succès et ne fut jamais inquiété. Son étonnante aventure en compagnie de Cellini dans le Colisée, où le prêtre évoqua toute une horde de démons, est bien connue des bibliophiles. La rencontre subséquente de Cellini et de sa maîtresse, amenée par le sorcier et prédite par lui, à l'heure qu'il avait fixée, sera sans doute considérée comme une "curieuse coïncidence" 113. Dans les dernières années du XVIème siècle,  il n'y avait presque pas de paroisse dans laquelle les prêtres ne s'adonnaient pas à l'étude de la magie et de l'alchimie. Les exorcismes pour chasser les démons, "à l'imitation du Christ", qui, soit dit en passant, n'en pratiqua jamais, amena le clergé à faire usage ouvertement de la magie "sacrée" par opposition à la magie noire, crime dont on accusait tous ceux qui n'étaient ni prêtres ni moines.

112 Thos. Wright, Narr. of Sorcery and Magie, vol. I, pp. 203-4.]

113 Ibid., I, pp. 219 et seq.]

 

Les connaissances occultes, jadis glanées par l'Eglise Romaine dans les champs naguère fertiles de la théurgie, connaissances qu'elle conservait pour son usage personnel, n'envoyant au bûcher que les praticiens qui "braconnaient" sur ses terres gardées de la Scientia Scientiarum, et dont les péchés ne pouvaient être cachés sous le froc monacal. Nous en avons la preuve dans l'histoire. "Au cours de seulement quinze années, entre  1580 et 1595, et dans la seule province de Lorraine, le Président Rémigius fit brûler 900 sorcières", dit Thomas Wright, dans son Sorcery and Magic 114. Ce fut à cette époque fertile en meurtres ecclésiastiques, d'une cruauté et d'une férocité inouïes, que Jean Bodin écrivit ses mémoires.

Tandis que le clergé orthodoxe évoquait des légions entières de "démons" par ses incantations magiques, sans être molesté par les autorités, pourvu qu'il ne se départît pas des dogmes établis et ne se rendit pas coupable d'hérésie, des actes de férocité incroyable étaient accomplis d'autre part, sur de pauvres naïfs sans défense. Gabriel Malagrida, un vieillard de quatre-vingts ans, fut brûlé par ces énergumènes évangéliques en 1761. Le récit de son procès, traduit de l'édition de Lisbonne, existe à la Bibliothèque d'Amsterdam. Il était accusé de sorcellerie et de rapports illicites avec le Diable, qui "lui avait révélé l'avenir". (?) La prophétie révélée par l'Ennemi au malheureux visionnaire jésuite est donnée dans les termes suivants : "Le coupable a confessé que le démon, sous la forme de la Sainte Vierge, lui ayant ordonné d'écrire la biographie de l'Antéchrist [?] lui dit, que lui, Malagrida, était un second saint Jean, mais plus clair que saint Jean l'Evangéliste ; qu'il [71] devait y avoir trois Antéchrists, et  que le dernier devait naître à Milan, d'un moine et d'une nonne en l'an 1920 ; qu'il épouserait Proserpine, une des furies de l'enfer" 115, etc.

114 [Vol. I p. 300.]

115 [The Proceeding and Sentences of the... Inquisition... against G. Matagrida,  etc.,  Londres 1762.].

116 [Tischreden, ch. XXXIII, Leipzig 1700.]

 

La prophétie doit s'accomplir dans quarante-trois ans. Même si tous les enfants nés de moines et de nonnes devaient devenir des Antéchrists, si on les laissait grandir, ce fait serait beaucoup moins regrettable que les découvertes faites dans beaucoup de couvents où les fondations ont été remuées pour une raison ou pour une autre. Si nous ne devons pas ajouter foi à l'assertion de Luther, à cause de sa haine contre la papauté, nous devons faire mention des découvertes de même nature faites, tout récemment, en Autriche et dans la Pologne russe.  Luther 116  parle d'un vivier à Rome, situé près d'un couvent de nonnes, lequel ayant été mis à sec par ordre du Pape Grégoire, mit à jour dans le fond, plus de six mille crânes d'enfants ; un couvent de nonnes à Neinburg, Autriche, cachait dans ses fondations, lorsque celles-ci furent mises à nu, les mêmes reliques du célibat et de la chasteté !

Ecclesia non novil Sanguinem ! murmuraient humblement les cardinaux vêtus de pourpre. Et, afin d'éviter l'effusion de sang, qu'ils avaient en horreur, ils instituèrent la Sainte Inquisition. Si, suivant ce qu'affirment les occultistes, et ce que la science confirme à demi, nos actes et nos pensées les plus insignifiants sont imprimés d'une façon indélébile sur le miroir éternel de l'éther astral, il doit y avoir, quelque part dans le royaume infini de l'univers invisible, l'impression d'une image fort curieuse. C'est celle d'un somptueux étendard flottant dans la brise céleste, au pied du grand "trône blanc" du Tout-Puissant. Sur son champ écarlate on voit, d'un côté, une croix, symbole du "Fils de Dieu qui mourut pour l'humanité" et une branche d'olivier ; sur l'autre un glaive, la garde. Une légende, prise dans les Psaumes y est introduite en lettres dorées : Exurge Domine, et judica causa mean. C'est ainsi qu'apparaît l'étendart de l'Inquisition, sur une photographie en notre possession, prise sur l'original qui se trouve à l'Escurial de Madrid.

A l'ombre de cet étendard chrétien, et dans le bref espace de quatorze années, Thomas de Torquemada, confesseur de la Reine Isabelle, fit brûler plus de dix mille personnes, et condamna à la torture quatre-vingt mille autres. Orobio, l'écrivain bien connu, qui languit longtemps en prison, et échappa à grande peine aux bûchers de l'Inquisition, immortalisa cette institution dans ses ouvrages, une fois à l'abri et en liberté en Hollande. Il ne trouva pas de meilleur argument contre la Sainte Eglise,  que d'embrasser [72] la foi Judaïque, et alla jusqu'à se soumettre à la circoncision. Un auteur sur l'Inquisition dit que : "Dans la cathédrale de Saragosse, se trouve le tombeau d'un célèbre Inquisiteur. Six piliers l'entourent et à chacun d'eux un Maure est enchaîné, comme préparation à monter au bûcher pour être brûlé". Sur ce, Saint Foix observe ingénument : "Si jamais le bourreau de n'importe quel pays devenait assez riche pour pouvoir se payer un tombeau grandiose, celui-ci pourrait certainement lui servir de modèle ! 117. Mais pour le compléter, les constructeurs  du tombeau n'auraient garde d'oublier le bas-relief du célèbre cheval qui fut  

 

 

brûlé, lui aussi, pour sorcellerie et maléfice. Granger nous raconte l'histoire comme ayant eu lieu de son temps. Le pauvre animal "avait appris à indiquer le nombre de points sur des cartes à jouer, et l'heure à une montre. Le cheval et son propriétaire furent accusés, tous deux, par le Saint Office, d'avoir fait un pacte avec le Diable, et ils furent brûlés comme sorciers en grande pompe d'autodafé à Lisbonne, en 1601 118).

117 [Demonologia, p. 302.]

118 [James Granges, Biogr. Hist. of England, 1769.]

119 [Demonologia, pp. 304-306.]

 

Cette institution immortelle du Christianisme ne fut pas sans avoir son Dante, pour chanter ses louanges. "Macedo, un Jésuite portugais, dit l'auteur de la Demonologia, a découvert l'origine de l'Inquisition dans le Paradis Terrestre, et il prétend que Dieu fut le premier à remplir les fonctions d'Inquisiteur contre Caïn et les ouvriers de la Tour de Babel" ! 119.

Pendant le moyen âge, les arts de la magie et de la sorcellerie ne furent nulle part plus pratiqués par le clergé, qu'en Espagne et au Portugal. Les Maures étaient profondément versés dans les sciences occultes, et Tolède, Séville et Salamanque furent, à un moment donné, les grands centres pour l'étude de la magie. Les cabalistes de cette dernière ville étaient experts en matière de sciences abstraites ; ils connaissaient les vertus des pierres précieuses et autres minéraux et ils avaient appris tous les plus profonds secrets de l'alchimie.

Les documents authentiques relatifs au fameux procès de la Maréchale d'Ancre, pendant la régence de Marie de Médicis, révèlent que la malheureuse périt par la faute des prêtres, qu'en bonne Italienne qu'elle était, elle retenait auprès d'elle. Elle fut accusée de sorcellerie par le peuple de Paris parce qu'on avait affirmé qu'elle s'était servie, après une cérémonie d'exorcisme, de coqs blancs récemment tués. Se croyant toujours ensorcelée, et étant de santé fort délicate, la Maréchale se fit exorciser publiquement dans l'église des Augustins ; quant aux volatiles, elle s'en servit comme application [73] sur le front, pour calmer de violentes douleurs de tête, remède que Montalto, le médecin juif de la reine et les prêtres italiens lui avaient conseillé.

Au XVIème siècle, le curé de Bargota, du diocèse de Callahora, en Espagne, acquit une renommée universelle par ses pouvoirs magiques. On raconte que son exploit le plus surprenant était de se transporter dans un lointain pays, y prendre connaissance d'événements politiques et autres, et de revenir ensuite chez lui pour en prédire l'accomplissement dans son pays. Il avait un démon familier, qui le servit fidèlement pendant de longues années, raconte le Chronicle, mais le curé, pris d'ingratitude, le trompa. Son démon lui ayant révélé un complot contre la vie du Pape, en conséquence d'une intrigue galante de celui-ci avec une gentille dame, le curé se transporta à Rome (son double naturellement) et parvint ainsi à sauver la vie de Sa Sainteté. Peu après, il se repentit, confessa ses péchés au Pape galant, et reçu l'absolution. "A son retour il fut emprisonné pour la forme, par les inquisiteurs de Logrono, mais on l'acquitta et peu de temps après il fut remis en liberté." 120.

Fra Pietro, un moine dominicain du XIVème siècle – le magicien qui fit cadeau au célèbre Dr Eugenio Torralva, médecin attitré de l'amiral de Castille, d'un démon nommé Zéquiel – devint célèbre à la suite du procès de Torralva. La procédure et les circonstances de ce fameux procès sont relatées dans les manuscrits originaux préservés dans les Archives de l'Inquisition. Le cardinal de Volterra et celui de Santa-Cruz virent tous deux le démon Zéquiel et conversèrent avec lui ; il prouva avoir été, pendant toute la vie de Torralva, un esprit élémental, pur et bon, accomplissant toutes sortes d'actes charitables, et qui était resté fidèle au médecin jusqu'à la dernière heure de sa vie. L'Inquisition elle-même acquitta Torralva de ce chef ; et bien que Cervantès le rendit immortel par sa satire, ni Torralva ni le moine Pietro ne sont des héros fictifs, mais bien des personnages historiques, ce dont font foi les documents ecclésiastiques tant à Rome qu'à Cuença où le procès du médecin fut jugé en janvier 1530 121.

120 [Thos. Wright, Narr. of Sorcery, etc., II, pp. XX-XVIII.]

121 [Plutôt de 1528 à 1530. Cf. Thos. Wright, op. cit., II, p. XVIII.]

122 Dr W.-G. Soldan, Geschichte der Hexen Processe, aus den Quellen dargestellt, Stuttgart, 1843.

 

 

Le livre du Dr W. G. Soldan, de Stuttgart, est devenu aussi célèbre en Allemagne que le livre de Bodin sur la Demonomania en France. Il représente le traité allemand le plus complet sur la sorcellerie du XVIème siècle. Quiconque s'intéresse à connaître le mécanisme secret sur lequel  se basent ces milliers de meurtres légaux, commis par les prêtres qui avaient la prétention de croire au Diable, et réussirent à y faire croire les autres, peut  en  lire  la  divulgation  [74]  dans  l'ouvrage  sus-mentionné 122.     La véritable origine des accusations journalières et des condamnations à mort pour le délit de sorcellerie est fort habilement ramenée à des inimitiés personnelles et politiques, et surtout à la haine des catholiques contre les protestants. L'œuvre astucieuse des Jésuites se reconnaît à chaque page de ces sanglantes tragédies ; et ce fut à Bamberg et à Würzburg, où ces dignes fils de Loyola étaient à ce moment tout puissants, que les cas de sorcellerie furent les plus nombreux. Dans les pages suivantes, nous donnons une liste curieuse de quelques-unes de ces victimes, parmi lesquelles figurent de nombreux enfants entre sept et huit ans, et beaucoup de protestants. "Parmi la quantité de personnes qui périrent en Allemagne sur le bûcher, pendant la première moitié du XVIIème siècle sous l'accusation de sorcellerie, le seul crime de beaucoup d'entre eux, nous dit T. Wright, fut leur attachement à la religion de Luther,... et les petits princes ne dédaignèrent pas de saisir cette occasion pour remplir leurs coffres... les personnes les plus persécutées ayant été celles dont les propriétés étaient le plus considérables... Tant à Bamberg qu'à Wûrzburg, l'évêque était un prince souverain, maître de ses domaines. Le prince-évêque, Jean Georges II, qui régnait à Bamberg... après plusieurs essais infructueux pour déraciner la foi luthérienne... distingua son règne par une série de sanglants procès de sorcières, qui sont une honte pour l'histoire de cette ville... On peut se faire une idée des procédés de son digne agent 123, d'après le récit des historiens les plus autorisés... qu'entre 1625 et 1630, non moins de 900 procès furent jugés dans les deux tribunaux de Bamberg et de Zeil : une brochure, publiée par l'autorité de Bamberg en 1659, fixe à 600 le nombre des personnes que l'évêque Jean Georges fit brûler pour sorcellerie". 124.

123 Frédéric Forner, suffragant à Bamberg, auteur d'un traité contre les hérétiques et les sorciers, sous le titre de Panoplia Armaturæ Dei, etc...

124 Sorcery and Magic, par T. Wright, M. A., F. S. A., etc. Membre correspondant de l'Institut national de France, vol. II, pp. 183-185.

125 [Cf. T. Wright, op. cit., II, pp. 187-94.]

126 Outre ces exécutions en Allemagne, qui se chiffrèrent par plusieurs milliers, nous trouvons quelques renseignements intéressants dans le Conflict between Religion and Science du Prof. Draper. Il dit à la page 146 : "Les familles des condamnés furent ruinées de fond en comble. Llorente, l'historien de l'Inquisition, calcule que Torquemada et ses collaborateurs, au cours de dix- huit années, ont fait brûler sur le bûcher 10.220 personnes, 6.860 en effigie, et qu'ils en ont puni de diverses manières, 97.321 autres !... Nous apprenons avec une inexprimable indignation que le Gouvernement papal reçut de fortes sommes d'argent en vendant aux personnes aisées des dispenses pour les garantir contre l'Inquisition."

 

Nous regrettons que la place ne nous permette pas de donner ici la liste complète des sorcières qui périrent sur le bûcher ; nous publierons néanmoins quelques extraits de l'œuvre originale, parue dans  la Bibliotheca Magica de Hauber 125. Un coup d'œil jeté sur cet effrayant catalogue de meurtres commis au nom du Christ, nous suffit pour constater que de 162 personnes condamnées au bûcher dans cette cité hospitalière, plus de la moitié sont qualifiées d'étrangers (c'est-à-dire de protestants) ; dans l'autre moitié nous trouvons trente-quatre  enfants, dont le  plus âgé avait quatorze ans, [75] et le plus jeune, un enfant en bas âge du Dr Schütz. Afin d'abréger le catalogue, nous ne donnerons que les plus saillantes des vingt-neuf exécutions par le feu 126.

DANS LA PREMIÈRE EXÉCUTION, QUATRE PERSONNES.

La femme de Liebler.

La veuve du vieil Ancker. La femme de Gutbrodt.

La femme de Hœcker.

DANS LA SECONDE EXÉCUTION, QUATRE PERSONNES.

La femme âgée de Beutler.

Deux femmes étrangères (noms inconnus).

DANS LA TROISIÈME EXÉCUTION, CINQ PERSONNES.

Tungersleber, un ménétrier. Les femmes de quatre citoyens.

DANS LA QUATRIÈME EXÉCUTION, CINQ PERSONNES.

Un homme étranger.

DANS LA CINQUIÈME EXÉCUTION, NEUF PERSONNES.

Lutz, un grand boutiquier.

La femme de Baunach, sénateur.

DANS LA SIXIÈME EXÉCUTION, SIX PERSONNES.

 La femme du gros tailleur. Un homme étranger.

Une femme étrangère. [76]

DANS LA SEPTIÈME EXÉCUTION, SEPT PERSONNES.

Une jeune fille étrangère, âgée de douze ans. Un homme étranger, une femme étrangère.

Un bailli étranger (Schultheiss). Trois femmes étrangères.

DANS LA HUITIÈME EXÉCUTION, SEPT PERSONNES.

Baunach, sénateur, le citoyen le plus gras de Würzburg. Un homme étranger.

Deux femmes étrangères.

DANS LA NEUVIÈME EXÉCUTION, CINQ PERSONNES.

Un hommes étranger. Une femme et sa fille.

DANS LA DIXIÈME EXÉCUTION, TROIS PERSONNES.

Steinacher, un homme très riche.

Un homme étranger, une femme étrangère.

DANS LA ONZIÈME EXÉCUTION, QUATRE PERSONNES.

Deux hommes et deux femmes.

DANS LA DOUZIÈME EXÉCUTION, DEUX PERSONNES.

Deux femmes étrangères.

 DANS LA TREIZIÈME EXÉCUTION, QUATRE PERSONNES.

Une petite fille de neuf ou dix ans. Une plus jeune, sa sœur.

DANS LA QUATORZIÈME EXÉCUTION, DEUX PERSONNES.

La mère des deux petites filles ci-dessus mentionnées. Une jeune fille de vingt-quatre ans.

DANS LA QUINZIÈME EXÉCUTION, DEUX PERSONNES.

Un garçon de douze ans, de l'école primaire. Une femme. [77]

DANS LA SEIZIÈME EXÉCUTION, SIX PERSONNES.

Un jeune garçon de dix ans.

DANS LA DIX-SEPTIÈME EXÉCUTION, QUATRE PERSONNES.

Un jeune garçon, de onze ans. Une mère et sa fille.

DANS LA DIX-HUITIÈME EXÉCUTION, SIX PERSONNES.

Deux garçons de douze ans. La fille du Dr Junge.

Une jeune fille de quinze ans. Une femme étrangère..

DANS LA DIX-NEUVIÈME EXÉCUTION, SIX PERSONNES.

Un garçon de dix ans.

Un autre garçon de douze ans.

DANS LA VINGTIÈME EXÉCUTION, SIX PERSONNES.

La fille de Gœbel, la plus jolie fille de Würzburg.

 Deux garçons âgés, chacun de douze ans. La fillette de Stepper.

DANS LA VINGT ET UNIÈME EXÉCUTION, SIX PERSONNES.

Un garçon de quatorze ans.

Le petit garçon du sénateur Stolzenberger. Deux élèves.

DANS LA VINGT-DEUXIÈME EXÉCUTION, SIX PERSONNES.

Stürman, un riche tonnelier. Un garçon étranger.

DANS LA VINGT-TROISIÈME EXÉCUTION, NEUF PERSONNES.

Le fils de David Croten, âgé de neuf ans.

Les deux fils du cuisinier du prince, un de quatorze et l'autre de dix ans.

DANS LA VINGT-QUATRIÈME EXÉCUTION, SEPT PERSONNES.

Deux garçons de l'hôpital. Un riche tonnelier. [78]

DANS LA VINGT-CINQUIÈME EXÉCUTION, SIX PERSONNES.

Un enfant étranger.

DANS LA VINGT-SIXIÈME EXÉCUTION, SEPT PERSONNES.

Weydenbusch,  sénateur.  La fillette de Valkenberger.

Le petit garçon du bailli du Conseil de Ville.

DANS LA VINGT-SEPTIÈME EXÉCUTION, SEPT PERSONNES.

Un garçon étranger. Une femme étrangère.

 Un autre garçon.

DANS LA VINGT-HUITIÈME EXÉCUTION, SEPT PERSONNES.

La petite fille en bas âge du Dr Schütz. Une jeune fille aveugle.

DANS LA VINGT-NEUVIÈME EXÉCUTION, SEPT PERSONNES.

La grosse dame noble (Edelfrau). Un docteur en théologie.

Hommes et femmes "étrangers" c'est-à-dire Protestants

28

 

Citoyens, toutes apparemment, des personnes AISÉES

100

 

Garçons, filles et petits enfants

34

 

En dix-neuf mois

162

personnes

 

Récapitulation TOTAL

 "Il y avait, dit Wright, parmi les sorcières de petites filles de sept à dix ans, dont vingt-sept furent condamnées et brûlées", à quelques autres Brænde ou exécutions par le feu. "Le nombre d'accusés amenés pour être jugés pendant ces horribles procès était si grand, et ils étaient traités avec si peu d'égards, qu'on ne prenait pas même leurs noms, et qu'ils étaient simplement classés n° 1, n° 2, n° 3, et ainsi de suite 127. Les jésuites les confessaient en particulier."[79]

127 Sorcery and Magic ; The Burnings at Würzburg, p, 186.

 

Quelle place devraient occuper les paroles de mansuétude suivantes dans une théologie qui exige de tels holocaustes comme ceux dont nous venons de parler, pour apaiser les appétits de ses prêtres ? "Laissez venir à moi les petits enfants et ne les en empêchez point, car le royaume des cieux est à eux." "De même que c'est la volonté de votre Père... qu'il ne se perde  pas  un  seul  de  ces  petits."  "Mais  si  quelqu'un  devrait  être  une occasion de chute pour un seul de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on lui suspendit au cou une grosse meule et qu'on le précipitât au plus profond de la mer." 128.

128 [Mathieu XIX, 14 ; XVIII, 14, 6.]

 

Nous faisons des vœux pour que les paroles ci-dessus n'aient pas été une vaine menace pour ces brûleurs de petits enfants.

 Ces boucheries au nom de leur dieu Moloch empêchèrent-elles ces chercheurs de trésors de pratiquer eux-mêmes la magie noire ? Pas le moins du monde ; car nulle part les consulteurs d'esprits "familiers" ne furent plus nombreux que parmi le clergé des XVème, XVIème et XVIIème siècles.  Sans  doute,  il  y  eut  quelques  prêtres  catholiques  parmi      les victimes, mais bien que celles-ci fussent généralement accusées de "s'être rendues coupables de pratiques trop révoltantes pour qu'on en fasse mention", cela n'a certainement pas été le cas. Dans les vingt-neuf exécutions cataloguées ci-dessus, nous trouvons parmi ceux qui furent brûlés les noms de douze vicaires, de quatre chanoines et de deux docteurs en théologie. Mais si nous consultons les livres écrits â cette époque nous nous rendrons facilement compte que tout prêtre romain brûlé était accusé "d'hérésie damnable", c'est-à-dire qu'il penchait pour la réforme, un crime autrement sérieux que celui de sorcellerie.

Que ceux qui veulent se documenter sur la manière dont le clergé catholique unissait le devoir â l'agrément en matière d'exorcisme, de vengeance, et de recherche des trésors, se donnent la peine de consulter le volume II, chapitre I du History of the supernatural, de W. Howitt. Ce vénérable auteur nous affirme que "toutes les formules d'adjuration et de conjuration sont inscrites dans le livre dénommé : Pneumatologia Occulta et Vera". Il continue alors en donnant une longue description du modus operandi le plus usité. Le Dogme et rituel de la Haute Magie  de feu Eliphas Lévi, traité avec tant de mépris par des Mousseaux, ne parle que des cérémonies et pratiques légalement permises aux prêtres du moyen âge avec le consentement tacite, sinon manifeste, de l'Eglise. Le prêtre exorciseur se plaçait, à minuit, au centre d'un cercle, revêtu d'un surplis neuf, et portait autour du cou une étole consacrée, couverte de caractères sacrés. Sur la tête, il portait un bonnet pointu, sur le devant duquel la parole sacrée Tetragammaton – [80] le nom ineffable était écrit en caractères hébreux. Ce nom était écrit avec une plume neuve, trempée dans le sang d'une colombe blanche. Ce que les exorciseurs recherchaient le plus, était de délivrer les misérables esprits, qui hantent les lieux où gisent des trésors enfouis. L'exorciseur arrosait le cercle avec le sang d'un agneau noir et d'un pigeon blanc. Le prêtre conjurait alors les mauvais esprits de l'enfer, Acheront, Magoth, Asmodei, Beelzébub, Belial et toutes les âmes damnées, aux noms puissants de Jéhovah, Adonaï, Elohah, et Sabaïoth, ce dernier étant le dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, qui demeure dans l'Urim et le Thummin. Lorsque les âmes damnées ripostaient à l'exorciseur qu'il n'était qu'un pécheur et qu'il ne leur arracherait pas le trésor, le prêtre sorcier devait répondre que "tous les péchés étaient lavés dans le sang du Christ 129 et qu'il leur ordonnait de se retirer en esprits maudits et mouches damnées qu'elles étaient". Lorsque enfin l'exorciseur les avait délogés, la pauvre âme était "réconfortée au nom du Sauveur, et confiée aux soins des bons anges", qui devaient être moins puissants, croyons-nous, que les dignes exorciseurs catholiques, "et le trésor reconquis restait naturellement acquis à l'Eglise".

