CHAPITRE III

DIVISIONS PARMI LES PREMIERS CHRETIENS

 

"Le Roi. – Racontez-moi cette histoire d'un bout â l'autre."

 Shakespeare, Tout est bien qui finit bien, acte V, scène 3.

"Il est l'UN, procédant de lui-même ; et de Lui procèdent toutes choses. Et c'est en elles qu'Il exerce Lui-même son activité ; nul mortel ne le contemple, mais il voit tout !"

 Hymne Orphique 239.

"Et Athènes, O Athéna, est ton bien !

Grande Déesse, écoute-moi ! et répands ta pure lumière En flots ininterrompus sur mon front obscurci ;

Ta sainte lumière, O Reine toute puissante, Qui brille éternellement sur ta face sereine. Inspire mon âme, dans son séjour terrestre, De tes feux bénis et irrésistibles !"

Proclus. Taylor, A Minerve 240.

 239 [Cf. Justin Martyr, Cohortatio ed Græcos, XV ; Gesnerus, Orpheos apantæ ; T. Taylor, Eleus. and Bacchic Myst., 4ème éd., p. 238.]

240 [T. Taylor, op. cit., p. 226.]

 

"Or, la foi est une ferme attente des choses... C'est par la foi que Rahab la prostituée ne périt pas avec les rebelles, parce qu'elle avait reçu les espions avec bienveillance."

  Hébreux, XI, 1 et 31.

"Mes frères, que sert-il à quelqu'un de dire qu'il a la foi, s'il n'a pas les œuvres ? La foi peut-elle le sauver ?... Rahab la prostituée ne fut-elle pas également justifiée par les œuvres, lorsqu'elle reçut les messagers et qu'elle les fit partir par un autre chemin ?"

 Saint Jacques, II, 14, 25.

 

Saint Clément représente Basilides, le Gnostique, comme "un philosophe voué à la contemplation des choses divines". Cette expression fort appropriée pourrait être appliquée à beaucoup de fondateurs des plus importantes sectes religieuses qui furent, par la suite, englobées en une seule, ce mélange de dogmes inintelligibles forgés par Irénée, Tertullien et d'autres, qui aujourd'hui a nom Christianisme. Si l'on veut les qualifier d'hérésies, le Christianisme primitif doit lui-même être compris dans le nombre. Basilides et [142] Valentin vécurent avant Irénée et Tertullien ; et ces deux derniers Pères ont moins de raisons à donner, que les deux premiers Gnostiques, pour justifier la plausibilité de leur hérésie. Ni le droit divin, ni la vérité n'assurèrent le triomphe de leur Christianisme ; le hasard seul lui fut propice. Nous nous faisons fort d'affirmer, avec parfaite raison, qu'il n'est aucune de ces sectes – le Cabalisme, le Judaïsme, sans en omettre le Christianisme actuel – qui ne soit née des deux branches principales du tronc primitif, la religion jadis universelle qui précéda les âges védiques ; nous voulons parler du Bouddhisme préhistorique qui se fondit, plus tard, dans le Brahmanisme.

La religion qui eut le plus de ressemblance avec l'enseignement primitif des quelques premiers apôtres – religion prêchée par Jésus lui- même – est la première de ces deux, le Bouddhisme. L'autre, telle qu'elle fut enseignée dans sa pureté primitive, et portée à sa perfection par le dernier des Bouddhas, Gautama, fondait son éthique sur trois principes fondamentaux. Elle enseignait :

 que toutes choses existaient à la suite de causes naturelles ;  que la vertu porte en elle sa propre récompense, le péché et le vice leur châtiment ; et  que l'état des hommes sur cette terre est un état de probation.

 Nous pourrions ajouter que sur ces trois principes reposent les bases universelles de toute foi religieuse : Dieu, et  l'immortalité individuelle pour chaque homme, s'il est capable de la conquérir. Malgré l'enchevêtrement des dogmes théologiques postérieurs ; malgré l'incompréhensibilité apparente des abstractions métaphysiques qui ont convulsionné la théologie de toutes les grandes religions de l'humanité dès le moment qu'elles ont été établies sur des bases solides, on verra que ce qui précède est l'essence de toute philosophie religieuse, exception faite du Christianisme moderne. Ce fut celle de Zoroastre, de Pythagore, de Platon, de Jésus, et même de Moise, bien que l'enseignement du législateur juif ait subi tant de pieux travestissements.

Nous allons consacrer ce chapitre à une brève étude des nombreuses sectes qui se sont dites chrétiennes ; c'est-à-dire de toutes celles qui professent de croire au Christos, l'OINT. Nous essaierons également d'expliquer ce dernier terme au point de vue cabalistique, et de démontrer comment il reparaît dans chaque système religieux. Peut-être serait-il utile, en même temps, de nous rendre compte jusqu'à quel point les premiers apôtres – Paul et Pierre – étaient d'accord en prêchant la nouvelle Dispensation. Commençons par Pierre.

Et d'abord, revenons à la plus grande de  toutes  les  fraudes patristiques : celle qui, sans contredit, a aidé l'Eglise Catholique Romaine à acquérir sa suprématie imméritée, c'est-à-dire l'affirmation effrontée en dépit des preuves historiques, que saint Pierre [143] subit le martyre à Rome. Ce n'est que naturel que le clergé romain s'attache à cette fable, car en démasquant la nature frauduleuse de ce prétexte, tout le dogme de la succession apostolique est renversé.

On a écrit, ces derniers temps, beaucoup de savants ouvrages pour réfuter cette ridicule prétention. Entre autres, nous retiendrons The Christ of Paul de M. G. Reber, qui la démolit d'une manière tout à fait habile. L'auteur prouve : qu'aucune   Eglise  n'avait   été  fondée  à  Rome  avant    le     règne d'Antonin le Pieux ; que comme Eusèbe et Irénée concordent tous deux à dire que Linus fut le second Evêque de Rome, aux mains duquel "les bienheureux apôtres" Pierre et Paul confièrent l'Eglise  après l'avoir construite, ce n'a pu avoir lieu qu'entre, 64 et 68 ; que cet intervalle tombe pendant le règne de Néron, car Eusèbe arme que Linus resta en fonctions pendant douze ans (Ecclesiastical History, livre III, c. 13), ayant commencé son épiscopat en 69, une année après la mort de Néron, et qu'il mourut lui-même en 81.

A la suite de cela, l'auteur affirme, sur des preuves irréfutables, que Pierre n'a pas pu être à Rome en 64, puisqu'à cette époque il était à Babylone, d'où il écrivit sa première Epître, dont la date a été fixée, par le Dr Lardner et d'autres critiques, précisément à cette année là. Mais, à notre avis, son meilleur argument consiste dans la preuve qu'il n'était pas dans le caractère du pusillanime Pierre de risquer un voisinage si proche de Néron qui, à ce moment-là, "donnait en pâture aux bêtes féroces de l'Amphithéâtre la chair et les os des chrétiens" 241.

Qui sait si l'Eglise de Rome n'a pas été d'accord avec ses principes en choisissant comme son fondateur titulaire l'apôtre qui renia son maître par trois fois, au moment du danger ; et fut le seul, excepté Juda, qui appela sur lui, de la part du Christ, l'épithète de "l'ennemi". "Retire toi SATAN !" s'écrie Jésus en réprimandant l'apôtre railleur 242.

Il existe une tradition dans l'Eglise Grecque, qui n'a jamais trouvé faveur auprès du Vatican. L'Eglise Grecque attribue son origine à un des chefs Gnostiques – Basilides qui sait ! – qui vivait sous Trajan et Adrien à la fin du premier siècle et au commencement du second. Quant à cette tradition elle-même, si le Gnostique est Basilides en personne, il faut admettre que son autorité est suffisante, puisqu'il prétend avoir été un disciple de l'apôtre Matthieu, et avoir eu pour instructeur Glaucias, un disciple de Saint Pierre lui-même. Si le récit qu'on lui attribue est authentique, le Comité de Londres pour la révision de la Bible ferait [144] bien d'ajouter un nouveau verset aux Evangiles de Matthieu, Marc et Jean, qui racontent l'histoire du reniement du Christ par saint Pierre.

 241 The Christ of Paul, p. 123.

242 Marc VIII, 33.

 

La tradition dont il est question arme que, lorsque, effrayé par l'accusation du serviteur du grand-prêtre, l'apôtre renia par trois fois son maître, et que le coq chanta, Jésus, qui traversait la galerie sous la garde des soldats, se retourna et, regardant Pierre, lui dit : " – En vérité, Pierre, je te dis que tu me renieras à travers les âges à venir, et que tu ne t'arrêteras pas jusqu'à ce que tu sois devenu vieux, et que tu tendras les mains, et qu'un autre te ceindra les reins et t'emportera là où tu ne voudras pas." 243 Grecs maintiennent que la dernière partie de cette phrase a rapport à l'Eglise de Rome, et prophétise son apostasie constante du Christ, sous le masque de fausse religion. Elle fut introduite, plus tard, dans le vingt et unième chapitre de l'Evangile selon saint Jean ; mais le chapitre tout entier fut condamné comme l'œuvre d'un faussaire, même avant qu'on n'eût reconnu que cet Evangile n'avait jamais été écrit par l'apôtre Jean 244.

L'auteur anonyme de Supernatural Religion, ouvrage dont plusieurs éditions furent épuisées en moins de deux ans, et qu'on prétend avoir été écrit par un éminent théologien, fournit la preuve concluante de la contrefaçon des quatre Evangiles, ou tout au moins de leur complète transformation dans les mains du trop zélé Irénée et de ses acolytes. Le quatrième Evangile 245 complètement démoli par ce savant auteur ;  il prouve clairement les falsifications extraordinaires auxquelles se sont livrés les Pères des premiers siècles, et il discute la valeur relative des synoptiques avec une puissance de logique inconnue jusqu'alors. Chaque ligne de cet ouvrage impose la conviction. Nous en reproduisons ce qui suit :

 "Nous gagnons infiniment plus que nous ne perdons en abandonnant la croyance à la réalité de la Révélation Divine. Tout en conservant, pur et entier, le trésor de la morale chrétienne, nous n'en écartons que les éléments avilissants ajoutés par la superstition humaine. Nous ne sommes plus tenus d'avoir foi en une théologie qui est un outrage pour la raison et le sens moral. Nous sommes délivrés des notions anthropomorphes de Dieu et de son gouvernement  de  l'Univers,  et de  la  Mythologie Juive, nous nous élevons à de plus hautes conceptions, celles d'un Etre infiniment sage et bon, caché à notre esprit borné, il est vrai, dans la gloire impénétrable de la Divinité, mais dont il nous est donné de contempler sans cesse, autour de nous, l'opération des lois d'une universalité, [145] et d'une perfection merveilleuses... L'argument si souvent mis en avant par les théologiens que la Révélation Divine est nécessaire à l'homme, et que certaines notions contenues dans cette Révélation sont indispensables à notre conscience morale, est purement imaginaire et dérive de la Révélation elle-même qu'on veut maintenir à tout prix. La seule chose indispensable pour l'homme est la VERITE, et c'est à elle seule que doit s'adapter notre conscience morale 246."

243 Jean XXI, 18.

244 [Walter R. Cassels.]

245 Evangile selon saint Marc, VIII, 33.

 

Voyons, maintenant, sous quel jour la Révélation Divine de la Bible Juive était considérée par les Gnostiques, qui croyaient encore au Christ à leur manière, laquelle, certes, était meilleure et moins blasphématoire que celle de l'Eglise Catholique Romaine. Les Pères ont imposé aux partisans du Christ une Bible dont il fut lui-même le premier à enfreindre les lois ; dont il rejetait l'enseignement de fond en comble ; crimes pour lesquels il fut finalement crucifié. Si le monde chrétien peut se vanter de quelque chose, ce n'est certes pas d'avoir la logique et la stabilité comme vertus principales.

Le seul fait que Pierre resta jusqu'à la fin "l'apôtre de la circoncision" parle par lui-même. Quel que soit celui qui édifia l'Eglise de Rome, ce ne fut certainement pas Pierre. Si c'était le cas, les successeurs de cet apôtre devraient se soumettre à la circoncision, ne serait-ce que par esprit de suite, et comme preuve que les prétentions des Papes ne sont pas sans fondement. Le Dr Inman affirme qu'on dit que, "à notre époque chrétienne les Papes doivent être en particulier absolument parfaits" 247 ; mais nous ignorons si, pour cela, ils doivent se soumettre aux exigences de la Loi Lévitique juive. Les premiers quinze évêques chrétiens de Jérusalem, en commençant par Jacques sans en excepter Judas, étaient, tous, des Juifs circoncis 248.

246 Supernatural Religion, vol. II, p. 489.

247 Ancient Pagan and modern christian Symbolism, p. 28, Intr.

248 Eusèbe, Ex. H., livre IV, ch. V ; Sulpice-Sévère, Chronica, vol. II, p. 26.

249 Il parait que les Juifs attribuent une très haute antiquité au Sepher Toldos Jeshu. Mention en est faite pour la première fois par Martin, vers le commencement du XIIIème siècle, car les Talmudistes eurent grand soin de le cacher aux yeux des Chrétiens. Lévi prétend que Porchetus Salvaticus [Victoria Porcheti adversus impios Hebræos, Paris 1520 en publia une partie, qui fut utilisée par Luther (voir vol. III, 109-110, Jena éd., 1583, et aussi Wittenberg éd., 1556, vol. V, pp. 509-35). Le texte hébreu, qui manquait fut enfin retrouvé par Münster et Buxtorf, et publié en 1681 par Christophe Wagenseilius, dans une collection intitulée : Tela Ignea Satanae, ou  Flèches enflammées de Satan [Altdorf, 2 vols ; et par Jah. Jac. Huldrich, comm. Historia Jeshuæ Nazareni, Leyden 1705.] (Voir La Science des Esprits de Eliphas Lévi, pp. 37-38).

250 Theodoret, Hereretic. Fab., lib. II, 11.

 

Dans le Sepher Toldos Jeshu 249, un manuscrit hébreu d'une haute antiquité, la version de Pierre est toute différente. D'après lui, Simon Pierre était un de leurs frères, bien qu'il se soit écarté, tant soi peu, de leurs lois, et la haine des Juifs et leur persécution [146] de l'apôtre ne paraissent avoir existé que dans l'imagination féconde des Pères. L'auteur en parle avec grand respect et loyauté, affirmant qu'il était "un serviteur fidèle du Dieu vivant", passant sa vie dans l'austérité et la méditation, "habitant à Babylone, au sommet d'une tour", composant des hymnes et prêchant la charité. Il ajoute que Pierre recommanda toujours aux Chrétiens de ne faire aucun tort aux Juifs ; mais, sitôt après sa mort, survint un autre prédicateur qui partit pour Rome et prétendit que Simon Pierre avait changé l'enseignement de son maître. II inventa un enfer de flammes et en menaça tout le monde ; il promit des miracles, mais n'en fit point.

Combien ce qui précède contient-il de fiction et combien de vérité ? Nous laissons à d'autres le soin de l'apprécier ; mais il est certain que ce récit porte en lui plus de preuves de sincérité, que les fables inventées par les Pères de l'Eglise pour leur cause.

Nous serions d'autant plus poussés à faire crédit de cette amitié entre Pierre et ses anciens co-religionnaires, que nous trouvons dans Theodoret l'affirmation suivante : "Les Nazaréens sont des Juifs, qui vénèrent l'OINT [Jésus] comme un homme juste et se servent de l'Evangile selon Pierre 250." Pierre était Nazaréen, suivant le Talmud. Il appartenait à la secte des Nazaréens de date plus récente, qui étaient en désaccord avec les partisans de Jean-Baptiste, et qui devint, par la suite, une secte rivale ; cette secte – suivant la tradition – fut instituée par Jésus lui-même.

 L'histoire veut que les premières sectes chrétiennes aient été ou des Nazaréens, comme Jean-Baptiste ; ou des Ebionites, parmi lesquels se trouvaient de nombreux parents de Jésus ; ou alors  des Esséniens (Iaessens) les Thérapeutes, guérisseurs, dont les Nazaréens formaient une branche. Ces sectes, qu'on ne commença à traiter d'hérétiques que depuis l'époque d'Irénée, étaient toutes, plus ou moins, cabalistiques. Elles croyaient à l'expulsion des démons au moyen d'incantations magiques, et mettaient cette méthode en pratique. Jervis applique aux Nabathéens et autres sectes similaires l'appellation de "exorciseurs errants Juifs" 251, le mot arabe Nabæ signifiant errer, et l'hébreu אבנ naba, prophétiser. Le Talmud appelle tous les chrétiens, sans distinction des Nozari 252. Toutes les sectes Gnostiques croyaient également à la magie. Irénée, en décrivant les partisans de Basilides, dit "qu'ils faisaient usage d'images, d'invocations et d'incantations, et toutes autres choses du domaine de la magie." 253 Sur l'autorité de Lightfoot, [147] Dunlap démontre que Jésus était appelé Nazaraïos, à cause de son extérieur humble et pauvre ; "car nazaraïos signifie séparation, aliénation des autres hommes" 254...

La véritable signification du terme nazar רזנ, est se vouer au service de Dieu. Comme substantif, c'est un diadème ou l'emblème de  la consécration, une tête ainsi consacrée 255. On disait de Joseph qu'il était un Nazar 256. "Sur la tête de Joseph, sur le sommet de la tête (nazar) parmi  ses frères". On dit encore que Samson et Samuel (שמשון אל-שמו Semes-on et Sem-va-el) étaient des Nazars. Porphyre, en parlant de Pythagore, dit qu'il avait été purifié et initié à Babylone par Zar-Adas, le chef du sacré collège. Ne pourrait-on, par conséquent, supposer que le Zoro-Aster était le nazar d'Istar, Zar-adas ou Na-Zar-ad 257 signifiant la même chose dans le changement des langues ? Esra, ou ארזע était un Prêtre, un Scibe, un Hiérophante ; et le premier colonisateur hébreu de la Judée fut לבבורז, Zeru-Babel ou le Zoro ou nazar de Babylone.

 251 John Jervis White Jervis, Genesis, Elneidated, Londres 1852, p. 324.

252 Lightfoot, Horæ Hebr. et Talm., p. 501.

253 [Adv. Hær, I, XXIV, 5.]

