SECTION X
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LE CULTE DE L'ARBRE, DU SERPENT ET DU CROCODILE
Qu'il soit un objet d'horreur ou d'adoration, les hommes ont pour le serpent une haine implacable, ou se prosternent devant son génie. Le mensonge l'appelle, la prudence le réclame, l'envie le porte dans son cœur et l'éloquence sur son caducée. En enfer, il arme le fouet des Furies ; au ciel, l'Eternité en fait son symbole.
CHATEAUBRIAND.
Les Ophites affirmaient qu'il y avait plusieurs sortes de Génies, depuis Dieu jusqu'à l'homme, que leur supériorité relative dépendait du degré de Lumière accordé à chacun d'eux et maintenaient que l'on devait faire constamment appel au Serpent et le remercier pour signaler le service qu'il avait rendu à l'humanité. C'est lui, en effet, qui avait appris à Adam que s'il mangeait du fruit de l'Arbre de la Connaissance du bien et du mal, il rehaussait énormément son Etre par le savoir et la sagesse qu'il acquerrait ainsi. Telle était la raison exotérique que l'on donnait.
Il est facile de voir d'où vient l'idée première du double caractère, semblable à celui de Janus, que l'on attribuait au Serpent – le bon et le mauvais. Ce symbole est l'un des plus anciens, parce que le reptile a précédé l'oiseau et celui-ci le mammifère. De là vient la croyance, ou plutôt la superstition, des tribus sauvages, qui croient que les âmes de leurs ancêtres vivait sous cette forme, comme aussi le rapprochement général établi entre le Serpent et l'Arbre. Les légendes au sujet des diverses significations qu'il représente sont innombrables, mais comme la plupart sont allégoriques, elles sont maintenant passées dans la catégorie des fables basées sur l'ignorance et la superstition la plus obscure. Par exemple, lorsque Philostrate racontait que les naturels de l'Inde et de l'Arabie se nourrissaient du cœur et du foie des Serpents, afin d'apprendre le langage de toutes les bêtes, faculté que l'on attribuait au Serpent, il ne s'attendait certainement pas à voir ses paroles prises à la lettre 242. Comme on le verra souvent au cours de cet ouvrage, on donnait les noms de "Serpents" et de "Dragons" aux Sages, aux Adeptes Initiés des anciens temps. C'était leur sagesse et leur savoir qui étaient absorbés ou assimilés par leurs disciples, ce qui donna naissance à l'allégorie. Lorsque le Sigurd Scandinave est représenté comme ayant fait rôtir le cœur du Dragon Fafner qu'il avait tué et comme étant ainsi devenu le plus [II 127] sage des hommes, la signification est la même. Sigurd avait appris les runes et les charmes magiques ; il avait reçu le "Mot" d'un Initié du nom de Fafner, ou d'un sorcier, après quoi ce dernier était mort comme tant d'autres après avoir "passé le mot". Epiphane dévoile un secret des Gnostiques, en essayant d'exposer leurs hérésies. Les Ophites Gnostiques, selon lui, avaient un motif pour honorer le Serpent ; c'était parce qu'il avait enseigné les Mystères aux premiers hommes 243. En effet ; toutefois, en enseignant ce dogme ils n'avaient pas dans l'esprit Adam et Eve dans le Jardin, mais simplement ce que nous venons de dire. Les Nâgas des Adeptes Hindous et Tibétains étaient des Nâgas (serpents) humains et non des reptiles. De plus, le Serpent a toujours été le type du rajeunissement successif ou périodique, de l'IMMORTALITE et du TEMPS.