"Certains jours", ajoute Howitt, "sont signalés dans le calendrier de l'Eglise, comme particulièrement favorables à la pratique de l'exorcisme ; et si les démons sont difficiles à chasser, une fumigation de soufre, d'assafétida, de fiel d'ours et de rue, est recommandée ce qui aurait pour effet d'empester même les démons". 130.

Voilà l'Eglise et le sacerdoce qui, au cours du XIXème  siècle, emploie 5.000 prêtres pour enseigner au peuple des Etats-Unis l'inexactitude de la science et l'infaillibilité de l'Evêque de Rome !

Nous avons déjà constaté l'aveu d'un éminent prélat que l'élimination de Satan de la théologie serait fatal à l'existence de l'Eglise. Cela n'est vrai qu'à moitié. Le Prince du Péché n'existerait plus, sans doute, mais le Péché lui-même survivrait. Avec la destruction du Diable, les Articles de foi et la Bible resteraient. En somme, il y aurait encore une prétendue révélation divine, et un besoin d'interprètes inspirés qui  s'arrogent  eux-mêmes ce titre. Par conséquent nous devons avant tout considérer l'authenticité de la Bible elle-même. Etudions-la page par page, et voyons si, vraiment, elle contient les commandements de la Divinité, ou si elle n'est qu'un  ramassis d'anciennes traditions et de mythes démodés. Interprétons-les, si possible, nous-mêmes. Quant à ses prétendus interprètes [81] la seule ressemblance que nous leur trouvons dans la Bible, est celle de l'homme décrit par le sage roi Salomon, dans ses Proverbes ; celui qui commet les "six choses que hait l'Eternel, et même sept qu'il a en horreur ; les yeux hautains, la langue menteuse, les mains qui répandent le sang innocent, le cœur qui médite des projets iniques, les pieds qui se hâtent de courir au mal, le faux témoin qui dit des mensonges, et celui qui excite des querelles  entre frères" (Proverbes, VI, 16, 17, 18, 19).

129 Et retrempés dans le sang des millions d'êtres assassinés en son nom – et dans le sang non moins innocent que le sien, des petits enfants-sorciers.

130 [Howitt, op. cit., vol. II, pp. 13-16.]

 

Quelle est, parmi ces accusations, celle qui ne pourrait s'adapter à la longue liste de ceux qui ont laissé la trace de leurs pas dans le Vatican ?

"Lorsque les démons, dit saint Augustin, s'insinuent dans une créature, ils commencent par se conformer à la volonté de chacun... Pour attirer les hommes, ils commencent par les séduire en simulant l'obéissance... Comment pourrait-on connaître, sans en avoir été instruit par les démons eux-mêmes, ce qu'ils aiment et ce qu'ils haïssent ; le nom qui les attire, ou celui qui les force à obéir ; tout cet art de la magie qui est le résumé de la science des magiciens 131 ?

131 Saint Augustin, La Cité de Dieu, I, XXI, ch. VI ; des Mousseaux, Murs et pratiques des Démons, p. 181.

 

A cette impressionnante dissertation du "Saint", nous  nous permettrons d'ajouter qu'aucun magicien n'a jamais nié avoir appris l'art par l'entremise des "esprits" soit qu'en raison de sa médiumnité, ils aient agi sur lui indépendamment de sa volonté, soit qu'il ait été initié à la science des "évocations", par ses ancêtres qui la connaissaient avant lui. Mais alors, qui l'enseigna à l'exorciseur ? Le prêtre qui se revêt de son autorité non seulement sur le magicien, mais même aussi sur ces "esprits" qu'il nomme des démons et des diables dés le moment qu'ils obéissent à quelqu'un d'autre que lui ? Il doit avoir appris quelque part et de quelqu'un à manier le pouvoir qu'il prétend posséder. Car, comme le dit saint Augustin... "comment savoir qu'il n'a pas appris des démons eux-mêmes... le nom qui les attire, ou celui qui les force à obéir" ?

Inutile de dire que nous connaissons d'avance la réponse qu'on nous donnera : "La Révélation... le don divin... le Fils de Dieu ; que dis-je, Dieu lui-même,  par  l'entremise  directe  de  Son  Esprit,  qui  descendit  sur  les apôtres par le feu de la Pentecôte", et qui est censé adombrer aujourd'hui chaque prêtre auquel il prend la fantaisie d'exorciser pour la gloire ou pour son profit. Devons-nous croire alors, que le récent scandale d'exorcisme public, pratiqué vers le 14 octobre 1876 par le Curé de l'Eglise du Saint- Esprit à Barcelone, Espagne, a aussi été exécuté sous la direction toute Spéciale [82] du Saint-Esprit 132  ?" On prétend que "l'évêque n'était pas au courant de cette fantaisie de son clergé" ; mais même s'il l'avait été, comment aurait-il pu protester contre un rite, qui depuis l'époque des apôtres, était considéré comme une des prérogatives les plus sacrées de l'Eglise de Rome ? Sans aller plus loin que 1852, [83] c'est-à-dire il y a seulement vingt-cinq ans, ces rites furent publiquement et solennellement sanctionnés par le Vatican, et un nouveau Rituel des Exorcismes fut publié à Rome, à Paris et dans d'autres capitales de l'Europe catholique.

Des Mousseaux, écrivant sous les auspices du Père Ventura, Général des Théatins de Rome, va jusqu'à nous donner de longs extraits de ce célèbre rituel, et explique pourquoi il fut de nouveau mis en vigueur. Ce fut à la suite de la réapparition de la Magie, sous le nom de Spiritisme Moderne 133. On déterra la bulle du pape Innocent VIII, et on la traduisit pour le bénéfice des lecteurs de des Mousseaux. "On nous dit, s'écrie le Souverain Pontife, qu'un grand nombre de personnes des deux sexes n'ont pas craint d'entrer en relation avec les esprits des enfers ; et qu'en pratiquant la sorcellerie... ils rendent stériles le lit conjugal, ils détruisent les germes d'humanité dans le sein des mères, ils leur jettent des sorts, et empêchent la multiplication des bêtes... etc., etc.". Viennent ensuite les malédictions et les anathèmes contre des pareilles pratiques 134.

132 Un correspondant du Times de Londres donne, comme suit, une description de 1 exorciseur catalan.

"On annonça secrètement, aux environs du 14 octobre, qu'une jeune femme de dix-sept ou dix-huit ans, de basse extraction, qui souffrait depuis longtemps d'un dégoût pour les choses saintes, serait guérie de sa maladie par le Curé de l'église du Saint-Esprit". La représentation devait avoir lieu dans une église fréquentée par le meilleur monde de la communauté. "L'église était dans l'obscurité, mais quelques cierges jetaient une faible lumière sur les formes vêtues de noir de quatre-vingts ou cent personnes qui se groupaient autour du Presbiterio, ou sanctuaire en face de l'autel. A l'intérieur de la petite enceinte ou sanctuaire, et séparée de la foule par une légère barrière, une jeune fille, pauvrement vêtue et appartenant, selon toute apparence, à la classe des paysans ou artisans, était étendue sur un banc ordinaire sa tête reposant sur un coussin : son frère ou son mari était debout à ses pieds pour arrêter les coups de pieds effrénés qu'elle donnait de temps à autre, en la maintenant par les jambes. La porte de la Sacristie s'ouvrit et le démonstrateur, c'est-à-dire le prêtre, fit son entrée. La pauvre fille, non sans raison, avait une aversion pour les choses sacrées, ou, du moins, les quatre cents démons qui torturaient son corps avaient cette aversion, et dans la confusion du moment, croyant que le prêtre était une chose sacrée, elle ramena ses jambes, et poussa des cris la bouche tordue, le corps tout entier contorsionné, elle faillit se jeter à bas du banc. L'homme qui la surveillait la saisit par les jambes, les femmes lui relevèrent la tête et écartèrent ses cheveux en désordre. Le prêtre s'avança et circulant familièrement au milieu de la foule terrorisée, dit en montrant la jeune fille souffrante qui pleurait maintenant et se tordait sur son banc : "Promettez-moi mes enfants, que vous serez sages (prudentes) et, en vérité mes fils et mes filles, vous verrez s'accomplir des miracles !" La promesse fut donnée. L'Exhibiteur alla, alors, se vêtir du surplis et de l'estole (estola y roquete) et revint, un moment après, se placer à côté de la fille "possédée des démons", faisant face au public. L'ordre du jour comprenait un sermon pour les assistants et l'opération d'exorciser les démons. "Vous savez, [dit le prêtre], que l'aversion de cette fille pour les choses saintes est si grande, moi-même inclus, qu'elle entre en convulsion, donne des coups de pieds, crie et se tortille aussitôt qu'elle arrive au coin de la rue, et que ses luttes convulsives atteignent leur point culminant lorsqu'elle met les pieds dans la sainte maison du Très-Haut"... Puis, se tournant vers la forme prostrée et l'objet infortuné de son attaque, le prêtre commença en ces termes : "Au nom de Dieu, de ses Saints, de la Sainte Hostie, et de tous les Saints Sacrements de notre Eglise, je t'adjure, Rusbel, sors de cette femme" (N.B. Rusbel est le nom d'un diable, celui-ci ayant 257 noms en Catalogne.) Ainsi adjurée, la jeune fille se jeta dans une agonie de convulsions, la face tordue, l'écume aux lèvres, les membres presque rigides – de tout son long par terre, et en langage moitié obscène, moitié violent elle s'écria : "Non je ne sortirai pas, voleurs, canailles, bandits"... Enfin les lèvres palpitantes de la jeune fille murmurèrent : "Oui je sortirai ; mais le démon ajouta avec sa perversité traditionnelle : je rejetterai les cent, mais par la bouche de cette fille". Le prêtre objecte, que la sortie des cent démons par la bouche de la femme la suffoquerait. La folle enfant prétendit qu'il fallait qu'elle se déshabillât pour laisser échapper les démons. Le prêtre refusa d'y consentir. Je sortirai alors par le pied droit, mais auparavant – la fille portait des espadrilles de chanvre étant évidemment de la classe la plus pauvre – il faut que vous lui enleviez sa chaussure". Une fois celle-ci détachée, le pied fit des mouvements convulsifs ; le démon et ses acolytes (dit le prêtre en regardant triomphalement autour de lui) étaient partis pour leur demeure habituelle. Et, certaine de ce que le prêtre avait dit l'infortunée dupe se tranquillisa. L'évêque... n'était pas au courant... de cette fantaisie du clergé... mais lorsque l'événement parvint aux oreilles des autorités civiles, on prit des mesures sévères pour que le scandale qui avait soulevé de dégoût la ville de Barcelone ne se renouvelât pas" [The Times, Londres 2 nov. 1878.]

133 La magie au XIXème siècle, pp. 138 et sq.

134 [Mœurs et pratiques des Démons, p 175.]

 

Cette croyance chez le Souverain Pontife d'un pays chrétien civilisé est un héritage direct des masses les plus ignorantes, de la lie  des peuplades méridionales de l'Inde, les "païens". Les arts diaboliques de certaines Kângâlins (sorcières) et jâdûgar (magiciens) obtiennent une croyance illimitée chez ces peuples. Voici quelques-uns de leurs pouvoirs les plus redoutés : inspirer à volonté l'amour ou la haine ; envoyer le diable prendre possession et torturer une personne ; le chasser ; frapper de mort subite ou communiquer une maladie incurable ; semer les épidémies parmi le bétail ou l'en préserver ; composer des philtres qui frappent de stérilité les hommes et les femmes, ou qui provoquent chez eux des passions effrénées, etc., etc. La seule vue d'un homme ayant la réputation d'un sorcier, met une terreur mortelle au cœur des Hindous.

 Citons maintenant, à ce sujet, la remarque judicieuse d'un écrivain qui vécut pendant plusieurs années en Inde, étudiant l'origine de ces superstitions : "La Magie vulgaire aux Indes, telle une infiltration corrompue, va de concert avec les plus nobles croyances des sectateurs des Pitris. Elle était l'œuvre du plus bas clergé, et son but était de tenir le peuple dans un perpétuel état de terreur. C'est ainsi qu'à toutes les époques et sous chaque latitude, côte à côte avec les notions philosophiques les plus élevées, on trouve toujours la religion de la canaille 135." En Inde, ce fut l'œuvre du plus bas clergé ; à Rome, c'est celle des Souverains Pontifes. [84] Mais, n'ont-ils pas pour cela l'autorité de leur plus grand saint, Augustin, qui déclare que "celui qui ne croit pas aux mauvais esprits, refuse aussi de croire aux Saintes Ecritures" 136 ?

135 Louis Jacolliot, Le Spiritisme dans le Monde, p. 162.

136 Saint Augustin, La Cité de Dieu, XXI-VI.

 

C'est pour cette raison que, dans la seconde moitié du XIXème siècle, nous voyons le conseiller de la Sacrée Congrégation des Rites (exorcisme de démons y compris) le Père Ventura de Raulica, écrire ce qui suit, dans une lettre publiée par des Mousseaux en 1865 :

"Nous sommes en pleine magie ! et sous un faux nom ; l'esprit de mensonge et d'impudicité continue à perpétrer ses horribles déprécations... Le plus grave de tout cela c'est que les personnes les plus sérieuses n'attachent pas aux étranges phénomènes l'importance qu'ils  méritent, ces manifestations auxquelles nous assistons et qui deviennent de jour en jour plus étranges, surprenantes, et disons-le, fatales.

A ce point de vue, je ne puis assez louer et admirer le zèle et le courage que vous déployez dans votre œuvre. Les faits que vous avez recueillis sont calculés pour jeter la lumière et la conviction dans l'âme  des  plus sceptiques ; après la lecture de cet ouvrage remarquable, écrit avec une conscience et une érudition si grandes, l'aveuglement n'est plus possible.

Si quoi que ce soit pouvait me surprendre, ce serait l'indifférence avec laquelle la fausse Science a traité ces phénomènes, en cherchant, ainsi qu'elle le fait, à tourner en ridicule un sujet aussi grave ; la  simplicité puérile dont elle fait preuve, en voulant expliquer les faits au moyen d'hypothèses absurdes et contradictoires...

 (Signé) "Père Ventura de Raulica, etc., etc." 137.

 

Encouragé de cette manière par les plus hautes autorités de l'Eglise de Rome, anciennes et modernes, le chevalier conclut à la nécessité et à l'efficacité de l'exorcisme par les prêtres. Il cherche à démontrer par la foi, cela va sans dire – que le pouvoir des esprits de l'enfer a un rapport étroit avec certains rites, paroles et signes. "Dans le catholicisme diabolique, dit- il, aussi bien que le catholicisme divin, la grâce potentielle est liée à certains signes." Tandis que le pouvoir du prêtre catholique lui vient de Dieu, celui du prêtre païen lui vient du Diable. Or le Diable, ajoute-t-il, "est forcé de se soumettre" devant le Saint ministre de Dieu – "il n'ose pas MENTIR" 138. [85]

137 Mœurs et Pratiques des Démons, p. 11.

138 Des Mousseaux, Mœurs, etc., p. 431 etc. et XV etc.

 

Nous ferons remarquer au lecteur que nous avons souligné la phrase, voulant examiner son exactitude en toute impartialité. Nous sommes préparés à fournir des preuves irréfutables et irréfutées même par l'église de Rome, forcée qu'elle a été de les accepter – preuves de centaines de cas en relation avec ses dogmes les plus sacrés, où les "esprits" ont menti du commencement à la fin. Que dirons-nous de certaines saintes reliques dont l'authenticité est prouvée par des visions de la Sainte Vierge et de toute une légion de saints ? Nous avons devant nous un traité écrit par un pieux catholique, Guibert de Nogent, où il parle des reliques des saints. Il confesse avec un sincère désespoir qu'il existe "un grand nombre de fausses reliques, de même que de fausses légendes", et il critique sévèrement les inventeurs de ces miracles mensongers. "Ce fut par rapport à une des dents de Notre Sauveur écrit l'auteur de Demonologia, que de Nogent prit la plume à ce sujet ; ce fut au moyen de cette dent que les moines de Saint-Médard de Soissons prétendirent opérer des miracles ; cette prétention, ajoute-t-il, était aussi chimérique que celle des personnes qui croyaient posséder le nombril et les autres parties plus intimes du corps du Christ" 139.

Stevens 140 nous informe qu'un "Moine de Saint-Antoine, ayant été à Jérusalem, y vit quelques reliques, entre autres une phalange du doigt du Saint Esprit, aussi saine et entière que jamais ; le nez du séraphin qui apparut à saint François ; un ongle de chérubin ; une côte du Verbum caro factum est (Le Verbe fait chair) ; quelques rayons de l'étoile qui apparut aux trois rois Mages ; un flacon plein de la sueur de saint Michel, laquelle coula de son corps pendant son combat avec le Diable... etc." Toutes ces choses, dit le collectionneur de reliques, "je les ai ramenées avec moi, très dévotement".

Si ce qui précède est mis à l'écart comme l'invention d'un ennemi protestant, on nous permettra de citer l'Histoire d'Angleterre, et certains documents authentiques qui affirment l'existence d'une relique non moins extraordinaire que la meilleure de celles-là. Henri III reçut du Grand Maître des Templiers une fiole contenant quelques gouttes du sang sacré que le Christ versa sur la croix. Son authenticité était attestée  par les sceaux du Patriarche de Jérusalem et autres. La procession transportant la fiole sacrée de saint Paul à l'abbaye de Westminster est décrite comme suit par l'historien : "Deux moines reçurent la fiole et la déposèrent dans l'Abbaye... ce qui fit briller de gloire toute l'Angleterre en la consacrant à Dieu et à saint Edouard." 141. [86]

 139 Demonologia, Londres, 1827, p. 432.

140 Traité préparatif à l'Apologie pour Hérodote, c. 39.

141 [Demonologia, p. 436.]

 

L'histoire du prince Radzivil est bien connue. C'est à la suite des tromperies indiscutables des moines et des nonnes de son entourage, ainsi que de son confesseur, que le noble Polonais se fit luthérien. Il était si outré au début de voir "l'hérésie" de la Réforme se répandre en Lithuanie, qu'il fit le voyage de Rome pour déposer son hommage de sympathie et de vénération aux pieds du Pape. Celui-ci lui fit cadeau d'une boîte de précieuses reliques. De retour dans son pays, son confesseur vit la Vierge descendre de sa demeure glorieuse dans le seul but de bénir les reliques et de les authentifier. Le supérieur du couvent voisin et la Mère Abbesse d'un couvent de nonnes eurent tous deux la même vision renforcée de celle de divers saints et martyrs ; tous prophétisèrent "avoir senti le Saint Esprit" sortant de la boîte des reliques et adombrant le prince. Un possédé du démon amené, tout exprès, par le clergé, fut exorcisé en grande pompe, et aussitôt qu'il eut été touché par la boîte, il guérit instantanément, rendant sur-le-champ grâces au Pape et au Saint Esprit. La cérémonie terminée, le gardien du trésor où les reliques étaient enfermées, se jeta aux pieds du prince et confessa que pendant le voyage de Rome, il avait égaré la boîte des reliques, mais que craignant la colère de son maître, il s'était procuré une boîte pareille "qu'il remplit de petits ossements de chiens et de chats" ; voyant, toutefois, comment le prince avait été trompé, il préférait confesser son crime et sa participation dans ces supercheries impies. Le prince ne dit mot, mais continua à observer pendant quelque temps – non les reliques, mais son confesseur et les visionnaires. Leur faux enthousiasme lui fit découvrir toute la supercherie des moines et des nonnes, et outré de leurs procédés, il embrassa la foi Réformée 142.

142 [Dictionnaire historique et critique, 1697.]

 

C'est de l'histoire. P. Bayle nous démontre que lorsque l'Eglise de Rome ne peut plus nier qu'il y ait eu de fausses reliques, elle a recours au sophisme et répond que si les fausses reliques ont opéré des miracles c'est "à cause de la bonne intention des croyants, qui, de cette manière obtinrent de Dieu la récompense de leur bonne foi" ! Ce même Bayle nous fait voir, dans plusieurs cas, que lorsqu'il a été prouvé que plusieurs corps ou trois têtes du même saint, ou trois bras (comme ce fut le cas pour saint Augustin) existaient disait-on en différents endroits, et que par conséquent ils ne pouvaient pas tous être authentiques, la réponse invariable de l'Eglise a été qu'ils étaient tous authentiques ; car "Dieu les avait miraculeusement multipliés et reproduits, pour la plus grande gloire de sa sainte Eglise" ! En d'autres termes, on voudrait faire croire aux fidèles que le corps d'un saint décédé peut, par un miracle divin, acquérir les  particularités physiologiques d'une écrevisse ! [87]

Sans doute il serait fort difficile de prouver d'une manière satisfaisante que les visions des saints catholiques sont, en somme, plus authentiques ou plus dignes de foi que les visions ou les prophéties de nos "médiums" modernes. Les visions de Andrew Jackson Davis – quoi qu'en disent les critiques – sont infiniment plus philosophiques et plus en rapport avec la science moderne que les théories spéculatives de saint Augustin. Lorsque les  visions  de  Swedenborg,  le  plus  célèbre  des  voyants  modernes, s'écartent de la philosophie et de la vérité scientifique, c'est quand elles se rapprochent le plus des données théologiques. Ces visions ne sont pas plus inutiles à la science ou à l'humanité que celles des grands saints orthodoxes. On raconte, dans la vie de saint Bernard, qu'étant à l'église, une veille de Noël, il pria que l'heure exacte de la naissance du Christ lui fût révélée ; et lorsque vint "l'heure exacte et véritable, il vit le divin enfant apparaître dans sa crèche". Quel dommage que le divin enfant n'ait pas saisi une occasion aussi favorable pour fixer en même temps le jour et l'année exacte de sa mort, afin de mettre ainsi d'accord les controverses de ses historiens putatifs. Les Tischendorf, les Lardner, les Colenso, et combien d'autres théologiens catholiques qui se sont, en vain, creusé la cervelle pour extraire la quintessence des annales de l'histoire, dans cette recherche inutile, auraient au moins eu l'occasion de témoigner au saint leur reconnaissance.

Quoi qu'il en soit, il ne nous reste plus qu'à supposer que la plupart des visions béatifiques et divines de la Légende Dorée et celles qu'on trouve dans les biographies plus complètes des "saints" les plus en renom, de même que celles de nos voyants et voyantes persécutés, sont produites par des "esprits" ignorants et non développés qui ont passionnément le goût de se faire passer pour des grands personnages historiques. Nous sommes d'accord avec le chevalier des Mousseaux et les autres persécuteurs infatigables de la magie et du spiritisme au nom de l'Eglise, que les esprits modernes sont, dans beaucoup de cas, des "esprits mensongers" ; qu'ils sont toujours prêts à flatter les manies de ceux qui communiquent avec eux aux séances ; qu'ils les bernent et que, par conséquent, ce ne sont pas toujours de bons "esprits".

Mais, puisque nous avons fait cette concession ; qu'il nous soit permis de poser la question suivante à toute personne impartiale : est-il possible de croire en même temps que le pouvoir concédé au prêtre exorciseur, ce pouvoir suprême et divin dont il se vante, lui a été donné par Dieu, dans le seul but de berner le monde ? Que la prière qu'il prononce au nom du Christ et qui en forçant le démon à se soumettre, et à se révéler, soit calculée en même temps pour faire confesser au diable, non la vérité, mais seulement ce qui, dans l'intérêt de l'église à laquelle appartient l'exorciseur, [88] doit passer pour la vérité ? C'est ce qui a lieu invariablement. Comparez, par exemple, les réponses du démon à Luther, avec celles des diables à saint Dominique. L'un argue contre la messe privée et reproche à Luther de mettre la Vierge Marie et les saints avant  le Christ, déshonorant ainsi le Fils de Dieu 143 ; tandis que les démons exorcisés par saint Dominique, en voyant la Vierge que le saint père avait appelé à son secours, s'écrient : "Oh ! notre ennemie ! Oh ! notre damnatrice !... pourquoi descends-tu du ciel pour nous torturer ? Pourquoi intercèdes-tu si puissamment pour les pécheurs ! Oh ! toi le chemin le plus sûr pour atteindre le ciel... tu nous commandes et nous sommes obligés de confesser que personne n'est damné s'il persévère dans ton saint culte, etc., etc. 144". Le "saint Satan" de Luther l'assure que tout en croyant à la transsubstantiation du corps et du sang du Christ, il n'avait adoré que du pain et du vin ; et les diables de tous les saints catholiques promettent la damnation éternelle à tous ceux qui ne croient pas au dogme ou qui seulement le mettent en doute !