254 Dunlap, Sod the son of the man, p. 10.

255 Jérémie, VII, 29. "Coupe ta chevelure, et jette-la au loin ; monte sur les hauteurs, et prononce une complainte."

256 Genèse, XLIX, 26.

257 Nazareth ? [Cf. Clément Alex, Strom, 1, XV ; Apulée, Floridora, II, 15.]

 

Les Ecritures Juives mentionnent deux cultes ou religions distinctes parmi les Israélites : celui de Bacchus, sous le masque de Jéhovah, et celui des initiés chaldéens auquel appartenaient quelques nazars, les théurgistes et quelques-uns des prophètes. Le quartier général de ces derniers était toujours à Babylone et en Chaldée, où l'on reconnaît distinctement deux écoles rivales de Mages. Ceux qui en doutent feraient bien de donner l'explication de la différence entre ce que dit l'histoire et ce que dit Platon, qui, de tous les hommes de son temps, était certainement un des mieux informés. En parlant des Mages, il nous les montre instruisant les Rois persans sur Zoroastre, comme fils ou prêtre d'Oromazd ; 258 et cependant Darius, dans l'inscription de Behistun, se vante d'avoir restauré le culte d'Ormazd, et d'avoir renversé les rites des Mages. Il y avait évidemment deux écoles de Mages, rivales et distinctes. La plus ancienne et la plus ésotérique des deux était celle qui, satisfaite de ses connaissances invulnérables et de son pouvoir secret, consentit volontiers à se défaire de sa popularité exotique, en abandonnant sa suprématie aux mains du réformateur Darius. Les Gnostiques, plus tard, firent preuve de la même politique prudente en s'adaptant, dans chaque pays, aux formes de la religion prévalente, tout en restant secrètement fidèles à leurs doctrines essentielles.

Il y aurait une autre hypothèse possible, qui serait que Zero-Ishtar était le grand prêtre du culte chaldéen ou Mage hiérophante. [148] Lorsque les Ariens perses, sous Darius Hystaspes, renversèrent le mage Gomates, et rétablirent le culte Mazdéen, il s'ensuivit un amalgame à la suite duquel le Mage Zoro-astar devint le Zara-thoushtra de la Vendidâd. Cela n'était pas du goût des autres Aryens qui avaient adopté la religion Védique, distincte de celle d'Avesta. Mais ce n'est qu'une simple hypothèse.

Or, qu'on croie ce que l'on voudra à l'égard de Moise, nous allons démontrer que c'était un initié. La religion Mosaïque ne fut, somme toute, qu'un culte du Soleil et du Serpent, peut-être mélangé de quelques notions monothéistes jusqu'au moment où celles-ci furent introduites par la force dans les prétendues "Ecritures inspirées" par Ezra, lorsqu'il ré-écrivit les livres mosaïques. De toute façon, le Livre des Nombres fut écrit plus tard ; et on y suit la trace du culte solaire et du serpent aussi nettement que dans n'importe quel récit païen. Dans plus d'un sens, le récit des serpents de  feu est allégorique. "Les "Serpents" étaient les Lévites ou Ophites qui formaient la garde du corps de Moise (Voir Exode XXXII, 26) ; et le commandement du "Seigneur" à Moise de faire plier le cou du peuple "devant le Seigneur contre le Soleil" qui est l'emblème de ce Seigneur, ne prête à aucune équivoque.

258 [Aleib, 122 A. Cf. Cicéron, De Divinatione, I, 1.]

 

Les nazars ou prophètes, de même que les Nazaréens, étaient une caste opposée au culte de Bacchus, en ce que, d'accord avec tous les prophètes initiés, ils s'en tenaient à l'esprit des religions symboliques et s'opposaient de toutes leurs forces aux pratiques idolâtres et exotériques de la lettre morte. C'est là la raison pour laquelle les prophètes furent si souvent lapidés par le peuple sous la conduite des prêtres qui avaient tout intérêt à favoriser les superstitions populaires. Ottfried Müller nous fait voir à quel point les Mystères Orphiques différaient des rites populaires de Bacchus 259, bien qu'il soit connu que les Orphikoï relevaient du culte de Bacchus. Le système de la moralité la plus pure et de l'ascétisme sévère des enseignements Orphiques, et auxquels adhéraient si strictement ses partisans, sont incompatibles avec l'impudicité et la grossière immoralité des rites populaires. La fable d'Aristée poursuivant Eurydice dans les bois, où la morsure d'un serpent lui donne la mort 260, est une allégorie très claire qui était expliquée, en partie, dans les temps primitifs. Aristée représente la force brutale poursuivant Eurydice, la doctrine ésotérique, dans les bois, où le serpent (l'emblème du dieu solaire, adoré sous son aspect grossier, même par les Juifs), la tue ; c'est-à-dire force la vérité à devenir plus ésotérique encore, et à chercher un refuge dans le [149] monde souterrain, qui n'est nullement l'enfer de nos théologiens. En outre, le sort d'Orphée, mis en lambeaux par les Bacchantes, est encore une autre allégorie pour démontrer que les rites grossiers et populaires sont toujours plus goûtés que la vérité simple mais divine, et fait voir également la grande différence qui devait exister entre le culte populaire et le culte ésotérique. Comme les poèmes d'Orphée et de Musée ont été perdus dès les âges les plus reculés, de telle façon que ni Platon, ni Aristote n'ont rien pu reconnaître d'authentique dans les poèmes existant à leur époque, il est difficile de dire avec précision en quoi consistaient ces rites particuliers. Nous avons, néanmoins, la tradition orale, et nous en pouvons tirer nos conclusions ; cette  tradition  veut  qu'Orphée  ait  rapporté  sa  doctrine  de  l'Inde. Cette

 

 

 

 

religion était celle des plus anciens Mages par conséquent celle à laquelle appartenaient les initiés de toutes les nations, en commençant par Moise, les "Fils des Prophètes" et les Nazars ascétiques (qu'il ne faut pas confondre avec ceux contre lesquels se sont élevés Osée et d'autres prophètes) et en finissant par les Esséniens. Cette dernière secte était composée de Pythagoriciens, avant que leur système n'ait dégénéré plutôt que progressé par leur rapprochement avec les missionnaires Bouddhistes, lesquels, d'après ce que nous raconte Pline, s'étaient établis sur les rivages de la Mer Morte, des siècles avant son temps, per saeculorum millia 261. Mais si, d'une part, ces moines Bouddhistes furent les premiers à fonder des communautés monastiques et à introduire la stricte observation d'une régie conventuelle dogmatique ; d'autre part, ils furent aussi les premiers à préconiser et à populariser les vertus sévères dont Sâkyamouni donna l'exemple, et qui, avant lui, n'avaient été pratiquées qu'en des cas isolés par des philosophes bien connus et leurs partisans ; ces vertus furent prêchées quelques siècles plus tard par Jésus, mises en pratique par quelques ascètes chrétiens, et graduellement abandonnées et même complètement oubliées par l'Eglise chrétienne.

 259 Ottfried Müller, A History of the Literature of Ancient Greece, p. 230-240.

260 [Virgile, Georgiques, VI, 282 et seq.]

 

Les nazars initiés avaient toujours obéi à cette règle, qu'avaient suivie les adeptes de tous les siècles avant eux ; et les disciples de Jean ne furent qu'une branche dissidente des Esséniens. C'est pourquoi il ne faut pas les confondre avec tous les nazars dont parle l'Ancien Testament et que Osée accusa de s'être séparés ou de s'être consacrés à Bosheth תשב, et qui impliquait la plus grande de toutes les abominations 262. Prétendre, comme le font certains critiques et théologiens, que cela veut dire, se séparer de la chasteté et de la continence, c'est ou vouloir pervertir sa véritable signification, ou être absolument ignorant de la [150] langue hébraïque. Le onzième verset du premier chapitre de Michée explique le terme à moitié, sous une forme voilée : "Passe, habitante de Schaphir, etc." ; mais, dans le texte original, ce terme est Bosheth. Certes, ni Baal, ni Iahoh-Kadosh, avec ses Kadeshim, ne fut un dieu pratiquant les vertus ascétiques, bien que la Bible des Septante les représente, de même que les Galli – les prêtres parfaits – τετελεοµένοὶ, comme les initiés et les consacrés 263. Le grand Sod du Kadeshim, traduit dans le Psaume LXXXIX, 7, par "assemblée des saints", est loin d'être un mystère des sanctifiés dans le sens que Webster prête à ce terme.

261 [Pline, Hist. Nat., V, XV]

262 [Osée, IX. 10.]

263 Voir Movers, Die Phönizier, vol. I, p. 683.

 

La secte des Naziréates existait longtemps avant les lois de Moïse 264, et prit naissance chez un peuple en guerre ouverte avec les "élus" d'Israël, c'est-à-dire les habitants de la Galilée, l'ancienne olla podrida de nations idolâtres où s'élevait Nazara, le Nadra d'aujourd'hui. Ce fut à Nazara que les anciens Nazaria ou Naziréates tenaient leurs "Mystères de Vie" ou "assemblées", (comme le terme apparaît dans la traduction) 265, qui n'étaient autres que les Mystères secrets de l'initiation 266, tout à fait distincts, dans leur forme pratique, des Mystères populaires qui se célébraient à Byblos en l'honneur d'Adonis. Tandis que les véritables initiés de  la Galilée ostracisée adoraient le vrai Dieu, et jouissaient de visions transcendantes, que faisaient les "élus" pendant ce temps ? Ezéchiel nous le dit (au chapitre VIII), lorsqu'en décrivant ce qu'il avait vu, il dit que la forme d'une main le saisit par une boucle de cheveux et le transporta de Chaldée à Jérusalem. "Et il y avait là soixante-dix hommes des anciens de la maison d'Israël... Fils de l'homme, vois-tu ce que font dans les ténèbres les anciens de la maison d'Israël... A la porte de la maison de l'Eternel ?... Et voici, il y avait là des femmes, assises, qui pleuraient Thammuz." (Adonis) demande le Seigneur. On ne peut vraiment pas supposer que les païens aient surpassé le peuple "élu" dans certaines honteuses abominations dont leurs prophètes les accusent si souvent. Nul n'est besoin d'être versé dans la langue hébraïque pour admettre cette vérité ; il n'y a qu'à lire la Bible dans la traduction et réfléchir sur le langage des "saints" prophètes.

Telle fut la raison de la haine des Nazaréens ultérieurs pour les Juifs orthodoxes, les partisans de la Loi Mosaïque exotérique – que cette secte a toujours accusés d'être des adorateurs de Iurbo-Adunaï, ou du Seigneur Bacchus. Sous le déguisement de Adoni-Iachoh (texte original de Esaïe LXI, 1). Iahoh et le Seigneur Sabaoth, [151] le Baal-Adonis, ou Bacchus, adoré dans les bosquets et les gazons publics ou Mystères, se transforme enfin, sous l'action adoucissante d'Ezra, en l'Adonaï de la Massorah – le Dieu Unique et suprême des Chrétiens !

 264 [Cf. Namal, VI, 2 ; Munk, Palestine, p. 169.]

265 Norberg, Codex Nazarœus, II, 305.

266 Voir Lucien, De Syria Dea.

 

"Tu n'adoreras point le Soleil dont le nom est Adunai, dit le Codex des Nazaréens ; dont le nom est aussi Kadush 267 et El-El. Cet Adunaï élira une nation qui se réunira en foules [son culte sera exotérique]... Jérusalem deviendra le refuge et la cité des Avortons, qui se perfectionneront [se circonciront] par le glaive... et ils adoreront Adunaï 268."

Les plus anciens Nazaréens, descendants des nazars  des Ecritures, dont le dernier chef le plus éminent fut Jean-Baptiste, bien que considérés comme peu orthodoxes par les Scribes et les Pharisiens de Jérusalem, commandaient toutefois le respect et ne furent jamais inquiétés, Hérode, lui-même, "craignait la foule, parce qu'elle regardait Jean comme un prophète" (Matthieu, XIV, 5). Mais les disciples de Jésus appartenaient manifestement à une secte qui devenait de jour en jour une épine plus douloureuse dans leur côté. Elle apparaissait comme une hérésie contenue dans une autre hérésie ; car, tandis que les nazars des anciens temps, les "Fils des Prophètes", étaient des cabalistes chaldéens, les adeptes de la nouvelle secte dissidente se montrèrent dès le début des réformateurs et des innovateurs. La grande ressemblance notée par quelques critiques entre les rites et les coutumes des premiers Chrétiens et ceux des Esséniens s'explique sans aucune difficulté. Les Esséniens, comme nous venons de le faire remarquer, étaient des convertis, des missionnaires bouddhistes qui, à un moment, avaient parcouru l'Egypte, la Grèce, et même la Judée, depuis le règne d'Asoka, le zélé propagandiste ; et tandis que c'est évidemment aux Esséniens que revient l'honneur d'avoir eu comme élève  le Réformateur Nazaréen, Jésus, nous voyons que celui-ci est en désaccord avec ses premiers maîtres, sur plusieurs points, d'observances formelles. On ne peut pas dire qu'il était un Essénien dans le sens strict du mot, pour des raisons que nous donnerons plus loin, et il n'était pas non plus un nazar ou un Nazaréen de la secte plus ancienne. Ce que Jésus était en réalité, se trouve dans le Codex Nazaraeus, dans les accusations injustes des Gnostiques de Bardesane.

"Jesu Mésio est Nebu, le faux Messie, le destructeur de l'ancienne religion orthodoxe", dit le Codex 269. Il est le fondateur de la secte des nouveaux nazars, et, ainsi que les mots l'indiquent clairement, un   partisan de la doctrine Bouddhiste. En hébreu, le [152] mot naba אבנ signifie parler d'inspiration ; et ובנ nebo est un dieu de la sagesse. Mais Nebo est encore Mercure, et Mercure est Bouddha dans le monogramme hindou des planètes. De plus, nous voyons que les Talmudistes  reconnaissent que Jésus était inspiré par le génie de Mercure 270.

267 Voir Psaume LXXXIX, 7.

268 Codex Nazaræus, I, 47.

269 I, p. 55.

 

Le réformateur Nazaréen avait appartenu, sans aucun doute, à l'une ou l'autre de ces sectes, bien qu'il soit presque impossible de dire à laquelle ; mais ce qui est de toute évidence, c'est qu'il prêcha la philosophie du Bouddha-Sâkyamouni. Dénoncés par les derniers prophètes, maudits par le Sanhédrin, les nazars – qu'on confondit avec les autres du même nom "qui se sont séparés dans cette même honte" 271 – furent persécutés secrètement, sinon ouvertement, par la synagogue orthodoxe. Il apparaît clairement pourquoi Jésus fut traité avec dédain dès le début, et qu'on le qualifia dédaigneusement de "Galiléen". Nathanaël demande : – "Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ?" (Jean, I, 46) et ce au début de sa carrière, sans autre raison que Nathanaël sait qu'il est un nazar. Cela ne prouve-t-il pas que même les plus anciens nazars ne faisaient pas vraiment partie de la religion hébraïque, mais qu'ils étaient plutôt une classe de théurges chaldéens ? De plus, comme le Nouveau Testament est connu pour ses erreurs de traduction et des falsifications transparentes des textes, nous soupçonnons fort que le mot Nazareth fut substitué à celui de nasaria ou nozari. On devrait alors lire : "Peut-il venir quelque chose de bon d'un nozari, ou d'un Nazaréen", c'est-à-dire d'un partisan de saint Jean-Baptiste, avec lequel nous le voyons associé dès le début de son entrée en action, après qu'on l'eut perdu de vue pendant une période de prés de vingt ans ? Les bévues de l'Ancien Testament ne sont rien à côté de celles des Evangiles. Ces contradictions évidentes sont la meilleure preuve du système de fraudes pieuses sur lequel repose la doctrine du Messie. "C'est lui qui est Elie qui devait venir", dit saint Matthieu en parlant de Jean- Baptiste, forçant ainsi la reconnaissance d'une ancienne tradition cabalistique (XI, 14). Mais lorsque, s'adressant à Baptiste lui-même, ils lui demandent : – "Es-tu Elie ? il dit : – Je ne le suis point." Lequel des deux était le mieux renseigné, Jean ou son biographe ? Et laquelle des deux versions constitue la révélation divine ?

 270 Alph. de Spire, Fortalitium Fidei, II, 2.

271 Osée, IX, 10.

 

Le but de Jésus, comme ce fut évidemment celui du Bouddha- Gautama, était de faire bénéficier l'humanité entière d'une réforme religieuse qui aboutirait à une religion d'éthique pure ; jusqu'alors, la véritable connaissance de Dieu et de la nature était restée entre [153] les mains des seules sectes ésotériques et de leurs adeptes. Comme jésus fit usage d'huile et que les Esséniens n'employaient que de l'eau pure 272, on ne peut pas dire qu'il fût un Essénien strict. D'autre part, les Esséniens étaient aussi "mis à part" ; c'étaient des guérisseurs (assaya) et habitaient dans le désert, de même que tous les ascètes.

Mais, bien qu'il ne s'abstint pas de vin, il pouvait être néanmoins un Nazaréen. Car, dans le chapitre VI des Nombres, nous voyons que lorsqu'un prêtre a agité la chevelure d'un Nazarite en offrande devant le Seigneur, "ensuite le Nazarite pourra boire du vin" (v. 20).  Le sévère blâme du réformateur du peuple qui n'était satisfait de rien est ainsi exprimé : "Jean ne mangeait ni ne buvait, et ils dirent de lui : il est possédé du diable... Le Fils de l'Homme mange et boit, et ils disent : Voici : c'est un glouton et un buveur de vin 273." Malgré cela, il était un Essénien et un Nazaréen, car ne voyons-nous pas qu'il envoie un message à Hérode en lui disant : "Voici, je chasse les démons et je fais des guérisons." II se dit prophète et déclare qu'il est l'égal de tous les autres prophètes 274.

L'auteur de Sôd nous montre Matthieu cherchant à rapporter le terme de Nazaréen à une prophétie 275, et il demande alors : "Pourquoi Matthieu veut-il que le prophète ait dit qu'il doit être appelé Nazaria ?" tout simplement "parce qu'il appartenait à cette secte et qu'une prophétie confirmait ses prétentions à devenir un Messie... Or il n'apparaît nulle part que les prophètes aient dit que le  Messie  devait  être  appelé  un Nazaréen" 276. Le fait seul que saint Matthieu, dans le dernier verset du chapitre II, cherche à donner du poids à sa prétention que Jésus demeura  à Nazareth, dans le seul but d'accomplir la prophétie, non seulement diminue la portée de son argument, mais le renverse au contraire complètement ; car les deux premiers chapitres ont depuis longtemps été reconnus comme des falsifications ultérieures.