242 Voir De Vita Apollonii, I, XIV.
243 Adv. Hœrès, XXXVII.
244 GERALD MASSEY, The Natural Genesis, I, 340 (1883).
Les nombreuses et très intéressantes discussions, ainsi que les interprétations et les faits au sujet du culte du Serpent, que l'on trouve dans la Natural Genesisde M. Gerald Massey, sont très ingénieux et scientifiquement corrects. Mais ils sont loin de représenter toutes les significations qu'il comporte. Ils ne divulguent que les mystères astronomiques et physiologiques, ainsi que quelques phénomènes cosmiques. Sur le plan le plus bas de matérialité, le Serpent était, sans doute, le "grand emblème du Mystère dans les Mystères" et était, très probablement, adopté comme type de la puberté féminine, à cause de son changement de peau et de son autorégénération. Il n'en était, toutefois, ainsi qu'en ce qui a trait aux mystères de la vie terrestre animale, attendu qu'en qualité de symbole de la "régénération et de la renaissance dans les Mystères [universels], sa phase finale" 244, ou plutôt les phases par lesquelles il débute et atteint son point culminant, il n'était pas de ce plan. Ces phases étaient générées dans le pur royaume de la Lumière Idéale et après avoir accompli le tour entier du cycle d'adaptations et de symbolisme, les "Mystères" retournaient là d'où ils étaient venus, dans l'essence de la causalité immatérielle. Ils appartenaient à la Gnose la plus haute et, assurément, ce n'est pas leur seule adaptation à des fonctions physiologiques et, spécialement, féminines, qui leur aurait jamais acquis leur nom et leur renommée !
Comme symbole, le Serpent avait autant d'aspects et de significations occultes que l'Arbre lui-même ; "l'Arbre de Vie" avec lequel il était emblématiquement et presque indissolublement relié. Qu'on les considère comme un symbole métaphysique ou physique, l'Arbre et le Serpent, ensemble ou séparément, n'ont jamais été aussi dégradés par l'antiquité [II 128] qu'ils le sont maintenant, à notre époque où l'on brise les idoles, non pas pour l'amour de la vérité, mais afin de glorifier la matière la plus grossière. Les révélations et les interprétations contenues dans Rivers of Life du Général Forlong auraient stupéfié les adorateurs de l'Arbre et du Serpent aux jours de la sagesse archaïque des Chaldéens et des Egyptiens et même les premiers Shaivas auraient reculé d'horreur devant les théories et les suggestions de l'auteur de cet ouvrage. "L'idée de Payne Knigt et d'Inman que la Croix ou Tau n'est qu'une copie des organes masculins sous une forme triadique, est entièrement fausse", écrit M. G. Massey, qui prouve ce qu'il avance. Mais c'est ce que l'on pourrait dire à juste titre de presque toutes les interprétations modernes des symboles anciens. The Natural Genesis, œuvre monumentale de recherche et de pensée, la plus complète qui ait jamais été publiée sur ce sujet, car elle embrasse un champ plus large et donne plus d'explications que n'en ont donné tous les Symbologistes antérieurs, ne va cependant pas au-delà de la phase "psychothéiste" de la pensée antique. Payne Knigt et Inman n'avaient pourtant pas complètement tort, sauf en ce qu'ils ne se rendaient nullement compte que la signification de Croix et de Phallus qu'ils donnaient à l'Arbre de Vie, ne s'adaptait à ce symbole que dans les dernières et les plus basses phases du développement évolutif de l'idée de DONNEUR DE VIE. C'était la dernière et la plus grossière transformation physique de la nature, chez l'animal, l'insecte, l'oiseau et même la plante, car le double magnétisme créateur, sous forme d'attraction des contraires ou de polarisation sexuelle, agit sur la constitution du reptile et de l'oiseau comme sur celle de l'homme. D'ailleurs, les Symbologistes et les Orientalistes modernes ignorant, du premier au dernier, les vrais Mystères révélés par l'Occultisme, ne peuvent forcément percevoir que cette dernière phase. Si on leur disait que ce mode de procréation, qui est commun sur cette terre à l'universalité des êtres, n'est qu'une phase passagère, un moyen physique de fournir les conditions nécessaires pour produire les phénomènes de la vie et qu'il changera durant l'existence de la Race actuelle pour disparaître avec la prochaine Race-Racine, ils riraient d'une idée aussi superstitieuse et aussi peu scientifique. Mais les Occultistes les plus instruits l'affirment, parce qu'ils le savent. Les êtres vivants, ceux qui procréent leur espèce, sont les témoins vivants de l'existence de divers modes de procréation dans l'évolution des espèces et des races animales et humaines et le Naturaliste devrait avoir l'intuition de cette vérité, tout en étant encore incapable de la démontrer. Comment le pourrait-il, en effet, avec la manière de penser actuelle ! Les points de repère de l'histoire archaïque du [II 129] Passé sont peu nombreux et ceux que les hommes de Science rencontrent sont pris par eux pour les poteaux indicateurs de notre ère infime. Même la prétendue "histoire universelle" (?) n'embrasse qu'un champ minuscule de l'étendue presque illimitée des régions inexplorées de notre Cinquième et dernière Race-Racine. Aussi, chaque nouveau poteau indicateur, chaque nouveau glyphe de l'archaïque Passé que l'on découvre, est ajouté au vieil amas d'informations pour être interprété de la même façon que les conceptions préexistantes et sans tenir aucunement compte du cycle spécial de la pensée auquel ce glyphe particulier peut appartenir. Comment la Vérité pourra-t-elle se faire jamais jour si l'on ne change pas de méthode ?