Qu'il nous soit permis, avant de clore le sujet, de présenter quelques exemples tirés des Chroniques de la Vie des Saints et choisis dans les récits qui sont pleinement acceptés par l'Eglise. On remplirait des volumes avec les preuves d'une entente incontestable entre les exorciseurs et les démons. Ils sont trahis par leur nature même. Au lieu d'être des ennemis indépendants et rusés, ayant à cœur la destruction des âmes et des esprits des hommes, la plupart ne sont que les élémentals des cabalistes ; créatures sans intelligence propre, mais miroirs fidèles de la VOLONTE qui les évoque, les contrôle et les conduit. Nous ne voulons pas perdre de temps en occupant l'attention du lecteur avec les thaumaturges et les exorciseurs douteux, mais nous prenons pour étalon un des plus grands saint du catholicisme, en cueillant un bouquet dans le jardin le plus fleuri de pieux mensonges la Légende Dorée de Jacques de Voragine 145.

143 De Missa Privata et Unctione Sacerdotum.

144 Voyez la Vie de saint Dominique et l'histoire du Rosaire miraculeux, ainsi que la Légende Dorée.

145 Jacques de Varasse, connu sous son nom latin de Jacobus de Voragine, était vicaire général des Dominicains et évêque de Gênes en l'an 1292.

 

Saint Dominique, fondateur de l'ordre célèbre qui porte son nom, est un des plus puissants saints du calendrier. Son ordre est le premier qui fut solennellement confirmé par le Pape et il est bien connu dans l'histoire comme l'associé et le conseiller de l'infâme Simon de Montfort, le général papal, qu'il aida à massacrer les malheureux Albigeois dans Toulouse et aux environs. On raconte que ce saint, et l'Eglise après lui,  prétendent avoir  reçu  de  la  Vierge,  in  propia  persona,  un  rosaire  dont  les vertus produisaient [89] de si étonnants miracles, que ceux des apôtres, et de Jésus lui-même, étaient relégués dans l'ombre. Un homme, dit son biographe, un pécheur invétéré, fut assez téméraire pour douter de la vertu du rosaire dominicain ; pour ce blasphème impie, il fut puni, incontinent, en permettant à 15 000 démons de prendre possession de lui. En voyant les souffrances intenses du démoniaque torturé, saint Dominique oublia l'insulte et appela les démons à rendre compte.

Voici le colloque entre le "bienheureux exorciseur" et les démons :

Question. – Comment avez-vous pris possession de cet homme et combien êtes vous ?

Réponse des démons. – Nous sommes entrés en lui parce qu'il a parlé irrespectueusement du rosaire. Nous sommes 15.000.

Question. – Pourquoi êtes-vous entrés en lui au  nombre si grand de 15.000 ?

Réponse. – Parce qu'il y a quinze décades dans le rosaire dont il s'est moqué, etc.

Dominique. – Tout ce que j'ai dit du Rosaire n'est-il pas vrai ?

Les Démons. – Oui ! Oui ! (Ils font sortir des flammes par les narines du démoniaque). Sachez, chrétiens, que saint Dominique n'a jamais proféré une seule parole au sujet du rosaire qui ne soit pas absolument vraie ; et sachez, de plus, que si vous n'y croyez pas, les pires calamités se déchaîneront sur vous.

Dominique. – Qui est l'homme que le Diable hait le plus au monde ?

Les démons (en chœur). – Tu es cet homme. (Ils se confondent ici en compliments).

Dominique. – Parmi quelle classe de chrétiens y a-t-il le plus de damnés ?

 Les Démons. – Nous avons aux enfers, des marchands, des prêteurs sur gages, des banquiers véreux, des épiciers, des juifs, des apothicaires, etc., etc.

Dominique. – Y-a-t-il des prêtres ou  des  moines  en enfer ?

Les Démons. – Il y a un grand nombre de prêtres, mais pas de moines, sauf ceux qui ont transgressé la règle de leur ordre.

Dominique. – Y a-t-il des Dominicains ?

Les Démons. – Hélas ! hélas ! il n'y en a pas encore, mais nous ne désespérons pas d'en avoir lorsque leur dévotion se sera refroidie. [90]

Nous n'avons pas la prétention de donner mot à mot les questions et les réponses, car elles remplissent vingt-trois pages ; mais les voici en substance, comme pourra s'en rendre compte quiconque se donnera la peine de parcourir la Légende Dorée. La description complète des affreux hurlements des démons, leurs louanges outrées du saint, etc., seraient trop longues pour ce chapitre. Qu'il suffise de dire qu'en lisant les nombreuses questions de saint Dominique et les réponses des démons, on est convaincu qu'elles corroborent, en tous points, les affirmations douteuses de l'Eglise et se font le soutien de ses intérêts. Le récit est suggestif. La légende fait une description graphique de la lutte de l'exorciseur contre la légion des démons de l'abîme sans fond. Les flammes sulfureuses qui s'échappent des narines, de la bouche, des yeux et des oreilles du possédé ; l'apparition soudaine de plus de cent anges, vêtus d'armures dorées ; et enfin l'arrivée de la Sainte Vierge en personne, portant une verge d'or, avec laquelle elle administre une volée au possédé, pour contraindre les démons à dire à sa louange ce qu'il serait oiseux de répéter ici. Tout le catalogue des vérités théologiques émises par les démons de saint Dominique, a été condensé en autant d'articles de foi par Sa Sainteté le Pape Pie IX, en 1870, dans le dernier Concile Œcuménique.

Par ce qui précède il est aisé de voir que la seule différence substantielle entre les "médiums" infidèles et les saints orthodoxes, réside dans l'utilité relative des démons, si c'est ainsi qu'on doit les nommer. Tandis  que  le  Diable  assiste  loyalement  l'exorciseur  chrétien  dans  ses opinions orthodoxes (?) le fantôme moderne laisse généralement son médium en plan. Car, en mentant, il agit plutôt contre les intérêts du médium qu'autrement, et de cette manière jette trop souvent le discrédit sur l'authenticité de la médiumnité. Si les "esprits" modernes étaient des diables, ils feraient preuve de plus de discernement et de ruse qu'ils ne font. Ils agiraient comme les démons du saint, lesquels, sous la contrainte du magicien ecclésiastique, et par le pouvoir du "nom... qui les oblige à obéir", mentent d'accord avec l'intérêt direct de l'exorciseur et de son église. Nous laissons au lecteur le soin de tirer la morale de cette comparaison.

"Observez, s'écrie des Mousseaux, qu'il y a des démons qui disent parfois la vérité" ; puis il ajoute en se référant au Rituel "l'exorciseur doit ordonner au démon de lui dire s'il est maintenu dans le corps du possédé au moyen d'un acte de sorcellerie ou par des signes, ou par tout autre objet qui puisse servir pour cette méchante pratique. Dans le cas où la personne exorcisée a avalé un de ces objets, il est obligé de le vomir ; et s'ils ne sont pas dans son corps, le démon est tenu d'indiquer l'endroit exact où ils se [91] trouvent ; une fois trouvés ils doivent être brûlés" 146. C'est ainsi que certains démons révèlent l'existence de l'envoûtement, disent qui en est l'auteur, et indiquent le moyen de détruire le maléfice. Gardez-vous, dans ce cas, de jamais vous adresser aux magiciens, aux sorciers ou aux médiums. Pour être aidés il ne faut vous adresser qu'au ministre de votre Eglise ! et il ajoute, "comme vous le voyez l'Eglise a foi dans la Magie, du moment qu'elle le dit aussi formellement. Et ceux qui ne croient pas à la magie, peuvent-ils encore espérer de partager la foi de leur Eglise ? Qui donc, mieux qu'Elle, pourrait les enseigner ? A qui le Christ a-t-il dit ces paroles : allez et enseignez les nations... et voici, je suis avec vous toujours jusqu'à la fin des siècles" 147.

146 Rituale Romanum, p. 475-478, Paris, 1851-52.

147 Mœurs et Pratiques des Démons, p. 177.

 

Devons-nous croire qu'il ne l'a dit qu'à ceux qui portent l'uniforme noir ou pourpre de Rome ? Faut-il faire crédit, au récit, que ce pouvoir fut conféré par le Christ à Siméon Stylite, ce saint qu'on canonisa parce qu'il demeura perché sur une colonne (stylos) de soixante pieds de haut, pendant trente-six ans, sans jamais en descendre, à seule fin que, entre autres miracles, relatés dans la Légende Dorée, il put guérir l'œil malade d'un dragon ? "Près de la colonne où vivait Siméon se trouvait l'habitation d'un dragon si venimeux, que l'air était empesté sur un espace de plusieurs milles autour de sa caverne." Cet hermite ophidien eut un accident ; une épine pénétra dans son œil, et se sentant devenir aveugle, il rampa jusqu'à la colonne du saint et y pressa son œil pendant trois jours sans faire de mal à personne. C'est alors que le bienheureux saint, du haut de sa demeure aérienne, "de trois pieds de diamètre", ordonna qu'on mît de la terre et de l'eau sur l'œil du dragon, duquel émergea incontinent une épine (ou pieu) de la longueur d'une coudée ; en voyant ce "miracle", le peuple glorifia le Créateur. Quant au dragon reconnaissant, il se leva "et ayant adoré Dieu pendant deux heures, il rentra dans sa caverne" 148 – en tant que saurien à demi converti, peut-on supposer.

Que devons-nous encore penser de cet autre récit dont le rejet nous fait courir le risque de compromettre notre salut, comme nous l'affirme un des missionnaires du Pape, de l'ordre des Franciscains ? Lorsque saint François d'Assise prêchait dans le désert, les oiseaux se rassemblèrent autour de lui, venus des quatre points cardinaux. Ils gazouillaient et applaudissaient à chaque phrase ; ils chantèrent une messe en chœur ; et enfin ils se séparèrent, pour porter la bienheureuse nouvelle aux confins du monde. Profitant de l'absence de la Sainte Vierge, qui tenait généralement compagnie [92] au saint, une sauterelle demeura perchée pendant une semaine entière sur la tête du "bienheureux". Attaqué par un loup féroce, le saint, qui n'avait d'autre arme que le signe de la croix avec lequel il se signa, au lieu de fuir son ennemi, se mit à lui faire un discours. Lui ayant révélé tout le bénéfice que pouvait lui apporter notre sainte religion, saint François ne cessa de parler jusqu'à ce que le loup fût devenu aussi doux qu'un agneau, et même qu'il versât des larmes de repentir pour ses péchés passés. Enfin, "il mit ses pattes dans les mains du saint, le suivit comme un chien dans toutes les villes où il prêcha, et devint un demi-chrétien" 149. Que de merveilles zoologiques ne voyons-nous pas ! un cheval devenir sorcier, et un loup et un dragon convertis au Christianisme !

148 Voyez le récit tiré de la Légende Dorée, par Alban Butler.

149 Voyez la Légende Dorée ; Life of saint Francis ; Demonologia.

 

Ces deux anecdotes prises, au hasard, parmi des centaines d'autres, ont pu être égalées mais pas surpassées par les extravagances les plus folles des  thaumaturges  païens,  des  magiciens  et  des  spirites !  Et cependant, lorsqu'on prétend que Pythagore domptait les animaux, et même  les fauves, par le seul pouvoir de l'influence mesmérique, la bonne moitié des catholiques le taxe d'imposteur éhonté, et l'autre le traite de sorcier, pratiquant la magie et complice du Diable ! Ni l'ours, ni l'aigle, ni même le taureau que, dit-on, Pythagore persuada de ne plus se nourrir de haricots, n'ont répondu avec la voix humaine ; tandis que le "corbeau noir" de saint Benoît, auquel il donnait le nom de "frère" discute avec lui et croasse ses réponses en casuiste né. Lorsque le saint lui offre la moitié d'un pain empoisonné, le corbeau s'indigne et lui fait des reproches en latin comme s'il avait pris ses grades à la Propagande !

Si l'on objecte que la Légende Dorée n'est, aujourd'hui, qu'à demi soutenue par l'Eglise ; qu'il a été reconnu que son auteur l'a compilée d'après une collection de vies des saints, la plupart sans preuves à l'appui, nous pouvons démontrer, au moins un cas, où la biographie n'est point le résultat d'une légende, mais bien l'histoire d'un homme racontée par un autre qui fut son contemporain. Jean Jortin et Gibbons établirent la preuve, il y a déjà bien des années, que les pères primitifs faisaient un choix de narrations, prises dans Ovide, Homère, Live et même dans les légendes populaires orales des nations païennes, pour illustrer les vies de leurs saints apocryphes. Mais ce n'est pas le cas dans les exemples ci-dessus. Saint Bernard vivait au XIIème siècle, et saint Dominique était presque contemporain de l'auteur de la Légende Dorée. De Voragine mourut en 1298 et saint Dominique, dont il décrit si minutieusement la vie et les exorcismes, fonda son ordre pendant le premier quart du XIIIème siècle. De plus, de Voragine fut, lui-même, Vicaire Général [93] des Dominicains, au milieu de ce même siècle, et, par conséquent, il fit la description des miracles exécutés par son héros et patron, peu d'années après le temps où ils sont sensés avoir eu lieu. Il les écrivit dans le même couvent ; et pendant qu'il exposait ces merveilles il y avait probablement cinquante personnes présentes qui avaient été les témoins oculaires de la façon de vivre du saint. Que devons-nous penser d'un biographe qui fait très sérieusement le récit que voici : Un jour que le saint travaillait dans sa cellule, le diable vint le déranger sous la forme d'une puce. Elle gambadait et sautait sur les pages du livre jusqu'à ce que le saint, impatienté, bien que peu disposé à faire du mal, même à un diable, se vit contraint de la punir, immobilisant le diable importun sur la phrase qu'il lisait, en fermant brusquement le livre. Une autre fois le diable apparut sous la forme d'un singe.   Il   fit   tant   d'horribles   grimaces,   que   Dominique, pour s'en débarrasser, ordonna au singe-démon de prendre la chandelle et de la lui tenir jusqu'à ce qu'il eût terminé sa lecture. Le pauvre diable s'exécuta et tint la chandelle jusqu'à ce qu'elle fût consumée jusqu'au  bout  de  la mèche ; malgré ses cris perçants pour demander grâce, le saint, l'obligea à tenir la chandelle jusqu'à ce que ses doigts fussent brûlés jusqu'à l'os !

En voilà assez. L'approbation que reçut ce livre de l'Eglise et la sainteté toute spéciale qu'elle lui attribue, suffisent pour démontrer combien ses patrons avaient sa véracité en haute estime. Nous ajouterons, pour terminer, que la quintessence du Decameron de Boccace, est de la pruderie, à côté du répugnant réalisme de la Légende Dorée.

Nous ne pouvons que nous étonner des prétentions de l'Eglise catholique à vouloir convertir au christianisme les Hindous et les Bouddhistes. Si le "païen" reste fidèle à la foi de ses ancêtres, il a, du moins, cette qualité rédemptrice de ne pas apostasier pour le seul plaisir d'échanger une série d'idoles pour une autre. Peut-être trouverait-il quelque nouveauté en embrassant le Protestantisme, car ici, du moins, il a l'avantage de réduire ses notions religieuses à leur plus simple expression. Mais lorsqu'un bouddhiste a été réduit à échanger le soulier de Dagoon contre la pantoufle du Vatican, ou les huit chevaux de Gautama et la dent du Bouddha qui opèrent des miracles, contre une boucle de cheveux d'un saint chrétien et une dent de Jésus, qui font des miracles bien moins habiles, il n'a pas lieu de se vanter de son choix. Sir T.-S. Raffles, en parlant à la Société Littéraire de Java, raconta, dit-on, l'anecdote caractéristique suivante : "En visitant le grand temple situé sur les collines de Nagasaki, le commissaire anglais fut reçu avec toutes les marques de considération et de respect par le vénérable patriarche des provinces du nord, un vieillard de quatre-vingts ans, qui l'hébergea somptueusement. En le conduisant à travers [94] les cours du temple, un des officiers anglais présents s'écria sans y prendre garde, pour montrer sa surprise "Jésus- Christ" ! Le patriarche, se retournant, s'inclina en souriant en disant  : "Nous connaissons votre Jasus Christus ! Mais ne nous l'imposez pas dans nos temples et nous continuerons à être amis. Sur ce, les deux antagonistes se séparèrent avec une amicale poignée de mains 150."

150 The Mythology of the Hindus, par Chase Coleman, p. 331.

 

Presque tous les rapports envoyés par les missionnaires des Indes, du Tibet et de Chine, se plaignent de "l'obscénité" diabolique et de la fâcheuse impudicité des rites païens, "qui suggèrent tous, le culte du diable", suivant l'expression de des Mousseaux. Nous doutons fort que la moralité des païens gagnerait beaucoup à une enquête sur la vie du Roi psalmiste, par exemple, l'auteur des délicieux Psaumes que les Chrétiens répètent avec tant de ferveur. La différence entre David exécutant une danse phallique devant l'arche sacrée (emblème du principe féminin) et un Vishnavite hindou, portant ce même emblème sur la tête, ne favorise celui-là qu'aux yeux de ceux qui n'ont étudié ni les croyances anciennes ni la leur. Lorsqu'une religion qui exigea de David qu'il coupât et délivrât au roi les prépuces de cent ennemis avant de devenir son gendre (I, Samuel 25-27) est acceptée comme modèle par les Chrétiens, ils ne devraient pas jeter à la figure des païens les impudicités de leurs religions. Se rappelant la suggestive parabole de Jésus ils devraient ôter la poutre de leur œil avant de retirer la paille dans celui de leur voisin. L'élément sexuel est aussi apparent dans le Christianisme que dans n'importe quelle autre "religion païenne" ; mais en tous cas on ne rencontre nulle part dans les Védas, les crudités et l'indécence de langage que les hébraïsants découvrent aujourd'hui dans la Bible Mosaïque.

Cela ne nous servirait pas à grand chose de nous arrêter à considérer des sujets qui ont été traités d'une façon magistrale par un auteur anonyme, dont l'ouvrage créa une sensation énorme l'année dernière en Angleterre et en Allemagne 151. Quant au sujet en question nous ne pouvons mieux faire que de référer le lecteur aux ouvrages très savants du Dr Inman. Bien qu'entachés de partialité, et souvent injustes envers les anciennes religions païennes et juive, les faits traités dans Ancient Pagan and Modern Christian Symbolism sont inattaquables. Nous ne sommes pas non plus d'accord avec quelques critiques anglais qui l'accusent de viser à renverser le Christianisme. Si par Christianisme on entend les formes extérieures du culte, il cherche évidemment à le détruire, car, pour lui, comme pour toute personne vraiment religieuse, ayant étudié [95] les anciennes croyances exotériques et leur symbologie, le Christianisme est du paganisme tout pur, et le Catholicisme, avec son culte de fétiches est autrement plus nuisible et plus pernicieux que l'Hindouisme dans son aspect le plus idolâtre. Mais, tout en dénonçant les formes exotériques et démasquant les symboles, ce n'est nullement à la religion du Christ qu'il s'attaque, mais au système artificiel de la théologie. Laissons-le expliquer sa thèse par sa propre bouche en citant sa préface :

151 Supernatural Religion : An Inquiry into the Reality of Divine Revelation, Londres, 1874 [Publié anonymement par W.R. Cassels.]

 

"Lorsque la perspicacité d'un observateur faisait découvrir un vampire, celui-ci était, nous dit-on, ignominieusement mis à mort en lui passant un pieu à travers le corps ; mais l'expérience démontra qu'ils avaient la vie si tenace qu'ils ressuscitaient mainte et mainte fois malgré l'empalement répété, et qu'on ne s'en débarrassait qu'en les brûlant. De même le paganisme régénéré, qui prédomine chez les partisans de Jésus de Nazareth, a été ressuscité nombre de fois, après avoir été détruit. Favorisé par la masse il est dénoncé par la minorité. Entre autres accusateurs, j'élève la voix contre le paganisme qui existe d'une manière si étendue dans le Christianisme ecclésiastique, et je ferai mon possible pour dévoiler l'imposture. "Dans une histoire de vampire racontée par Southey dans Thalaba, l'être  ressuscité prend la forme d'une vierge bien-aimée, et le héros est obligé de la tuer de sa propre main. Il la tue ; mais en frappant la forme de sa bien-aimée il est certain  de n'avoir tué qu'un démon. De même, en cherchant à détruire le flot du paganisme déguisé en Christianisme, je ne m'attaque nullement à la vraie religion 152. Qui  est celui qui accuserait un ouvrier de malignité pour avoir enlevé la saleté qui recouvrait une belle statue. Il n'en manquera pas qui seront trop délicats pour s'attaquer à un sujet aussi répugnant, mais ils verront avec plaisir qu'un autre le fasse pour eux. C'est d'un éboueur de cette sorte que le besoin se fait sentir 153."

152 Ni nous non plus, si par la véritable religion on comprendra enfin l'adoration par les œuvres et les actes, d'une Divinité suprême, Invisible et Inconnue, et non pas la profession de vains dogmes humains. Mais nous ne voulons pas en dire plus. Nous cherchons à démontrer que si nous excluons le cérémonial et le culte des fétiches comme faisant partie essentielle de la religion, les principes vraiment chrétiens n'ont été manifestés et le véritable Christianisme n'a été pratiqué que par les Bouddhistes et les païens, depuis l'époque des Apôtres.

153 Ancient Pagan and Modern Symbolism, p. XVI, Introd.

 

Mais n'y a-t-il que les païens et les infidèles qui soient persécutés par les catholiques, lesquels s'adressent à la Divinité ainsi que le faisait saint Augustin, "Oh ! mon Dieu ! c'est ainsi que je voudrais voir périr tous tes ennemis" ? Pas le moins du monde ! leurs désirs sont plus mosaïques et plus à l'imitation de Caïn que cela. C'est contre leurs propres frères dans la foi, leurs frères [96] schismatiques qu'ils complotent sous les murs qui abritèrent les meurtriers Borgia. Les larvae des Papes infanticides, parricides et fratricides se sont révélées d'aptes conseillers pour les Caïns de Castelfidardo et de Mentana. C'est maintenant le tour des Chrétiens slavons, des schismatiques orientaux – les philistins de l'église Grecque !

Sa Sainteté le Pape après avoir épuisé dans une métaphore à sa propre louange tous les points de ressemblance entre lui et les grands prophètes bibliques, se compare enfin au Patriarche Jacob "luttant contre son Dieu". Il couronne aujourd'hui l'édifice de la piété catholique en sympathisant avec les Turcs ! Le vice-régent de Dieu inaugure son infaillibilité en encourageant, dans un esprit très chrétien, les actes du David Musulman, le Bachibazouk moderne. Sans doute rien ne serait plus agréable à  Sa Sainteté que de recevoir de lui un présent sous forme de quelques milliers de "prépuces" serbes ou bulgares. Fidèle à sa politique d'être tout pour tous afin de faire avancer ses propres intérêts, l'Eglise de Rome, à l'heure où nous écrivons, (1876) voit avec placidité les atrocités serbes et bulgares, et est en train, probablement, de manœuvrer de concert avec la  Turquie contre la Russie. Plutôt voir l'Islam et le Croissant, jusqu'ici détestés, maîtres du sépulcre du dieu chrétien, que l'église Grecque établie à Constantinople et à Jérusalem comme religion d'état. Tel un tyran en exil, caduc et édenté, le Vatican recherche toute alliance qui lui promet sinon la restauration de sa puissance perdue, du moins l'affaiblissement  de son rival. Il joue en sous-main avec la hache maniée naguère par ses Inquisiteurs tâtant son fil, et attendant le moment propice, tout en espérant contre tout espoir. De son temps l'église des Papes a frayé avec de drôles d'individus, mais jamais elle ne s'est abaissée au point de prêter son appui moral à ceux qui pendant plus de 1.200 ans lui ont craché à la figure, traitant ses enfants de "chiens infidèles", répudiant son enseignement et niant la divinité de son Dieu !

Jusqu'à la presse catholique de France se soulève contre cette indignité et accuse ouvertement le parti Ultramontain de l'Eglise catholique et le Vatican de faire cause commune dans le conflit oriental, avec les musulmans contre les chrétiens.

 "Lorsque le Ministre des Affaires Etrangères éleva  la voix à la Chambre en faveur des chrétiens grecs, il ne fut applaudi que par les catholiques libéraux, tandis que le parti Ultramontain le reçut froidement", dit le correspondant français d'un journal de New-York.

Ce fut au point que M. Lemoine, directeur bien connu du grand journal catholique libéral, les Débats, se vit obligé d'avouer que l'Eglise Romaine avait plus de sympathie pour les musulmans que pour les schismatiques,  de même qu'elle préférait un infidèle [97] à un protestant. Il y a, au fond, dit cet écrivain, une grande affinité entre le Syllabus et le Coran, de même qu'entre les deux chefs des croyants. Les deux systèmes sont de même nature, et s'unissent sur le terrain commun d'une même théorie immuable ! De même, en Italie, le roi et les catholiques libéraux s'unissent dans une vive sympathie pour les infortunés chrétiens, tandis que le Pape et le parti ultramontain inclinent vers les Mahométans."