272 Josèphe dit que "Les Esséniens considéraient l'huile comme une souillure", Guerres, II, p. 7.

273 [Luc, II, 33-34.]

274 Luc, XIII, 32.

275 Matthieu, II, 23. Rappelons-nous que l'Evangile selon saint Matthieu, dans le  Nouveau Testament, n'est pas l'Evangile original de l'apôtre de ce nom. L'Evangile authentique demeura pendant des siècles en possession des Nazaréens et des Ebionites, ainsi que nous le ferons voir plus loin, ainsi que le reconnaît saint Jérôme lui-même, qui confesse qu'il dut obtenir la permission des Nazaréens pour le traduire.

276 Dunlap, Sod, the Son of the Man.

 

Le baptême est un rite des plus anciens, et était pratiqué dans les Mystères de toutes les nations sous forme d'ablutions sacrées. Dunlap ferait dériver le terme nazars de nazah, asperger ; Bahâk-Tzivo  est le Génie qui appela le monde à l'existence 277 en le tirant [154] de "l'eau obscure", disent les Nazaréens ; et le Persian, Arabic and English Lexicon de Richardson affirme que le mot Bahak signifie "pleuvoir". Mais le Bahak-Tzivo des Nazaréens ne peut pas aisément être confondu avec Bacchus, le "dieu de la pluie", car les nazars étaient les plus grands ennemis du culte de Bacchus. "Bacchus est élevé par les Hyades, les nymphes de la pluie", dit Preller 278 ; il prouve, en outre 279, qu'à la fin des Mystères religieux, les prêtres baptisaient (lavaient) leurs monuments et les enduisaient d'huile. Mais tout cela ne forme que des preuves très indirectes. Nul n'est besoin de prouver que le baptême du Jourdain n'était qu'une substitution des rites exotériques de Bacchus, et les libations en honneur d'Adonis ou d'Adoni – que les Nazaréens avaient en horreur – pour prouver que c'était une secte née des "Mystères" de la "Doctrine Secrète". Il ne faut pas, non plus, confondre leurs rites avec ceux de la populace païenne, qui n'avait fait que tomber dans la foi idolâtre et irraisonnée de toutes les multitudes plébéiennes. Saint Jean était le prophète de ces Nazaréens, et, en Galilée, on l'appelait "le Sauveur" ; mais il n'était pas le fondateur de la secte dont les traditions remontaient à la plus haute antiquité des théurges Chaldéo-Akkadiens.

"Le peuple Israélite primitif était composé des Canaanéens et de Phéniciens ayant tous le même culte des dieux phalliques – Bacchus, Baal ou Adon, Iacchos – Iaô ou Jehovah" ; mais, même parmi ceux-ci, il y avait toujours eu une classe d'adeptes initiés. Par la suite, le caractère de cette plèbe fut modifié par les conquêtes Assyriennes ; et, finalement, les colonisations perses imposèrent les notions et les usages Pharisiens et Orientaux, d'où dérivèrent l'Ancien Testament et les institutions mosaïques.

 277 Codex Nazaræus, vol. II, p. 233.

278 Preller, vol. I, p. 415.

279 Dunlap, op. cit., pp. 46 et seq.

 

Les prêtres-rois Asmonéens promulguèrent le canon de l'Ancien Testament par opposition à l'Apocrypha, ou Livres Secrets des Juifs d'Alexandrie, les cabalistes 280 Jusqu'à l'époque de Jean Hyrcan, c'étaient des Assidiens (Chasidim) et des Pharisiens (Pârsîs) ; mais ils devinrent des Sadducéens ou Zadokites – partisans du gouvernement sacerdotal en opposition avec celui des rabbins. Les Pharisiens étaient doux et intellectuels ; les Sadducéens, intolérants et cruels.

Le Codex dit : "Jean, fils d'Aba-Saba-Zacharia, conçu par sa mère Anasabel dans sa centième année, avait baptisé depuis [155] quarante-deux ans 281 lorsque le Messie Jésus vint au Jourdain pour se soumettre au baptême de Jean... Mais il pervertira la doctrine de Jean en changeant le baptême du Jourdain et en pervertissant les paroles de justice" 282.

Le baptême d'eau fut changé en celui du Saint-Esprit, sans doute en conséquence de la notion d'une réforme toujours prévalente chez les Pères, et afin de distinguer les Chrétiens des Nazaréens de saint Jean, les Nabathéens et les Ebionites, et faire place aux nouveaux dogmes. Non seulement les Synoptiques nous disent que Jésus baptisait de même que Jean, mais que les disciples de Jean s'en plaignirent, bien qu'on ne puisse certainement pas accuser Jésus de pratiquer un rite purement bachique. La parenthèse dans le verset 2 de l'Evangile selon saint Jean IV "... Jésus ne baptisait pas lui-même", est si maladroite qu'on reconnaît tout de suite qu'elle a été interpolée. Matthieu fait dire à Jean que celui qui viendra après lui ne les baptiserait pas d'eau, mais "du Saint-Esprit et du feu" ; Marc, Luc et Jean corroborent ces paroles. L'eau, le feu et l'esprit, ou Saint-Esprit, ont tous leur origine dans l'Inde, ainsi que nous le démontrerons plus loin.

 280 Le terme Apocrypha fut adopté à tort comme voulant signifier doute et faux. Sa véritable signification est : caché, secret ; mais ce qui est secret souvent plus exact que ce qui est révélé.

281 Si nous pouvons nous y fier, cette affirmation prouverait que Jésus avait entre cinquante et soixante ans quand il fut baptisé, car les Evangiles disent qu'il était seulement de quelques mois plus jeune que Jean-Baptiste. Les Cabalistes disent que Jésus avait plus de quarante ans lorsqu'il apparut pour la première fois devant les portes de Jérusalem. La copie actuelle du Codex Nazaraeus date de l'année 1042, mais Dunlap emprunte à Irénée (2ème siècle) des citations et d'amples informations de ce livre : "La base des matériaux communs à Irénée et au Codex Nazaraeus doit provenir au moins du 1er siècle", dit l'auteur de Sôd, the Son of the Man, dans sa préface p. 3.

282 Codex Nazaraeus, vol. I, p. 109 ; Dunlap, Ibidem, XXIV.

 

Or cette phrase présente une particularité très étrange. Elle est nettement contredite dans les Actes des Apôtres (XIX 2-5). Apollos, juif d'Alexandrie, appartenait à la secte de saint Jean ; il avait été baptisé, et instruisait les autres dans la doctrine du Baptiste. Et cependant lorsque saint Paul, mettant à profit son absence de Corinthe, rencontre quelques disciples d'Apollos à Ephèse, il leur demande s'ils ont reçu le Saint-Esprit, et ils lui répondent naïvement : " – Nous n'avons même pas entendu dire qu'il y ait un Saint-Esprit". " – De quel baptême avez-vous donc été baptisés ?" leur demande-t-il. " – Du baptême de Jean" est la réponse. On fait alors répéter à Paul les paroles attribuées à saint Jean-Baptiste dans les Synoptiques ; et ces hommes "furent alors baptisés au nom du Seigneur Jésus" ; et instantanément "ils parlèrent en langues et prophétisèrent", don qui accompagne la descente du Saint-Esprit.

Que faut-il conclure ? Saint Jean-Baptiste, qu'on nomme le "précurseur" afin "que la prophétie soit accomplie", le grand prophète et martyr, dont les paroles avaient une signification si [156] importante aux yeux de ses disciples, annonce la descente du "Saint-Esprit" à  ses auditeurs ; les foules se rassemblent sur les rives du Jourdain, où, pendant la cérémonie du baptême du Christ, le "Saint-Esprit"  annoncé apparaît dans les cieux entr'ouverts, et la multitude entend la voix ; et cependant les disciples de Jean-Baptiste "n'ont pas même entendu dire qu'il y ait un Saint-Esprit" !!

Certes, les auteurs du Codex Nazaraeus avaient raison. Seulement, ce ne fut pas Jésus, mais ceux qui vinrent après lui, et qui cuisinèrent la Bible pour servir leurs fins, qui "pervertirent la doctrine de Jean, changèrent le baptême du Jourdain, et pervertirent les paroles de justice".

Inutile d'objecter que le Codex actuel fut écrit des siècles après que les disciples directs de Jean-Baptiste eurent cessé de prêcher. II en est de même pour les Evangiles. Lorsque cette étonnante entrevue entre Paul et les "Baptistes" eut lieu, Bardesane n'avait pas encore fait son apparition parmi eux et la secte n'était pas encore accusée "d'hérésie". De plus, nous voyons combien peu la promesse de Jean-Baptiste au sujet du "Saint- Esprit" et l'apparition de "l'Esprit" lui-même avait affecté ses disciples, par le mécontentement dont ils firent preuve envers les disciples de Jésus et la rivalité qu'ils leur manifestèrent dès le début. Bien plus, Jean est lui-même si peu convaincu de l'identité de Jésus avec le Messie attendu, qu'après la célèbre scène du baptême dans le Jourdain, et la confirmation orale du Saint-Esprit lui-même que "Celui-ci est mon Fils bien aimé" (Matthieu, III, 17), nous voyons que le "Précurseur (Matthieu, IX) envoie, de sa prison, deux disciples à Jésus pour lui demander : "Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ?" !!

Cette contradiction flagrante à elle seule aurait dû, depuis longtemps déjà, ouvrir les yeux des gens sensés, au sujet de l'inspiration divine putative du Nouveau Testament. Mais nous nous permettrons de demander encore : Si le baptême est le signe de la régénération et qu'il fut institué par Jésus lui-même, pourquoi les Chrétiens ne baptisent-ils pas, ainsi que Jésus est représenté le faire, "du SaintEsprit et du Feu", au lieu de s'en tenir à la coutume des Nazaréens ? Quel a pu être le but d'Irénée, en pratiquant ces interpolations manifestes, sinon de laisser croire au peuple que le nom de Nazaréen, qu'on donnait à Jésus lui venait simplement de la résidence de son père à Nazareth, et non de son affiliation à la secte des Nazaria, ou Guérisseurs ?

Cet expédient d'Irénée fut fort malavisé, car depuis les temps immémoriaux les prophètes de l'ancien temps avaient tonné contre le baptême du feu, tel qu'il était pratiqué chez leurs voisins, lequel communiquait à ceux qui le recevaient "l'esprit de prophétie", [157] autrement dit le Saint-Esprit. Mais le cas était désespéré ; les Chrétiens étaient partout connus sous le nom de Nazaréens et d'Esséniens (suivant Epiphane), et le Christ prenait simplement rang parmi les prophètes et les guérisseurs juifs – c'est ainsi qu'ils se nommaient eux-mêmes ; il était ainsi reconnu par ses disciples, et considéré sous cet aspect par leurs partisans. Cette conception ne se prêtait à aucune hiérarchie nouvelle, ni à aucune nouvelle Divinité ; et, du moment qu'Irénée avait entrepris la tâche de les fabriquer de toutes pièces, il était obligé de réunir les matériaux qu'il avait sous la main, en remplissant les lacunes avec ses propres inventions fertiles.

Si nous voulons nous assurer que Jésus était un véritable Nazaréen – bien qu'entretenant des idées de réforme nouvelle – il faut en chercher les preuves non dans la traduction des Evangiles, mais dans les versions originelles auxquelles nous pouvons avoir accès. Tischendorf, dans sa traduction du grec, de Luc, IV, 34, le présente ainsi : "Jesou de Nazareth" et dans le texte syriaque on lit "Iasoua, toi le Nazaréa." De sorte que si nous tenons compte de tout ce qui est embarrassant et incompréhensible dans  les  quatre  Évangiles,  revus  et  corrigés  tels  que  nous  les  voyons aujourd'hui, nous comprendrons aisément que le véritable christianisme, tel qu'il fut enseigné à l'origine et prêché par Jésus, ne se trouve que dans les prétendues hérésies syriaques. Ce n'est que de celles-là que nous pouvons nous forer une idée claire et précise de ce qu'était le Christianisme primitif. Telle était la foi de saint Paul, lorsque l'orateur Tertullius accusa l'apôtre devant le gouverneur Félix. Ce dont il se plaignait, c'était qu'ils avaient "trouvé cet homme... qui excite des séditions... qui est le chef de la secte des Nazaréens" 283; et quoique Paul se défende de toute autre accusation, il reconnaît "qu'il sert le Dieu de ses pères selon la voie qu'ils appellent une hérésie" 284 Cette confession, à elle seule, est toute une révélation. Elle nous montre :

  1. Que Paul admettait faire partie de la secte des Nazaréens ;
  2. Qu'il servait le Dieu de ses pères, et non le Dieu trinitaire des Chrétiens, au sujet duquel il ne sait rien, et qui ne fut inventé qu'après sa mort ; et
  3. Que cette malheureuse confession explique suffisamment pourquoi le traité des Actes des Apôtres, ainsi que l'Apocalypse de saint Jean, qui à un moment donné fut rejeté de fond en comble, avaient été exclus, pendant si longtemps du canon du Nouveau Testament.

A Byblos, les néophytes, de même que les hiérophantes, étaient tenus de jeûner et de demeurer pendant quelque temps dans la solitude, après avoir participé aux Mystères. Un jeune et une préparation très stricte étaient exigés avant, ainsi qu'après les orgies [158] de Bacchus, d'Adonis et d'Eleusis ; et Hérodote mentionne avec crainte et vénération le LAC de Bacchus, dans lequel "ils [les prêtres] donnaient, la nuit, des représentations de sa vie et de ses souffrances" 285 Dans les sacrifices mithraïques, et pendant l'initiation, le néophyte simulait une scène préliminaire de la mort ; cette scène précédait celle où il se faisait voir "renaissant par le rite du baptême". Une partie de cette cérémonie est encore  représentée,  de  nos  jours,  par  les  Francs-Maçons,  lorsque le néophyte, représentant le Grand Maître Hiram Abif est étendu, mort, et est relevé par la puissante prise de la griffe du lion.

283 Actes, XXIV, 5.

284 Actes, XXIV, 14.

285 "Hérodote", II, p 170.

 

Les prêtres étaient circoncis. Le néophyte ne pouvait être initié sans avoir participé aux Mystères solennels du LAC. On baptisait les Nazaréens dans le Jourdain, et ils ne pouvaient être baptisés autre part ; ils  se prêtaient également à la circoncision et jeûnaient avant et après la purification par le baptême. Jésus passe pour avoir jeûné pendant quarante jours dans le désert, sitôt après son baptême. Il existe, encore aujourd'hui, devant chaque temple de l'Inde, un lac, une rivière ou un réservoir plein d'eau bénite dans lesquels les dévots Hindous ou Brahmanes font journellement leurs ablutions. Ces réservoirs d'eau consacrée sont nécessaires dans chaque temple. Les fêtes des baignades, ou rites baptismaux, ont lieu deux fois par année, en octobre et en avril ; elles ont une durée de dix jours ; et, ainsi que cela se pratiquait dans l'Ancienne Egypte et la Grèce, les statues des dieux, des déesses et les idoles sont immergées dans l'eau par les prêtres ; le but de cette cérémonie est de les laver des péchés de leurs adorateurs, péchés dont ils se sont chargés et qui les souillent, jusqu'à ce qu'ils aient été lavés dans l'eau sacrée. Pendant l'Arati, la cérémonie du bain, le dieu principal de chaque temple est porté en procession solennelle jusqu'à la mer pour y être baptisé. Les prêtres Brahmanes, portant les images sacrées, sont généralement suivis du Maharaja, pieds nus et presque nu. Les prêtres entrent trois fois dans la mer, et la troisième fois ils portent avec eux toutes les images. Les élevant au-dessus de lui, toute la congrégation répétant les prières, le Grand Prêtre plonge les statues des dieux par trois fois dans l'eau, au nom de la trinité mystique, après quoi elles sont purifiées 286. L'hymne  Orphique  dit que l'eau est le plus grand purificateur des hommes et des dieux.

Il a été reconnu que la secte des Nazaréens avait existé quelque 150 ans avant Jésus-Christ, et que, suivant Pline et Josèphe, elle s'était fixée sur les bords du Jourdain et sur la rive occidentale de [159] la mer Morte 287. Mais, dans les Gnostics de King, nous voyons que Josèphe donne une autre version d'après le verset 19, "où il dit que les Esséniens avaient été établis sur les rives de la Mer Morte "des milliers de siècles"  avant l'époque de Pline 288.

286 Le Grand Pontife hindou – le chef des Nampontiris qui réside dans le pays de Cochin – est généralement présent pendant ces fêtes de l'immersion dans "l'Eau sacrée". Il voyage souvent fort loin pour présider â une de ces cérémonies.

287 Pline, Nat. Hist., V, XV, 73 ; Josèphe, Antiq., XIII, V. 9 ; XV, X, 4-5 ; XVIII, 1, 5.

 

Suivant l'opinion de Munk, le terme "Galiléen" serait presque synonyme de "Nazaréen" ; il prouve, de plus, que les relations de ceux-là avec les Gentils étaient très intimes. Le peuple avait sans doute peu à peu adopté, dans ses relations très suivies, certains rites et modes du culte des païens, et il attribue à cette même cause le dédain avec lequel les juifs orthodoxes considéraient les Galiléens. Leurs relations amicales les portèrent, à une date ultérieure, à adopter les "Adonia", ou rites sacrés pratiqués lors des lamentations sur le corps mutilé d'Adonis, ainsi que nous le constatons par les plaintes de saint Jérôme. C'est ainsi qu'il dit : "Le bois de Thammuz, c'est-à-dire d'Adonis, jetait son ombre sur Bethléem ! Et dans la grotte où pleura jadis l'enfant Jésus, on lamente la perte de l'amant de Vénus" 289.

Ce fut à la suite de la rébellion de Bar-Kochba, que l'Empereur Romain établit les Mystères d'Adonis dans la grotte sacrée de Bethlehem ; et qui sait si ce ne fut pas sur ce petra ou temple sur le roc, que l'Eglise fut édifiée ? Le sanglier d'Adonis était placé au-dessus de la porte de Jérusalem qui faisait face à Bethléem.