Au commencement de leur existence commune, en qualité de glyphe de l'Etre Immortel, l'Arbre et le Serpent étaient donc vraiment des images divines. L'Arbre était renversé, ses racines prenaient naissance dans le Ciel et émanaient de la Racine sans Racine du Tout-Etre. Son tronc grandit et se développa, traversant les plans du Plérôme ; il projeta en tous sens ses branches luxuriantes, d'abord sur le plan de la matière à peine différenciée, puis de haut en bas, jusqu'à ce qu'elles touchent le plan terrestre. C'est pourquoi l'Arbre Ashvattha de la Vie et de l'Etre, dont la destruction seule conduit à l'immortalité, est décrit dans la Bhaghavad Gîtâ comme poussant avec les racines en haut et les branches en bas 245. Les racines représentent l'Etre Suprême ou Cause Première, le LOGOS, mais il faut aller au-delà de ces racines pour s'unir avec Krishna qui, au dire d'Arjouna, est "plus grand que Brahman et que la Cause Première... l'indestructible, ce qui est, ce qui n'est pas et ce qui est au-delà d'eux" 246. Ses branches sont Hiranyagarbha (Brahmâ ou Brahman dans ses plus hautes manifestations, disent Shrîdhara Svâmin et Madhousoudana), les plus hauts Dhyan-Chohans ou Dévas. Les Védas sont ses feuilles. Celui-là seul qui va au-delà des racines ne reviendra jamais, c'est-à-dire ne se réincarnera plus pendant cet "Age" de Brahmâ.
245 Chapitre XV, v. 1-2.
246 Chapitre XI, v. 37.
Ce n'est que lorsque ses purs rameaux eurent touché la boue terrestre du Jardin d'Eden de notre Race Adamique que cet Arbre fut souillé par ce contact et perdit sa pureté primitive et que le Serpent de l'Eternité, le LOGOS Né du Ciel, fut finalement dégradé. Dans les temps jadis, à l'époque des Dynasties divines sur Terre, le reptile, aujourd'hui redouté, était considéré comme le premier rayon de lumière qui eût jailli de l'abîme du Mystère divin. Les formes qu'on lui prêtait étaient multiples et l'on y adapta de nombreux [II 130] symboles naturels, au cours des æons qu'il traversa ; c'est du Temps infini (Kâla) lui-même qu'il tomba dans l'espace et le temps évolués par la pensée humaine. Ces formes étaient Cosmiques et astronomiques, théistiques et panthéistiques, abstraites et concrètes. Elles devinrent tour à tour le Dragon Polaire et la Croix du Sud, l'Alpha du Dragon des Pyramides et le Dragon Hindou-Bouddhiste qui menace toujours le Soleil durant ses éclipses, mais sans jamais l'avaler. Jusqu'alors l'Arbre restait toujours vert, car il était arrosé par les Eaux de la Vie ; le grand Dragon restait toujours divin tant qu'il était maintenu dans la limite des champs sidéraux. Mais l'Arbre poussait et ses branches inférieures finirent par toucher les régions infernales notre Terre. C'est alors que le grand serpent Nidhögg celui qui dévore les cadavres des méchants dans la "Salle de Misère" (la vie humaine), dès qu'ils sont plongés dans "Hwergelmir" le chaudron bouillonnant (des passions humaines) – rongea l'Arbre renversé du Monde. Les vers de la matérialité couvrirent les racines autrefois saines et puissantes et montent maintenant de plus en plus haut sur le tronc ; durant ce temps, le Serpent Midgard, enroulé sur lui-même au fond des Mers, entoure la Terre et, par l'influence de son souffle venimeux, la rend impuissante à se défendre.