Le monde civilisé peut s'attendre, sous peu, à l'apparition matérialisée de la Vierge Marie, dans les murs du Vatican. Le "miracle" si souvent répété de la Visiteuse Immaculée pendant le moyen âge, vient de se reproduire dernièrement à Lourdes ; pourquoi ne le ferait-elle pas une fois de plus, afin d'infliger le coup de grâce à tous les hérétiques, schismatiques et infidèles ? Le cierge miraculeux existe encore à Arras, la capitale de l'Artois ; et à chaque nouvelle calamité qui menace sa "chère Eglise" "Notre Dame" apparaît en personne et l'allume de ses propres mains en présence de toute la congrégation "biologisée". Cette sorte de "miracles", nous dit M. E. Worsley, exécuté par l'Eglise catholique romaine, "réussit toujours et ne fait de doute pour personne" 154. La correspondance privée dont la "Bienheureuse Dame" honore ses amis ne fait non  plus aucun doute. Il existe deux précieuses missives de cette sorte dans les archives de l'Eglise. La première, prétend-on, est une lettre en réponse à celle que lui adressa saint Ignace. Elle confirme tout ce que son correspondant avait appris au sujet de "son ami", par lequel elle veut dire l'apôtre Jean. Elle l'enjoint de respecter ses vœux et ajoute sous forme d'encouragement : Moi et Jean nous viendrons ensemble vous rendre visite 155.

154 "Discourses of Miracles wrought in the Roman Catholic Church, or a full Refutation of D' Stillingfleet's unjust Exceptions against Miracles", Octavo 1676, p. 64.

155 Après cela, pourquoi les Catholiques Romains objecteraient-ils aux prétentions des Spirites ? Si, sans preuve à l'appui, ils croient à la "matérialisation" de la Vierge Marie et de saint Jean vis-à-vis de saint Ignace, comment peuvent-ils logiquement nier la matérialisation de Katie et  de John (King), lorsque celle-ci est certifiée par les expériences de M. Crookes le chimiste anglais, et les témoignages de nombreux autres témoins ?

156 La "Mère de Dieu" a, par conséquent, la préséance sur Dieu ?

 

Rien n'avait transpiré de cette fraude éhontée, jusqu'à la publication des lettres à Paris en 1495. Par une curieuse coïncidence cette publication parut au moment où des investigations menaçantes venaient d'être faites au sujet de l'authenticité du quatrième Evangile synoptique. Qui se permettrait de douter après une pareille confirmation venue du Quartier Général ? Mais le comble de l'effronterie se produisit en 1534, lorsqu'une nouvelle lettre fut reçue, venant de la "Médiatrice", lettre qui ressemble plutôt au rapport [98] d'un politicien à un confrère politique. Elle était rédigée en excellent latin, et on la trouva dans la cathédrale de Messine, avec l'image dont elle fait mention. En voici la traduction :

"La Vierge Marie, Mère du Rédempteur du monde, à l'Evêque, au Clergé et à tous les fidèles de Messine, envoie la santé et la bénédiction, en son nom à elle et celui de son fils 156.

Attendu que vous avez eu à cœur l'établissement de mon culte ; ceci est pour vous faire savoir qu'en ce faisant vous avez trouvé grâce devant mes yeux. Depuis longtemps je pense à votre ville avec douleur, car elle est exposée à de grands dangers à cause de sa proximité du feu de l'Etna, et j'ai eu des discussions à ce sujet avec mon fils, car il était fâché contre vous parce que vous aviez négligé mon culte, et que par conséquent il se souciait fort peu de mon intercession. Aujourd'hui, cependant, comme vous êtes revenus à de meilleurs sentiments, et que, heureusement, vous avez recommencé à m'adorer, il m'a conféré le droit  de devenir votre protectrice éternelle ; mais en même temps, je vous avertis de faire attention à ce que vous faites, et de ne pas me donner l'occasion d'avoir à me repentir de ma bienveillance envers vous. Les prières et les fêtes instituées en mon nom me sont  particulièrement agréables (véhémenter), et si vous persévérez dans ces choses, et que vous vous opposiez, dans la mesure de vos forces, aux hérétiques qui se répandent aujourd'hui sur tout le monde, ce qui cause un grand danger à mon culte et à celui des autres saints et saintes, vous jouirez de ma protection éternelle.

Comme gage de ce pacte, je vous envoie du ciel, cette image de moi-même, coulée par des mains célestes et si vous l'honorez comme elle le mérite, ce me sera une preuve de votre obéissance et de votre foi. Adieu. Daté au Ciel, assise près du trône de mon fils, le mois de décembre de l'an 1534 de son incarnation."

 "MARIE VIERGE"

 

Que le lecteur ne s'imagine pas qu'il s'agit d'un faux anticatholique. L'auteur auquel cette lettre est empruntée 157 affirme que l'authenticité de la lettre a été attestée par l'Evêque lui-même, son vicaire général, son secrétaire, et six chanoines de l'église-cathédrale de Messine, qui tous ont signé l'attestation de leurs noms, en le confirmant par serment.

157 Voyez New Era de juillet 1875, N. Y.

 

"La lettre et l'image furent trouvées, toutes deux, sur le grand autel, où les avaient placées des anges descendus du ciel,"

Il faut qu'une Eglise soit tombée dans la plus basse dégradation pour que son clergé ait recours à de telles supercheries sacrilèges et que celles- ci soient acceptées par le peuple avec ou sans murmures.

Non ! une religion de cette sorte est bien loin de l'homme qui sent en lui l'action d'un esprit immortel. Il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais de philosophe véritable, qu'il soit païen, infidèle, juif ou chrétien, qui ait suivi cette ligne de pensée. Le Bouddha [99] Gautama est reflété dans les préceptes du Christ ; saint Paul et Philon le juif sont les fidèles échos de Platon ; et Ammonius Saccas et Plotin se couvrirent de gloire immortelle en combinant les enseignements de tous ces grands maîtres de la véritable philosophie. "Mettez tout à l'épreuve ; et attachez-vous à ce qui est bien", voilà quelle devrait être la devise de tous les frères de par le monde. Il n'en est pas ainsi avec les interprètes de la Bible. La graine de la Réformation fut semée le jour où le second chapitre de l'Epître catholique de saint Jacques entra en conflit avec le onzième chapitre de l'Epître aux Hébreux, dans le même Nouveau Testament. Celui qui croit en saint Paul ne peut croire en saint Jacques, saint Pierre ou saint Jean. Pour être chrétiens avec leur apôtre, il faut que les partisans de saint Paul combattent saint Pierre, "face à face", et si saint Pierre "doit être blâmé" et qu'il avait tort, il n'était pas infaillible. Comment, alors, son successeur (?) peut-il se vanter de son infaillibilité ? Tout royaume divisé contre lui-même est sûr de sa perte ; et toute maison divisée contre elle-même tombera. La pluralité de maîtres s'est montré aussi fatale en religion qu'en politique. Ce que prêcha saint Paul fut enseigné par tous les autres philosophes mystiques. "Tenez-vous donc fermes dans la liberté dans laquelle le Christ nous a mis, et ne vous remettez pas de nouveau sous le joug de la servitude" ; s'écrie le sincère philosophe apôtre ; puis il ajoute sous une inspiration prophétique : "Mais si vous vous mordez et vous mangez les uns les autres, prenez garde que vous ne soyez détruits les uns par les autres 158."

158 Galates, V, 1 et 15

 

Dans l'adoption de leurs rites et de leurs théurgie, nous avons  la preuve que les Néo-Platoniciens n'ont pas toujours été méprisés et accusés de démonolatrie, par l'Eglise romaine. Les évocations et incantations identiques des Cabalistes païens et juifs sont répétées aujourd'hui par les exorcistes chrétiens, et la théurgie de Jamblique a été adoptée mot à mot. "Malgré la distinction qui séparait les Platoniciens des chrétiens Pauliniens aux premiers siècles", dit le professeur A. Wilder "parmi les instructeurs les plus en vue de la nouvelle foi, il y en eut beaucoup qui étaient profondément teintés du levain philosophique. Synesius, évêque de Cyrène était un disciple d'Hypatie. Saint Antoine s'inspirait de la théurgie de Jamblique. Le Logos, ou le Verbe de l'Evangile selon saint Jean était une personnification gnostique. Clément d'Alexandrie, Origène et bien d'autres parmi les pères, étanchèrent leur soif aux sources de la philosophie. L'idée d'ascétisme qui entraîna l'Eglise était pareille à celle que pratiquait Plotin... tout au long du moyen âge apparurent des hommes qui acceptaient les doctrines intimes promulguées par le célèbre instructeur de l'Académie 159."

[100]

Nous donnons ci-après la traduction de quelques fragments des formules d'exorcisme employées par les cabalistes et les chrétiens afin d'établir l'accusation que l'Eglise Romaine eut soin de ravir aux cabalistes et aux théurgistes leurs rites magiques et leurs cérémonies, avant de leur lancer ses anathèmes. L'identité de la phraséologie nous révèle, peut-être, une des raisons pourquoi l'Eglise Romaine a toujours tenu ses fidèles dans l'ignorance sur la signification de ses prières et de son rituel latin. Seuls ceux qui avaient un intérêt direct dans la supercherie ont eu l'occasion de comparer le rituel de l'Eglise avec celui des Magiciens. Jusqu'à une date comparativement récente, les meilleurs latinistes étaient soit des hommes d'église, soit des lettrés dépendant d'elle. La masse du peuple ne lisait pas le latin, et si elle l'avait fait, la lecture des livres de magie était prohibée sous peine d'anathème et d'excommunication. L'habile artifice de la confession rendit presque impossible toute velléité de consulter, même en cachette, ce que les prêtres nomment un grimoire (un griffonnage du diable), ou Rituel de Magie ; et par surplus de précaution l'Eglise commença par détruire, ou mettre en lieu sûr, tous les documents de la sorte sur lesquels elle put mettre la main.

Voici la traduction du Rituel Cabalistique, et celui généralement connu sous le nom de Rituel Romain. Celui-ci fut promulgué en 1851 et 1852 sous la sanction du Cardinal Engelbert, archevêque de Malines, et de l'archevêque de Paris. Le démonologue des Mousseaux dit à son sujet : "C'est le rituel de Paul V, révisé par le plus érudit des Papes modernes, Benoît XIV, contemporain de Voltaire 160."

 159 "Paul and Plato".

160 Voyez La Magie au XIXème siècle, p. 139.

 

 

 

 

 

 

 

 

CABALISTIQUE (juif et païen)

 

CATHOLIQUE ROMAIN

 

 

 

 

 

 

 

Exorcisme du Sel

 

Exorcisme du Sel 161

 

 

 

 

 

 

 

Le Prêtre-Magicien bénit le sel, et dit : "Créature du Sel 162, que la SAGESSE [de Dieu] demeure en toi ; qu'elle préserve notre esprit et nos corps de toute corruption. "Par le pouvoir de Hochmael חכמאל [Dieu de la Sagesse] et celui de Ruach Hochmael [Esprit du Saint Esprit] que les Esprits de la Matière (mauvais esprits) fuient devant lui... Amen."

 

Le Prêtre bénit le Sel et dit :

Créature du Sel, je t'exorcise au nom du Dieu vivant... sois la santé de l'âme et du corps !

Partout où tu es jeté, que les esprits impurs soient mis en fuite... Amen.

 

 

 

 

 

 

 

Exorcisme de l'Eau (et des Cendres)

 

Exorcisme de l'Eau

 

 

 

 

 

 

 

"Créature de l'Eau, je t'exorcise... par les trois noms qui sont Netsah, Hod et Yesod [Trinité cabalistique], dans le commencement et à la fin, par Alpha et Oméga, qui sont dans l'Esprit Azoth [Saint Esprit ou Ame Universelle], je t'exorcise et je t'adjure... Aigle errant que le Seigneur t'ordonne, par les ailes du taureau et son épée flamboyante. (Le chérubin placé à la porte de l'Est de l'Eden).

 

"Créature de l'Eau, au nom du Dieu Tout-Puissant, du Père, du Fils et du Saint Esprit... sois exorcisée... Je t'adjure au nom de l'Agneau... [le Magicien dit taureau ou bœuf, per alas Tauri] de l'Agneau qui marcha sur le basilic et l'aspic et qui écrase, sous ses pieds, le lion et le dragon."

 

 161 Rituel Romain, édit. 1851, p. 291-296, etc., etc.

162 Créature du sel, de l'air, de l'eau ou de tout objet capable d'être enchanté ou béni ; terme technique en Magie adopté par le clergé chrétien.

 

 

 

Exorcisme d'un Esprit Elémental

 

Exorcisme du Diable

 

 

 

 

 

 

 

"Serpent, au nom du Tétragrammaton, le Seigneur ; Il te commande, par l'Ange et le Lion.

Ange des Ténèbres, obéis, et fuis avec cette eau bénite [exorcisée]. Aigle enchaîné, obéis à ce signe, et retire-toi devant le souffle.

Serpent mobile, rampe à mes pieds, ou sois torturé par ce feu sacré, et évapore-toi devant cet encens sacré. Que l'eau retourne à l'eau [l'esprit élémental de l'eau] ; que le feu brûle, et que l'air circule ; que la terre retourne à la terre en vertu du Pentagramme qui est l'Etoile du matin, et au nom du Tétragrammaton qui est tracé dans le centre de la Croix de Lumière. Amen."

 

………………..………………………

"O, Seigneur, que celui qui porte avec lui la terreur, fuie, frappé lui-même de terreur, et qu'il soit vaincu. O toi, qui es l'Ancien Serpent... tremble devant le bras de celui qui, ayant triomphé des peines de l'enfer [?] devictis gemitibus inferni, rappela les âmes à la lumière... Plus tu tarderas, plus ta torture sera grande... par Celui qui règne sur les vivants et sur les morts... et qui jugera le siècle par le feu, seculum per ignem, etc. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Amen 163."

 

163 Rom. Rit., pp. 428-33. Cf. Des Mousseaux, La Magie, etc., p. 139-43.

164 Voir Art Magic, Pt III, sect. XIX, art. sur Peter d'Albano.

 

 Nous ne voulons pas mettre à l'épreuve plus longtemps la patience du lecteur, bien que nous puissions multiplier les exemples, mais n'oublions pas que nous nous référons à la dernière édition du Rituel parue en 1851- 1852. Si nous nous reportions à l'antérieure nous y trouverions des points de ressemblance encore plus frappant, pas seulement dans la phraséologie mais dans la forme du cérémonial. Nous n'avons même pas choisi, pour la comparaison, le rituel du cérémonial magique des cabalistes chrétiens du moyen âge, où le langage modelé sur la croyance dans la divinité du Christ est, sauf une expression par-ci, par-là, identique  avec  le  Rituel Catholique 164. Celui-ci, toutefois, est en progrès, et pour cette note [102] originale l'Eglise a droit à tout le bénéfice. On ne trouverait, certes, rien d'aussi fantastique dans n'importe quel rituel de Magie. Apostrophant le "Démon" il dit : "Cède le pas à Jésus-Christ... bête puante, dégoûtante et féroce... Tu te révoltes ? Ecoute et tremble, Satan ; ennemi de la foi, ennemi de la race humaine, introducteur de la mort... racine de tout mal, promoteur du vice, âme de l'envie, origine de l'avarice, cause de discorde, prince de l'homicide, maudit de Dieu, auteur de l'inceste et du sacrilège, inventeur de toute obscénité, professeur des actes les plus détestables, et Grand Maître des Hérétiques [!! ] (Doctos Hœreticorum). Quoi !... tu résistes encore ? Oses-tu résister, sachant que le Christ, notre Seigneur, va venir ?... Fais place à Jésus-Christ, fais place au Saint Esprit, qui, par son Apôtre bienheureux, saint Pierre, t'a renversé devant le monde dans la personne de Simon le Magicien" (le manifeste stravit in Simone Mago) 165.

165 Rituel, p. 429-433 ; voyez La Magie au XIXème siècle, p. 142-43.

 

Après une telle pluie d'injures, quel est le diable ayant la plus petite parcelle de point d'honneur, qui consentirait à  rester  en  pareille compagnie ; à moins d'être un Libéral Italien ou le Roi Victor Emmanuel en personne, lesquels, grâce à Pie IX, sont à l'épreuve de l'anathème.

C'est vraiment grand dommage que d'enlever à Rome tous ses symboles à la fois ; mais il faut rendre justice aux hiérophantes dépouillés. Longtemps avant que le signe de la croix ne fut adopté comme symbole chrétien, il était employé comme signe de reconnaissance entre les néophytes et les adeptes. Eliphas Lévi nous dit que : "Le signe de la croix, adopté par les Chrétiens, n'est pas leur propriété exclusive. Il est cabalistique, car il représente l'opposition et l'équilibre quaternaire des éléments. Nous constatons, par la strophe occulte du Pater, à laquelle nous faisons allusion dans un autre volume, qu'il y avait, à l'origine, deux manières différentes de le faire, ou du moins, deux formules fort distinctes pour expliquer sa signification – une réservée aux prêtres et aux initiés ; et l'autre communiquée aux néophytes et aux profanes. Ainsi, par exemple, l'initié, en portant la main à son front, disait : "A Toi ; puis il ajoutait, appartiennent ; il continuait en plaçant la main sur la poitrine –  le royaume ; puis à l'épaule gauche – la justice ; à l'épaule droite – et la miséricorde. Il joignait ensuite les mains en ajoutant : à travers les cycles générateurs : Tibi sunt Malchect, et Geburah et Chassed per Æonas ; ce signe de la croix est en tous points et magnifiquement cabalistique, et l'Eglise militante et officielle l'a laissé complètement perdre, à la suite  de la profanation du Gnosticisme 166." [103]

Combien fantastique, alors, nous apparaît l'affirmation du père Ventura, que, tant que saint Augustin était un Manichéen, un philosophe, ignorant la "sublime révélation chrétienne", et refusant de  s'humilier devant elle, il ne savait rien, et ne comprenait rien de Dieu, des hommes et de l'univers ; "...il resta pauvre, petit, obscur, stérile ; il n'écrivit rien et ne fit rien de grand ou d'utile". Mais aussitôt qu'il eut embrassé la foi chrétienne "... son intelligence et son pouvoir de raisonner, éclairés à la lumière de la foi, l'élevèrent aux sommets les plus sublimes de la philosophie et de la théologie". Et son autre argument : que par conséquent le génie de saint Augustin "se développa dans toute sa grandeur et sa fécondité prodigieuse... son intelligence rayonnait de cette intense lumière, qui réfléchie dans ses œuvres immortelles, n'a jamais cessé un instant, depuis quatorze siècles, d'éclairer le monde et l'Eglise" 167.

166 Dogme et Rituel de la Haute Magie, vol. II, p. 88

167 Conférences par le Père Ventura, vol. II, part. I, p. LVI. Préface.

 

Ce que fut saint Augustin comme Manichéen, nous laissons au Père Ventura le soin de nous faire savoir ; mais que sa conversion au Christianisme établit un conflit éternel entre la théologie et la science ne fait pas l'ombre d'un doute. Tout en étant obligé de reconnaître que "les doctrines des Gentils avaient peut-être quelque chose de divin et de  vrai", il déclara, toutefois, que, par suite de leur superstition, leur idolâtrie et leur orgueil, il fallait "les détester et, s'ils ne s'amendaient pas, les vouer à la punition par le jugement divin". Cela nous fournit la clef de la politique ultérieure de l'Eglise chrétienne, même en ce qui concerne l'époque actuelle. Si les Gentils refusaient d'entrer dans l'Eglise, tout ce qu'il y avait de divin dans leur philosophie ne comptait pour rien, et la colère divine s'abattait sur eux. Draper nous dit en peu de mot l'effet produit par cette attitude : "Ce Père, plus que tout autre, contribua à jeter la discorde entre la science et la religion ; ce fut surtout lui qui enleva à la Bible son vrai but – c'est-à-dire d'être un guide pour vivre une vie pure – et la mit dans la position dangereuse de se poser comme arbitre des  connaissances humaines et d'exercer une tyrannie audacieuse sur les pensées  des hommes. L'exemple une fois donné, les partisans ne se firent pas attendre ; on  traita  de  profanes  les  œuvres  des  philosophes  grecs ;  les  exploits transcendants et glorieux du Muséum d'Alexandrie furent cachés sous un voile d'ignorance, de mysticisme et de jargon inintelligible, d'où partaient trop souvent, hélas, les éclairs  destructeurs  de  la  vengeance ecclésiastique 168." [104]

Saint Augustin 169 et saint Cyprien 170 admettent, tous deux, qu'Hermès et Hostanés croyaient en un vrai dieu ; ils reconnaissent, avec les deux païens, qu'il est invisible et incompréhensible, sauf pour l'esprit. De plus, nous défions n'importe quelle personne intelligente, qui ne soit pas aveuglée par le fanatisme religieux, après lecture de fragments pris au hasard dans les ouvrages d'Hermès et de saint Augustin sur la Divinité, de nous dire lequel des deux donne une définition plus  philosophique du "Père invisible". Nous connaissons au moins un auteur de marque qui est de notre opinion. Draper traite les productions de saint Augustin de "rhapsodies conversationnelles" avec Dieu ; de "rêveries incohérentes" 171.

168 Conflict between Religion and Science, p. 62.

169 [De baptismo contra Donatistas, 1. VI, c. XLIV.]

170 [Sancti C. Cypriani opera, 5 V, "De Idolorum vanitate", Traité VI, sect. VI, p. 14.]

171 Conflict, etc., p. 60.

172 Conflict, etc.

 

Le Père Ventura nous présente le saint comme se plaçant devant le monde ébahi, "sur les sommets les plus sublimes de la philosophie". Mais voici que le même critique impartial fait la remarque suivante au sujet  de ce colosse de la philosophie patristique. "Est-ce pour ce projet absurde, pour ce produit de l'ignorance et de l'audace, qu'il fallait mettre à l'écart tous les ouvrages des philosophes grecs ? Les grands critiques qui apparurent avec la Réformation, en comparant les œuvres de ces écrivains les unes avec les autres, ne vinrent pas trop tôt pour les placer sur le niveau qui leur convient, et nous enseigner à toutes les traiter avec mépris 172."

Que des hommes comme Plotin, Porphyre, Jamblique, Appolonius et même Simon le Magicien, soient accusés d'avoir fait un pacte avec le Diable, que ce personnage existe ou non, paraît si absurde, qu'il ne vaut pas la peine de le réfuter. Si Simon le Magicien – le plus problématique de tous au point de vue historique – a jamais existé autre part que dans l'imagination enfiévrée de saint Pierre et des autres apôtres, il n'était certes pas plus mauvais que n'importe lequel de ses adversaires. Une différence de point de vue religieux, quelque grande qu'elle soit, n'est pas suffisante en elle-même, pour envoyer un des adversaires au ciel et l'autre en enfer. Ces doctrines autoritaires et peu charitables ont pu être enseignées au moyen âge ; mais il est trop tard aujourd'hui, même pour l'Eglise, de mettre en avant ce traditionnel épouvantail. Les recherches commencent à nous faire entrevoir ce qui, si l'on parvient à en établir la preuve, jettera un blâme éternel sur l'Eglise de l'apôtre Pierre ; et l'attribution de celle-ci à ce disciple doit être considérée comme une des assertions les moins vérifiées et les moins vérifiables du clergé catholique. [105]

Le savant auteur de Supernatural Religion 173 cherche assidûment à prouver que par Simon le Magicien, nous devons entendre l'apôtre Paul, dont les Epîtres furent secrètement et ouvertement calomniées par saint Pierre et accusées de contenir des "enseignements dysnoétiques". L'apôtre des Gentils était courageux, franc, sincère et très savant ; l'apôtre de la Circoncision était lâche, cauteleux, hypocrite et très ignorant. Que saint Paul ait été, du moins en partie, sinon tout à fait, initié aux mystères théurgiques, ne fait aucun doute. Son langage, la phraséologie si particulière aux philosophes grecs, certaines expressions utilisées par les seuls initiés, sont tous des signes certains pour étayer cette supposition. Nos soupçons ont été renforcés par un article fort bien écrit, paru dans un journal de New-York intitulé, "Paul et Platon" 174, dans  lequel l'auteur émet quelques observations remarquables, et pour nous, fort précieuses. Dans son Epître aux Corinthiens, il nous fait voir Paul abondant en "expressions suggérées par les initiations aux mystères de Sabazius et d'Eleusis, et les enseignements des philosophes [grecs]. Il [saint Paul] se donne comme un idiôtês c'est-à-dire une personne ignorante en ce qui concerne le Verbe, mais non pas dans la gnose ou connaissance philosophique.

"Nous discourons de la sagesse parmi les parfaits, ou initiés, écrit-il ; non la sagesse de ce monde, ni celle des Archontes de ce monde, mais la sagesse divine dans un mystère secret – qu'aucun des Archontes de ce monde n'a connue 175."

 173 Ibid., p. 66.

174 Paul and Plato, par A. Wilder, éditeur de The Eleusinian and Bacchic Mystéries par Thomas Taylor.

175 Corinthiens II, 6, 7, 8.

 

Que prétend l'apôtre donner à entendre par ces paroles claires et non équivoques, sinon que, lui-même, faisant partie des mystœ (initiés) discourait de choses exposées, et expliquées seulement dans les Mystères ? La "sagesse divine dans un mystère qu'aucun des Archontes de ce monde n'a connue" se réfère, sans aucun doute, au basileus de l'initiation éleusinienne qui, lui, savait. Le basileus faisait partie de la suite du grand hiérophante, et était Archonte d'Athènes ; en cette qualité il était un des principaux mystœ, appartenant aux Mystères intérieurs  auxquels un nombre fort restreint et choisi était seul admis 176. Les magistrats qui dirigeaient les Eleusinies étaient appelés Archontes.