Munk prétend que "l'institution des Nazaréates avait été établie avant les lois de Mûsah" 290. II n'y a pas lieu d'en douter, car nous voyons que cette secte est déjà minutieusement décrite dans le Livre des Nombres (chap. VI). Dans le commandement donné par le "Seigneur" à Moïse, dans ce chapitre, il est aisé de reconnaître les rites et les lois des  Prêtres d'Adonis 291. L'abstinence et la pureté prescrites dans les deux sectes est identique.  Les  fidèles  de  toutes  deux  laissaient  croître  leurs  cheveux longs 292 comme le font les cénobites et les fakirs hindous encore de nos jours, tandis que d'autres castes se rasent la tête et s'abstiennent de boire du vin à de certaines dates. Le prophète Elisée, un [160] Nazaréen, est décrit, dans le IIème  Livre des Rois et par Josèphe, comme un homme "velu et ayant une ceinture de cuir autour des reins" 293. Et Jean-Baptiste et Jésus sont représentés tous deux portant les cheveux longs 294. Jean est "vêtu de poil de chameau" et porte une ceinture de cuir, et Jésus un vêtement long et "sans couture"... "et blanc comme la neige", dit Marc ; ce  sont les mêmes vêtements portés par les prêtres Nazaréens, ainsi que par les Esséniens Pythagoriciens et Bouddhistes, tels que les a décrits Josèphe.

 288 King estime que c'est exagéré et croit que ces Esséniens, qui étaient sans aucun doute des moines Bouddhistes, n'étaient "que la continuation des associations connues sous le nom de Fils des Prophètes". The Gnostics and their Remains, p. 22, note [p. 52 de la 2ème éd.]

289 Saint Jérôme, Epitres, p. 49 (ad Paulinum) ; voir Dunlap, Vestiges, p. 218.

290 Munk, p. 169.

291 Bacchus et Cérès ou le Vin et le Pain mystiques employés dans ces Mystères, deviennent, dans l' "Adonia", Adonis et Vénus. Movers nous montre que Iaô est Bacchus, p. 550, et il tient son autorité de Joannes Lydus Demensibus (IV, 38-74) ; Spir. Hist., p. 195. Iaô est un dieu solaire, et le Jéhovah juif, le Soleil intellectuel ou Central des Cabalistes (Voir Julien dans Proclus). Mais ce Iaô n'est pas le dieu des Mystères.

 

Si nous suivons attentivement les termes nazar et nazaret à travers les œuvres les plus saillantes des auteurs anciens, nous les voyons employés ausi bien pour désigner les adeptes juifs que païens. C'est ainsi qu'Alexandre Polyhistor, en parlant de Pythagore, dit qu'il était un disciple du Nazaret assyrien, que quelques-uns supposent avoir été Ezéchiel 295, Diogène Laëce 296, affirme positivement que Pythagore, après avoir été initié à tous les Mystères des Grecs et des Barbares, "se rendit en Egypte et visita ensuite les Chaldéens et les Mages" ; et Apulée 297, de son côté, affirme que ce fut Zoroastre qui instruisit Pythagore.

Si nous voulions prétendre que les nazars hébreux, les prophètes injurieux du "Seigneur", avaient été initiés aux prétendus Mystères païens, et appartenaient (tout au moins la plupart d'entre eux) à la même Loge ou Cercle d'adeptes que ceux qu'on considérait comme idolâtres ; que ce "cercle de prophètes" n'était qu'une branche collatérale d'une association secrète, que, sans nous tromper, nous pourrions qualifier d'internationale, nous attirerions sur nous les foudres de la colère chrétienne ! Et, malgré tout, le cas est fort probable.

292 Josèphe, Ant. Jud., IV, p. 4.

293 Ibidem, IX, 2ème Livre des Rois, I, 8.

294 Par rapport au fait bien connu que Jésus portait ses cheveux longs, et qu'il a toujours été représenté ainsi, il est étonnant de constater combien le rédacteur inconnu des Actes des Apôtres était peu au courant des habitudes de saint Paul, lorsqu'il lui fait dire dans l'Epître aux Corinthiens, XI, V. 14 : "La nature elle-même ne nous enseigne-t-elle pas que c'est une honte pour l'homme de porter de longs cheveux ?" Il est bien certain que Paul n'a jamais dit une chose semblable ! Par conséquent, si le passage est authentique, Paul ne savait rien du prophète dont il avait embrassé les doctrines et pour lesquelles il mourut ; et s'il est apocryphe, combien alors ce qui en reste est-il plus digne de foi ?

295 [Clem. Alex, Strom, I, 15.]

296 [Vies, "Pythagore", § 3.]

297 [Florida, II, XV ; cf. Hyde, Hist. Rel. Nat. Persarum, p. 308, 1700.]

 

Rappelons, en premier lieu, ce que Ammien-Marcellin 298 et d'autres historiens ont dit au sujet de Darius Hystaspe. Celui-ci, en pénétrant dans l'Inde septentrionale (la Bactriane) apprit des Brahmans, des rites purs, ainsi que les sciences cosmiques et stellaires, qu'il transmit ensuite aux Mages. Or Hystaspe, on nous le dit, renversa les Mages,  et introduisit parmi eux, ou plutôt les força à adopter, la pure religion de Zoroastre, celle d'Ormazd. Comment [161] se fait-il alors qu'on trouve sur le tombeau de Darius une inscription qui dit qu'il était "un instructeur et un hiérophante de la Magie, ou du Magisme" ? Il y a évidemment ici une erreur historique, et l'histoire le reconnaît. Dans cet imbroglio de noms, il est impossible que Zoroastre, le maître de Pythagore, soit le Zoroastre ou Zarathoustra qui introduisit le culte du Soleil chez les Pârsîs ; ou celui qui apparut à la cour de Gusthasp (Hystaspe) le père supposé de Darius ; ce n'était pas non plus le Zoroastre qui plaçait ses Mages au-dessus des rois eux-mêmes. La plus ancienne écriture Zoroastrienne, l'Avesta, ne laisse supposer en aucune façons que le réformateur ait eu connaissance des nations qui, plus tard, adoptèrent son culte. Il paraît complètement ignorant de ses voisins de l'Iran Occidental, des Mèdes, des Assyriens, des Perses et autres. Si nous ne possédions aucune autre preuve de la haute antiquité de la religion Zoroastrienne, que la découverte de l'erreur commise par quelques lettrés de notre époque, qui ont confondu Vishtâpa (Gushtasp) avec le père de Darius, tandis que la tradition Persane veut que Vishtâspa soit le dernier rejeton de la lignée des princes Kaianiens qui régnaient en Bactriane, elle devrait suffire, puisque la conquête de la Bactriane par les Assyriens eut lieu 1.200 ans avant Jésus-Christ 299.

Il est fort naturel, par conséquent, que nous ne voyions dans l'appellation de Zoroastre qu'un terme générique et non un nom, dont nous laissons aux philologues le soin de rechercher la signification. Gourou, en sanscrit, veut dire : instructeur spirituel ; et comme  Zuruastara signifie, dans  la  même  langue,  celui  qui  adore  le  Soleil,  pourquoi        serait-il impossible que, par un changement naturel du langage, dû au grand nombre des nations différentes qui se convertirent au culte solaire, le mot gourû-astara, instructeur spirituel du culte du Soleil, ressemblant à un tel point au nom du fondateur de cette religion, n'ait été graduellement transformé dans sa forme primitive de Zuryastara ou Zoroastre ? Suivant l'opinion des cabalistes, il n'y eut qu'un seul Zarathoustra et plusieurs guruastars, ou instructeurs spirituels, et qu'un de ces gourous, ou plutôt huruaster, ainsi qu'on le nomme dans les anciens manuscrits, fut l'instructeur de Pythagore. Nous donnons pour ce qu'elle vaut cette explication aux philologues et à nos lecteurs. Personnellement, nous la tenons pour vraie, ajoutant bien plus foi à la tradition cabalistique qu'à l'explication des savants, qui jusqu'à ce jour n'ont jamais pu se mettre d'accord. [162]

298 [Hist. Rom., XXIII, VI, 33.]

299 Max Muller l'a abondamment prouvé dans sa conférence sur le "Zend-Avesta". Il appelle Gushtasp "le discile mytique de Zoroastre" [Chips, etc., I, p. 88.] Mythique, qui sait ? seulement parce que la période pendant laquelle il vécut et étudia avec Zoroastre est trop éloignée pour permettre à la science moderne d'en parler avec certitude.

 

Aristote dit que Zoroastre vécut 6 000 ans avant Platon ; Hermippe d'Alexandrie, qui était censé avoir lu tous les livres authentiques des Zoroastriens, bien qu'Alexandre le Grand ai été accusé de les  avoir détruits, représente Zoroastre comme un élève d'Azonak (Azon-ach, ou le Dieu Azon) et qu'il vécut 5.000 ans avant la chute de Troie 300. Er ou Eros, dont Platon relate la vision dans sa République 301 censé, d'après saint Clément, avoir été Zordosht 302. Tandis que le Mage qui détrôna Cambyse était un Mède, et que Darius proclame avoir aboli les rites des Mages pour établir ceux d'Ormazd. Xanthus de Lydie déclare que Zoroastre avait été le chef des Mages ! 303.

Lequel a tort ? ou ont-ils tous raison, et n'est-ce que les interprètes modernes qui ne savent expliquer la différence entre le Réformateur et ses apôtres et partisans ? Ces grossières erreurs de nos commentateurs nous rappellent celle de Suétone, qui confondit les Chrétiens avec un nommé Christos, ou Crestos, comme il l'écrit et informe ses lecteurs que Claude le bannit à cause de l'agitation qu'il entretenait parmi les Juifs.

Revenant, finalement, aux nazars, Pline fait mention de Zaratus dans les termes suivants : "Il était Zoroastre et Nazar". Comme Zoroastre est appelé princeps des Mages, et que nazar signifie mis à part ou consacré, n'est-ce pas une traduction du mag hébreu ? C'est l'opinion de Volney. Le mot perse Na-zaruan veut dire des millions d'années, et se réfère à " l'Ancien des Jours" chaldéen ; de là vient le nom de Nazars ou Nazaréens, qui étaient consacrés au service du Dieu Suprême Unique, le Aïn-Soph cabalistique, ou "Ancien des Jours", "l'ancien des Anciens".

300 [Pline, loc. cit.]

301 [Republic, X, 614 et seq.]

302 [Strom, V, XIV.]

303 [Diog. Lært, Vies, Prœmium, § 2.]

 

Mais nous retrouvons également le mot nazar en Inde. En hindoustani, nazar signifie la vue interne, ou vision surnaturelle ; nazar bandî, veut dire fascination, charme magique ou mesmérique ; et nazarân est le terme pour une vision.

Le professeur Wilder est d'opinion que comme le mot Zeruana ne se trouve nulle part dans l'Avesta, mais seulement dans les ouvrages Pârsis plus récents, il vient des Mages qui composaient la caste sacrée des Perses dans la période Sassanide, mais qui, à l'origine, étaient des Assyriens. "Je considère que le Turan des poètes, dit-il, doit être Aturia ou Assyrie ; et que Zohak (Az-dahaka, Deiokes, ou Astyages), le Roi-Serpent, était Assyrien, Mède et Babylonien, lorsque ces pays étaient unis."

Toutefois, cette opinion n'infirme en rien notre assertion que les doctrines secrètes des Mages, des Bouddhistes pré-Védiqus, des [163] hiérophantes égyptiens de Thoth ou Hermès et des adeptes de tous temps et de toutes nationalités, sans excepter les cabalistes chaldéens et  les nazars juifs, étaient identiques dès le début. Lorsque nous faisons usage du terme Bouddhistes, nous ne voulons, en aucune manière, faire allusion au Bouddhisme exotérique institué par les partisans du Gautama-Bouddha, ni à la religion Bouddhiste moderne, mais bien à la philosophie secrète de Sakyamuni, laquelle, en essence, est certainement identique avec la religion-sagesse des sanctuaires, le Brahmanisme pré-Védique. Le "schisme" de Zoroastre, ainsi qu'on le nomme, en est une preuve directe, car ce n'est pas un schisme au sens strict du mot, mais simplement un exposé, en partie publié, de vérités religieuses strictement monothéistes, enseignées jusqu'alors dans les sanctuaires et qui avaient été reçues de l'enseignement des Brahmanes. Zoroastre, le fondateur primitif du culte solaire, ne peut être qualifié de fondateur du système dualiste ; ce n'est pas lui, non plus, qui, le premier, prêcha l'unité de Dieu, car il n'a fait qu'enseigner ce qu'il avait, lui-même, appris des Brahmanes. Max Müller fournit également la preuve que Zarathoustra et ses fidèles, les Zoroastriens, "avaient été établis dans l'Inde avant d'émigrer en Perse".

 "Qu'il est prouvé, dit-il, que les Zoroastriens et leurs ancêtres partirent de l'Inde, pendant la période Vaïdique, d'une façon aussi certaine que les habitants de Massilia sont originaires de Grèce... Beaucoup des dieux zoroastriens ne sont... que des réflexions et des dérivés des dieux primitifs et authentiques du Véda 304."

Si, maintenant, nous parvenons à prouver – et nous pouvons le faire sur l'autorité de la Cabale et des plus anciennes traditions de la religion- sagesse, la philosophie des sanctuaires de l'antiquité – que tous les dieux, soit zoroastriens, soit Védiques ne sont que la personnification  des pouvoirs occultes de la nature, les serviteurs fidèles des adeptes de la sagesse occulte – la Magie – nous sommes sur un terrain solide.

Par conséquent, lorsque nous disons que le Cabalisme et le Gnosticisme procèdent du Mazdéisme ou du Zoroastrianisme,  c'est toujours la même chose, à moins que nous ne voulions parler du culte exotérique, ce qui n'est pas le cas. Dans le même ordre d'idées, nous nous faisons l'écho de King, l'auteur des Gnostics 305, et de divers autres archéologues, en maintenant que ces deux premiers procèdent du Bouddhisme, qui est la plus simple de toutes les philosophies et celle qui satisfait le mieux, et qui donna naissance à une des religions les plus pures du monde. Ce n'est qu'une question de chronologie de savoir laquelle de ces religions, qui ne diffèrent [164] entre elles que dans la forme extérieure, est la plus ancienne, et partant la moins adultérée. Mais même cela ne touche qu'indirectement, sinon pas du tout, au sujet qui nous occupe. Quelque temps déjà avant notre ère, les adeptes, excepté en Inde, avaient cessé de se réunir en grandes communautés ; mais que ce soit chez les Esséniens, ou chez les Néo-Platoniciens, ou encore chez les innombrables sectes opposées qui ne naissaient que pour mourir, nous retrouvons toujours les mêmes doctrines, identiques en substance et en esprit, sinon dans la forme. Par conséquent, par Bouddhisme nous voulons dire la religion qui signifie littéralement la doctrine de la sagesse, antérieure de bien des siècles à la philosophie métaphysique de Siddhârtha Sakyamouni.

Après dix-neuf siècles d'éliminations forcées de tout ce qui, dans les livres canoniques, pouvait mettre le chercheur sur la bonne voie, il est  fort difficile de montrer, à la satisfaction de la science exacte, que les adorateurs "païens" d'Adonis, leurs voisins les Nazaréens, les Esséniens Pythagoriciens, les Thérapeutes guérisseurs 306, les Ebionites et autres sectes, étaient tous, à de rares exceptions près, des adhérents aux anciens Mystères théurgiques. Malgré cela, nous établissons leur parenté, soit par analogie, soit en étudiant avec soin le sens caché de leurs rites et de leurs coutumes.

304 Max Muller, "Zend Avesta", in "Chips", etc., I, p. 86.

305 [Page 55, 2ème éd.]

 

Il était donné à un contemporain de Jésus d'être l'instrument pour montrer à la postérité, en interprétant la littérature la plus ancienne des Israélites, jusqu'à quel point la philosophie de la cabale concordait, dans son ésotérisme, avec celle des plus profonds penseurs de Grèce. Ce contemporain, ardent disciple de Platon et d'Aristote, était Philon le Juif. Tout en commentant les livres mosaïques suivant la méthode purement cabalistique, il demeure le célèbre écrivain hébreu que Kingsley appelle le Père du Nouveau Platonisme.

Que les Thérapeutes de Philon étaient une branche des Esséniens, cela ne fait aucun doute : leur nom l'indique, Ε̉σσαι̃οί, Essaioi, médecins. Voilà la raison des contradictions, des fraudes et de toutes les ruses désespérées pour faire cadrer le canon juif avec la nativité galiléenne et sa divinité.

Luc, qui était médecin, est désigné dans les textes syriaques sous le nom de Asaïa, l'Essaien, ou l'Essénien. Josèphe et Philon le Juif ont suffisamment décrit cette secte, pour ne laisser aucun doute dans notre esprit que le Réformateur Nazaréen, après avoir reçu son éducation dans leurs demeures situées dans le désert, et dûment initié aux Mystères, préféra l'existence libre et indépendante d'un Nazaria errant, et se sépara d'eux pour devenir un Thérapeute voyageur, un Nazaria, un guérisseur. Tout thérapeute, [165] avant de quitter sa communauté, devait faire de même. Tant Jésus que saint Jean-Baptiste prêchèrent la fin de l'Age 307 ; cela prouve leur connaissance des computs secrets des prêtres et des cabalistes qui, avec les chefs des communautés esséniennes, possédaient seuls le secret de la durée des cycles. Ceux-ci étaient des cabalistes et des théurgistes ; "ils avaient leurs livres mystiques, et prédisaient l'avenir", nous dit Munk 308.

Dunlap, dont les recherches personnelles, en ce sens, paraissent avoir été couronnées de succès, constate que les Esséniens, les Nazaréens, les Dosithéens, et quelques autres sectes, existaient toutes avant l'époque du Christ. Il nous dit : "Ils renonçaient aux plaisirs, méprisaient les richesses et s'aimaient les uns les autres, et à un plus haut degré que les autres sectes excluaient le mariage, considérant la conquête des passions comme une vertu" 309.