Les Dragons et les Serpents de l'antiquité ont tous sept têtes d'après l'allégorie – "une tête pour chaque race, chaque tête porte sept cheveux". Oui, depuis Ananta, le Serpent de l'Eternité qui porte Vishnou durant le Manvantara, depuis le premier Shesha original dont les sept têtes sont transformées en "mille têtes" par l'imagination pourânique, jusqu'au Serpent Akkadien à sept têtes. Cela symbolise les Sept Principes dans toute la Nature et dans l'homme, et la tête la plus haute, ou celle du milieu, est la septième. Ce n'est plus du Sabbat Mosaïque ou Juif que parle Philon dans sa Création du Monde, lorsqu'il dit que le monde fut complété "d'après la nature parfaite du nombre 6", car :
Lorsque cette raison [nous] qui est sacrée par accord avec le nombre 7 est entrée dans l'âme [ou plutôt dans le corps vivant] le nombre 6 se trouve arrêté, ainsi que toutes les choses mortelles issues de ce nombre.
Et aussi :
Le nombre 7 est le jour de fête de toute la Terre, l'anniversaire du monde. Je ne sais si quelqu'un serait capable de célébrer le nombre 7 en termes appropriés 247.
247 De Mundi Opif., Par., pp. 30 et 419.
L'auteur de The Natural Genesis pense que : [II 131]
Le groupe de sept étoiles qui est visible dans la Grande Ourse [les Saptarishis] et le Dragon à sept têtes, ont fourni visiblement une base à la division symbolique du temps par sept, citée plus haut. La déesse des sept étoiles était la mère du temps, en tant que Kep, d'où vinrent les mots Kepti et Sebti pour désigner les deux temps et le nombre 7. Elle est donc nommée l'étoile des Sept. Sevekh (Kronos), fils de la déesse, est dénommé le sept ou le septième. Il en est de même de Sefekh Abu qui construit la maison en haut, de même que la Sagesse (Sophia) construisit la sienne avec sept piliers... Les kronotypes primitifs étaient sept, de sorte que le commencement du temps dans les cieux est basé sur le nombre sept et sur son nom, à cause des étoiles qui le démontrent. Les sept étoiles, au cours de leur révolution annuelle, conservaient, en quelque sorte, l'index de la main droite tendu en décrivant un cercle dans le ciel supérieur et le ciel inférieur 248. Le nombre 7 donna naturellement l'idée d'une mesure par sept, qui conduisit à ce que l'on pourrait appeler la numération Septagésimale et à l'arrangement et à la division du cercle en sept sections correspondantes qui furent assignées aux sept grandes constellations. C'est ainsi que fut formée dans les cieux l'heptanomis céleste de l'Egypte.
Lorsque l'heptanomis stellaire fut rompue et divisée en quatre parties, on la multiplia par quatre et les vingt-huit signes prirent la place des sept constellations primitives ; le zodiaque lunaire, qui comprenait vingt-huit signes, était le résultat trouvé en calculant vingt-huit jours pour la lune, ou pour un mois lunaire 249. Dans l'arrangement chinois, les quatre sept sont attribués à quatre génies qui président aux quatre points cardinaux 250, ou, plutôt les sept constellations du Nord constituent le Guerrier Noir, les sept de l'Orient (automne chinois) constituent le Tigre Blanc, les sept du Sud sont l'Oiseau Rouge et les sept de l'Occident (appelées printanières) sont le Dragon Bleu. Chacun de ces quatre esprits préside son heptanomis pendant une semaine lunaire. La source de la première heptanomis (Typhon des sept étoiles) prit alors un caractère lunaire... Dans cette phase nous constatons que la déesse Sefekh, dont le nom signifie le nombre 7, est le mot féminin, ou le Logos à la place de la mère du temps, qui était le premier Mot, en sa qualité de déesse des Sept Etoiles 251.
L'auteur montre que c'était la déesse de la Grande Ourse et la Mère du Temps qui était en Egypte, depuis les temps [II 132] les plus reculés, le "Mot Vivant", et que Sevekh-Kronos, dont le type était le Crocodile- Dragon, forme pré-planétaire de Saturne, était appelé son fils et son époux ; il était son Mot-Logos 252.