Nous voyons une nouvelle preuve que Paul faisait partie du cercle des "Initiés", dans le fait suivant. L'apôtre se fit tondre la tête à Chenchrea (où fut initié Lucius Apuleius) parce qu'il "avait fait un vœu". Les nazars – ou les mis à part – ainsi que nous le lisons dans les Ecritures juives, devaient se faire couper les [106] cheveux, qu'on portait longs, et qu' "aucun rasoir ne devait toucher" à un autre moment, et les sacrifier sur l'autel de l'initiation. Les nazars étaient une classe des théurgistes chaldéens. Nous donnerons plus loin la preuve que Jésus en faisait partie.

Saint Paul déclare que : "Selon la grâce de Dieu qui m'a été donnée, j'ai posé les fondations comme un sage architecte 177."

176 Voyez le Eleusinian and Bacchic Mysteries de Taylor.

177 I. Epître aux Corinthiens, III, 10.

178 Dans son sens le plus étendu, le mot sanscrit a la même signification littérale que le terme grec ; tous deux impliquent une "révélation" par un agent non humain mais déterminée par "la boisson sacrée". Aux Indes, les initiés recevaient la boisson sacrée du "Soma" qui les aidait à libérer leur âme de leur corps ; et dans les Mystères d'Eleusis c'était la boisson sacrée offerte à l'Epopteia. Les mystères grecs dérivaient en entier des rites védiques Brahmaniques, et ceux-ci des Mystères religieux ante-védiques, la philosophie Bouddhiste primitive.

 

Cette expression, architecte, qui n'est employée qu'une seule fois dans toute la Bible, et cela par Paul, doit être considérée comme une véritable révélation. La troisième partie des rites sacrés dans les Mystères se nommait Epopteia, ou révélation, la réception aux secrets. En substance, elle fait allusion à ce degré de clairvoyance divine, quand tout ce qui touche à ce monde disparaît, la vue terrestre étant paralysée, et l'âme pure et libre, s'unit à son Esprit, ou Dieu. Mais la véritable signification de ce mot est "surveillant", de οπτοµαι, je me vois. En sanscrit le mot avâpta a la même signification, et aussi celle d'obtenir 178. Le mot epopteia est un  mot composé de Επὶ, sur et ὸπτοµαι, voir, surveiller, employé aussi dans le sens d'architecte. Le titre de Maître-Maçon dans la Franc-Maçonnerie, en dérive, dans le sens qu'il avait dans les Mystères. Par conséquent, lorsque Paul dit qu'il est un "architecte", il se sert d'une expression éminemment cabalistique, théurgique et maçonnique, qu'aucun des autres apôtres n'eût employée. Il avoue, par cela, qu'il est un adepte, ayant le droit d'initier les autres.

Si nous faisons des recherches dans ce sens, sous la direction de ces guides très sûrs, les Mystères Grecs et la Cabale, il n'est pas difficile de trouver la raison secrète, pourquoi saint Paul était haï par saint Pierre, saint Jean et saint Jacques, et persécuté par eux. L'auteur de l'Apocalypse était un cabaliste juif, pur sang, avec toute la haine des Mystères qu'il avait héritée de ses ancêtres 179. Du temps de Jésus, sa jalousie se porta jusque sur Pierre ; et ce ne fut qu'après la mort de leur maître que nous voyons les deux apôtres – dont le premier ceignit la Mitre et le Pétalon des Rabbins Juifs – prêcher avec tant de zèle le rite de la circoncision. Aux yeux de Pierre, saint Paul qui l'avait humilié, et qu'il sentait être si supérieur à lui en "connaissances grecques" et en philosophie, [107] devait naturellement apparaître comme un magicien, un homme souillé de la "Gnose", de la "sagesse" des Mystères grecs, et par conséquent, qui sait ? comme "Simon le Magicien" 180.

179 Inutile de dire que l'Evangile selon saint Jean n'a jamais été écrit par Jean, mais par un Platonicien ou un Gnostique appartenant à l'école néoplatonicienne.

180 Le fait que Pierre persécuta "l'Apôtre des Gentils" sous ce nom ne veut pas dire qu'il était Simon le Magicien en personne, personnage distinct de saint Paul ; cela pouvait avoir été un terme générique de mépris. Theodoret et saint Chrysostome, les premiers et les plus prolifiques commentateurs du Gnosticisme de cette époque paraissent faire de Simon un rival de Paul et vont jusqu'à prétendre qu'ils échangèrent plus d'un message. Theodoret en fervent propagandiste de ce que saint Paul nomme "l'Antithèse de la Gnose" (1er Epître à Thimothée) paraît avoir été une douloureuse épine dans le côté de l'apôtre. Les preuves ne manquent pas de l'existence réelle de Simon le Magicien.

 

Quant à Pierre, la critique biblique a déjà démontré qu'il n'a probablement rien eu à faire avec la fondation de l'Eglise latine à Rome, sauf en ce qu'il a fourni le prétexte dont le rusé Irénée a profité pour faire bénéficier cette Eglise du nouveau nom de l'apôtre, Petras ou Kephas, nom qui se prêtait si bien, en jouant avec les mots, pour l'associer à celui de Petroma, le double jeu de tablettes de pierre employées par le hiérophante aux initiations, dans le mystère final. C'est peut-être là-dessus que repose tout le secret des prétentions du Vatican. Ainsi que le remarque fort à propos le professeur Wilder : "Dans les pays orientaux, la désignation רתפ Peter [en phénicien et en chaldéen, un interprète] paraît avoir été le titre de ce personnage [le hiérophante]... Il y a dans ces faits une réminiscence des circonstances particulières de la Loi Mosaïque... ainsi que la prétention du Pape d'être le successeur de Pierre, le hiérophante ou interprète de la Religion chrétienne 181."

181 Thos. Taylor, op cit., pp. 17-18 (4ème éd.). Si nous n'avions pas la tradition cabalistique, digne de foi, à laquelle nous fier, nous nous verrions peut-être forcés de nous demander si l'Apocalypse doit être attribuée à l'apôtre de ce nom. Il paraît avoir été connu sous le nom de Jean le Théologien.

 

Dans cette qualité, nous devons lui reconnaître, jusqu'à un certain point, le droit d'être un tel interprète. L'Eglise latine a fidèlement conservé dans ses symboles, ses rites, ses cérémonies, son architecture, et même dans l'accoutrement de ses prêtres, la tradition du culte païen – des cérémonies publiques ou exotériques cela va sans dire ; autrement, ses dogmes feraient preuve de plus de bon sens, et renfermeraient moins de blasphèmes envers la majesté du Dieu Suprême et Invisible.

Une inscription trouvée sur le tombeau de la Reine Mentuhept, de la onzième dynastie (2.250 avant J.-C.) qu'on a reconnue avoir été transcrite du dix-septième chapitre du Livre des Morts (datant d'au  moins 4.500 avant J.-C.) est encore plus suggestive. Ce texte [108]  monumental contient un groupe d'hiéroglyphes qui, interprétées, donnent

 PTR.       RF.      SU.

 Peter.      Ref.      Su.

 Le Baron Bunsen nous fait voir cette formule sacrée mélangée à toute une série de commentaires et d'interprétation diverses, sur un monument âgé de quarante siècle. "Cela équivaut à dire que la mention (la véritable interprétation) n'était déjà plus intelligible à cette époque... Nous voulons par cela faire entendre au lecteur, ajoute-t-il, qu'un texte sacré, un hymne, reproduisant les paroles d'un esprit désincarné, existait en cet état il y a environ 4.000 ans... au point d'être à peu prés inintelligible pour les scribes royaux 182."

Qu'elle fût inintelligible pour les non initiés parmi ceux-ci, est aussi certain, en lisant les commentaires confus et contradictoires, qu'elle était une "parole mystérieuse" connue seulement des hiérophantes  du sanctuaire, et de plus, un mot choisi par Jésus, pour désigner l'office qu'il attribue à un de ses apôtres. Ce mot PTR n'a été interprété qu'en partie, à la suite d'un autre mot écrit dans un autre groupe d'hiéroglyphes, sur une stèle, le signe qui le représente étant un œil ouvert 183. Bunsen  donne encore une autre signification à PTR, qui serait "Montrer". "Il me semble, ajoute-t-il, que le PTR est littéralement l'ancien mot Aramique et Hébreu, "Patar" qui figure dans l'histoire de Joseph comme le mot spécifique pour interprète ;  de  là,  par  conséquent,  Pitrun  doit  être  l'interprétation d'un texte, d'un songe 184." Dans un manuscrit du Ier siècle,  combinaison de textes grec et démotique 185, et probablement un des rares ouvrages qui échappèrent aux vandales chrétiens des IIème  et IIIème  siècles, lorsque  tous ces  précieux  manuscrits  furent  brûlés  sous  l'inculpation  de  magie,  nous trouvons  répétée,  à  plusieurs  reprises,  une  expression  qui,  peut-être,  va jeter un peu de lumière sur le sujet. Un des principaux héros du manuscrit, qu'on  nomme  toujours  "l'Illuminateur  Juif",  ou  Initié,  Τελειωτὴς,  n'est censé  communiquer  qu'avec  son  Patar ;  ce  dernier  mot  étant  écrit  en caractères  chaldéens.  Ce  mot  est  associé,  une  fois,  avec  le  nom  de Shimeon. [109]

182 Bunsen, Egypt's place in Universal History, vol. V, p. 90.

183 Voyez de Rougé, Stèle, p. 44 ; PTAR (videns) est interprété par "apparaître" suivi d'un point d'interrogation – le signe usuel de la perplexité scientifique. Dans le cinquième volume de l'Egypte de Bunsen, l'interprétation est "Illuminateur", ce qui est plus correct.

184 Egypte, de Bunsen. Vol. V, p. 90.

185 Ce manuscrit est la propriété d'un mystique que nous avons rencontré en Syrie.

 

"L'Illuminateur", qui interrompt rarement sa solitude contemplative, nous est montré, plusieurs fois, habitant une Κρύπτη (caverne) et enseignant, non pas oralement, mais par l'entremise de ce Patar, une multitude de disciples avides d'apprendre, et qui se tiennent au dehors. Le Patar écoute les paroles de sagesse en appliquant son oreille à un trou percé dans la cloison qui cache l'instructeur à son auditoire et les transmet à la foule, en les commentant et en les expliquant. Cela était, à peu de chose près la méthode adoptée par Pythagore, lequel, d'après ce que nous savons, ne permettait pas aux néophytes de le voir pendant les années de probation, mais il les instruisait depuis derrière un rideau qui fermait l'entrée de sa caverne.

Que "l'Illuminateur" du manuscrit gréco-démotique ait été identifié avec Jésus ou non, le fait reste acquis, que nous le voyons se servir d'un terme usité dans les "Mystères" pour désigner celui que, plus tard, l'Eglise catholique élève au rang de Janitor du Royaume des Cieux et d'interprète de la volonté du Christ. Le terme Patar ou Peter place d'emblée le maître et le disciple dans le cercle de l'initiation et les met en rapport avec la "Doctrine Secrète". Le grand hiérophante des anciens mystères ne permettait jamais aux candidats de le voir ou de l'entendre en personne. Il était le Deus-ex-Machina, la Divinité invisible qui préside, transmettant sa volonté et ses instructions par un intermédiaire ; et deux mille ans plus tard, nous constatons que les Dalaï-Lamas du Tibet ont  suivi ce programme traditionnel dans les mystères religieux les plus solennels du lamaïsme. Si Jésus connaissait la signification occulte du titre qu'il décerna à Simon, alors il a dû être un initié ; autrement il ne l'eût pas connu ; et s'il était un initié des Essénes Pythagoriciens, des Mages chaldéens, ou des Prêtres égyptiens, la doctrine qu'il enseigna était une parcelle de la "Doctrine Secrète" révélée par les hiérophantes païens à quelques adeptes choisis, admis dans les sanctuaires sacrés.

Nous en reparlerons plus loin. Pour le moment nous allons indiquer sommairement l'extraordinaire ressemblance, nous devrions plutôt dire, l'identité, des rites et des vêtements de cérémonie du clergé chrétien, avec ceux des babyloniens, des assyriens, des phéniciens, des égyptiens, et d'autres païens de la plus haute antiquité.

Si nous voulons avoir le modèle de la tiare papale, il faut le chercher dans les anciennes tablettes assyriennes. Nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage illustré du Dr Innan intitulé : Ancient Pagan and Modern Christian symbolism. A la page 64, il reconnaîtra sans peine la coiffure du successeur de saint Pierre dans celle portée par les dieux ou les anges de l'antique Assyrie "où elle figure couronnée par l'emblème de la Trinité mâle" (La Croix chrétienne). "Disons, en passant", ajoute le Dr Inman, "que, de même que les catholiques [110] romains adoptèrent la mitre et la tiare "de la race damnée de Cham", de même aussi ils adoptèrent la crosse épiscopale des augures étruriens, et la forme artistique qu'ils prêtent à leurs anges, fut empruntée aux peintres et aux fabricants d'urnes de la Grande Grèce et de l'Italie Centrale".

Si nous poussons plus loin nos recherches et que nous cherchions à connaître l'origine du nimbe et de la tonsure des prêtres et des moines catholiques 186, nous trouverions des preuves irréfutables que ce sont des emblèmes solaires. Knight, dans son Old England ; a Pictorial Museum reproduit un dessin de saint Augustin, représentant un ancien évêque chrétien, dans un accoutrement probablement identique à celui porté par le grand "saint" en personne. Le pallium ou ancienne étole épiscopale est le signe féminin lorsqu'il est porté par le prêtre officiant. Sur la gravure de saint Augustin, il est couvert de croix bouddhiques et l'ensemble de son apparence est une copie du T égyptien (le Tau) prenant un peu la forme d'un Y. "La pointe inférieure..., dit Inman, est la marque de la triade masculine ; l'index de la main droite [du sujet] est étendu, comme le faisaient les prêtres assyriens, lorsqu'ils rendaient hommage au bois... Lorsqu'un homme endosse le pallium au cours du culte, il devient le représentant de la Trinité dans l'unité, le  arba,  ou  le quaternaire mystique" 187.

"Immaculée est Notre Dame Isis", est la légende qui entoure une gravure de Sérapis et d'Isis, décrite par King, dans The Gnostics and their Remains, Ή ΚΥΡΙΑ ΙСΙС ΑΓΝΗ... "Ce sont les termes identiques qui furent, par la suite, appliqués au personnage (la Vierge Marie) qui lui succéda et prit ses titres, ses symboles, ses rites et ses cérémonies... Ainsi, ses adhérents reportèrent sur les nouveaux prêtres les anciens signes de leur profession, le célibat, la tonsure et le surplis, en omettant, malheureusement, les fréquentes ablutions prescrites par l'ancien culte". "Les "Vierges Noires" si vénérées dans quelques cathédrales françaises durant la longue nuit du moyen âge ont été reconnues, après examen critique, n'être que des statues d'Isis sculptées dans du basalte 188 !"

186 Les prêtres d'Isis étaient tonsurés.

187 Voyez Ancient Pagans etc., pp. 51-52 'Voir aussi son Ancient Faillis Embodied in Ancient Names, vol. II, pp. 915-918.]

188 The Gnostics and their Remains, p. 71.

 

Des clochettes tintinnabulantes étaient suspendues devant le sanctuaire de Jupiter Ammon, et c'est au son de ces cloches que les prêtres recevaient leurs augures ; "une clochette d'or et une grenade... autour du bord de la robe", tel était le résultat chez les Juifs du temps de Moïse. Chez les Bouddhistes, on invoque toujours pendant les services religieux, les dieux du Deva Loka, en les invitant à descendre sur l'autel en sonnant les cloches suspendues dans [111] les pagodes. La cloche de la table sacrée de Shiva à Kuhama est décrite dans Kailâsa, et tout vihâra ou lamaserie bouddhiste a ses cloches.

Nous constatons, par conséquent, que les cloches dont se servent les Chrétiens leur viennent en droite ligne des bouddhistes tibétains et chinois. Les rosaires ont la même origine et ont été en usage chez les moines bouddhistes il y a plus de 2.300 ans. Les lingham dans les temples hindous sont décorés, à certaines dates, de grosses baies provenant de l'arbre consacré au Mahadeva, enfilées en forme de rosaire. Le titre de "nonne" est un terme égyptien, et avait chez eux exactement la même signification ; les Chrétiens ne se sont même pas donné la peine de traduire  le mot Nonna. L'auréole des saints était déjà employée par les artistes antédiluviens de Babylone, lorsqu'ils voulaient déifier ou honorer la tête d'un mortel. Dans la célèbre gravure du Hindoo Panthéon de Moore, intitulée "Krishna allaité par Dévaki, d'après une peinture admirablement exécutée, la Vierge hindoue est représentée assise sur un divan et allaitant Krishna. Les cheveux ramenés en arrière, le long voile et l'auréole dorée autour de la tête de la Vierge, ainsi qu'autour de celle du Sauveur hindou, sont frappants de ressemblance. Aucun Catholique, si versé soit-il dans le mystérieux symbolisme de l'iconologie, n'hésiterait un seul instant  à adorer, devant cette image, la Vierge Marie, la mère de son Dieu" 189. On voit encore aujourd'hui, à Indra Subbâ, à l'entrée sud des grottes d'Ellora, la représentation de l'épouse d'Indra, Indrânî, assise avec son enfant-dieu, montrant le ciel avec le doigt dans le même geste que la Madona et le Bambino italiens 190. Dans Pagan and Christian Symbolism, l'auteur nous donne une reproduction copiée sur une gravure sur bois du Moyen Age, telle qu'on les voit par douzaines dans les anciens psautiers, où la Vierge Marie, avec son fils, est représentée comme la Reine du Ciel, debout sur le croissant de lune, emblème de la virginité. "Etant placée devant le soleil, elle en éclipse en partie la lumière. Rien n'est mieux calculé pour identifier la Mère Chrétienne et son enfant avec Isis et Horus, Ishtar, Vénus, Junon, et une légion d'autres déesses païennes, qui portaient également les titres

 

 

 

 

 

de Reine du Ciel, Reine de l'Univers, Mère de Dieu, Epouse de Dieu, Vierge Céleste, Pacificatrice Céleste, etc, 191."

189 Voyez l'illustration dans l'Ancient Pagan and Modern Christian Symbolism de Inman, p. 27.

190 [Inman, op. cit., p. 29.]

191 Ibid., p. 76.

192 Initiés et voyants.

193 La crosse pastorale de l'augure, et aujourd'hui celle de l'évêque.

194 The Heathen Religion, Introd.

 

De telles gravures ne sont pas purement astronomiques. Elles représentent le dieu mâle et la déesse femelle, comme le soleil et la lune en conjonction, "l'union de la triade et de l'unité". Les cornes de vache sur la tête d'Isis ont la même signification. [112]

Par conséquent, on constate l'estampille du Paganisme exotérique au- dessus, au-dessous, à l'extérieur et à l'intérieur de l'Eglise chrétienne, aussi bien dans les vêtements de ses prêtres que dans ses rites religieux. II n'est pas de sujet, dans l'ordre étendu des connaissances humaines, où le monde ait été si aveugle ou dupé par de continuels faux exposés que celui de l'antiquité. Son passé vénérable, et ses croyances religieuses ont été faussement représentés et foulés aux pieds par leurs successeurs. Ses hiérophantes et ses prophètes, les Mystae et les Epoptae 192 de ses sanctuaires, jadis sacrés, ont été transformés en démoniaques et adorateurs du diable. Vêtu des dépouilles de ses victimes, le prêtre chrétien d'aujourd'hui fulmine l'anathème contre elles, en faisant usage de rites et de cérémonies qui lui ont été enseignés par les théurgistes eux-mêmes. La Bible Mosaïque sert d'arme contre ceux qui l'ont écrite. Le philosophe païen est maudit sous le toit qui fut témoin de son initiation ; et le "singe de Dieu" (c'est-à-dire le diable de Tertullien) "le créateur et le fondateur de la théurgie magique, la science de l'illusion et du mensonge, dont le père et l'auteur est le démon", est exorcisé avec de l'eau bénite par la main qui brandit le même lituus 193, avec lequel l'ancien augure, après une prière solennelle, déterminait les régions du ciel et évoquait, au nom du Très Haut, le dieu mineur (qu'on nomme aujourd'hui le Diable) qui devait dévoiler l'avenir à ses yeux, et lui permettre de prophétiser ! De la part des Chrétiens et du clergé, ce n'est que honteuse ignorance, parti-pris, et un orgueil méprisable (si hardiment pris à partie par un des leurs, le Révérend Ministre T. Gross) 194, qui s'élève contre toute recherche, en la taxant "d'œuvre criminelle et inutile, lorsqu'il est à craindre qu'elle ait pour résultat  le  renversement  de  croyances  pré-établies".  De  la  part de la science, c'est la même crainte de se voir dans l'obligation de modifier quelques-unes de ses théories basées sur des données fausses. "Seul, le misérable parti pris", dit Gross, "est capable de dénaturer à ce point la théologie païenne, et d'avoir faussé, que dis-je, caricaturé les formes de son culte religieux. II est temps que la postérité élève la voix pour revendiquer la vérité violée, et que le siècle actuel fasse preuve d'un peu de ce bon sens dont il s'enorgueillit avec autant de satisfaction intérieure que si  le privilège de la raison était le droit d'aînesse des temps modernes seulement".

Tout cela nous met sur la voie de la véritable cause de la haine que les Chrétiens primitifs et ceux du Moyen Age avaient pour leurs frères païens et dangereux rivaux. On ne hait que ce que l'on craint. Une fois que les thaumaturges chrétiens eurent rompu tout [113] contact avec les Mystères des temples, et avec "ces écoles si renommées pour la magie", décrites par saint Hilaire 195, ils ne pouvaient guère s'attendre à rivaliser avec  les faiseurs de miracles païens. Aucun apôtre n'est arrivé à la hauteur d'Apollonius de Tyane, sauf, peut-être, en ce qui concerne le pouvoir mesmérique de guérir, et le scandale déchaîné parmi les apôtres par le faiseur de miracles, Simon le Magicien, est trop connu pour être répété ici. "Comment se fait-il", dit saint Justin martyr, évidemment intimidé, "comment se fait-il que les talismans d'Apollonius (τελεσµατα) ont un pouvoir sur certains objets de la création, car comme nous le constatons, ils calment la fureur des vagues et la violence du vent, ainsi que les attaques des bêtes sauvages ; et tandis que les miracles de Notre Seigneur ne nous ont été conservés que par la tradition, ceux d'Apollonius sont plus nombreux et se manifestent vraiment par des faits capables de désorienter tous les spectateurs" 196 ? Ce martyre embarrassé résout le problème en attribuant, avec raison, l'efficacité et le pouvoir des charmes employés par Apollonius, à sa connaissance profonde des sympathies et des antipathies (ou répugnances) de la nature.

 195 Pères du Désert d'Orient, vol. II, p. 283, Avignon 1761.

196 Justin martyr, Quoest., XXIV.

 

Incapables de nier la supériorité évidente du pouvoir de leurs ennemis, les Pères eurent recours à la méthode ancienne, mais toujours couronnée de succès – la calomnie. Ils honorèrent les Théurgistes avec la même calomnie insinuante que celle pratiquée par les Pharisiens contre Jésus.

 "Tu as un Démon" lui dirent les Anciens de la Synagogue juive. "Tu as le Diable", répétèrent les Pères astucieux, avec la même dose de vérité en s'adressant au thaumaturgiste païen ; et c'est ainsi que l'accusation criée par-dessus les toits, érigée par la suite en un article de foi, l'emporta.