306 Philon le juif, De vita Contemp.

307 La véritable signification de la division en Ages est ésotérique et Bouddhiste. Ce fut si peu compris par les Chrétiens non initiés, qu'ils acceptèrent les paroles de Jésus au pied de la lettre et crurent fermement qu'il parlait de la fin du monde. Nombreuses avaient été les prophéties au sujet de l'Age à venir. Virgile, dans la quatrième Eglogue fait mention du Métatron, un nouveau rejeton avec qui prendra fin l'Age de Fer et un Age d'Or naîtra.

308 Palestine, p. 517 et suivantes.

309 Sôd, vol. II, préface p. XI.

310 Vit Pythag. Munk fait dériver le nom de Iessaïns, ou Esséniens, du syriaque Asaya, guérisseurs ou médecins, prouvant ainsi leur identité avec les Thérapeutes égyptiens. Palestine, p. 515.

311 Saint Mathieu, XIII, 10-13.

 

Jésus prêcha toutes ces vertus ; et si nous devons accepter les Evangiles comme l'étalon de la vérité, le Christ était partisan de la métempsycose ou de la réincarnation, ainsi que l'étaient ces mêmes Esséniens qui, par leurs doctrines et leurs coutumes, étaient des Pythagoriciens. Jamblique affirme que le philosophe de Samos demeura pendant un certain temps avec eux au mont Carmel 310. Jésus, dans ses discours et ses sermons, parlait toujours en paraboles, et se servait de métaphores en s'adressant à son auditoire. C'était encore une coutume des Esséniens et des Nazaréens ; les Galiléens, qui habitaient dans les villes et les villages, ne faisaient jamais usage de langage allégorique. A vrai dire, quelques-uns de ses disciples étant, ainsi que lui, des Galiléens, s'étonnaient même de le voir faire usage de cette forme d'expression. " – Pourquoi leur parles-tu en paraboles" lui demandèrent-ils souvent.  "– Parce qu'il vous a été donné de connaître les Mystères du Royaume des Cieux, et que cela ne leur a pas été donné", fut la réponse, qui était celle d'un initié. " – C'est pourquoi je leur ai parlé en paraboles, parce qu'en voyant ils ne voient point, et qu'en entendant ils n'entendent ni ne comprennent." 311. Nous voyons, en outre, Jésus exprimer plus clairement encore sa pensée, et dans des phrases purement Pythagoriciennes lorsque, dans le Sermon sur la Montagne, il leur dit : [166]

" – Ne donnez pas les choses saintes aux chiens,  

Et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux ; De peur qu'ils ne les foulent aux pieds,

Et ne se retournent et ne vous déchirent."

Le professeur Wilder, l'éditeur des Eleusinian and Bacchic Mysteries de Taylor, remarque "la même disposition de la part de Jésus et de Paul de diviser leurs doctrines en ésotériques et exotériques, les "Mystères du Royaume de Dieu", pour les apôtres, et les "paraboles" pour la multitude. "Nous prêchons la Sagesse, dit saint Paul, à ceux qui sont parfaits, (ou initiés) 312."

Dans les Mystères Eleusiniens et autres, les participants étaient toujours divisés en deux classes : les néophytes et les parfaits. Ceux-là étaient quelquefois admis à l'initiation préliminaire ; la représentation dramatique de Cérès, ou l'âme descendant dans le Hadès 313. Mais il n'était donné qu'aux "parfaits" de savourer et de connaître les Mystères du divin Elysium, la demeure céleste des bienheureux ; cet Elysium n'étant, incontestablement, rien d'autre que le "Royaume des Cieux". Le nier ne serait que fermer les yeux à la vérité.

312 P. 47 de la 4ème éd.

313 Cette descente dans le Hadès représentait le sort inévitable de toute âme qui allait s'unir pour un temps à un corps terrestre. Cette union, ou sombre perspective pour l'âme de se voir emprisonnée dans la sombre limite d'un corps, était considérée par tous les philosophes anciens, ainsi que par les Bouddhistes modernes, comme un châtiment.

314 T. Taylor, op. cit., pp. 87-88 de la 4ème éd.

 

Le récit de l'Apôtre Paul, dans sa seconde Epître aux Corinthiens (XII 2, 4.) a frappé nombre d'érudits, bien versés dans les descriptions des rites mystiques de l'initiation, données par quelques auteurs classiques,  et faisant allusion, sans aucun doute, à l'Epoptéïa finale 314. "Je connais un homme, si ce fut dans son corps ou sans son corps, je ne sais, Dieu le sait, qui fut enlevé dans le Paradis et qui entendit des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme de redire." Autant que nous le sachions, ces mots n'ont jamais été interprétés par les commentateurs comme une allusion à une vision béatifique d'un voyant "initié" ; mais la phraséologie ne prête pas à l'équivoque. Ces choses qu'il n'est pas permis de redire sont suggérées par les mots eux-mêmes, et la raison qu'on donne pour cela est la  même  que  nous  voyons  répétée  maintes  et  maintes  fois  par Platon, Proclus, Jamblique, Hérodote et d'autres classiques. "Nous [ne]  prêchons la SAGESSE [que] parmi les PARFAITS", dit Paul 315, l'interprétation claire et non équivoque de cette phrase est : "Nous prêchons les doctrines ésotériques, profondes [ou finales], des Mystères (qu'on  appelle la Sagesse) seulement parmi ceux qui sont initiés 316. [167] Par conséquent, en ce qui concerne l'homme qui fut "enlevé dans le paradis", et qui n'était autre que Paul lui-même 317, le mot chrétien Paradis est venu remplacer celui d'Elyseum. Rappelons, pour rendre la preuve plus évidente, les paroles de Platon, déjà citées, qui nous dit qu'avant qu'un initié voie les Dieux dans leur lumière purifiée, il devait se libérer de son corps : c'est-à- dire en séparer son âme astrale 318. Apulée décrit également son initiation aux Mystères de la même manière : "Je m'approchai des limites de la mort et, ayant foulé le seuil de Proserpine, je revins en arrière après avoir été transporté à travers tous les éléments. Dans la profondeur de la nuit, je vis briller le soleil d'une lumière resplendissante, avec les dieux infernaux et surnaturels, et m'approchant de ces divinités, je leur payai le tribut de mon adoration profonde 319."

Ainsi en commun avec Pythagore et d'autres hiérophantes réformateurs, Jésus divisa son enseignement en exotérique et ésotérique. Poursuivant fidèlement la méthode Pythagorico-Essénienne, il ne se mit jamais à table sans "rendre grâce". "Le Prêtre prie avant de se mettre à table" dit Josèphe, en décrivant les Esséniens 320. De même Jésus divisait ses partisans en "Néophytes", "Frères" et "Parfaits", si nous pouvons en juger d'après les différences qu'il établissait entre eux. Mais sa carrière de Rabbin public fut de si courte durée, qu'elle ne lui permit pas d'établir une école propre, et, à l'exception peut-être de saint Jean, il n'apparaît pas qu'il ait initié aucun autre apôtre. Les amulettes et les talismans Gnostiques sont,  pour  la  plupart  des  emblèmes,  des  allégories  apocalyptiques. Les "sept voyelles" ont un rapport étroit avec les "sept sceaux" ; et le titre mystique d'Abraxas participe autant de la composition du Schem Hamphorash, "la parole divine", ou nom ineffable, que le nom qu'on appelle : "la Parole de Dieu, que "personne ne connaît si ce n'est lui- même" 321, ainsi que le dit saint Jean.

315 [1er Corinth., II, 6.]

316 Les doctrines profondes, ou ésotériques, des anciens étaient appelées Sagesse, puis Philosophie, ainsi que Gnose ou Connaissance. Elles se rapportaient à l'âme humaine, à sa parenté divine, à son avilissement supposé de son état élevé par suite de sa descente dans la "génération" ou monde physique, et son progrès ultérieur et son retour à Dieu au moyen de régénération ou... transmigrations. Mystères Eleusiniens, p. 2, note.

317 Saint Cyrille de Jérusalem l'affirme. Voir Catéchèses, 1838, XIV, 26.

318 Phædre, 64, 250 B, C.

319 L'Ane d'Or, XI.

320 [Guerres, II, ch. 8, 5.]

 

Il serait difficile d'échapper aux preuves indiscutables que l'Apocalypse est la production d'un initié de la Cabale, en constatant que cette Révélation reproduit des passages entiers des livres d'Enoch et de Daniel, ce dernier étant déjà un abrégé de celui-là ; [168] et lorsque, de plus, nous nous rendons compte que les Gnostiques-Ophites, qui rejetaient en totalité, l'Ancien Testament, « comme émanant d'un être inférieur" (Jehovah)", acceptaient les plus anciens prophètes, tels que Enoch, en basant leur foi religieuse sur les enseignements de ce livre, la preuve est évidente. Nous démontrerons, en outre, la relation intime qui existe entre toutes ces doctrines. De plus, l'histoire de la persécution des magiciens et des philosophes par Domitien fournit une preuve, aussi bonne qu'une autre, que saint Jean passait généralement pour un cabaliste. Comme l'apôtre était compris dans le nombre et que, de plus, il était fort noté, l'édit impérial le bannit non seulement de Rome, mais même du continent. Ce n'était pas aux Chrétiens - les confondant avec les juifs ainsi que le font plusieurs historiens - que l'empereur en voulait, mais aux astrologues et aux cabalistes 322.

Les accusations contre Jésus, de pratiquer la magie égyptienne, étaient nombreuses et, à un moment donné, universelles dans les villes où il était connu. Les Pharisiens, ainsi que le dit la Bible, furent les premiers à les lui jeter à la face, bien que le Rabbin Wisi soit d'opinion que Jésus était, lui- même Pharisien. Le Talmud indique clairement que Jacques le juste faisait partie de cette secte 323 ; mais il est avéré que ces partisans lapidaient tous les prophètes qui dénonçaient leur mauvaise vie, et ce n'est pas sur ce fait que nous basons notre affirmation. Ils l'accusèrent de sorcellerie, et de chasser les démons par Belzébub, leur prince, avec autant de raison que le clergé Catholique, en usa plus tard, pour accuser de la même faute plus d'un innocent martyr. Mais Justin Martyr, affirme, en se basant sur de meilleures autorités, que ceux de son temps qui n'étaient pas juifs prétendaient que les miracles de Jésus étaient dus à l'art magique – – exactement la même expression dont se servaient les sceptiques d'alors pour désigner les exploits thaumaturgiques accomplis dans les temples païens. "Ils allèrent jusqu'à l'appeler un magicien et un trompeur du peuple", se récrie le martyr 324. Dans l'Evangile de Nicodème, (les Actes de Pilate), les juifs formulent la même accusation devant Pilate. "Ne t'avons- nous pas dit qu'il est un magicien ?" 325 [169] Celse admet la même accusation et en bon Néoplatonicien qu'il est, il y croit 326. La 1ittérature des Talmudistes est remplie de ces menus détails, et leur plus grande accusation contre Jésus est "qu'il pouvait voler aussi facilement que d'autres marchaient" 327. Saint Augustin affirme que l'opinion générale était qu'il avait été initié en Egypte et qu'il écrivit des livres traitant de la Magie, qu'il transmit à saint Jean. Il y avait un ouvrage intitulé Magia  Jesu Christi, qui était attribué à Jésus lui-même 328. Dans les Clementini Recognitiones, Jésus est accusé de ne pas avoir accompli ses miracles comme prophète juif, mais comme magicien, c'est-à-dire comme initié des temples "païens" 329.

321 Apocalypse, XIX, 12.

322 Suétone, Vie des 12 Césars, "Domitien". 3, 12, 14. Ce n'est pas la cruauté, et le fait de s'y complaire, qui nous fait voir cet empereur de l'histoire passant son temps à transpercer les mouches qu'il attrapait avec une épingle d'or, mais bien la superstition religieuse. Les Astrologues juifs lui prédirent qu'il avait encouru la colère de Belzebub, le "Seigneur des Mouches" ; qu'il périrait misérablement par la vengeance du sombre dieu d'Ekron, et qu'il mourrait comme le roi Ahaz, parce qu'il persécutait les juifs.

323 Nous croyons que ce furent les Sadducéens, et non les Pharisiens, qui firent crucifier Jésus. C'étaient des Zadokites, partisans de la maison de Zadok, ou famille sacerdotale. Dans les Actes, les apôtres étaient, dit-on, persécutés par les Sadducéens, mais jamais par les Pharisiens. Et, de fait, ceux-ci n'ont jamais persécuté personne. Ils avaient parmi eux les Scribes, les Rabbins et les gens lettrés, et n'étaient pas, comme les Sadducéens, jaloux de leur ordre.

324 Dial. avec Trypho.

325 Fabric, Cod. Apoc. NT. 1.243 ; Tischendorf, Evang. Ap., p. 214.

326 Origène, Cont. Cels. 11.

327 Talmud : Yohanan.

328 Cf. Angnst de Consans. Evang. 1.95, Fabric : Cod. Ap, NT. I, p. 305. ff.

329 Bacog 5.58 ; cf. p. 40.

 

Il était d'usage alors, de même qu'aujourd'hui, parmi le clergé intolérant des religions antagonistes, dans les basses classes de la société et même parmi les Patriciens qui, pour une raison ou pour une autre, avaient été exclus de la participation aux Mystères, de s'en prendre aux plus élevés des hiérophantes et des adeptes, en les accusant de pratiquer la sorcellerie et la magie noire. C'est ainsi qu'Apulée, qui avait été initié, fut accusé,   lui aussi, de sorcellerie et de porter sur lui l'image d'un squelette, lequel possédait, dit-on, un grand pouvoir dans les opérations de l'art noir. Une des preuves les plus indiscutables de ce que nous avançons se trouve dans le prétendu Museo Gregoriano. On voit, sur le sarcophage dont les panneaux sont sculptés en bas-relief représentant les miracles du Christ 330, la figure en pied de Jésus, à la résurrection de Lazare, sans barbe et portant à la main une baguette dans l'attitude classique des nécromanciens, [?] tandis que le corps de Lazare est entouré de bandelettes, exactement comme une momie Egyptienne.

Si on avait pu avoir de semblables représentations exécutées pendant le premier siècle, lorsque la figure, les vêtements et les coutumes journalières du Réformateur étaient encore présentes à la mémoire de ses contemporains, le monde chrétien d'aujourd'hui serait probablement plus à l'imitation du Christ qu'il ne l'est ; toute la série des spéculations contradictoires, sans fondement et sans signification au sujet du "Fils de l'Homme", eussent été impossibles et l'humanité n'aurait, aujourd'hui, qu'une seule religion et qu'un seul Dieu. C'est cette absence de toute preuve, de tout indice positif à l'égard de celui que la Chrétienté à divinisé, qui est la cause de toutes les difficultés présentes. Aucun portrait du Christ [170] ne fut possible avant l'époque de Constantin, lorsque l'élément juif avait été presque totalement éliminé des partisans de la nouvelle religion. Les Juifs, apôtres et disciples, auxquels les Zoroastriens et les Parsis avaient inculqué une sainte horreur de toute espèce d'images, eussent considéré comme un sacrilège blasphématoire la représentation de leur maître, sous n'importe quelle forme. Le seul portrait autorisé de Jésus, même à l'époque de Tertullien, était une représentation  allégorique du "Bon Pasteur" 331, qui n'était, à vrai dire, pas un portrait du tout, mais une figure d'homme avec une tête de chacal, comme celle d'Anubis 332. Sur ce bijou, tel qu'il existe dans la collection des amulettes gnostiques, le Bon Pasteur est représenté portant sur ses épaules la brebis égarée. Il a l'air d'avoir une tête humaine ; mais, ainsi que le remarque King, avec raison, "cela ne paraît ainsi qu'à l'œil non initié". En le regardant de plus près, il se  transforme  en  Anubis  à  double  tête,  une  tête  humaine  et  l'autre de chacal, tandis que sa ceinture prend la forme d'un serpent levant en l'air sa tête couronnée. "Cette figure, ajoute l'auteur de Gnostics, etc., comportait deux significations : l'une évidente pour le vulgaire, l'autre apparente pour les seuls initiés. C'était probablement le sceau d'un grand instructeur ou d'un apôtre 333." Cela nous fournit une nouvelle preuve que les Gnostiques et les Chrétiens orthodoxes (?) primitifs ne différaient pas sensiblement en ce qui concerne leur doctrine secrète. King, d'après une citation d'Epiphane, maintient que, déjà, en l'an 400 de notre ère, on considérait comme un péché atroce de chercher à représenter l'apparence corporelle du Christ. Epiphane 334 en fait une accusation d'idolâtrie contre les Carpocratiens, parce qu'ils "avaient des portraits peints et même  des images d'or et d'argent, et d'autres matériaux, qu'ils prétendaient être des portraits de Jésus exécutés par Pilate, à la ressemblance du Christ... Ils gardent ceux-ci en secret, avec ceux de Pythagore, Platon et Aristote, et les mettant tous ensemble, ils les adorent et leur offrent des sacrifices à la manière des Gentils."

330 Gnostics de King, p. 145. L'auteur attribue ce sarcophage aux premières productions de cet art qui inonda plus tard le monde de mosaïques et de gravures représentant les scènes et les personnages du Nouveau Testament.

331 De Pudicita. Voir The Gnostics and their Remains, p. 144.

332 Ibidem, figure 1, p. 200.

 

Que dirait le pieux Epiphane s'il ressuscitait aujourd'hui et allait faire un tour dans la cathédrale Saint-Pierre de Rome ? Saint Ambroise paraît aussi avoir été fort exaspéré de ce que nombre de personnes accréditaient l'affirmation de Lampride, qu'Alexandre Sévère possédait, dans sa chapelle privée, une image du Christ parmi celles des grands philosophes 335 : "Que les Païens aient conservé [171] une image du Christ, s'écrie-t-il, et que les Disciples aient négligé de le faire, non seulement cette idée est de nature à faire frémir, mais elle n'est pas croyable."