248 C'est pour la même raison que la division des principes dans l'homme est ainsi comptée, parce qu'ils décrivent le même cercle dans la nature humaine supérieure et inférieure.
249 Ainsi la division septénaire est la plus ancienne et précéda la division quadruple. C'est la source de la classification archaïque.
250 Dans le Bouddhisme et l'Esotérisme chinois, les génies sont représentés par quatre dragons – les Mahârâjahs des Stances.
251 Op. Cit., II, 312-313.
252 Ibid., I, 321.
Ce que nous venons d'écrire est très simple, mais ce ne fut pas seulement la connaissance de l'astronomie qui conduisit les Anciens à l'emploi de la numération Septagésimale. La cause première en est bien plus profonde, et nous l'expliquerons au moment voulu.
Les citations que nous venons de faire ne constituent pas des digressions. On les donne parce qu'elles expliquent la raison pour laquelle un Initié complet était appelé un "Dragon", un "Serpent", un "Nâga", et parce que les prêtres des premières dynasties d'Egypte se servaient de notre division septénaire pour la même raison et en s'appuyant sur la même base que nous. Cela demande, pourtant, une explication complémentaire. Comme nous l'avons déjà dit, ce que M. Gerald Massey appelle les Quatre Génies des quatre points cardinaux, et les Chinois le Guerrier Noir, le Tigre Blanc, l'Oiseau Rouge et le Dragon Bleu, est appelé dans les Livres Secrets "Les Quatre Dragons Cachés de la Sagesse" et les "Nâgas Célestes". On a ailleurs montré que le Dragon-Logos aux sept têtes, ou septénaire, fut partagé, pour ainsi dire, au cours du temps en quatre portions heptanomiques, ou en vingt-huit parties. Dans le mois lunaire chaque semaine a un caractère occulte différent, chacun des vingt-huit jours a ses caractéristiques spéciales, car chacune des douze constellations, qu'elle soit prise séparément ou en combinaison avec d'autres signes, a une influence occulte tant pour le bien que pour le mal. Cela représente la somme de savoir que les hommes peuvent acquérir sur cette terre ; mais peu nombreux sont ceux qui l'acquièrent, et plus rares encore les hommes sages qui atteignent à la racine de la connaissance symbolisée par le grand Dragon-Racine, le LOGOS Spirituel de ces signes visibles. Mais ceux qui y arrivent reçoivent le nom de "Dragons", et sont les "Arhats des Quatre Vérités des Vingt-Huit Facultés" ou attributs, et on les a toujours appelés ainsi.
Les Néo-Platoniciens d'Alexandrie affirmaient que, pour devenir de vrais Chaldéens ou Mages, on devait s'assimiler la science ou la connaissance des périodes des Sept Régents du Monde, en qui réside toute sagesse. On attribue à Jamblique une autre version qui ne change cependant pas la signification de la précédente, car il dit :
Les Assyriens ont non seulement conservé les annales de vingt-sept myriades d'années, comme l'assure Hipparque, mais encore [II 133] celles de tous les apocatastases et de toutes les périodes des Sept Régents du Monde 253.
Les légendes de toutes les nations et de toutes les tribus, tant civilisées que sauvages, établissent la croyance, jadis universelle, dans la grande sagesse et dans l'habileté des Serpents. Ce sont des "charmeurs". Ils hypnotisent l'oiseau du regard et souvent l'homme lui-même ne réussit pas à surmonter leur influence fascinatrice. Le symbole est donc fort bien choisi.
Le crocodile est le Dragon des Egyptiens. C'était le double symbole du Ciel et de la Terre, du Soleil et de la Lune, et on le consacrait à Osiris et à Isis à cause de sa nature amphibie. D'après Eusèbe, les Egyptiens représentaient le Soleil dans un vaisseau dont il était le pilote, vaisseau tiré par un Crocodile, "pour indiquer le mouvement du Soleil dans l'Humidité (l'Espace)" 254. Le Crocodile était, en outre, le symbole de la Basse-Egypte elle-même, qui était la plus marécageuse des deux parties du pays. Les alchimistes prétendent avoir une autre interprétation. Ils disent que le symbole du Soleil dans le Vaisseau voguant sur l'Ether de l'Espace signifiait que la Matière Hermétique est le principe ou la base de l'Or, ou encore du Soleil philosophique. L'Eau dans laquelle nage le Crocodile est cette Eau ou cette Matière liquéfiée ; enfin le Vaisseau lui-même représente le Vaisseau de la Nature, dans lequel le Soleil ou le principe sulfurique igné joue le rôle de pilote, parce que c'est le Soleil qui dirige le travail par son action sur l'Humidité ou Mercure. Cela n'est que pour les Alchimistes.