Mais les héritiers modernes de ces faussaires ecclésiastiques, qui attribuent la magie, le spiritisme et même le magnétisme, à l'œuvre d'un démon, oublient les classiques, ou peut-être ne les ont jamais lus. Aucun de nos fanatiques n'a jamais regardé avec plus de dédain les abus de la magie, que ne l'ont fait jadis les véritables initiés. Aucune loi moderne ou médiévale n'a été plus sévère que celle des anciens hiérophantes. Certes, ces derniers faisaient preuve de plus de discernement, de charité et de justice que le clergé chrétien ; car, s'ils bannissaient le sorcier "inconscient", la personne possédée d'un démon, hors des limites sacrées du sanctuaire, au lieu de le brûler sans merci, les prêtres prenaient soin du malheureux "possédé". Comme il y avait des hôpitaux expressément  bâtis à cet effet aux environs des temples, si l'ancien "médium" était possédé, on en prenait soin et on le guérissait. Mais [114] pour celui qui, au moyen de sorcellerie consciente, avait acquis des pouvoirs qui mettaient ses semblables en danger, les prêtres de jadis étaient aussi sévères  que la justice elle-même. "Toute personne accidentellement coupable d'homicide, ou d'un crime quelconque, ou convaincue de sorcellerie, était exclue des Mystères Eleusiniens 197." Et il en était de même pour tous les autres Mystères. Cette loi, mentionnée par tous les écrivains sur les anciennes initiations, parle en elle-même. La prétention de saint Augustin, que toutes les explications fournies par les Néo-Platoniciens étaient inventées par eux de toutes pièces est parfaitement absurde ; car presque toutes les cérémonies dans leur ordre véritable et successif sont mentionnées par Platon d'une façon plus ou moins voilée. Les Mystères sont vieux comme le monde, et celui qui est au courant des mythologies ésotériques des différentes nations peut en suivre la trace en arrière jusqu'à l'époque anté- védique de l'Inde. La vertu la plus stricte et la plus grande pureté sont exigées, aux Indes, du Vatou, ou Candidat, avant de pouvoir prétendre à l'initiation, que ce soit pour devenir un simple Fakir, un Pourohita (prêtre public) ou un Sannyâsi, un saint du second degré d'initiation, la plus sainte et la plus vénérée entre toutes. Après sa victoire dans les terribles épreuves qui précèdent son admission au temple intérieur des cryptes souterraines de sa pagode, le Sannyâsi passe le reste de sa vie dans le temple, en pratiquant les quatre-vingt-quatre règles et les dix vertus assignées aux Yoguis.

197 Voyez Eleusinian and Bacchic Mysteries, par Taylor ; Porphyre et autres.

 

"Quiconque n'a pratiqué, pendant toute sa vie, les dix vertus que le divin Manou exige comme un devoir, ne peut être initié aux Mystères du Concile", dit le livre hindou de l'initiation.

Ces vertus sont : "la Résignation ; l'acte de rendre le bien pour le mal ; la tempérance ; la probité ; la pureté ; la chasteté ; la répression des sens physiques ; la connaissance des Saintes Ecritures ; celle de l'âme [esprit] Supérieure ; le culte de la vertu ; et l'abstinence de la colère 198." Ces vertus seules doivent diriger la vie d'un véritable Yogui. "Aucun adepte indigne ne devrait souiller par sa présence les rangs des saints initiés pendant vingt-quatre heures." L'adepte est tenu pour coupable s'il viole, une seule fois, un de ces vœux. Certes, la pratique de telles vertus est incompatible avec la notion d'un culte du diable ou d'une vie de débauches !

198 [Manou, VI, Shlokes, 92-93.]

 

Nous allons, maintenant, essayer de donner un aperçu clair et précis d'un des buts principaux de cet ouvrage. Ce dont nous voulons établir la preuve, c'est qu'à la base de chaque ancienne religion populaire, se trouve la même ancienne doctrine-sagesse, [115] unique et toujours la même, professée et pratiquée par les initiés de tous pays, lesquels étaient seuls au courant de son existence et de son importance. Il serait aujourd'hui humainement impossible d'en déterminer l'origine et de fixer l'époque exacte où elle à atteint son développement. Toutefois, un seul coup d'œil nous fera voir qu'elle n'a pu atteindre la perfection surprenante où nous la rencontrons dans les restes des divers systèmes ésotériques, sinon après une succession de siècles sans nombre. La profondeur de sa philosophie, la noblesse de son code de morale, ses résultats pratiques si concluants et ses preuves si uniformes, ne sont pas le produit d'une seule génération, ou même d'une seule époque. Il faut que les faits aient été entassés sur les faits, que les déductions soient venues s'ajouter les unes aux autres, que la science ait engendré la science et des myriades d'intelligences humaines les plus éclairées aient approfondi les lois de la nature, pour que cette antique doctrine ait pris une forme concrète. La preuve de l'identité fondamentale des anciennes religions se reconnaît dans la persistance d'un système d'initiation ; dans celle des castes sacerdotales secrètes gardiennes des puissantes paroles mystiques, et dans les manifestations publiques du contrôle sur les forces naturelles, preuve évidente d'un rapport avec les êtres surhumains. Toute approche aux Mystères de toutes nations était gardée avec un soin jaloux, et toutes les disciplines condamnaient impitoyablement à mort l'initié de n'importe quel degré qui divulguait les secrets qui lui avaient été confiés. Nous avons vu que tel était le cas dans les Mystères Eleusiniens et Bachiques, chez les Mages Chaldéens, et chez les Hiérophantes égyptiens ; la même loi prévaut depuis un temps immémorial chez les Hindous, de chez qui tous ces Mystères sont dérivés. Il n'y a pas de doute à ce sujet, car la Agroushada Parikshai dit explicitement : "Tout initié, à quelque degré qu'il appartienne, qui aura révélé la grande formule sacrée, sera mis à mort.

Il s'en suit tout naturellement que ce châtiment extrême fut adopté par toutes les nombreuses sectes et confraternités qui naquirent de l'ancienne souche, à différentes époques. Nous le constatons chez les Esséniens primitifs, les Gnostiques, les Néo-Platoniciens et les Philosophes  du Moyen Age ; et de nos jours encore, les Francs-Maçons ont perpétué le souvenir des anciennes obligations dans les menaces de trancher la gorge, de démembrer et d'arracher les entrailles, du candidat en cas de trahison. De même que le "mot de Maître" maçonnique est communiqué à "voix basse", de même aussi cette précaution est exigée, dans le Livre des Nombres chaldéen et la Mercaba juive. Après avoir reçu l'initiation, le Néophyte était mené par un des Anciens dans un endroit retiré, et là [116] on lui murmurait à l'oreille le grand secret 199. Le Franc-Maçon prête serment, sous les peines les plus sévères, de ne communiquer les secrets de quelque degré que ce soit "à un frère d'un degré inférieur" ; et l'Agroushada Parikshai dit : "L'initié du troisième degré qui révélerait, avant le temps voulu, les vérités supérieures aux initiés du second degré, sera mis à mort." L'apprenti Maçon consent, de même, à ce qu'on lui "arrache la langue", s'il divulgue quoi que ce soit à un profane ; et dans les ouvrages hindous de l'initiation, le même Agroushada Parikshai, nous lisons que tout initié du premier degré (le plus bas) qui trahirait les secrets de son initiation à des membres d'autres castes, pour qui la science doit être un livre fermé, aurait "la langue coupée" et subirait d'autres mutilations.

 199 Franck, La Kabbale, ch. I.

 

Nous mettrons en relief, par la suite, les preuves de  l'identité des vœux, des formules, des rites et des doctrines entre les anciennes croyances. Nous démontrerons aussi que non seulement leur souvenir a été perpétué en Inde, mais que l'Association Secrète est aussi vivante et aussi active que jamais. Après avoir lu ce que nous avons à dire, on reconnaîtra que le suprême pontife et hiérophante, le Brahmâtma, est encore accessible à "ceux qui savent", bien qu'il soit probablement connu sous un autre nom et que les ramifications de son influence s'étendent par tout le monde. Mais revenons maintenant à la période chrétienne primitive.

Feignant d'ignorer qu'il faut attacher une signification ésotérique aux symboles exotériques et que les Mystères eux-mêmes se divisaient en deux parties, les Petits à Agræ et les Grands à Eleusis, Clément d'Alexandrie, poussé par une bigoterie rancunière à laquelle on pourrait s'attendre de la part d'un Néo-Platonicien renégat, mais qui étonne chez ce Père généralement loyal et lettré, condamnait les Mystères en les traitant d'indécents et de diaboliques. Quoi que fussent les rites pratiqués par les néophytes avant de passer à une initiation plus élevée ; si mal comprises qu'eussent été les épreuves de Katharsis, ou purification, au cours desquelles ils étaient soumis à toute espèce de probations ; et jusqu'à quel point l'aspect immatériel ou physique ait prêté à la calomnie, seuls ceux qui sont méchamment de parti-pris sont capables de soutenir que, sous cette signification externe, il n'en existait pas une beaucoup plus profonde et plus spirituelle.

Il est de tous points absurde de juger les anciens à notre point de vue de la bienséance et de la vertu, et certes, ce n'est pas à l'Eglise – que tous les symbologistes modernes accusent d'avoir adopté ces mêmes emblèmes sous leur forme la plus grossière, et qui se sent impuissante à réfuter ces accusations – de jeter la [117] pierre à ceux qu'elle a copiés. Lorsque des hommes comme Pythagore, Platon et Jamblique, connus pour leur sévère moralité, prenaient part aux Mystères et en parlaient avec vénération, il sied mal à nos critiques modernes de les juger si légèrement en se basant seulement sur leur aspect extérieur. Jamblique donne la description des plus hardis, et son explication, devrait paraître tout à fait plausible à un esprit sans parti pris. "Les exhibitions de cette sorte, dit-il, dans les Mystères, étalent calculées pour nous délivrer des passions licencieuses, en assouvissant la vue et, en même temps, faisant disparaître toute mauvaise pensée, par suite de la terrible sainteté qui accompagnait tous ces rites" 200. "Les hommes les plus sages et les meilleurs du monde païen, ajoute M. Warburton, sont tous d'accord sur ce point, que les Mystères furent institués purs, et qu'ils n'enseignaient que les fins les plus nobles et par des moyens les plus louables" 201.

Bien que des sujets des deux sexes et de toutes classes pussent prendre part dans ces rites célèbres, et que même une certaine participation fût obligatoire, peu nombreux étaient ceux qui atteignaient l'initiation finale et la plus élevée. La hiérarchie des Mystères nous a été donnée par Proclus dans le quatrième livre de sa Théologie de Platon 202. "Le rite perfectif [télésé], précède l'ordre de l'initiation – Muesis – et l'initiation "Epopteïa", ou Apocalypse finale." Théon de Smyrne, dans Mathematica, divise aussi en cinq parties les rites des Mystères : la première consiste en une purification préalable, car les Mystères ne sont pas transmis à tous ceux qui veulent bien les recevoir ;... certaines personnes en sont empêchées par la voix du crieur (χηρυξ)... puisqu'il est nécessaire que ceux qui ne sont pas exclus des Mystères soient auparavant, épurés par certaines purifications auxquelles succèdent la réception des rites sacrés. La troisième partie est appelée Epopteïa ou Réception. Et la quatrième, qui est la fin et le but de la Révélation, consiste à bander la fête et ceindre les couronnes 203... soit que, par la suite, il (la personne initiée) deviennent porte-flambeau„, un hiérophante des Mystères ou qu'il remplisse un autre rôle dans le rite sacerdotal. Mais la cinquième, qui est le résultat de toutes celles-ci, est l'amitié et la communion intime avec Dieu... " Celui-ci était le dernier et le plus solennel des Mystères. [118]

Certains auteurs se sont souvent demandé quelle était la signification de la phrase "amitié et communion intime avec Dieu". Les auteurs chrétiens ont nié la prétention des Païens à une pareille "communion", alléguant que, seuls, les saints chrétiens étaient et sont capables d'en jouir ; les sceptiques matérialistes ont raillé la prétention des uns et des autres.

 200 Mystères des Egyptiens, des Chaldéens et des Assyriens, I, ch. XI.

201 Divine Legation of Moses ; the Eleusinian Mysteries, cités par Thos. Taylor.

202 On the Theology of Platon, L. IV, p. 220, Londres 1816.

203 Il ne faut pas prendre cette expression au sens littéral ; car, ainsi que dans l'initiation de quelques Fraternités, elle a une signification secrète mentionnée par Pythagore, lorsqu'il dépeint ses sensations après l'initiation, en nous disant qu'il avait été couronné par les Dieux en présence desquels il avait bu "les sources de la vie", en hindoustani â-bi-havât, la fontaine de la vie.

 

Après de longs siècles de matérialisme religieux et de stagnation spirituelle, il est devenu fort difficile, sinon impossible, d'établir les prétentions de chacun. Les anciens Grecs, qui accouraient  autrefois en foule à l'Agora d'Athènes avec son autel au "Dieu Inconnu", ne sont plus, et leurs descendants sont convaincus qu'ils ont trouvé l' "Inconnu"dans le Jehovah des Juifs. Les extases divines des Chrétiens Primitifs ont fait place à des visions d'un caractère plus moderne en rapport avec le progrès et la civilisation. Le "Fils de l'Homme" apparaissant dans les extases ravies des premiers Chrétiens, venant du septième ciel, dans une nuée de gloire, entouré d'anges et de séraphins ailés, a cédé la place à un Jésus plus prosaïque et en même temps plus commercial. On nous fait voir celui-ci faisant une visite matinale à Marie et à Marthe à Béthanie ; il prend place sur l'ottomane avec la sœur cadette qui était éprise d'éthique, tandis que Marthe passe son temps à la cuisine à confectionner le repas. Et voici que l'imagination fiévreuse d'un prédicateur et saltimbanque blasphémateur de brooklyn, le Révérend Dr Talmage, nous la représente accourant "la sueur au front, un broc dans une main et les pincettes dans l'autre... en présence du Christ" et le tançant vertement de ne pas faire attention que sa sœur la laisse "faire seule tout l'ouvrage" 204 205.

204 [Cf. Taylor, Eleusin. and Bacchic Myst., édit. Wilder, pp. 82-83, 41 édit.]

205 Ce sermon original et très long fut prononcé dans une église de Brooklyn N.Y., le 15 avril 1877. Le jour suivant, le révérend orateur fut invectivé dans le "Sun" sous le qualificatif de charlatan baragouineur ; mais cette épithète bien méritée n'empêchera pas d'autres révérends bouffons de faire de même et peut-être pis. Voilà ce qu'est la religion du Christ ! Il vaudrait mille fois mieux ne pas croire en Lui que de caricaturer son Dieu de cette manière. Nous applaudissons de tout cœur au "Sun" pour sa façon de penser, telle que nous la voyons dans ce qui suit – "Et lorsque Talmage fait dire par le Christ à Marthe dans sa fureur : "Ne t'agite pas, mais assieds-toi sur ce sofa", il met le comble à une scène au sujet de laquelle les auteurs inspirés n'eurent rien à dire. La bouffonnerie de Talmage va un peu trop loin. S'il était l'hérétique le plus infâme du pays, au lieu d'être, comme il l'est pétri d'orthodoxie, il ne ferait pas autant de mal à la religion, que celui qu'il lui cause par ses blasphèmes familiers."

 

Depuis l'origine de la conception solennelle et majestueuse de la Divinité non révélée des anciens adeptes, aux descriptions caricaturales de Celui qui mourut sur la croix pour son dévouement philanthropique envers l'humanité, de longs siècles se sont écoulés, et leur lourd fardeau paraît avoir presque complètement effacé toute notion d'une religion spirituelle dans les cœurs de ceux qui se disent ses partisans. Devons-nous nous étonner que la phrase [119] de proclus ne soit plus comprise par les Chrétiens, et qu'elle soit rejetée comme une "divagation" par les matérialistes,   qui   en   niant   sont   moins   coupables   de   blasphème et d'athéisme que beaucoup de révérends et de paroissiens des églises.  Mais si les Epoptes de la Grèce n'existent plus, nous avons, aujourd'hui, un peuple autrement plus ancien que les plus anciens Hellènes, qui pratique les dons prétendus "surhumains" au même degré que leurs ancêtres d'avant le siège de Troie. C'est sur ce peuple que nous appelons l'attention des psychologues et des philosophes.

Nul n'est besoin d'approfondir la littérature des Orientalistes pour se convaincre que, dans la plupart des cas, ils ne soupçonnent même pas que, dans la philosophie secrète de l'Inde, il est des profondeurs qu'ils n'ont pas sondées, et qu'ils ne peuvent sonder, car ils passent à côté sans s'en apercevoir. On traite la métaphysique hindoue sur un ton de supériorité consciente, avec un suprême mépris, comme si la pensée européenne était seule assez  éclairée    pour polir le diamant brut des  anciens auteurs sanscrits, en séparant le bon du mauvais dans l'intérêt de leurs descendants. Nous les voyons se disputer sur la forme extérieure des expressions, sans comprendre les grandes vérités vitales que celles-ci cachent à l'œil profane.

"En règle générale, nous dit Jacolliot, les Brahmanes s'élèvent rarement au-dessus de la classe des Grihasta [prêtres des castes vulgaires] et des pourohita [exorciseurs, devins, prophètes et évocateurs d'Esprits]. Et cependant nous verrons... une fois que nous aurons touché la question et étudié les manifestations et les phénomènes, que ces initiés du premier degré [le plus bas] s'attribuent et possèdent, en apparence, des facultés développées à un point qui n'a jamais été égalé en Europe. Quant aux initiés de la seconde et surtout de la troisième catégorie, ils prétendent pouvoir ignorer le temps, l'espace, et commander à la vie et à la mort" 206.

206 Le Spiritisme dans le monde, p. 68.

 

M. Jacolliot n'a pas rencontré d'initiés de cette catégorie ; car, comme il le dit lui-même, ils ne se font voir que dans les occasions les plus solennelles et lorsque la foi de la multitude a besoin d'être fortifiée par un phénomène d'un ordre supérieur. "On ne les voit jamais, soit aux environs, soit à l'intérieur des temples, sauf à la grande fête quinquennale du feu. A cette occasion, ils apparaissent, vers le milieu de la nuit, sur une plate- forme élevée au centre du lac sacré, comme autant de fantômes, et ils illuminent tout l'espace au moyen de leurs conjurations. Une colonne de feu s'élève autour d'eux, allant de la terre au ciel. L'air vibre de sons étranges [120] et cinq ou six mille Hindous, venus de toutes les régions  de l'Inde pour contempler ces demi-dieux, se prosternent la face dans la poussière en invoquant les mânes de leurs ancêtres" 207.

N'importe quel lecteur impartial du Spiritisme dans le monde restera convaincu que ce "rationaliste implacable", ainsi que Jacolliot se plaît à s'intituler, n'a pas avancé quoi que ce soit qui ne fût corroboré par ce qu'il a vu. Ses affirmations viennent étayer celles d'autres sceptiques et sont corroborées par elles. En règle générale, les missionnaires, après avoir vécu la moitié de leur vie dans le pays du "culte du diable", comme ils appellent l'Inde, nient effrontément ce qu'ils ne peuvent empêcher de reconnaître comme exact, ou alors attribuent ridiculement les phénomènes à la puissance du diable, qui rivalisent avec les "miracles" des temps apostoliques. Nous voyons alors ce que cet auteur français, malgré son rationalisme incorrigible, est forcé d'admettre à la suite de sa description des merveilles les plus surprenantes. Après avoir observé les Fakirs de toutes manières, il se voit contraint à rendre justice à leur parfaite honnêteté dans la production de leurs miraculeux phénomènes. "Nous n'avons jamais réussi, dit-il, à en prendre un seul en flagrant délit de fraude". Nous rapportons ce qui suit pour tous ceux qui, n'ayant pas été aux Indes, s'imaginent encore être assez habiles pour démasquer la fraude des prétendus magiciens. Cet observateur habile et réfléchi, ce matérialiste redoutable, après un long séjour en Inde, dit : "Nous avouons sans hésiter que nous n'avons rencontré, ni aux Indes ni à Ceylan, un seul européen, même parmi les anciens résidents, qui ait jamais été capable d'indiquer les moyens qu'emploient ces dévots dans la production de ces phénomènes !"

Et comment le pourraient-ils ? Ce zélé Orientaliste ne confesse t-il pas que lui-même, qui avait tout ce qu'il fallait pour apprendre de première main leurs rites et leurs doctrines, a échoué dans ses efforts pour faire que les Brahmanes lui dévoilassent leurs secrets ? "Tout ce que nos recherches les plus assidues ont pu tirer des Purohitas au sujet des actes de leurs Supérieurs (les initiés des temples) se réduit à fort peu de chose". Puis, parlant d'un de leurs livres, il avoue que, tout en promettant de révéler tout ce qu'on voudrait savoir, "ils se borne à donner des formules mystérieuses, combinées avec des lettres occultes et magiques, dont il nous a été impossible de pénétrer le secret", etc.

 207 Ibid., p. 78-79.

 

Bien que les Fakirs ne puissent pas aller au-delà du premier degré de l'initiation, ils sont, néanmoins, les seuls agents entre le monde visible et les "frères silencieux", ou ces initiés qui ne franchissent jamais le seuil de leurs demeures sacrées. Les Fukarâ-yoguis [121] appartiennent aux temples, et qui sait si ces cénobites des sanctuaires n'ont pas plus à faire avec les phénomènes psychologiques des Fakirs, et que Jacolliot a si magistralement décrits, que les Pitris eux-mêmes ? Qui nous dira si le spectre fluidique du vieux Brahmane vu par Jacolliot était le scîn-lêcca, le double spirituel d'un de ces mystérieux sannyâsis ?

Quoique le récit ait été traduit et commenté par le Professeur Perty, de Genève, nous nous hasardons néanmoins à le reproduire tel que Jacolliot l'a donné : "Un instant après la disparition des mains, le Fakir, continuant ses évocations (mantras) plus sérieusement que jamais, un nuage  comme le premier, mais plus opalescent et plus opaque, se mit à voltiger près du petit brasero, qu'à la requête de l'Hindou, nous avions constamment entretenu avec des charbons ardents. Petit à petit, il prit une forme entièrement humaine et je pus distinguer le spectre – car je ne puis lui donner un autre nom – d'un vieux sacrificateur Brahmane, agenouillé près du brasero.

"Il portait sur la tête les insignes consacrées à Vishnou, et une triple corde entourait son corps, signe des initiés  de la caste sacerdotale. Il joignit les mains au-dessus de sa tête, comme pendant le sacrifice, et ses lèvres remuaient comme s'il récitait des prières. A un moment donné, il prit une pincée de poudre parfumée et la jeta sur les charbons ; ce devait être une forte composition, car une fumée intense se répandit instantanément et remplit les deux chambres.

Lorsqu'elle se dissipa, j'aperçus le spectre qui, à deux pas de moi, étendait vers moi sa main décharnée ; je la pris dans les miennes en saluant, et à mon grand étonnement, bien qu'osseuse et dure, je la trouvai chaude et vivante.

Es-tu vraiment, lui dis-je à ce moment, d'une voix forte, un ancien habitant de la terre ?

Je n'avais pas plus tôt posé la question, que le mot AM (oui) apparut en lettres de feu sur la poitrine du vieux

 Brahmane, puis disparut, comme si ce mot eût été écrit dans l'obscurité avec un bâton de phosphore.

Veux-tu me laisser un gage de ta visite ? continuai-je.

L'esprit déchira la triple corde, composée de trois  brins de coton, qui ceignait ses hanches, me la donna, et disparut à mes pieds" 208. [122]

"Oh Brahmâ ! quel est ce mystère qui se reproduit chaque nuit ?... Lorsque je suis étendu sur les nattes, les yeux fermés, corps se perd de vue  et  l'âme s'échappe pour entrer en conversation avec les Pitris... Garde-la, O Brahmâ, quand, abandonnant le corps qui  repose, elle s'en va voltiger au-dessus des eaux, errante dans l'immensité du firmament, et pénétrant dans les recoins sombres et mystérieux des vallées et des immenses forêts de l'Hymavat !"

 (Agroushada Parikshai.)

208 Louis Jacolliot, Le spiritisme dans le monde, pp. 319-20, 65.

 

 

Lorsqu'ils font partie d'un temple, les Fakirs n'agissent jamais que d'après des ordres. Aucun d'eux, à moins qu'il n'ait atteint un degré extraordinaire de sainteté, n'est libéré de l'influence et de la direction de son gourou, son maître, qui le premier l'initia et l'instruisit dans les mystères des sciences occultes. De même que le sujet d'un magnétiseur européen, le Fakir, en général, ne peut se soustraire entièrement à l'influence psychologique exercée sur lui par son gourou. Après avoir passé deux ou trois heures en prière et en méditation, dans le silence et la solitude du temple intérieur, le Fakir en sort mesmériquement fortifié et préparé ; il produit des miracles bien plus variés et plus puissants qu'avant son entrée dans le temple. Le "maître" lui a imposé les mains, et le Fakir se sent fort.

On constate, sur l'autorité du nombre de livres sacrés Brahmaniques et Bouddhiques, qu'il a toujours existé une grande différence entre  les adeptes d'ordre élevé et les sujets purement psychiques, comme beaucoup de ces Fakirs, qui sont des médiums, qualifiés à un certain point de vue.

 Sans doute, le Fakir parle toujours des Pitris, ce qui est naturel, car ce sont ses divinités protectrices ; mais les Pitris sont-ils des êtres désincarnés de notre race humaine ? Voilà la question, et nous la discuterons tout à l'heure.