Cela tend à prouver qu'à part quelques rares soi-disant Chrétiens, qui, par la suite, remportèrent la victoire, tous les Païens civilisés, qui avaient entendu parler de Jésus, l'honoraient comme un philosophe, un adepte ; qu'ils le vénéraient à l'égal de Pythagore et d'Apollonius. D'où venait ce respect pour un homme que les Synoptiques représentent comme  un pauvre charpentier juif de Nazareth ? En tant que Dieu incarné, tout ce qu'on dit de lui est incapable d'affronter l'examen critique de la science ; comme un des plus grands réformateurs, ennemi invétéré de tout dogmatisme théologique, en guerre ouverte avec le fanatisme,   enseignant le plus sublime code d'éthique, Jésus apparaît comme une des figures les plus grandioses et les plus en évidence sur le panorama de l'histoire humaine. Son époque se perd, graduellement, dans les  brouillards  du passé ; sa théologie, basée sur la fantaisie des hommes et supportée par des dogmes intenables, peut perdre, que dis-je, doit perdre chaque jour un peu plus de son prestige immérité. Seule, la sublime figure du philosophe et du réformateur moral, loin de pâlir, devient, avec chaque siècle, plus prononcée et mieux définie. Elle ne régnera, toutefois, suprême et universelle, que le jour où l'humanité entière ne reconnaîtra qu'un seul père, l'UNIQUE INCONNU, en haut, et qu'un seul frère, l'humanité entière, ici-bas.

333 Ce bijou est dans la possession de l'auteur de The Gnostics and their Remains. Voir p. 201 (1ère édition), Planche I, fig. 8.

334 Hærésies, XXVII, 6.

335 [The Gnostics, etc. (p. 227 de la 2ème  éd., 1887).]

 

Une lettre attribuée à Lentulus, sénateur et historien distingué, adressée au Sénat romain, donne une description de  l'apparence personnelle de Jésus. La lettre par elle-même 336, écrite en mauvais latin, est considérée comme un faux effronté ; mais nous y relevons une expression qui laisse penser beaucoup de choses. Tout en étant un faux, il est évident que celui qui l'a écrite a néanmoins cherché à se rapprocher le plus possible de la tradition. Ainsi les cheveux de Jésus y sont représentés comme "ondulés et bouclés... tombant sur les épaules, "et" séparés sur le milieu de la tête par une raie, suivant la coutume des Nazaréens". Cette dernière phrase démontre que :

  1. il existait une tradition de ce genre fondée sur la description dans la Bible de Jean-Baptiste, des Nazaria et des coutumes de cette secte ;
  2. si Lentulus avait été l'auteur de cette lettre, il est peu probable que Paul n'en aurait jamais entendu parler ; et s'il en avait eu connaissance, il n'eût jamais proclamé que c'est une honte pour l'homme de porter de longs cheveux 337, [172] faisant ainsi honte à son Seigneur et Dieu, le Christ ;
  3. si Jésus portait vraiment les cheveux longs et séparés sur le milieu de la tête suivant la coutume des Nazaréens (de même que Jean le seul des apôtres qui suivit cet exemple), nous avons encore une raison de plus pour affirmer que Jésus devait appartenir à la secte des Nazaréens, et que pour cette raison on lui donna le nom de NAZARIA, et non pas parce qu'il était un habitant de Nazareth, car ceux-ci ne portaient jamais les cheveux longs.

336  [Grinaens, Monumenta S. Patrum Orthodoxographa, vol. I, p. 2 ; Basileæ, 1569. Cf. King,

Gnostics, etc., p. 69 (1ère édit. 1864).]

337 Corinthiens, XI, 14.

 

Le Nazarite qui se consacre à l'Eternel ne permettra pas "que le rasoir passe sur sa tête". "Il sera saint et laissera croître librement ses cheveux", disent les Nombres (VI,5). Samson était Nazarite, c'est-à-dire qu'il avait été consacré au service de Dieu, et sa force résidait dans ses cheveux. "Le rasoir ne passera point sur sa tête, parce que cet enfant sera consacré à Dieu dès le ventre de sa mère." (Juges, XIII, 5). Mais la conclusion finale et la plus probante que nous en déduirons est que Jésus, qui combattait de toutes ses forces les pratiques orthodoxes juives, n'aurait jamais porté les cheveux longs s'il n'avait pas fait partie de cette secte, qui, déjà du temps de Jean-Baptiste, passait pour hérétique aux yeux du Sanhédrin. En parlant des Nazaria, ou des Nazaréens (qui s'étaient retirés du monde comme les Yoguis ou Ermites hindous) le Talmud dit que c'est une secte de médecins et d'exorciseurs errants ; Jervis prétend la même chose. "Ils allaient par les chemins, vivant d'aumônes et guérissant les malades" 338. Epiphane dit que les Nazaréens se rapprochent, en hérésie, des Cérinthiens ; mais, qu'ils aient existé "avant ou après eux, ils sont néanmoins synchrones", et il ajoute que "à ce moment, tous les Chrétiens  étaient  appelés  des Nazaréens !" 339

338 Voir le Israelite Indeed, vol. 11, p. 238. Talmud, Mishnah Nazir.

339 Epiph. ed Petar, vol. I, p. 117.

340 Kabbala Denudata, vol. II, p. 155. Vallis Begin, édition de Paris.

341 [Zohar, II, p. 99 b ; éd. d'Amst.]

 

Dans la première remarque de Jésus au sujet de Jean-Baptiste, nous voyons qu'il dit qu'il "est Elie qui devait venir". Si cette affirmation n'est pas une interpolation ultérieure pour que la prophétie fût accomplie, elle signifie encore que Jésus était un Cabaliste ; à moins d'adopter la doctrine des Spirites français, et de soupçonner qu'il croyait en la réincarnation. A part les sectes cabalistiques des Esséniens, des Nazaréens, disciples de Siméon Ben Jochaï et de Hillel, ni les Juifs orthodoxes, ni les Galiléens ne croyaient ou avaient une connaissance quelconque de la doctrine de la permutation ; et les Saducéens rejetaient jusqu'à la notion de la résurrection.

 Nous lisons dans la Kabbala 340: "Mais l'auteur de cette restitution fut Mosah, notre maître, paix soit avec lui ! Qui fut [173] le revolutio [transmigration] de Seth et de Hebel, afin qui'il puisse couvrir la nudité de son Père Adam-Primus."

Par conséquent Jésus, en suggérant que Jean était le revolutio ou transmigration d'Elie, donne à connaître sans conteste l'école à laquelle il appartenait.

Jusqu'à ce jour, les Cabalistes et les Francs-Maçons non initiés croient que la permutation est le synonyme de transmigration et de métempsycose. Mais ils se trompent en cela aussi bien au sujet de la doctrine des vrais Cabalistes que de celle des Bouddhistes. Il est vrai que le Zohar dit que "toutes les âmes sont sujettes à la transmigration... Les hommes ne connaissent pas les voies du Très Saint, béni soit Il ; ils ne savent pas qu'ils sont traduits devant le tribunal aussi bien avant de venir au monde qu'après l'avoir quitté" 341 ; les Pharisiens adoptaient également cette doctrine, ainsi que Josèphe le prouve dans les Antiquités, XVIII, 1-3. La doctrine de Gilgûlah soutenait aussi la même étrange théorie du "Tourbillon de l'Ame" qui voulait que les corps des juifs enterrés loin de la Terre Sainte, conservent une partie de l'esprit qui ne les quitte, ni se repose jusqu'à ce qu'elles rentrent dans la "Terre Promise". Et ce "tourbillonnement" de l'âme était censé s'accomplir à travers une véritable évolution des espèces, par une transmigration de l'insecte le plus intime jusqu'aux plus grands animaux. Cela était, toutefois, une doctrine exotérique. Nous renvoyons le lecteur à la Kabbala Denudata de Knorr von Rosenroth qui, bien qu'en termes assez obscurs jette, néanmoins, un peu de lumière sur le sujet.

Il ne faut cependant pas prendre cette doctrine de permutation, ou de revolutio, comme la croyance en la réincarnation. Que Moïse était censé être la transmigration d'Abel et de Seth, cela ne veut pas dire que les Cabalistes (tout au moins les Initiés) croyaient que l'esprit identique d'un des fils d'Adam réapparaissait sous la forme corporelle de Moïse. Cela montre seulement quel était leur mode d'expression en faisait allusion à l'un des plus profonds mystères de la Gnose Orientale, un des articles de foi les plus élevés de la Sagesse Secrète. Il était voilé à dessein, de façon à ne révéler la vérité et à ne la cacher qu'à demi. Cela voulait dire que Moïse, de même que d'autres hommes-dieux, était censé avoir atteint l'état le plus élevé sur cette terre - le plus rare de tous les phénomènes psychologiques, l'union parfaite de l'esprit immortel avec la duade terrestre. La trinité était complète. Un dieu s'était incarné. Mais combien rares ces incarnations !

L'expression "Vous êtes des dieux" qui, pour nos étudiants de théologie, n'est qu'une simple abstraction, a pour les Cabalistes [174] une signification vitale. Chaque esprit immortel qui déverse son rayonnement sur un être humain, est un dieu – le Microcosme dans le Macrocosme, partie intégrante du Dieu Inconnu, la Cause Première dont il est une émanation directe. Il possède tous les attributs de sa source première, et parmi ceux-ci sont l'omniscience et l'omnipotence. Doué de ces  attributs, et pourtant incapable de les manifester pleinement tant qu'il est dans un corps, où ils sont obscurcis, voilés et limités par les capacités de la nature physique, l'homme qui sert de demeure à la Divinité est capable de s'élever au-dessus de ses semblables, de mettre en évidence son savoir divin, et de faire preuve de pouvoirs divins ; car, tandis que le reste des mortels, autour de lui, ne sont qu'adombrés par leur SOI divin avec la possibilité de devenir plus tard immortels, mais sans autre certitude de gagner  le royaume des cieux sinon par leurs efforts personnels, l'homme élu est déjà devenu immortel pendant son séjour ici-bas. Sa récompense est assurée. Dorénavant, il vivra pour toujours de la vie éternelle. Non seulement a-t-il acquis la "domination" 342 sur les œuvres de la création en faisant usage de "l'excellence" du NOM (l'ineffable), mais il s'élèvera dans cette vie, non comme on le fait dire à saint Paul, "un peu au-dessous des anges" 343.

Les anciens n'ont jamais entretenu la croyance sacrilège que  ces entités perfectionnées étaient des incarnations de l'Etre Suprême, du Dieu à jamais invisible. Aucune profanation de ce genre de la Majesté divine n'a fait partie de leurs conceptions. Moïse, ses types et ses anté-types n'étaient, pour eux, que des hommes parfaits, des dieux sur terre, car leurs dieux (leurs esprits divins) étaient descendus dans leurs tabernacles sanctifiés, autrement dit, leurs corps physiques purifiés. Les esprits désincarnés des héros et des sages portaient, chez les anciens, l'appellation de dieux. Voilà d'où vient l'accusation de polythéisme et d'idolâtrie de la part de ceux qui furent les premiers à anthropomorphiser les plus pures et les plus saintes abstractions de leurs ancêtres.

342 Psaumes, VIII, 6.

343 Cette contradiction attribuée à Paul dans son Epître aux Hébreux, en lui faisant dire de Jésus aux chap. 1, 4 : "Qu'il est devenu d'autant supérieur aux anges", pour affirmer ensuite au chap. II, 9 : "Mais celui qui a été abaissé pour un peu de temps au-dessous des anges" démontre le peu de scrupules avec lesquels les écrits des apôtres ont été traités, si toutefois ils en sont vraiment les auteurs.

 

La signification véritable et cachée de cette doctrine était connue de tous les initiés. Les Tanaïm l'enseignaient à tous leurs élus, les Isarim, dans la solitude solennelle des cryptes et des lieux déserts. Cette doctrine était très ésotérique et jalousement défendue, car la nature humaine était, alors, la même qu'elle l'est aujourd'hui, et la caste sacerdotale était  aussi confiante que de nos [175] jours dans la suprématie de ses connaissances, et aussi ambitieuse de son ascendant sur les masses ignorantes ; la seule différence serait, peut-être, que les hiérophantes pouvaient faire la preuve de la légitimité de leurs prétentions, et de la plausibilité de leurs doctrines, tandis qu'aujourd'hui, les fidèles doivent se contenter de la foi aveugle.

 Tandis que les Cabalistes dénommaient cet événement rare et mystérieux de l'union de l'esprit avec le dépôt mortel commis à sa charge la "Descente de l'Ange Gabriel" (nom générique pour ce phénomène) le Messager de Vie, et l'ange Métatron ; et que les Nazaréens l'appelaient Abel-Zivo 344, le Delegatus envoyé par le Seigneur de Celsitude, il était généralement connu sous la désignation de "l'Esprit Oint".

344 Codex Nazaraeus, I, 23.

 

Ce fut donc, par suite de la reconnaissance de cette doctrine que les Gnostiques maintenaient que Jésus était un homme adombré par le Christos, ou le Messager de Vie, et que son cri de détresse sur la croix "Eloï, Eloï, Lama Sabachthani" lui fut arraché à l'instant où il sentit que la Présence inspiratrice l'avait finalement abandonné, car – ainsi que quelques-uns l'ont affirmé – sa foi l'avait déjà abandonné lorsqu'il fut cloué sur la croix.

Les Nazaréens de la première heure, qu'on doit compter parmi les sectes Gnostiques, tout en croyant que Jésus était un prophète, entretenaient, néanmoins, à son égard la même doctrine de "l'adombrement" divin de certains "hommes de Dieu", envoyés sur la terre pour sauver les nations et les ramener sur le sentier du bien. "La pensée Divine est éternelle, dit le Codex 345, elle est la lumière pure, et irradie à travers l'espace immense et splendide (plerome). Elle est la Génératrice de Æons. Mais un de ceux-ci se transforma en matière [chaos] suscitant un mouvement confus (turbulentos) ; et au moyen d'une partie de la lumière céleste, il la façonna en une apparence bien constituée pour l'usage, mais qui était le commencement de tout mal. Le Démiurge [de la matière] réclama les honneurs divins 346. Par conséquent le Christ, "l'Oint", le prince des Æons [pouvoirs], fut envoyé (expeditus) et prenant la forme d'un juif très pieux, (Jésus), devait le conquérir ; mais l'ayant mis de côté (le corps) il s'envola au ciel" 347. Nous donnerons plus loin l'explication complète du nom de Christos et de sa signification mystique.

Nous allons, maintenant, faire notre possible pour définir, aussi brièvement que possible, et cela afin de rendre les passages [176] ci-dessus plus explicites, les dogmes qui constituaient, à d'insignifiantes différences près, les croyances de presque toutes les sectes Gnostiques. C'est à Ephèse que florissait à cette époque le plus célèbre collège, où les doctrines abstraites de l'Orient et la philosophie de Platon étaient toutes deux enseignées. C'était le foyer des doctrines "secrètes" universelles ; le mystérieux laboratoire d'où naquit, en élégante phraséologie grecque, la quintessence de la philosophie Bouddhiste, Zoroastrienne et Chaldéenne. Arthemis, le gigantesque symbole concret des abstractions théosophico- panthéistes, la sublime mère Multimamma, androgyne et patronnesse des "écritures éphésiennes", fut vaincue par saint Paul ; mais bien que les convertis zélés des apôtres prétendissent avoir brûlé tous les livres traitant des "arts curieux" τα περιεργα, il en resta assez pour qu'ils continuassent à étudier, une fois leur premier élan refroidi. C'est d'Ephèse que se répandit presque toute la Gnose que combattirent si férocement les  dogmes d'Irénée ; et c'est encore Ephèse, avec ses nombreuses  branches collatérales du grand collège des Esséniens, qui fut la serre chaude de toutes les doctrines cabalistiques, ramenées de captivité par les Tanaïm. "Ce fut à Ephèse, nous dit Matter, que les notions de l'école Judaico- égyptienne, et les doctrines semi-persanes des Cabalistes étaient venues, depuis peu, grossir le vaste confluent des doctrines grecques et  asiatiques, de sorte qu'il ne faut pas s'étonner que les instructeurs s'y soient développés, pour essayer de combiner la religion récemment prêchée par l'apôtre, avec les idées qui, depuis fort longtemps, y étaient établies." 348.

348 [King, The Gnostics, etc. (p 7 de la 7ème éd.) ]

349 Clemens Alex, Strom, VII, 7, § 106. [Cf. Hippolyte, Philosophumeno, VII, § 20.]

350 Hist. Eccles., IV, 7.

351 Les Evangiles interprétés par Basilides n'étaient pas nos Evangiles actuels, lesquels, ainsi que l'ont prouvé les autorités les plus compétentes, n'existaient pas à son époque. Voir Supernaturel Religion, vol. II, chap. 6, "Basilides".

352 [Irénée, Adv. Hær., I, XXIV, 3.]

 

Si les Chrétiens ne s'étaient pas embarrassés des Révélations d'une petite nation, en acceptant le Jéhovah de Moise, les notions gnostiques n'auraient jamais été taxées d'hérésies ; une fois débarrassé de leurs exagérations dogmatiques, le monde aurait possédé un système religieux basé sur la pure philosophie de Platon, et certes on y aurait beaucoup gagné.

Voyons, maintenant, quelles étaient les grandes hérésies des Gnostiques. Prenons Basilides comme base de nos comparaisons, car tous les fondateurs des autres sectes Gnostiques se groupent autour de lui, comme un système de planètes emprunte sa lumière à son soleil.

Basilides prétend que toutes ses doctrines lui viennent de  l'Apôtre Matthieu et de saint Pierre, par l'intermédiaire de Glaucus, disciple de ce dernier 349. Suivant Eusèbe 350, il publia [177] vingt-quatre volumes d'Interprétations des Evangiles 351 qui furent tous brûlés, ce qui nous fait supposer qu'ils contenaient plus de vérités que ce que l'école d'Irénée n'était préparée à réfuter. Il affirmait que le Père inconnu, éternel et non- créé, ayant donné naissance en premier lieu au NOUS, ou le Mental, celui- ci émana de lui-même le Logos. Le Logos (le "Verbe" de Jean) émana, à son tour, Phronêsis, ou les Intelligences (esprits divins-humains). De Phronêsis naquit Sophia, la sagesse féminine, et Dynamis, la force 352. Ceux-ci étaient les attributs personnifiés de la Divinité mystérieuse, le quinternion gnostique, représentant le type des cinq substances spirituelles mais intelligibles, vertus personnelles ou êtres extérieurs à la divinité inconnue. C'est une notion éminemment cabalistique ; elle est encore bien plus Bouddhique. Le système primitif de la philosophie bouddhique – bien antérieure à Gautama – est fondé sur la substance non créée de "l'Inconnu", l'Adi Bouddha 353. Cette Monade, éternelle, infinie, possède, comme essence propre, cinq actes de la sagesse. De ceux-ci, par cinq actes séparés de Dhyâna la Monade émana cinq Dhyani-Bouddhas ; ceux-ci, comme Adi-Bouddha, sont passifs dans leur système. Ni Adi, ni l'un quelconque des cinq Dhyani-Bouddhas, [178] n'ont jamais été incarnés ; mais sept de leurs émanations devinrent des Avatârs c'est-à-dire s'incarnèrent sur cette terre.

