DE LA NATURE COMPLEXE DE MANAS
Question – Vous vous proposiez de me parler de la nature essentielle de MANAS et de sa relation avec les Skandhas de l'homme physique.
Réponse – Cette nature mystérieuse, Protéenne, insaisissable, presque vaporeuse, dans ses relations avec les autres principes, est très difficile à comprendre et encore plus difficile à expliquer. Manas est un "principe" ; mais c'est aussi une "Entité" et une individualité ou un Ego. C'est un "Dieu" qui, néanmoins, est condamné à parcourir un cycle sans fin d'incarnations, dont il est responsable et pour lesquelles il a à souffrir. Tout cela semble aussi embarrassant que contradictoire ; et pourtant il y a, même en Europe, des centaines de personnes qui le comprennent parfaitement, parce qu'elles considèrent l'Ego sous [257] ses divers aspects et non point dans son unité seulement.
Mais, pour m'expliquer clairement, il faut que je commence par le commencement et que je vous fasse connaître en peu de mots, la généalogie de cet Ego.
Question –- Je vous écoute.
Réponse – Tâchez de vous représenter un "Esprit" un être céleste (peu importe le nom que nous lui donnons), d'une nature essentiellement divine, qui ne soit cependant pas assez pure pour être Une avec le Tout, et qui, afin d'atteindre ce but, est obligé de traverser une période de purification ; la seule manière de s'en acquitter est de passer individuellement et personnellement, c'est-à-dire spirituellement et physiquement, par chaque expérience et chaque sentiment qui existent dans l'Univers différencié et changeant. Par conséquent, après avoir récolté cette expérience dans les règnes inférieurs, et, après s'être élevé de plus en plus, à chaque degré de l'échelle de l'être, il lui faut aussi traverser toutes les expériences des plans humains. L'essence même de cette Entité est la PENSÉE ; et voilà pourquoi, dans sa pluralité, elle porte le nom de Manasa putra, "les Fils de l'Intelligence (Universelle)". Cette "Pensée" individualisée est, pour les Théosophes, le véritable Ego humain, l'Entité pensante enfermée dans sa prison de chair et d'os. Ces entités sont bien certainement spirituelles, et non matérielles ; ce sont les [258] Egos incarnants qui animent cet ensemble matière animale que l'on appelle l'humanité, dont le nom est Manasa : "Les Intelligences". Mais, lorsqu'ils sont emprisonnés ou incarné, leur essence se dédouble ; c'est-à-dire que les rayons de l'Intelligence Éternelle et divine, considérés comme des entités individuelles, ont pour double attribut : 1° l'intelligence essentiellement céleste qui les caractérise (le Manas supérieur) et 2° la faculté humaine de la pensée, ou le raisonnement animal perfectionné par la supériorité du cerveau humain, le Manas influencé par Kama, en un mot, le Manas inférieur. L'un s'élève vers Buddhi ; l'autre se penche vers le siège des passions et des désirs animaux ; or, ceux-ci ne peuvent être admis en Devakhan et ne peuvent avoir aucune relation avec la triade divine qui constitue une Unité, pour jouir du bonheur mental. Pourtant, c'est cet Ego, cette Entité Manasique, qui est responsable de tous les péchés des attributs inférieurs, comme un père est responsable des fautes commises par son enfant, aussi longtemps que ce dernier n'a pas atteint l'âge de raison.
Question – Et "cet enfant" est la personnalité ?
Réponse – Précisément. Par conséquent, tout n'est pas dit, lorsque l'on constate que la "personnalité" meurt avec le corps. Le corps, qui n'était que l'image objective de M A. ou de Mme B., [259] disparaît avec tous ses Skandhas matériels qui en sont l'expression visible. Mais tout ce qui, pendant la vie, a constitué l'ensemble spirituel d'expériences, les plus nobles aspirations, les affections immortelles, de nature désintéressée, de M. A. ou de Mme B. , s'attache, pour la, durée de la période Dévakhanique, à l'Ego, qui s identifie avec cette partie spirituelle de l'Entité terrestre disparue. L'ACTEUR s'est tellement uni au Rôle qu'il vient de remplir qu'il en rêve pendant toute la nuit Dévakhanique, et que cette vision continue jusqu'à ce que l'heure de son retour à la scène de la vie sonne pour lui et l'appelle à remplir un nouveau rôle.
Question – Mais comment se fait-il que cette doctrine, que vous dites être aussi ancienne que la pensée humaine, n'ait pas été admise par la théologie chrétienne, par exemple ?
Réponse – Voilà où vous vous trompez ; elle y a été admise ; mais la théologie l'a traitée comme elle a traité plusieurs autres doctrines et l'a rendue méconnaissable. Dans la Théologie, l'Ego est l'ange que Dieu nous donne au moment de notre naissance, pour prendre soin de notre âme ; seulement, d'après la logique de la Théologie, ce n'est pas cet "Ange" qui est responsable des transgressions de la pauvre "Ame", sans force et sans pouvoir, c'est cette dernière qui porte la peine des péchés de l'intelligence et de la chair ! C'est l'Ame, souffle immatériel et création supposée [260] de Dieu, qui, par un étonnant tour de force intellectuel, est condamnée à brûler pour toujours dans un enfer matériel, sans être consumée 53, tandis que l'Ange échappe au châtiment, en repliant des ailes blanches sur lesquelles ont coulé les quelque larmes qu'il a répandues.
Oui, tels sont "les Esprits qui nous servent", "les messagers de miséricorde" qui nous sont envoyés, comme le dit l'Evêque Mant, "… pour faire du bien aux héritiers du Salut ; car ils pleurent pour nous, lorsque nous péchons – et se réjouissent, lorsque nous nous repentons. " Et pourtant il semble évident que si tous les Evêques du monde étaient invités à expliquer, une fois pour toutes, ce qu'ils entendent par l'Ame et ses fonctions, ils seraient tout aussi incapables de le faire, que de réussir à nous montrer une ombre de logique dans la croyance orthodoxe !