Nous avons dit qu'à un certain point de vue le Fakir peut être considéré comme un médium ; car il est – ce qui n'est pas généralement connu – sous l'influence mesmérique directe d'un adepte vivant, son Sannyâsi ou Gourou. Lorsque celui-ci meurt, la puissance du Fakir, s'il n'a pas reçu le dernier transfert de forces spirituelles, décline et,  dans beaucoup de cas, disparaît. S'il en était autrement, pourquoi les Fakirs auraient-ils été exclus du droit de passer du second au troisième degré ? Les vies de beaucoup d'entre eux font preuve d'une grande sainteté et d'une abnégation inconnue et incompréhensible pour des Européens, qui frémissent à la seule pensée de pareilles tortures volontairement imposées. Mais, bien que garanti de tomber au pouvoir d'esprits terrestres et vulgaires, quelque grand que soit l'abîme entre une influence avilissante et leurs âmes puissantes ; bien qu'il soit protégé par la baguette magique en bambou à sept nœuds qu'il reçoit de son maître, le fakir vit, néanmoins, dans le monde extérieur du péché et de la matière, [123] et il est possible que son âme soit teintée, qui sait, par les émanations magnétiques des objets et des personnes profanes, donnant ainsi accès aux esprits et aux dieux étrangers. Admettre dans cet état quelqu'un, qui ne serait pas sûr de conserver la maîtrise de lui-même dans toute circonstance, à la connaissance des terribles mystères et des secrets inestimables de l'initiation, serait impossible. Non seulement ce serait mettre en danger la sécurité de ce qui doit, en toute circonstance, être garanti contre la profanation, mais ce serait consentir à admettre derrière le voile un être dont l'irresponsabilité médiumnique risquerait à chaque instant de lui faire perdre la vie à la suite d'une indiscrétion involontaire. La même loi en vigueur dans les Mystères Eleusiniens avant notre ère est encore observée aujourd'hui dans l'Inde.

Non seulement l'adepte doit être maître de lui-même, mais il doit pouvoir contrôler les êtres spirituels inférieurs, esprits de la nature, âmes enchaînées à la terre, enfin tous ceux qui pourraient affecter le fakir.

Si l'on objecte que les adeptes Brahmanes et les fakirs admettent qu'ils ne peuvent rien par eux-mêmes, et n'agissent qu'aidés par les esprits désincarnés, c'est vouloir dire que les Hindous ignorent les lois de leurs livres sacrés, et même la signification du mot Pitris. Les Lois de Manou, l'Atharva-Véda, et autres livres, sont la preuve de ce que nous avançons. "Tout ce qui existe, dit l'Atharva-Véda, est au pouvoir des dieux. Les dieux sont soumis aux conjurations magiques, les conjurations magiques sont sous le contrôle des Brahmanes. Par conséquent, les dieux sont au pouvoir des Brahmanes". C'est logique, bien que paradoxal, et cependant c'est un fait. Et ce fait explique à ceux qui, jusqu'ici, n'ont pas trouvé le mot de l'énigme (parmi lesquels il faut compter Jacolliot, ainsi que nous le constatons dans ses ouvrages) en vertu duquel le fakir doit être maintenu dans le premier ou le plus bas degré de l'initiation, dont les adeptes les plus élevés ou hiérophantes sont les sannyâsis, ou membres de l'ancien Concile Suprême des Soixante-dix.

De plus, dans le Livre I de la Genèse hindoue, ou Livre de la Création de Manou, les Pitris sont appelés les ancêtres lunaires de la race humaine. Ils appartiennent à une race d'êtres différente de la nôtre, et ne répondent pas, proprement parlant, au terme "d'esprits humains" dans le sens que les spirites lui attribuent. Voici ce qu'on dit d'eux :

"Ils [les dieux] créèrent alors les Yackshas, les Rakshasas, les Pishachas 209, les Gandharvas 210 et les Apsaras, et les [124] Asouras, les Nâgas, les Sarpas, et les Souparnas 211 et les Pitris, ancêtres lunaires de la race humaine." (Voyez, Institutions de Manou, Livre I, shloka  37, où l'on nomme les Pitris "les progéniteurs de l'humanité".) 212.

209 Pishachas, démons de la race des gnomes, des géants et des vampires.

210 Gandharvas, bons démons, séraphins célestes, chanteurs.

211 Les Asouras et les Nagas sont les esprits titanesques et les esprits â tète de serpent ou de dragon.

212 [Plus tard aussi en Manou, III, 201.]

 

Les Pitris sont une race d'esprits distincts qui appartiennent à la hiérarchie mythologique, ou plutôt à la nomenclature cabalistique, et doivent se confondre avec les bons génies, les daïmons des Grecs, ou les dieux inférieurs du monde invisible ; et lorsqu'un fakir attribue ses phénomènes à l'influence des Pitris, il n'avance que ce que les anciens philosophes et les théurgistes prétendaient, en affirmant que tout "miracle" était  obtenu  par  l'intervention des dieux, ou des bons et des  mauvais daïmons, qui contrôlent les pouvoirs de la nature, les élémentals subordonnés au pouvoir de celui "qui sait". Un fakir appellerait une apparition ou un fantôme humain palit, ou bhoûtnâ, et celui d'un esprit féminin humain picalpâi, mais il ne les appellerait pas des Pitris. Il est vrai que pitarâi (au pluriel) veut dire pères, ancêtres ; et pitarâî est un parent ; mais ces termes sont employés dans un sens bien différent de celui des Pitris invoqués dans les mantras.

Affirmer, devant un Brahmane éclairé ou un fakir, qu'une personne quelconque peut converser avec les esprits des morts serait l'offenser et lui semblerait un blasphème. Le dernier verset de la Bhagavata Pourâna ne dit-il pas que cette félicité suprême est réservée seulement aux saints sannyâsis, aux gourous et aux yoguis ?

"Longtemps avant de s'être débarrassées de leurs enveloppes mortelles, les âmes de ceux qui n'ont pratiqué que le bien, comme celles des sannyâsis et des vanaprasthas, acquièrent la faculté de converser avec les âmes qui les ont précédées dans le swarga". 213.

213 [L. Jacolliot, Christna et le Christ, p. 139.]

 

Dans ce cas, les Pitris, au lieu des génies, sont les esprits, ou plutôt les âmes des êtres désincarnés ; mais ils ne communiquent librement qu'avec ceux dont l'atmosphère est aussi pure que la leur, et à la pieuse Kalâsha (invocation) desquels ils peuvent répondre sans risquer de mettre  en danger leur pureté céleste. Lorsque l'âme de l'évocateur a atteint le sâyoud jya, ou identité parfaite d'essence avec l'Ame Universelle, la matière étant complètement subjuguée, l'Adepte peut alors entrer librement en communion journalière et de tous les instants avec ceux qui, bien que débarrassés du fardeau de leurs corps terrestre, progressent encore par des séries de transformations infinies, y compris l'approche graduelle vers le Paramâtma, ou la sublime Ame Universelle. [125]

Si nous tenons compte que les Pères chrétiens ont toujours prétendu au nom d' "amis de Dieu" pour eux ou pour les saints et sachant qu'ils ont emprunté cette expression ainsi que beaucoup d'autres, à la terminologie des temples païens, il n'est que naturel qu'ils voient d'un mauvais œil toute allusion à ces rites. Etant, en règle générale, fort ignorants, et leurs biographes  ayant  été  aussi  ignorants  qu'eux,  nous  ne  devons  pas nous attendre à trouver dans leurs visions béatifiques la beauté descriptive que nous constatons chez les classiques païens. Si nous devons discréditer les visions et les phénomènes objectifs attribués aux Pères du désert et aux Hiérophantes des sanctuaires, ou les accepter comme des faits accomplis, la beauté des descriptions de Proclus et d'Apulée, en narrant la minime partie de l'initiation finale qu'ils se crurent permis de révéler, rejette complètement dans l'ombre les récits plagiaires des ascètes chrétiens, quelque fidèles qu'aient voulu être ces copies. L'histoire de la tentation de saint Antoine, dans le désert, par un démon féminin, n'est que la parodie des épreuves préliminaires du néophyte pendant les Mikra, ou Mystères mineurs, d'Agrae, rites au souvenir desquels saint Clément se déchaîne si amèrement, et qui représentent Déméter dépouillée, à la recherche de son enfant et de sa bonne hôtesse Baubo 214.

Sans revenir sur la démonstration que dans les églises chrétiennes, et surtout dans les catholiques romaines de l'Irlande 215, les mêmes coutumes, apparemment indécentes comme celles ci-dessus, avaient encore cours jusqu'à la fin du siècle dernier, nous rappellerons les labeurs incessants et les ouvrages de l'honnête et courageux défenseur de l'ancienne doctrine, qui a nom Thomas Taylor. Malgré tout ce que les dogmatiques érudits grecs aient trouvé à redire au sujet de ses "erreurs de traduction", son souvenir restera cher à tout sincère Platonicien, qui recherche plutôt le sens intime de la pensée du grand philosophe que la pureté de style clans la traduction de ses œuvres. De meilleurs et de plus classiques traducteurs ont sans doute rendu les paroles de Platon dans un style plus correct, mais Taylor nous donne le sens de son enseignement, et c'est plus que n'ont fait Zeller, Jowett, et leurs prédécesseurs. Cependant, ainsi que le dit le professeur A. Wilder, "les ouvrages de Taylor" ont été favorablement accueillis par des hommes capables d'un jugement abstrus et profond ; il faut reconnaître qu'il était doué de qualités supérieures dans la perception intuitive du sens intérieur des sujets qu'il traitait. D'autres savaient peut- être mieux le grec, mais il connaissait mieux Platon 216. [126]

214 Voyez Arnobe, op. cit., p. 249-250.

215 Voyez Inman, Ancient and modern Christian Symbolism, 1874, p. 66.

216 Introduction aux Eleusinian and Bacchic Mysteries de Taylor, publiés par J.-W. Bouton, 4ème éd., p. 27.

 

Taylor voua son existence à la recherche d'anciens manuscrits qui lui permettraient de faire corroborer ses propres notions au sujet de quelques rites obscurs des Mystères, par des écrivains qui avaient été eux-mêmes initiés. C'est d'accord avec les affirmations d'auteurs très classiques que nous prétendons que si l'ancien culte peut paraître ridicule et qui sait, licencieux, pour les critiques modernes, il n'aurait pas dû apparaître ainsi pour les Chrétiens. Au Moyen Age, et même plus tard, ils acceptaient à peu prés le même culte, sans comprendre la portée cachée de ses rites, et ils se contentaient de l'interprétation obscure et tant soit peu fantastique du clergé, qui adoptait la forme extérieure en dénaturant sa signification intime. Pour être justes, nous sommes prêts à reconnaître que des siècles se sont écoulés depuis que la majeure partie du clergé chrétien, qui n'a pas le droit d'approfondir les Mystères Divins ou de chercher à expliquer ce que l'Eglise avait une fois pour toutes accepté et établi, ait eu la moindre idée de leur symbolisme, que ce soit dans sa signification exotérique ou ésotérique. Il n'en est pas ainsi pour le chef de l'Eglise et ses hauts dignitaires. Et si nous sommes pleinement d'accord avec Inman qu'il est "difficile de croire que les ecclésiastiques qui ont sanctionné la publication de pareilles gravures 217 étaient aussi ignorants que les ritualistes modernes", nous n'admettons pas, avec le même auteur, que "si ces derniers avaient connu la véritable signification des symboles employés par l'Eglise Romaine, ils ne les auraient pas adoptés".

217 Gravures d'un ancien Rosaire de la Sainte Vierge Marie, imprimé à Venise en 1524, avec la permission de l'Inquisition. Dans les illustrations données par le Dr Inman, la Vierge est représentée dans un "bosquet" assyrien, une abomination aux yeux du Seigneur, suivant les prophètes de la Bible. "Le livre en question", dit l'auteur, "contient beaucoup de gravures, ressemblant toutes d'une manière frappante à l'emblème mésopotamien d'Ishtar. La présence de la femme, ici, identifie les deux comme symbolisant Isis, ou la Nature ; et l'homme, qui s'incline en l'adorant, représente la même idée que celle des sculptures assyriennes, où les mâles offrent à la déesse des symboles deux-mêmes" (Voyez Ancient Pagan and modern christian symbolism, p. 91, seconde édition, New- York, p. 91).

 

Eliminer ce qui dérive clairement du culte du sexe et de la nature des anciens païens, équivaudrait à renverser d'un seul coup tout le culte Catholique Romain des images – l'élément de la Madone – et transformer le culte en protestantisme. La promulgation du récent dogme de l'Immaculée Conception fut inspirée par cette même raison secrète. La science de la symbologie faisait de trop rapides progrès. La foi aveugle dans l'infaillibilité papale et dans la nature immaculée de la Sainte Vierge et de sa lignée d'ancêtres féminins jusqu'à un certain recul, pouvait seule mettre l'Eglise à l'abri des révélations indiscrètes de la science. Ce fut un habile coup de politique de la part du Vicaire de Dieu. Qu'importe si, en [127] lui "conférant un pareil honneur 218, comme le dit naïvement Don Pascale de Franciscis, il a fait une déesse de la Vierge Marie, une Divinité Olympienne, qui, par sa nature même, a été mise dans l'impossibilité de commettre le péché ; elle ne peut prétendre à aucune vertu, à aucun mérite personnel pour sa pureté justement pour laquelle on nous laissait croire, dans notre jeune âge, qu'elle avait été choisie entre toutes les femmes. Si sa Sainteté l'a privée de cette vertu, peut-être pense-t-il, d'autre part, l'avoir douée d'au moins un attribut physique qu'elle ne partage  pas  avec les autres déesses-vierges. Mais même ce nouveau dogme, associé à la nouvelle prétention à l'infaillibilité qui a presque mis en révolution le monde chrétien, n'est pas nouvelle dans l'Eglise de Rome. Ce n'est qu'un retour à une hérésie presque oubliée des temps du Christianisme primitif, celle des Collyridiens, ainsi nommés parce qu'ils offraient des gâteaux en sacrifice à la Vierge, qu'ils  prétendaient  être  elle-même  née  d'une Vierge 219. La nouvelle formule "O Vierge Marie, conçue sans péché", n'est qu'une réminiscence tardive de ce que les Pères orthodoxes qualifiaient au début "d'hérésie impie".

Penser un seul instant que les papes, les cardinaux et autres dignitaires n'ont pas su à quoi s'en tenir, du commencement à la fin, au sujet de la signification extérieure de leurs symboles, serait faire tort à leur grand savoir et à leur esprit machiavélique. C'est ignorer que les émissaires de Rome ne sont arrêtés par aucune difficulté qui puisse être contournée par l'emploi d'artifices jésuitiques. La politique d'acquiescement complaisant n'a jamais été mise plus en pratique que par les missionnaires de Ceylan, lesquels, suivant les dires de l'abbé Dubois – certes une autorité savante et compétente – "transportaient les images de la Vierge et du Sauveur sur un char triomphal, reproduit d'après les orgies de Jaggernath, en introduisant les danseurs des rites Brahmaniques dans le cérémonial de l'Eglise" 220. Rendons grâces à ces politiciens en soutane de la continuité dont ils ont fait preuve en se servant du char de Jaggernath sur lequel les "païens impies" paradent le lingha de Shiva. Se servir de ce char pour transporter à son tour l'emblème Romain du principe féminin de la Nature, c'est faire preuve de discernement et d'une connaissance profonde des plus anciennes conceptions mythologiques. Ils ont réuni deux divinités et ont représenté ainsi, dans une procession chrétienne, le Brahmâ "païen", ou  Nara (le père), Nâri (la mère) et Virâj (le fils) 221. [128]

 218 [Diseorsi del Sommo Pontifice Pio IX, part. II, p. 26. Cf. W.E. Gladstone Rome, etc., p. 140.]

219 Voyez Gnostics de King pp 91-92 ; The genealogy of the Blessed Virgin Mary, par Faustus, évêque de Riez.

220 Edinburg Review, vol. XCIII, avril 1851, p. 415. Cité par Pococke, India in Greece, Londres 1852, pp. 318-19.]

 

Manou s'exprime ainsi : "Le Souverain Maître, qui existe par lui- même, divise son corps en deux moitiés, mâle et femelle, et de l'union de ces deux principes naît Virâj, le Fils" 222.

Aucun des Pères chrétiens n'eût ignoré ces symboles dans leur signification physique, car c'est sous cet aspect qu'ils étaient abandonnés à la plèbe ignorante. Ils avaient tous, en outre, d'excellentes raisons pour soupçonner le symbolisme occulte de ces images mais, comme aucun d'entre eux – à l'exception, peut-être, de saint Paul – n'avait été initié, ils ne pouvaient connaître quoi que ce soit au sujet des derniers rites. Quiconque révélait ces Mystères était mis à mort, quels que fussent son sexe, sa nationalité ou sa foi. Un Père chrétien n'était pas plus à l'abri d'un accident qu'un Μυστης païen.

Si, au cours des aporrhéta, ou arcanes préliminaires, il existait quelques pratiques qui eussent pu choquer la pudeur d'un converti chrétien -  bien que leur sincérité à cet égard puisse être révoquée en doute – leur symbolisme mystique était suffisant pour mettre la représentation à l'abri de toute imputation de libertinage. Même l'épisode de la matrone Baubo, dont l'excentrique mode de consolation était immortalisé dans les Mystères Mineurs, est rendu d'une façon toute naturelle par les mystagogues impartiaux. Cérés-Déméter et ses pérégrinations terrestres à la recherche de sa fille représentent un des sujets les plus métaphysico-psychologiques qui aient jamais été conçus par la pensée humaine. C'est un masque pour le récit transcendant des voyants initiés ; la vision céleste de l'âme libérée de l'initié de la dernière heure, donnant la description du procédé par lequel l'âme qui ne s'est pas encore incarnée opère pour la première fois sa descente dans la matière. "Bienheureux est celui qui a vu ces choses communes du monde inférieur ; celui-là connaît la fin de la vie et son origine divine dans Jupiter", dit Pindare 223 Taylor prouve, sur l'autorité de plus d'un initié, que les représentations dramatiques des Mystères Mineurs étaient destinées par les anciens théologiens à représenter d'une manière occulte la condition de l'âme non encore purifiée, attachée à un corps terrestre et enveloppée dans une nature non effacée... qu'en vérité, l'âme, jusqu'au moment où elle a été purifiée par la philosophie, subit la mort par suite de son union avec le corps... 224.

221 Princeps Dubois, cité par Edinburgh Review, avril 1851, p. 411.

222 Manou, livre 1, shloka 32 : Sir W. Jones traduisant de Manou du Nord interprète ce shloka comme suit : "Ayant séparé sa propre substance, le Pouvoir puissant devint moitié mâle, moitié femelle, ou la nature active et passive ; et de cette femelle il produisit Virâj."

223 [Clem. Alex, Strom III-IV, citant Pindare, Dirges, 137.]

 

Le corps est le sépulcre, la prison de l'âme, et de nombreux Pères chrétiens admettaient avec Platon que l'âme est châtiée, par son union avec le corps. C'est la doctrine fondamentale des Bouddhistes [129] et aussi de beaucoup de Brahmanes. Lorsque Plotin dit que, "quand l'âme est descendue en génération [de sa condition servi-divine], elle participe au mal et est emportée fort loin dans un état tout à fait opposé à sa pureté et son intégrité primitives ; son plongeon dans cet état n'est rien moins qu'une chute dans la fange" 225, il ne fait que répéter l'enseignement de Gautama Bouddha. Si nous devons croire les anciens initiés, il faut accepter leur interprétation des symboles. Et si, de plus, nous voyons qu'ils sont en parfait accord avec l'enseignement des plus grands philosophes, et avec ce que nous savons symboliser la même signification dans les Mystères modernes de l'Orient, nous devons croire qu'ils ont raison.

224 [Taylor, Eleus. and Bacchic Myst., pp. 34-35, 4ème éd.]

225 Ennéades, I-VIII.

 

Si Déméter était la personnification de l'âme intellectuelle ou plutôt de l'âme Astrale, moitié émanation de l'esprit et moitié teintée de matière par une succession d'évolutions spirituelles, nous comprendrons aisément la signification de la matrone Baubo, l'Enchanteresse qui, avant de réussir à réconcilier l'âme, Déméter, avec sa nouvelle position, se voit obligée d'assumer les formes sexuelles d'un enfant. Baubo, c'est la  matière, le corps physique ; et l'âme astrale intellectuelle, encore pure, ne peut être attirée dans sa nouvelle prison terrestre qu'en faisant miroiter à ses yeux l'innocence de l'enfance. Jusqu'à ce moment, condamnée à son sort, Déméter, ou Magna-Mater, l'Ame, hésite, s'étonne et souffre ; mais, dès qu'elle a trempé ses lèvres dans la potion magique préparée par Baubo, elle oublie ses peines ; elle se sépare, pendant un certain temps, de cette conscience intelligente plus élevée qu'elle possédait avant d'entrer dans le corps d'un enfant. Elle cherchera, dès lors, à la retrouver ; et lorsque l'âge de  raison  arrive  pour  l'enfant,  la  lutte,  oubliée  pendant  les  années  de l'enfance, recommence de nouveau pour elle. L'âme astrale est placée entre la matière (le corps) et l'intelligence supérieure (son esprit immortel ou Nous). Lequel des deux remportera la victoire ? Le résultat de la lutte de la vie réside dans la triade. C'est une question de quelques années de jouissance physique ici-bas, et – si celle-ci a engendré des abus – de la dissolution du corps terrestre, suivie de la mort du corps astral ; ainsi empêché de s'unir à l'esprit le plus élevé de la triade, lequel seul nous confère l'immortalité individuelle ; ou alors, de devenir des mystes immortels, des initiés, avant la mort, aux vérités divines de la vie future ; des demi-dieux ici-bas et des DIEUX là-haut.

Tel était le but principal des Mystères, entaché de diabolisme par la théologie et ridiculisé par les symbologistes modernes. Nier que l'homme possède certains pouvoirs secrets, qu'il peut développer au plus haut degré par l'étude psychologique ; qu'il est capable [130] de devenir un hiérophante afin de les transmettre à d'autres dans les mêmes conditions de discipline terrestre, c'est accuser de mensonge et de folie les meilleurs, les plus purs et les plus savants parmi les hommes de l'antiquité et du Moyen Age. Ce qu'il était donné à l'hiérophante de voir au dernier moment, ils ne l'ont jamais laissé soupçonner, et cependant Pythagore, Platon, Plotin, Jamblique, Proclus et combien d'autres ont connu, l'ont su et en ont armé la réalité.

Que ce soit dans "le temple intérieur", ou par l'étude privée de la théurgie, ou encore par le seul effort de toute une vie de travail spirituel, ils eurent, tous, la preuve pratique de possibilités divines de cette nature chez l'homme qui combat ici-bas avec la vie, pour gagner la vie dans l'éternité. Platon, dans Phèdre, fait allusion à ce que devait être la dernière epopteïa (250 av. J.-C.) : "... étant initié dans ces Mystères, qu'il est juste de dénommer les plus divins de tous les mystères... nous sommes délivrés des maux qui autrement nous atteindraient dans les temps à venir. De même, à la suite de cette divine initiation, nous devenons les spectateurs de visions divines, entières, simples, immuables, qui ont pour siège la lumière pure." Cette phrase nous laisse croire qu'ils avaient des visions de dieux et d'esprits. Ainsi que Taylor le fait observer avec raison, nous pouvons conclure de tous ces passages empruntés aux ouvrages des initiés, "que la partie la plus sublime des epopteïa... consistait dans la vue des dieux   eux-mêmes resplendissants de lumière" 226, c'est-à-dire des esprits  planétaires les plus élevés. L'affirmation de Proclus à cet égard ne laisse aucun doute ! "Dans toutes les initiations et tous les mystères, les dieux se présentent sous des formes variées et apparaissent dans une variété d'états, et quelquefois, même, ils se présentent à la vue dans une lumière sans forme ; quelquefois cette lumière prend la forme humaine, et quelquefois aussi une forme différente 227."

"Tout ce qui existe sur la terre est la ressemblance et L'OMBRE de quelque chose qui existe dans la sphère, tandis que la  chose resplendissante [le prototype de l'âme-esprit], demeure dans un état immuable ; il en est de même aussi de son ombre. Mais lorsque le resplendissant se retire loin de son ombre, la vie se retire aussi à une distance de celle-ci. Et cependant, cette même lumière est l'ombre de quelque chose de plus resplendissant encore qu'elle-même." C'est ainsi que parle Desâtir 228, laissant voir ainsi l'identité de ses doctrines ésotériques avec celles des philosophes de la Grèce. [131]

La seconde affirmation de Platon nous confirme dans notre supposition que les Mystères des anciens étaient identiquement les mêmes que les Initiations pratiquées de nos jours chez les adeptes Bouddhistes et Hindous. Les visions les plus sublimes et les plus véridiques  sont obtenues, non pas par des extatiques naturels ou des "médiums", comme on l'arme à tort quelquefois, mais au moyen d'une discipline régulière d'initiations graduées et du développement des pouvoirs psychiques. Les Mystes étaient mis en contact intime avec ceux que Proclus nomme des "natures mystiques", des "dieux resplendissants", parce que, ainsi que le dit Platon, "nous étions nous-mêmes purs et immaculés, ayant été délivrés de ce vêtement qui nous entoure et qu'on nomme le corps, auquel nous sommes liés comme l'huître à sa coquille" 229.