Irénée, en exposant le système de Basilides et citant les gnostiques, s'exprime comme suit :

"Quand le Père, non créé, innommé, vit la corruption des hommes, il envoya son Nous premier-né dans le monde, sous la forme du Christ, pour sauver tous ceux qui croiraient en lui, du pouvoir de ceux qui façonnèrent le monde [le Démiurge, et ses six fils, les Génies planétaires]. Il apparut sur la terre comme  l'homme Jésus, et fit des miracles. Ce Christ n'est pas mort en personne, mais Simon le Cyrénéen souffrit à sa place,  et lui prêta sa forme corporelle ; car la Puissance Divine, le Nous du Père Eternel, n'est pas corporel et ne peut pas mourir. Par conséquent, quiconque affirme que le Christ est mort, est encore sous le joug de l'ignorance ; celui qui le nie est libre, et a compris le but du Père" 354.

353 Les cinq constituent mystiquement dix. Ils sont androgynes. "Ayant divisé son corps en deux parties, la Sagesse Suprême devint mâle et femelle"(Manou, livre I, shloka 32). On trouve beaucoup d'idées Bouddhiques primitives dans le Brahmanisme.

La notion prévalente que le dernier des Bouddhas, Gautama, est la neuvième incarnation de Vichnou, ou le neuvième Avatâr, est partiellement contredite par les Brahmanes, et complètement rejetée par les savants théologiens Bouddhistes. Ceux-ci insistent pour dire que le culte de Bouddha prétend à une bien plus haute antiquité que n'importe quelle divinité Brahmanique des Védas, qu'ils traitent de littérature profane. Ils démontrent que les Brahmanes vinrent d'autres contrées, et implantèrent leur hérésie à propos de divinités populaires déjà acceptées. Ils conquirent le pays par le glaive et réussirent à étouffer la vérité en échafaudant une théologie propre, sur les ruines de celle plus ancienne de Bouddha, qui avait prévalu pendant des siècles. Ils admettent la divinité et l'existence spirituelle de quelques-uns des Dieux védantiques ; mais, de même que dans le cas de la hiérarchie angélique des Chrétiens, ils prétendent que toutes ces divinités sont fort inférieures, même aux Bouddhas incarnés. Ils n'admettent pas même la création de l'univers physique ;  celui-ci a existé de toute éternité en esprit et invisiblement, et seulement ainsi il a été rendu visible pour les sens des hommes. Lorsqu'il apparut en premier lieu, il avait été appelé du royaume de l'invisible et rendu visible par l'impulsion d'Adi Bouddha – "l'Essence". Ils calculent qu'il y eut vingt-deux de ces apparitions visibles de l'univers gouvernés par des Bouddhas, et autant de destructions du même par le feu et par l'eau, en succession régulière. Après la dernière destruction par le déluge, à la fin du cycle précédent – (le calcul exact comprenant plusieurs millions d'années, est un cycle secret), le monde, pendant le présent âge du KaliYug – Mahâ Bhadra Kalpa – a été gouverné successivement par quatre Bouddhas, le dernier desquels fut Gautama, le "Saint". Le cinquième, le Maïtreya- Bouddha, est encore à venir. Ce dernier serait le Roi Messie cabalistique, le Messager de Lumière, et Sosiosh, le Sauveur perse, qui viendra monté sur un cheval blanc. C'est également le Second Avent des Chrétiens. Voir l'Apocalypse de saint Jean.

354 Irénée, I, 24, 4.

355 Tertullien renversa les tables en désavouant, plus tard, les doctrines pour lesquelles il lutta avec tant d'ardeur, et devint un Montaniste.

 

Jusque-là, et pris dans son sens abstrait, nous ne voyons pas grand chose d'impie dans cette théorie. Il est possible qu'elle constitue  une hérésie contre la théologie d'Irénée et de Tertullien 355 ; mais n'a en elle- même rien de sacrilège contre l'idée religieuse, et paraîtra, sans doute, à tout esprit impartial, bien plus en accord avec la vénération due à la divinité, que l'anthropomorphisme du Christianisme actuel. Les orthodoxes Chrétiens appelaient les Gnostiques des Docetes, ou Illusionnistes, parce qu'ils croyaient que le Christ n'était pas mort, ou ne pouvait pas réellement mourir, dans son corps physique. Les ouvrages Brahmaniques plus récents contiennent, de même, beaucoup de choses qui répugnent au sentiment de vénération qu'on doit à la notion de la Divinité ; et de même que les Gnostiques, les Brahmanes expliquent les légendes qui pourraient froisser la dignité des êtres Spirituels, qu'on nomme des dieux, en les attribuant à Mâyâ, l'Illusion.

Il ne faut pas s'attendre à ce qu'un peuple, élevé et nourri à travers des âges sans nombre au milieu de tous les phénomènes psychiques dont nous entretiennent les nations civilisées (!), mais qu'elles refusent d'admettre comme incroyables et sans valeur, voie son système religieux compris, et encore moins apprécié. Les doctrines les plus profondes et les plus transcendantes des anciens métaphysiciens de l'Inde, et d'autres contrées, sont toutes fondées sur le grand principe Bouddhique et Brahmanique, sous-jacent à l'ensemble de leur métaphysique religieuse – l'illusion des sens. Tout ce qui est fini est illusion ; tout ce qui est éternel et infini est réalité. La forme, la couleur, ce que nous entendons et ce que nous [179] sentons, ce que nous voyons avec nos yeux mortels, n'existe qu'en tant que nous nous en rendons compte par nos sens. Pour l'aveugle de naissance, l'univers n'existe pas en forme et en couleur, mais il existe dans sa privation (au sens Aristotélicien) qui est une réalité pour les sens spirituels de l'homme aveugle. Nous vivons tous sous la puissante domination de la fantaisie. Seuls les originaux, sublimes et invisibles, émanés de la pensée de l'Inconnu, sont réels et permanents en tant qu'êtres, formes et idées ; ici- bas, nous ne voyons que leurs reflets plus ou moins corrects et dépendants toujours de l'organisation physique et mentale de celui qui les contemple.

Des siècles innombrables avant notre ère, le Mystique hindou, Kapila, que beaucoup de savants traitent de sceptique parce qu'ils le  jugent, comme toujours, superficiellement, exprima cette idée d'une façon merveilleuse dans les lignes suivantes :

"L'homme [l'homme physique] compte pour si peu de chose, qu'il est presque impossible de lui faire comprendre sa propre existence et celle de la nature. Qui sait : ce que nous considérons comme l'univers, et les divers êtres qui paraissent le composer, n'ont peut-être rien de réel, et ne sont que le résultat d'une illusion continuelle, maya, de nos sens."

Puis, le moderne Schopenhauer, reproduisant cette notion philosophique, âgée maintenant de 10.000 ans, s'exprime ainsi :  "La Nature n'existe pas per se... la Nature est une illusion infinie de nos sens." Kant, Schelling et d'autres métaphysiciens ont dit la même chose, et leurs écoles soutiennent cette notion. Les objets des sens étant toujours trompeurs et mouvants ne peuvent être réels. Seul, l'esprit ne change pas ; par conséquent, lui seul n'est pas illusoire. Ceci est de la pure doctrine Bouddhique. La religion de la Gnose (la Connaissance), le rejeton le plus évident du Bouddhisme, était fondée sur ce dogme métaphysique. Christos a souffert pour nous spirituellement, et cela bien plus cruellement que l'illusionnaire Jésus, lorsque son corps fut torturé sur la Croix.

Pour les Chrétiens, le Christ n'est qu'un autre nom pour Jésus. La philosophie des Gnostiques, des Initiés et des Hiérophantes le comprenait de toute autre façon. La signification du mot Christos, χριστος, comme celle de tous les mots grecs, doit se chercher dans le Sanscrit, son origine philologique. Dans cette langue, Kris veut dire sacré 356, et c'est de là que vient le nom de la divinité [180] hindoue Krishna (le pur ou le sacré). D'autre part, le Christos grec a plusieurs significations, comme l'oint (l'huile pure, chrism) et d'autres. Dans toutes les langues, bien que le synonyme du mot veuille dire essence pure ou sacrée, il représente la première émanation de la Divinité invisible, se manifestant tangiblement dans l'esprit. Le Logos grec, le Messie hébreu, le Verbe latin et la Virâdj, (le fils) hindou, sont identiquement les mêmes : ils représentent l'idée d'entités collectives – ou flammes détachées de l'unique et éternel centre de lumière.

356 Dans son débat avec Jacolliot sur l'orthographe exacte du Kristna hindou, M. Textor de Ravisi, catholique ultramontain, cherche à prouver que Christna devrait s'écrire Krishna ; car, comme celui- ci veut dire noir et que les statues de ce dieu sont généralement noires, le mot tire sa signification de la couleur. Nous renvoyons le lecteur à la réponse de Jacolliot dans son livre récent Christna et le Christ, où il est prouvé avec évidence que ce nom ne vient en aucune manière de la couleur.

 "L'homme qui accomplit des actions pieuses, mais intéressées [dans le seul but de sauver son âme] peut atteindre le rang des dévas [saints] 357 ; mais celui qui accomplit ces mêmes actions pieuses d'une manière désintéressée, se libère pour toujours des cinq éléments" (de la matière). "Percevant l'Ame Suprême dans tous les êtres, et tous les êtres dans l'Ame Suprême, en offrant sa propre âme en sacrifice, il s'identifie avec l'être qui rayonne dans sa propre splendeur."

 (Manou, livre XII, shlokas, 90, 91).

 Ainsi, le Christos, pris comme une unité, n'est qu'une abstraction : une idée générale représentant la réunion collective d'innombrables entités spirituelles, qui sont l'émanation directe de la CAUSE PREMIERE infinie, invisible et incompréhensible – les esprits individuels humains, qu'on nomme, à tort, les âmes. Ce sont les fils divins de Dieu, dont quelques-uns seulement adombrent les hommes mortels, mais – et c'est le cas de la majorité, ils restent éternellement des esprits planétaires, et quelques-uns – la faible et rare minorité – s'unissent pendant la vie à quelques êtres humains. Des êtres Divins tels que le Bouddha-Gautama, Jésus, Lao-Tse, Krishna, et quelques autres, s'étaient unis en permanence avec  leurs esprits, et par conséquent ils étaient devenus des Dieux sur la  terre. D'autres comme Moise, Pythagore, Apollonius, Plotin, Confucius, Platon, Jamblique   et   quelques   saints   chrétiens,   ayant   été   ainsi   réunis  par intervalles, ont pris rang dans l'histoire comme des demi-dieux et des guides de l'humanité. Une fois débarrassées de leurs tabernacles terrestres, leurs âmes libérées, dorénavant réunies pour toujours à leurs esprits, rejoignent l'armée resplendissante, unie en une seule solidarité spirituelle de pensées et d'actions, et qu'on nomme "l'Oint". Voilà donc la signification que donnaient les Gnostiques, lesquels en disant que le "Christos" a souffert spirituellement pour l'Humanité, voulaient impliquer que ce fut son Esprit Divin qui souffrit le plus. [181]

357 Les Bouddhistes et les Brahmanes ne possèdent pas d'équivalent pour le mot "miracle" dans le sens que lui attribue le Christianisme. La seule traduction correcte serait meipo, une merveille, une chose remarquable, mais non point une violation de la loi naturelle. Les "Saints"n'accomplissent que des meipos.

 

 Ces notions et d'autres, encore bien plus élevées, furent celles de Marcion, le grand "Hérésiarque" du IIème siècle, ainsi que ses adversaires le nommaient. Il vint à Rome vers la moitié du siècle, c'est-à-dire de 139 à 142 de notre ère, suivant les dires de Tertullien, Irénée et Clément, ainsi que  de  ceux  de  la  plupart  de  ses  commentateurs  modernes,    Bunsen, Tischendorf, Westcott, et bien d'autres. Credner et Schleiermacher 358 sont d'accord pour louer la grandeur impeccable de son caractère personnel, la pureté de ses aspirations religieuses et ses idées élevées. Son influence a dû être puissante, car nous voyons par les écrits d'Epiphane, deux siècles plus tard, que de son temps, les partisans de Marcion étaient répandus sur toute la surface du monde 359.

Le danger devait être grand et urgent, si nous en jugeons d'après les épithètes injurieuses et les insultes que le "Grand Africain", ce Cerbère patristique que nous voyons toujours aboyant à la porte des dogmes Irénéens, accumulait sur la tête de Marcion 360. Nous n'avons qu'à ouvrir sa célèbre réfutation des Antithèses de Marcion, pour avoir un spécimen de la fine fleur de l'injure monacale de l'école chrétienne ; ces injures se perpétuèrent fidèlement à travers le Moyen Age, pour se renouveler, aujourd'hui, au Vatican. "Or, bien, chiens que vous êtes, aboyant contre le Dieu de vérité, vous que l'Apôtre a rejetés, voici la réponse à toutes vos questions. Voici les os de la discorde que vous rongez" etc. 361. "La pauvreté des arguments du "Grand Africain" n'a d'égale que la bassesse de ses insultes", remarque, à ce sujet, l'auteur de Supernatural Religion (2). "Leur controverse religieuse [celle du Père] fourmille d'inexactitudes et déborde de pieuses injures. Tertullien était passé maître dans ce style, et la véhémence des insultes par lesquelles il débute dans son livre et qu'il continue à travers tout l'ouvrage, contre l'impie et sacrilège Marcion, n'est certes pas une garantie de la légitimité et de la loyauté de sa critique." 362.

 358 Credner, Beiträge, vol. I, p. 40 ; Schleiermacher, Sämtliche. Werke, VIII ; Einl. N. T., p 64, éd. 1845.

359 Panarion, lib. I, tome III, Hær, XLII, 1.

360 Tertullien, Adv. Marc, II, 5.

361 Vol. II, p. 105.

 

On peut se rendre compte combien les deux Pères, Tertullien et Epiphane étaient ferrés sur leur terrain théologique, par le fait curieux que tous les deux reprochent d'une manière intempestive à "la bête" (Marcion) "d'avoir effacé de l'Evangile selon saint Luc des passages entiers qui n'avaient jamais figuré dans cet Evangile" 363. "La légèreté et l'inexactitude dont fait preuve Tertullien, ajoute le critique, sont d'autant mieux démontrées, que, non seulement il accuse faussement Marcion, mais qu'il donne [182] actuellement les raisons pour lesquelles il avait retranché un passage qui n'avait jamais existé ; dans le même chapitre, il accuse également Marcion d'effacer [de saint Luc] l'affirmation du Christ qu'il n'était pas venu pour renverser la loi et les prophètes, mais pour les accomplir, et dans deux autres occasions il revient sur son accusation 364. Epiphane commet, également, l'erreur de reprocher à Marcion d'omettre, dans l'Évangile selon saint Luc, ce qui ne se trouve que dans celui de saint Matthieu" 365.

Nous venons de faire voir jusqu'à quel point on peut se fier à la littérature des Pères, et comme il a été universellement reconnu par presque tous les critiques de la Bible, que ce que les Pères recherchaient n'était nullement la vérité, mais seulement la reconnaissance de leurs interprétations et de leurs affirmations injustifiées 366. Nous procéderons en donnant les doctrines de Marcion, que Tertullien cherchait à détruire comme le plus dangereux hérétique de son époque. Si nous devons en croire Hilgenfels, un des plus célèbres critiques bibliques allemands, alors, "au point de vue de la critique il faut... considérer les affirmations des Pères de l'Église seulement comme des expressions de leur opinion subjective, et partant sujettes à caution".

362 Ibidem, p. 89.

363 Ibidem, vol. II, p. 100.

364 Adv. Marc, IV, 9 ; IV, 36 ; Matt., V, 17.

365 Panarron, Hær, XLII.

366 Cet 'auteur, vol. II, p. 103, remarque, avec beaucoup de raison, que l'Hérésiarque Marcion, qui, par son caractère personnel élevé, exerça une si puissante influence sur son époque, eut le malheur de vivre dans un siècle où le Christianisme s'était déjà départi de la pure moralité primitive ; lorsque la foi sincère et le pieux enthousiasme (non encore embarrassés des questions dogmatiques compliquées) qui constituaient le grand lien de la fraternité chrétienne, entrèrent dans une phase de développement ecclésiastique où la religion dégénéra bientôt en théologie et où les doctrines compliquées engendrèrent tant d'amertume, de persécutions et de schismes. A une  époque ultérieure, Marcion aurait pu être honoré comme un réformateur ; mais, dans la sienne, il fut accusé d'hérésie. Austère et ascétique dans ses opinions, il visait la pureté surhumaine, et bien que ses adversaires cléricaux tournassent en dérision ses doctrines impraticables sur le mariage et la subjugation de la chair, elles ont eu leur pendant chez ceux que l'Église a honorés depuis lors, et

toute sa doctrine, du moins tendait à la vertu. Nous reproduisons ces doctrines des Beitræge de Credner I, p. 40 ; cf. Neande, Allg. Geschichte, II, pp. 792, 815 et seq. Schleiermacher, Milman, etc., etc.