226 T. Taylor, op. cit., p. 107, 4ème éd.

227 Commentaires sur la République de Platon, p. 380.

228 The Book of Shet the Prophet Zirtorîsht, Bombay 1818, versets 35-38.

229 Phèdre, p. 64.

 

C'est ainsi que, dans l'Inde antique, la doctrine des Pitris planétaires et terrestres n'était entièrement révélée, ainsi que c'est encore le cas de nos jours, qu'au dernier moment de l'initiation et seulement aux adeptes des degrés supérieurs. Nombreux sont les fakirs qui, bien que purs, loyaux et dévoués, n'ont jamais encore vu la forme astrale d'un pur pitar humain (un ancêtre ou père) autrement qu'au moment solennel de leur première et dernière initiation. C'est en présence de son instructeur, Son Gourou, et juste avant que le Vatou-Fakir soit envoyé dans le monde des vivants avec sa baguette de bambou à sept nœuds pour toute protection, qu'il est mis, soudain, face à face avec la PRESENCE inconnue. Il la voit, et se prosterne aux pieds de la forme qui s'évanouit devant lui ; mais on ne lui confie point le grand secret de son évocation ; car c'est le mystère suprême de la syllabe sainte. Le AUM renferme l'évocation de la triade Védique, la Trimoûrti de Brahma, Vichnou, Shiva, suivant les Orientalistes 230 ; elle renferme, à notre avis, l'évocation de quelque chose de plus réel et de plus objectif que cette trinité abstraite – contredisant en cela, avec tout le respect qui leur est dû, nos éminents hommes de science. C'est la trinité de l'homme, lui-même, en voie de devenir immortel par l'union [132] solennelle de son triple SOI intime – le corps grossier, extérieur, l'enveloppe n'étant même pas prise en considération dans cette trinité 231. C'est lorsque cette trinité, anticipant sur la réunion triomphante au-delà des portes de la mort corporelle, devient pendant quelques secondes une UNITE, que le candidat est autorisé, au moment de l'initiation, à contempler son soi futur. C'est ainsi que nous devons l'interpréter dans le Desatir persan, en parlant du "Resplendissant" ; chez les philosophes- initiés grecs avec l'Augoeides – la "divine vision dont le siège est la lumière pure" lumineuse par elle-même ; et dans Porphyre 232 lorsqu'il dit que Plotin fut réuni à son "dieu" six fois durant sa vie ; et ainsi de suite.

230 Le Bouddha suprême est invoqué avec deux de ses acolytes de la triade théiste, Dharma et Sangha. On s'adresse à cette triade en sanscrit dans les termes suivants

Namo Bouddhdya Namo Dharmâya Namo Sanghdga

Aum !

 tandis que les Bouddhistes tibétains prononcent leur invocation comme suit :

Nan-wou Fo-tho-ge, Nan-wou Tha-ma-ye, Nan-wou Seng-Kia-ge, Aum !

Voir également, Nouveau Journal Astatique, tome VII, mars 1831, p. 265.

231 Le corps humain, son vêtement de peau est, par lui-même une masse inerte de matière ; seul, le corps vivant et sensible, au-dedans de l'homme doit être considéré comme son véritable corps, et c'est celui-là qui, avec l'âme-source ou corps astral pur, en contact direct avec l'esprit immortel, constitue la trinité humaine.

 

Bhrihaspati dit que, dans l'Inde ancienne, le Mystère de la trinité, connu seulement des initiés, ne pouvait être révélé au vulgaire, sous peine de mort.

II en était de même dans les Mystères de l'Ancienne Grèce et de Samothrace. La même chose a lieu aujourd'hui. Il est confié au pouvoir des adeptes, et doit rester un mystère pour le monde aussi longtemps que le savant matérialiste le considère comme une illusion improbable, une folle hallucination, et que le théologien dogmatique le condamne comme un piège du Démon.

On divise, en Inde, en trois catégories, les communications subjectives avec les êtres humains, les esprits divins de ceux qui nous ont précédés dans la silencieuse région de la félicité. Entraîné spirituellement par son Gourou ou Sannyâsi, le vatou (disciple ou néophyte) commence à ressentir leur présence. S'il n'était sous la tutelle immédiate d'un adepte, il serait dominé par les êtres invisibles et entièrement à leur merci,  car, parmi toutes ces influences subjectives, il est incapable de discerner les bonnes des mauvaises. Heureux celui qui est sûr de la pureté de son atmosphère spirituelle !

A cette conscience subjective, qui constitue le premier degré, vient s'ajouter, après un laps de temps, celle de la clairaudience. Celle-ci constitue le second degré, ou stade de développement. Le sensitif – lorsqu'il ne l'est pas devenu par un entraînement psychologique – entend à ce moment clairement, mais il est encore incapable de discerner : il ne peut encore vérifier ses impressions, et celui qui n'est pas protégé, n'est que trop souvent trompé par les malicieux pouvoirs de l'air, par des semblants de voix et de phrases. [133] Mais l'influence du Gourou le soutient ; c'est le bouclier le plus sûr contre l'intrusion des bhoûthâ dans l'atmosphère du vatou, consacré aux purs Pitris humains et célestes.

 232 [Plotini vita, corp. XXIII, in J.A. Fabricius, Bibl. Græc., 1705-28.]

 

Le troisième degré est celui où le fakir, ou un candidat quelconque, ressent, entend et voit ; il peut encore reproduire, à volonté, la réflexion des Pitris sur le miroir de la lumière astrale. Tout dépend de ses pouvoirs psychologiques et magnétiques, qui sont toujours proportionnés  à l'intensité de sa volonté. Mais le fakir ne réussira jamais à contrôler l'Akâsha, le principe vital spirituel, l'agent omnipotent de tout phénomène, au même degré qu'un adepte de la troisième et plus haute initiation. Les phénomènes produits par la volonté de ces derniers ne courent généralement pas les rues pour la satisfaction des investigateurs bouche- bée.

L'unité de Dieu, l'immortalité de l'esprit, la foi dans la rédemption par les œuvres, le mérite et le démérite ; voilà les principaux articles de foi de la Religion-Sagesse, et les bases du Védisme, du Bouddhisme et du Parsisme ; nous constatons aussi qu'elles furent celles de l'antique Osirisme, lorsque, après avoir abandonné le dieu solaire populaire au matérialisme du peuple, nous concentrons notre attention sur les Livres d'Hermès, le trois fois grand.

"LA PENSEE enveloppait encore le monde dans le silence et les ténèbres... Alors le Seigneur qui existe par Lui-même, et qui ne peut être divulgué aux sens externes des hommes, dissipa les ténèbres, et manifesta le monde visible.

Celui qui ne peut être perçu que par l'esprit, qui échappe aux organes des sens, qui n'a aucune partie visible, qui est éternel, l'âme de toutes choses, que nul ne peut comprendre, déploya Sa propre splendeur."

 (Manou, livre I, shlokas 5-7)

 

Tel est l'idéal du Suprême dans la pensée de tout philosophe hindou.

"Le principal de tous les devoirs, c'est d'acquérir la connaissance de l'âme suprême [l'esprit] ; c'est la première de toutes les sciences, car elle seule confère à l'homme l'immortalité".

 (Manou, livre XII, shloka 85)

 

Et nos savants prétendent que le Nirvâna du Bouddha et le Moksha de Brahmâ sont le synonyme d'annihilation complète ! C'est ainsi que le verset suivant est interprété par quelques matérialistes :

"Celui qui reconnaît l'Ame suprême dans sa propre âme, ainsi que dans celle de toutes les autres créatures, et qui est également juste pour tous [qu'ils soient des hommes ou des animaux], se réserve le plus heureux de tous les sorts, celui d'être finalement absorbé dans le sein de Brahma".

 (Manou, livre XII, shloka 125).

 

[134]

La doctrine de Moksha et de Nirvâna, telle que l'a l'école de Max Müller, ne souffre pas la comparaison avec les nombreux textes que l'on pourrait lui opposer, si on le voulait bien comme réfutation finale. Il existe, dans beaucoup de pagodes, grand nombre de sculptures qui contredisent de but en blanc une pareille accusation. Demandez à un Brahmane de vous expliquer Moksha ; adressez-vous à un Bouddhiste cultivé et priez-le de vous exposer la signification de Nirvâna. Ils vous répondront tous deux que, dans chacune de ces religions, le Nirvâna représente le dogme de l'immortalité de l'esprit ; qu'atteindre Nirvâna signifie l'absorption dans la grande âme universelle, et que celle-ci représente un état et non un être individuel ou un dieu anthropomorphe, tel quelques-uns conçoivent l'EXISTENCE suprême. Qu'un esprit a atteint cet état devient une partie du tout intégral ; mais malgré cela, il ne perd jamais son individualité. A partir de ce moment, l'esprit vit une existence spirituelle sans crainte de modifications ultérieures dans la forme ; car la forme est un attribut de la matière, et l'état de Nirvana implique la purification complète, ou la délivrance finale même de la particule la plus sublimée de la matière.

Lorsqu'il est démontré que les Hindous et les Bouddhiste croient à l'immortalité de l'esprit, l'expression absorber signifie nécessairement l'union intime, et non l'annihilation. Que les Chrétiens les appellent idolâtres, s'ils l'osent encore, en présence de la science et des plus récentes traductions des livres sacrés sanscrits ; ils n'ont pas le droit de présenter les doctrines philosophiques anciens sages comme une inconséquence, et les philosophes eux-mêmes comme des sots dénués de logique. Nous pourrions, avec bien plus de raison, accuser les anciens Juifs de nihilisme total. Il n'y a pas dans les livres de Moise – ni dans les prophètes à ce compte-là – un seul mot qui, interprété littéralement, laisse concevoir la notion de l'immortalité de l'esprit. Et cependant, tout fervent  israélite espère être "recueilli dans le sein d'A-Braham".

On a accusé les Hiérophantes et quelques Brahmanes d'administrer des boissons fortes et des anesthésiques aux époptaï afin de provoquer chez eux des visions qu'ils prenaient pour des réalités. Ils se sont servis de breuvages sacrés, et ils s'en servent encore ; ces breuvages, comme le Soma, possèdent la propriété de libérer la forme astrale des liens de la matière ; mais, dans ces visions, il n'y a pas plus d'hallucinations, que dans les aperçus que le savant donne, à l'aide de son instrument d'optique, sur le monde microscopique. On ne peut percevoir, toucher et converser avec l'esprit pur au moyen des sens corporels. Seul, l'esprit peut voir l'esprit et parler avec lui ; et même notre âme astrale, le Doppel-gænger, est trop grossière, trop teintée encore de matière terrestre, [135] pour que nous puissions nous fier entièrement à ses perceptions et à ses insinuations.

Le cas de Socrate nous prouve le danger de la médiumnité non entraînée, et combien les anciens Sages qui l'avaient compris avaient raison de prendre leurs précautions à son égard. L'ancien philosophe grec était un "médium", par conséquent, il n'avait jamais été initié  aux Mystères, car telle était la loi immuable ; mais il possédait un "esprit familier", comme ils disent, son daïmon ; et ce conseiller invisible fut la cause de sa mort. On croit généralement que s'il ne fût pas initié aux Mystères, c'est parce qu'il négligea lui-même de s'y faire admettre. Mais les Annales Secrètes nous enseignent qu'il ne pouvait pas être admis à participer aux rites sacrés, et ce, précisément, comme nous l'avons dit, en raison de sa médiumnité. Il y avait une loi qui prohibait l'admission non seulement de ceux qui étaient convaincus de pratiquer la sorcellerie 233 de propos délibéré, mais même ceux qu'on savait avoir un "esprit familier". La loi était juste et logique, parce qu'un véritable médium est toujours plus ou moins irresponsable. Les excentricités de Socrate sont donc, jusqu'à un certain point, expliquées par ce fait. Un médium doit être passif ; et s'il a une foi aveugle dans son "esprit-guide", il permettra à celui-ci de le dominer, au lieu d'être dominé par les règles du sanctuaire. Un médium, dans les anciens temps, de même que le "médium" moderne, était sujet à tomber en transe, et il se trouve alors à la merci de celui qui le domine ; par conséquent, on ne peut lui confier les terribles secrets de l'initiation finale, "qu'on ne doit jamais révéler sous peine de mort". Le vieux sage, dans des moments d'inattention "d'inspiration spirituelle", révéla ce qu'il n'avait jamais appris ; il fut donc mis à mort comme athée.

Comment est-il possible, alors, en prenant pour exemple le cas de Socrate, par rapport aux visions et aux merveilles spirituelles des époptaï du Temple Intérieur, d'affirmer que ces voyants, théurgistes et thaumaturges, étaient tous des "médiums-esprits" ? Ni Pythagore, ni Platon, ni aucun des plus importants Néo-Platoniciens ultérieurs, Jamblique, Longinus, Proclus, ni Apollonius de Tyane, ne furent des médiums ; car, dans ce cas, ils n'eussent jamais été admis aux Mystères. Ainsi que le démontre Taylor : "L'affirmation des visions divines dans les Mystères est pleinement [136] confirmée par Plotin 234 et, somme toute, que les évocations magiques aient fait partie de l'office sacerdotal [des Mystères] que telle ait été la croyance universelle de toute l'antiquité bien longtemps avant l'ère des Platoniciens" 235 tout cela prouve qu'outre la "médiumnité" naturelle, il existait, dès les temps les plus reculés, une science mystérieuse, dont beaucoup ont parlé, mais que fort peu ont connue.

 233 Il nous semble que le terme "sorcellerie" devrait, une fois pour toutes, être compris dans son sens véritable. La sorcellerie est consciente ou inconsciente. On obtient certains résultats funestes et dangereux au moyen des pouvoirs mesmériques des prétendus sorciers, qui font un mauvaise usage de leur fluide potentiel ; d'autre part, on y arrive par l'accès facile des "esprits"malicieux et trompeurs (d'autant plus pernicieux si ceux-ci sont humains), dans l'atmosphère qui entoure le médium. Combien de milliers de pauvres innocentes et irresponsables victimes ont trouvé une mort infamante, à la suite des tours joués par ces êtres élémentaires.

234 [Enneades, I, VI ; IX, IX.]

235 [Eleus, and Bacchic Myst., pp. 108-11, 4ème éd.]

 

La pratique de cette science comporte le désir de réintégrer notre seule et véritable patrie – la vie future, et de s'unir plus étroitement avec notre esprit d'origine ; par contre, son abus traduit par la sorcellerie,  les sortilèges et la magie noire. Entre, les deux se trouve placée la "médiumnité" naturelle, âme revêtue de matière imparfaite,  agent approprié à l'une ou à l'autre et dépendant entièrement de son entourage, de l'hérédité constitutionnelle – physique aussi bien que mentale – et à la merci des "esprits" qu'elle attire autour d'elle – une bénédiction ou une malédiction suivant le destin, à moins que le médium ne se soit purifié des scories terrestres.

Il y a deux raisons pour lesquelles, de tous temps, si peu de choses a transpiré au sujet des mystères de l'initiation. Plus d'un auteur a déjà donné l'explication de la première ; elle consistait, dans le châtiment terrible qui punissait la plus légère indiscrétion. Quant à la seconde, il faut y voir les difficultés surhumaines, voire, même les dangers que le courageux candidat des anciens temps avait à affronter pour s'attribuer la victoire,  ou à mourir, en essayant si, ce qui est pire encore, il n'en perdait pas la raison. Il n'y avait, pas de danger réel pour celui dont la nature  était complètement, spiritualisée, et qui de cette manière s'était préparé à se familiariser avec les visions les plus terrifiantes. Celui qui reconnaissait pleinement le pouvoir de son esprit immortel, celui qui, à aucun moment ne doutait de sa protection toute puissante, n'avait rien à craindre. Mais malheur au candidat chez lequel la moindre crainte physique – chétif enfant de la matière – faisait perdre la foi dans son invulnérabilité. Celui qui doutait de son aptitude morale pour se charger du fardeau de ces redoutables secrets était condamné d'avance.

Le Talmud 236 donne le récit des quatre Tanaïm, qu'en langage allégorique on introduit dans le jardin des délices, c'est-à-dire  qu'on prépare pour l'initiation à la science occulte finale. [137]

"Suivant l'enseignement de nos saints maîtres, les noms des quatre qui entrèrent dans le jardin des délices, sont : Ben Asai, Ben Zoma, Acher et Rabi Akiba...

Ben Asai contempla et perdit la vue. Ben Zoma contempla et perdit la raison.

 236 [Mishnah Hagigab, 14 b.]

 

Acher commit des déprédations dans la plantation" [embrouilla le tout et échoua]. Mais Akiba, qui était entré en paix, en sortit en paix, car le saint, (que son nom soit béni), avait dit ce vieillard mérite de nous servir avec gloire."

A. Frank, dans sa Kaballe 237, nous dit que : "les savants commentateurs du Talmud, les Rabbins des synagogues, expliquent que le jardin des délices, dans lequel on fait pénétrer les quatre personnages, n'est autre chose que cette science mystérieuse, la plus redoutable de toutes pour les intelligences faibles, qu'elle pousse à la démence." Celui dont le cœur est pur et qui étudie dans le but de se perfectionner, et de cette façon acquérir plus facilement l'immortalité promise, n'a rien à craindre ; mais qu'il tremble, celui qui ferait de la science des sciences un prétexte impie pour ses aspirations mondaines. Ceux-ci ne résisteront jamais aux évocations cabalistiques de l'initiation suprême.

237 [Partie II, ch. I, pp. 57-58, éd. Paris 1843.]

 

Les représentations libidineuses des mille et une sectes chrétiennes primitives seront critiquées par les commentateurs partiaux, de  même qu'ils l'ont fait pour les anciens rites Eleusiniens et autres. Mais pourquoi mériteraient-ils le blâme des théologiens, des Chrétiens, lorsque leurs propres "Mystères", ceux de "l'incarnation divine avec Joseph, Marie et l'Ange" dans une trilogie sacrée, ont été représentés dans plus d'un pays et furent, dans un temps, renommés en Espagne et le Sud de la France ? Plus tard, ces représentations tombèrent, comme beaucoup d'autres anciens rites, dans le domaine public. Il y a quelques années encore, pendant la semaine de Noël, les théâtres de guignols de la Pologne et du Sud de la Russie présentaient l'enfant Jésus dans sa crèche, à côté des personnages classiques de la comédie. On les appelait Kaliadovki, terme dont l'étymologie exacte nous échappe, si ce n'est qu'il provient du verbe Kaliadovât, explication que j'abandonne avec plaisir aux savants philologues. Nous avons vu ces exhibitions dans notre jeune âge. Nous nous rappelons fort bien les trois Rois Mages représentés par trois poupées en perruques poudrées et maillots de couleur ; et c'est en nous remémorant la vénération naïve et profonde reflétée sur les figures des pieux spectateurs, que nous apprécions à sa juste valeur la loyale et sincère remarque de l'éditeur dans la préface des Eleusinian and Bacchic [138] Mysteries, lorsqu'on dit : "C'est l'ignorance qui est cause de profanation. Les hommes ridiculisent ce qu'ils ne comprenne pas bien... le courant de ce monde se précipite vers un but ; et dans la crédulité humaine – appelez-la faiblesse humaine, si vous voulez – il y a un pouvoir quasi-infini, une foi vibrante, capable de s'assimiler les suprêmes vérités de l'Existence." [pp. 11-12]

Si ce sentiment abstrait qu'on nomme la Charité Chrétienne prévalait dans l'Eglise, nous aurions aimé laisser tout cela dans l'ombre. Nous n'avons aucune animosité contre les Chrétiens dont la foi est sincère et dont les actes sont en accord avec leur profession de foi ; mais devant un clergé arrogant, dogmatique et déloyal, nous n'avons pas autre chose à faire que de voir réhabiliter et rétablir l'antique philosophie – combattue par la théologie moderne dans sa chétive progéniture, le Spiritisme  – autant qu'il est notre pouvoir de le faire, afin de proclamer sa grandeur et sa valeur. Nous ne luttons pas seulement pour la philosophie ésotérique, encore moins pour un système moderne de philosophie moral, mais pour le droit inaliénable de l'opinion privée, et surtout pour' la notion pleine de noblesse d'une vie future d'action et de responsabilité.

 Nous louons sans réserve les commentateurs tels  que Godfrey Higgins, Inman, Payne Knight, King, Dunlap, et le Dr Newton, bien qu'ils ne soient pas d'accord avec nous sur nos notions mystiques, car leur assiduité est constamment récompensée par de nouvelles découvertes dans le champ de la paternité païenne des symboles chrétiens. Autrement, tous ces savants ouvrages sont sans utilité aucune. Leurs recherches ne couvrent que la moitié du terrain. La véritable clé de l'interprétation leur faisant défaut, ils ne voient les symboles que sous leur aspect physique. Ils ne possèdent pas le mot de passe qui fait ouvrir, toutes grandes, les portes du mystère ; l'ancienne philosophie spirituelle est, pour eux, un livre fermé. Bien que leurs idées sur ce sujet soient diamétralement opposées à celles du clergé, ils ne font guère plus, dans l'interprétation, que ce que font leurs adversaires pour répondre aux questions du public. Leurs travaux tendent à fortifier le matérialisme, de la même manière que ceux du clergé, et surtout du clergé Romain, tendent à cultiver la croyance au diabolisme.

Si l'étude de la philosophie hermétique ne nous procurait pas d'autre satisfaction, ce serait déjà plus que suffisant de savoir qu'elle  nous enseigne la parfaite justice avec laquelle le monde est gouverné. Chaque page de l'histoire est un sermon sur ce texte, mais aucun ne comporte une morale plus profonde que le cas de l'Eglise Romaine. Jamais la loi divine des compensations n'a été mieux confirmée que, par le fait de ses propres actions, elle a perdu tout espoir de posséder la clé de ses propres mystères religieux. La [139] supposition de Godfrey Higgins que l'Eglise Romaine possède deux doctrines, une pour les masses, et l'autre – la doctrine ésotérique pour les "parfaits" ou les initiés, ainsi que cela se pratiquait dans les anciens Mystères, nous paraît sans fondement et plutôt fantastique. Nous le répétons, elle a égaré la clé ; autrement, aucun pouvoir terrestre n'aurait pu l'abaisser, et sauf en ce qui concerne la connaissance superficielle des moyens nécessaires pour produire des "miracles", son clergé ne peut en aucune façon être comparé, pour sa sagesse avec les Hiérophantes de jadis.

En brillant les ouvrages des théurgistes ; en bannissant ceux qui s'appliquaient à les étudier ; en stigmatisant de démonolâtrie la magie en général, Rome a permis à tout libre penseur de déchiffrer son culte exotérique et sa Bible, d'entacher de grossièreté ses emblèmes sexuels, et de faire que ses prêtres deviennent inconsciemment des magiciens, si ce n'est des sorciers, en pratiquant leurs exorcismes, qui ne sont que des évocations de nécromants. C'est ainsi que la rétribution, suivant la parfaite application de la loi divine, atteint ce programme de cruauté, d'injustice et de fanatisme, à la suite de ses propres actes suicidaires.

Philosophie véritable et vérité divine sont des termes interchangeables. Une religion qui craint la lumière ne peut être basée ni sur la vérité, ni sur la philosophie, par conséquent elle doit être erronée. Les anciens Mystères n'étaient des mystères que pour les profanes, que les Hiérophantes ne recherchaient pas et qu'ils n'auraient pas acceptés comme prosélytes ; les Mystères étaient dévoilés aux initiés aussitôt que le voile final était levé. Des hommes tels que Pythagore ou Platon ne se seraient pas contentés d'un mystère insondable et incompréhensible, comme celui du dogme chrétien. II ne peut y avoir qu'une vérité, car deux vérités mineures sur le même sujet ne constituent qu'une grande erreur. Parmi les milliers de religions contradictoires, populaires ou exotériques, qui ont été propagées depuis le jour où les hommes échangèrent pour la première fois leurs idées, pas une nation, pas un peuple, pas même la tribu la plus abjecte, qui n'ait, à sa manière cru en un Dieu invisible, Cause Première de lois infaillibles et immuables, et admis l'immortalité de l'esprit. Ni une croyance quelconque, ni la fausse philosophie, ni les exagérations religieuses ne sont capables de détruire ce sentiment. Il faut, par conséquent, qu'il soit basé sur une vérité absolue. D'autre part, chacune des innombrables religions et des sectes religieuses considère la Divinité à sa manière ; elles attribuent  leurs propres spéculations à l'inconnu ; ces excroissances humaines d'une imagination enfiévrée sont imposées aux masses ignorantes, en leur donnant le nom de "révélation". Comme les dogmes de chaque religion et de chaque secte diffèrent radicalement les uns des autres, ils ne peuvent pas être vrais. Et s'ils sont faux, que sont-ils donc ? [140]

"La pire malédiction pour une nation, dit le Dr Inman, pas une mauvaise religion, mais la forme de croyance qui met un frein aux questions viriles. Aucune nation de l'antiquité, que je sache, soumise à l'autorité des prêtres, qui ne soit tombée sous le glaive de ceux qui étaient opposés aux hiérarques... Le plus grand danger vient des prêtres qui ferment l'œil au vice et l'encourage comme un moyen d'augmenter leur pouvoir sur leurs ouailles. Tant que chacun ne fera aux autres que ce qu'il voudrait qu'on lui fit, et ne permettra à personne de s'entremettre entre lui et son Créateur, tout ira bien dans ce bas monde 238."

 238 Ancient Pagan and Modern Christian Symbolism, préface p. 34.