367 D'autre part, cet antagonisme est très fortement mis en lumière dans les Homélies de saint Clément dans lesquelles Pierre nie d'une façon non équivoque que Paul, qu'il nomme Simon le Magicien, ait jamais eu une vision du Christ, il lui lance l'épithète "d'ennemi". Le chanoine Westcott dit : "Il n'y a aucun doute que ce soit saint Paul "l'ennemi" dont il est question (On the Canon, p. 252, note 2 ; Supernatural Religion, vol. II, p. 35). Mais cet antagonisme, qui fait encore rage aujourd'hui, nous le constatons dans les Épîtres de Paul. Quoi de plus explicite que des phrases comme les suivantes : "Ces hommes-là sont de faux apôtres, des ouvriers trompeurs, déguisés en apôtres de Christ... Or j'estime que je n'ai été inférieur en rien à ces apôtres par excellence" (II Corinthiens, 13 et 5). "Paul apôtre non des hommes, ni d'un homme, mais de Jésus-Christ et de Dieu le Père, qui l'a ressuscité des morts... Il y a des gens qui vous troublent et qui veulent fausser l'Évangile du Christ... des faux frères... Mais lorsque Pierre vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu'il était répréhensible. En effet, avant l'arrivée de quelques personnes envoyées par Jacques, il mangeait avec les Gentils ; et quand elles furent venues, il s'esquiva et se tint à l'écart, par crainte des Circoncis. Les autres juifs usèrent aussi... de dissimulation, en sorte que Barnabé même fut entraîné dans leur hypocrisie" (Galates, I et II). D'un autre côté, nous voyons que Pierre se plaint dans les Homélies, plaintes prétendues adressées à Simon le Magicien, mais qui sont sans contredit la réponse aux phrases ci-dessus, des Épîtres de Paul, et qui n'ont certainement rien à faire avec Simon. Saint Pierre dit, par exemple : "Car quelques-uns parmi les Gentils ont rejeté mon enseignement légitime, et ont accepté celui illégitime et insensé d'un homme hostile (ennemi) "Épître de Pierre à Jacques, § 2). Il dit encore : "Simon [Paul] qui vint avant moi auprès des Gentils... je l'ai suivi comme le jour succède aux ténèbres, comme la connaissance à l'ignorance, comme la santé à la maladie" (Homélies, II, 17). Un peu plus loin, il l'appelle la Mort et un trompeur (Ibidem II, 18). Il prévient les Gentils que "Notre Seigneur et Prophète [?] (Jésus) annonça que le malin enverrait de parmi ses fidèles des apôtres trompeurs. Par conséquent, et par-dessus tout, rappelez-vous d'éviter tout apôtre, tout instructeur ou prophète, qui ne ferait pas coïncider exactement son enseignement avec celui de Jacques, surnommé le frère de Notre Seigneur" (Voir la différence entre Paul et Jacques sur la foi, dans l'Épître aux Hébreux, XI et XII et l'Épître de saint Jacques, II). "De peur que le malin n'envoie un faux pasteur... ainsi qu'il nous a envoyé Simon [?] prêchant une vérité contrefaite au nom de Notre Seigneur, et disséminant l'erreur" (Homél., XI, 35 ; voir la citation ci-dessus dans Galates, I, 5). Il nie ensuite l'affirmation de Paul dans les paroles suivantes : "Si, donc, notre Jésus est véritablement apparu en vision... ce n'était que sous la forme d'un adversaire courroucé... Mais comment quelqu'un peut-il devenir sage dans l'enseignement, à la suite d'une vision ? Et si tu prétends que cela est possible, je demande alors pourquoi l'Instructeur est-il resté une année entière à discourir auprès de nous qui étions attentifs ? Et comment pouvons- nous croire ton récit qu'il t'est apparu ? Et de quelle façon t'est-il apparu, toi qui entretiens des opinions contraires à son enseignement ?... Car maintenant tu te dresses contre moi qui suis ferme comme un roc, le fondement de l'Église. Si tu n'étais pas un antagoniste, tu ne me calomnierais point, et tu n'outragerais point mon enseignement... [la circoncision ?] afin qu'en déclarant ce que j'ai appris moi-même du Seigneur, on ne me prête pas foi, comme si j'étais répréhensible... Mais si tu dis que je suis répréhensible, tu blâmes Dieu qui m'a révélé le Christ en moi". "Cette dernière phrase", fait observer l'auteur de Supernatural Religion, "si tu dis que je suis répréhensible", est évidemment une allusion aux Galates, II : "Je lui résistai en face, parce qu'il était répréhensible" (Supernatural Religion, p. 37). "Il ne peut y avoir aucun doute, ajoute l'auteur, que c'est l'apôtre Paul qui est attaqué, comme étant l'ennemi de la vraie foi, sous le nom détesté de Simon le Magicien, que Pierre poursuit partout pour le démasquer et le confondre" (p. 34). S'il en est ainsi, nous devons alors supposer que ce fut l'apôtre Paul qui se cassa les jambes à Rome, en volant dans l'air.

368 [Supernatural Religion, vol. II, ch. VII, p. 104]

 

Nous ne pouvons mieux faire, pour donner un aperçu exact des faits au sujet de Marcion, que de citer, autant que la place nous le permet, l'ouvrage Supernatural Religion, où l'auteur fait reposer ses affirmations sur l'évidence des plus grands critiques, ainsi que sur ses propres recherches. II fait voir que, du temps de Marcion, il existait "deux grands partis dans l'Église primitive" ; un qui considérait le  Christianisme "comme une simple continuation de la loi, et le ravalait au niveau d'une institution israélite, une secte étroite du judaïsme" ; l'autre représentait la bonne nouvelle "comme l'introduction d'un nouveau système, applicable à tous et remplaçant la dispensation de la loi mosaïque [183] par une dispensation universelle de la grâce". Et il ajoute que "ces deux partis étaient représentés dans l'Église primitive par les deux apôtres, Pierre et Paul, et leur antagonisme est tout juste effleuré dans l'Épître aux Galates" 367. [184]

 Marcion, qui ne reconnaissait d'autres Evangiles que les quelques Epîtres de Paul, qui rejetait complètement l'anthropomorphisme de l'Ancien Testament et qui tirait une ligne de démarcation bien nette entre le Judaïsme et le Christianisme, ne considérait Jésus ni comme un roi, le Messie des Juifs, ni comme le fils de David, ayant une relation quelconque avec la loi et les prophètes, "mais comme un être divin,  envoyé pour révéler à l'Humanité une religion spirituelle, en tous points nouvelle, et un Dieu de bonté et de grâce, inconnu jusqu'alors". A ses yeux, le "Seigneur Dieu"des Juifs, le Créateur (Demiorgos) était totalement différent et distinct de la Divinité qui envoya Jésus pour révéler la vérité divine, annoncer la bonne nouvelle, et apporter à tous la réconciliation et le salut. Pour Marcion, la mission de Jésus consistait à abroger le "Seigneur" juif, qui était aussi opposé à Dieu, le Père de Jésus-Christ, que la matière l'est à l'esprit, ou l'impureté à la pureté 368.

Marcion avait-il tort en cela ? Etait-ce blasphème ou intuition de sa part ? Etait-ce, chez lui, une inspiration divine pour exprimer ce que tout cœur honnête ressent ou proclame plus ou moins dans un ardent désir de vérité ? Si, dans son désir sincère d'établir une religion purement spirituelle, une croyance universelle basée sur la vérité non adultérée, il jugeait nécessaire de faire du Christianisme un système absolument nouveau et séparé du Judaïsme, Marcion ne pouvait-il pas se réclamer des paroles mêmes du Christ ? Personne ne met une pièce de drap neuf à un vieil habit, car elle emporterait une partie de l'habit et la déchirure serait pire... On ne met pas non plus du Vin nouveau dans de vieilles outres : autrement les outres se rompent, le vin se répand et les  outres  sont perdues ; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et le vin et les outres se conservent (Matthieu, IX, 16, 17). Quel rapport le Dieu d'Israël, jaloux, courroucé et vengeur ; a-t-il avec la divinité inconnue, le Dieu de Pardon, prêché par Jésus – son Père qui est dans le ciel et le Père de l'Humanité entière ? Ce Père, seul, est le Dieu spirituel et de pureté, et c'est une erreur grave que de le comparer à la Divinité sinaïtique subordonnée et capricieuse. Jésus a-t-il invoqué, une seule fois, le nom de Jéhovah ? A-t-il jamais mis en regard son Père avec ce  juge  cruel et sévère ; son Dieu de pardon, d'amour et de justice, avec le Génie juif du talion ? Jamais ! De ce jour mémorable où il prêcha son Sermon sur la Montagne, un abîme infranchissable se creuse entre son Dieu et cette autre divinité qui fulmine ses commandements du sommet de l'autre montagne – le Sinaï. Le langage de Jésus ne prête à aucune équivoque ; non seulement il s'insurge contre le [185] "Seigneur" mosaïque, mais il le défie. "Vous avez appris qu'il a été dit : œil pour œil, et dent pour dent ; mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l'autre. Vous avez appris qu'il a été dit [par le même "Seigneur Dieu" sur le Mont Sinaï] : tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent." (Matthieu, V, 38).

Prenez, maintenant, le Livre du Manou et lisez :

"La résignation, l'action de rendre le bien pour le mal, la tempérance, la probité, la pureté, la répression des sens, la connaissance des Shastras [les livres saints], celle de l'âme suprême, la véracité et l'abstention de la colère, voilà  quelles  sont  les  dix  vertus  qui  constituent  le devoir... Ceux qui étudient les dix préceptes du devoir, et qui, après les avoir étudiés, y conforment leur vie, atteindront la condition suprême."

 (Livre du Manou, VI, Shloka 92-93).

 

Si le Manou n'a pas tracé ces mots plusieurs milliers d'années avant l'ère chrétienne, nul ne se permettra de nier qu'ils lui sont antérieurs de plusieurs siècles. II en est de même des préceptes du Bouddhisme.

Si nous consultons la Prâtimoksha Soûtra et d'autres traités religieux du Bouddhisme, voici les dix commandements que nous y trouvons :

  1. Tu ne tueras aucune créature vivante.
  2. Tu ne voleras point.
  3. Tu ne rompras point ton vœu de chasteté.
  4. Tu ne mentiras point.
  5. Tu ne dévoileras point les secrets d'autrui.
  6. Tu ne désireras point la mort de tes ennemis.
  7. Tu ne convoiteras point la richesse des autres.
  8. Tu ne prononceras point de paroles injurieuses et malpropres.
  9. Tu ne te livreras point au luxe (coucher sur des lits moelleux, ou se livrer à la paresse).
  10. Tu n'accepteras ni or ni argent 369.

"Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? demande un homme à Jésus." "Observe les commandements."

"Lesquels ?" "Tu ne tueras point ; tu ne déroberas point ; tu ne [186] commettras point d'adultère ; tu ne diras point de faux témoignages", fut la réponse 370.

 369 Prâtimoksha Soûtra. Copie Pâli-Birmane ; voir aussi Le Lotus de la bonne Loi, traduction de Burnouf, p. 444.

370 Matthieu, XIX, I6-18.

371 Pitakattayan, livre III, version Pâli.

372 Voyez Juges, XIII 18. Et l'ange de l'Eternel lui répondit : Pourquoi demandes-tu mon nom ? II est SECRET.

 

"Que faut-il faire pour obtenir la possession de Bhodi ? [la connaissance de la Vérité éternelle] demande un disciple à son maître bouddhiste. Quelle est la voie pour devenir un Upâsaka ?" "Observe les commandements." "Quels sont-ils ?" "Abstiens-toi toute ta vie du meurtre, du vol, de l'adultère et du mensonge", lui répond le maître 371.

Recommandations identiques, n'est-il pas vrai ? Conseils divins ; y conformer notre vie purifierait et exalterait l'humanité. Mais sont-ils plus divins lorsqu'une bouche les prononce plutôt qu'une autre ? Si c'est imiter Dieu que de rendre le bien pour le mal, ce précepte énoncé par  un Nazaréen lui donne-t-il plus d'autorité que quand il sort de la bouche d'un Philosophe indien ou tibétain ? Nous constatons que la Règle d'Or n'a pas eu son origine en Jésus, mais que c'est dans l'Inde que nous devons chercher son berceau. Malgré tout ce que nous pourrons faire, nous ne pouvons empêcher que Shâkya-Mouni n'ait précédé la naissance de Jésus de plusieurs siècles. Pourquoi Jésus aurait-il été au pied de l'Himalaya plutôt qu'au pied du Sinaï, à la recherche du modèle pour son système d'éthique, si ce n'était que les doctrines de Manou et de Gautama s'harmonisaient parfaitement avec sa propre philosophie, tandis que celles de Jéhovah lui faisaient horreur et lui causaient de la répulsion ? Les Hindous enseignaient de rendre le bien pour le mal ; mais le commandement de Jéhovah était : "Œil pour œil" et "dent pour dent".

Les Chrétiens soutiendraient-ils toujours l'identité du "Père de Jésus avec Jéhovah, si on pouvait leur prouver clairement que  le "Seigneur Dieu" n'était autre que le Bacchus païen, Dionysos ? Or bien, l'identité du Jéhovah du Mont Sinaï avec le dieu Bacchus ne fait guère l'ombre d'un doute. Le nom הוהי est Yava ou Iao, suivant Diodore et Lydus, qui est le nom secret du dieu phénicien des Mystères 372 ; et il avait été pris des Chaldéens dont c'était également le nom secret du Créateur. Partout où Bacchus était adoré, existait la tradition de Nysa et de la grotte où il fut élevé. Beth-San ou Scythopolis en Palestine, portait cette désignation ; il en était de même d'un emplacement sur le mont Parnasse. Mais Diodore déclare que Nysa était situé entre la Phénécie et l'Egypte ; Euripide dit  que Dionysos est venu de l'Inde en Grèce ; et Diodore 373 vient y ajouter son témoignage : "Osiris fut élevé â Nysa, [187] dans l'Arabie  Heureuse ; c'était le fils de Zeus et fut nommé d'après son père  [nominatif Zeus, génitif Dios] et l'endroit Dio-Nysos" – le Zeus ou Jove de Nysa. L'identité du nom ou du titre est des plus significative. En Grèce, Dionysos prenait rang juste après Zeus, et Pindare dit à ce sujet : "Ainsi le Père Zeus gouverne toutes choses, et Bacchus gouverne lui aussi."

Mais, en dehors de la Grèce, Bacchus est le tout-puissant "Zagreus, le dieu suprême". Moise paraît l'avoir adoré personnellement et avec lui le peuple, au Mont Sinaï, à moins que nous n'admettions qu'étant un prêtre initié, un adepte sachant soulever le voile qui couvre le culte exotérique, mais qu'il avait gardé le secret. "Et Moise éleva un autel et lui donna le nom de Jehovah-NISSI ! ou Iao-Nisi 374. Quelle meilleure preuve veut-on que le Dieu du Sinaï était indifféremment Bacchus, Osiris ou Jéhovah ? S. Sharpe ajoute encore son témoignage que l'endroit où naquit Osiris était le "Mont Sinaï, appelé par les Egyptiens Mont Nissa" 375. Le serpent d'airain était un nis שחנ, et le mois de la Pâque juive se nomme nisan.

373 [Diod. Sic., Bibl. hist., I, XV.]

374 [Exode, XVII, 15.]

375 [Egyptian Mythotogy and Egyptian Christianity, 1863, pp. 10-11.]

 

Si le "Seigneur Dieu" mosaïque était le seul Dieu vivant, et Jésus son Fils unique, comment expliquer, alors, le langage rebelle de celui-ci ? Il renverse sans hésiter et sans autre explication la Loi du Talion juive, pour lui substituer la loi de charité et d'abnégation. Si l'Ancien Testament est une révélation divine, comment le Nouveau Testament en peut-il être une aussi ? Devons-nous croire à un Dieu et adorer une Divinité qui  se contredit tous les deux ou trois siècles ? Moïse était-il inspiré, ou alors Jésus n'était-il pas le Fils de Dieu ? C'est de ce dilemme que les théologiens ont à nous sortir. Et c'est de ce même dilemme que les Gnostiques cherchaient à sauver le Christianisme naissant.

Voilà dix-neuf siècles que la Justice attend des commentateurs intelligents pour apprécier la différence entre l'orthodoxe Tertullien et le gnostique Marcion. La violence brutale, la mauvaise foi et le fanatisme du "Grand Africain" repoussent tous ceux qui acceptent son Christianisme. "Comment un Dieu peut-il enfreindre ses propres commandements ?" demande Marcion. Comment pouvait-il défendre l'idolâtrie et le culte des images, et cependant ordonner à Moïse d'élever le serpent d'airain ? Comment se fait-il qu'il ordonne : "tu ne déroberas point", et qu'il envoie les Israélites dépouiller les Egyptiens de leur or et de leur argent ? Anticipant sur les résultats de la critique moderne, Marcion nie qu'on puisse attribuer à Jésus les prétendues prophéties messianiques. Et l'auteur de Supernatural Religion écrit 376 : "L'Emmanuel [188] d'Esaïe [tVII. 14,4] n'est pas le Christ ; la "Vierge" sa mère est simplement une "jeune femme", [une alma du temple], et les souffrances du serviteur du Dieu (Esaïe LII, 13, LIII, 3) ne sont nullement des prédictions de la mort de Jésus 377."

 

376 Vol. II, p. 106. Cf. Tertullien, Adv. Marc, III, XII.

377 Emmanuel était sans doute le fils du prophète lui-même, ainsi qu'il est représenté au chapitre VI ; ce qui fut prédit ne peut être interprété que dans ce sens. Le Prophète annonça de même à Achaz l'extinction de sa lignée : "Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas". Vient ensuite la prédiction de placer sur le trône un nouveau prince, Zacharie de Bethléem, qu'on dit avoir été le gendre d'Esaïe, sous le règne duquel tous les captifs devaient revenir depuis les endroits les plus retirés du monde. L'Assyrie serait humiliée et la paix s'étendrait sur la nation d'Israël (Cf. Esaïe, VII, 13-16 ; VIII, 3, 4 ; IX, 6,7 ; X, 12, 20, 21 ; Michée, V, 2 7). Le parti populaire, celui des Prophètes, toujours opposé aux prêtres Zadokites, avait résolu de se défaire d'Achaz et de sa politique dilatoire, qui avait permis à l'Assyrie d'entrer en Palestine et de mettre Zacharie sur le trône, un homme de leur pays qui se révolterait contre les Assyriens et renverserait le culte d'Assur et de Baalim (2, Rois, XVII, 21). Bien que seuls les Prophètes en aient parlé, tout ce qui concerne cet épisode ayant été retranché des livres historiques, on peut en conclure qu'Achaz sacrifia son propre fils à Moloch, et qu'il mourut à l'âge de trente-six ans, et que Zacharie monta sur le trône à vingt-cinq ans, donc en âge adulte.