253 PROCLUS, Tim., I.
254 Prep. Evang., I, III, 3.
Le Serpent ne devint le type et le symbole du mal et du Diable que durant le Moyen Age. Les premiers Chrétiens, ainsi que les Gnostiques Ophites, avaient leur double Logos ; le Bon et le Mauvais Serpent, l'Agathodaïmon et le Kakodaïmon. C'est démontré par les écrits de Marcus, de Valentin et de beaucoup d'autres, et surtout dans Pistis Sophia, document datant certainement des premiers siècles du christianisme. Sur le sarcophage de marbre d'un tombeau découvert en 1852 près de la Porta Pia, l'on voit la scène de l'adoration des Mages, "ou bien", dit feu C. W. Kings, dans The Gnostics and Their Remains, "le prototype de cette scène, la Naissance du Nouveau Soleil". Le parquet en mosaïque laissait voir un curieux dessin qui eût pu représenter, ou bien Isis allaitant Harpocrate enfant, ou bien la Madone nourrissant l'enfant Jésus. Dans les sarcophages plus petits qui entouraient le plus grand on trouva plusieurs feuilles de plomb, roulées comme des manuscrits et dont onze portaient un texte que [II 134] l'on pouvait encore déchiffrer. On devrait considérer leur contenu comme la solution finale d'une question très controversée, car il prouve, soit que les premiers chrétiens, jusqu'au sixième siècle, furent des païens bona fide, soit que le Christianisme dogmatique fut un emprunt global et passa tel quel dans l'Eglise Chrétienne – Soleil, Arbre, Serpent, Crocodile et tout le reste.
Sur la première de ces feuilles l'ont voit Anubis... tenant un rouleau ; à ses pieds sont deux bustes féminins ; au-dessous du tout se voient deux serpents enroulés autour... d'un cadavre enveloppé comme une momie. Dans le second rouleau... Anubis tient une croix, le "Signe de Vie". Sous ses pieds gît le cadavre enveloppé dans les replis multiples d'un énorme serpent, l'Agathodaïmon, gardien du défunt... Dans le troisième rouleau... le même Anubis porte sur son bras un objet oblong... tenu de façon à donner à l'ensemble du personnage la forme d'une croix latine complète... Aux pieds du Dieu se trouve un rhomboïde, "l'Œuf du Monde" des Egyptiens, vers lequel rampe un serpent roulé en cercle... Sous les... bustes... est la lettre ω reproduite sept fois sur une ligne et rappelant l'un des "Noms"... Très remarquable aussi est la ligne de caractères, apparemment Palmyriens, qui sont sur les jambes du premier Anubis. Quant à la forme du serpent, en supposant que ces talismans émanent, non pas du culte d'Isis, mais de celui plus récent des Ophites, elle peut bien représenter ce "Serpent vrai et parfait" qui "mène hors de l'Egypte, c'est-à- dire du corps, les âmes de tous ceux qui ont confiance en lui, et les conduit à travers la Mer Rouge de la Mort dans la Terre Promise, en les protégeant durant la route contre les Serpents du Désert, c'est-à-dire contre les Régents des Etoiles 255.
Ce "Serpent Vrai et parfait" est le Dieu aux sept lettres qui passe maintenant pour être Jéhovah, et Jésus Un avec lui. Le candidat à l'initiation est envoyé à ce Dieu aux sept voyelles par le "Premier Mystère" 256, dans Pistis Sophia, œuvre qui est antérieure à l'Apocalypse de saint Jean et qui est évidemment due à la même école. Les (le Serpent des) sept tonnerres articulèrent ces sept voyelles, mais "scellez ces choses que les sept tonnerres ont articulées et ne les écrivez pas", dit l'Apocalypse 257. "Cherchez-vous ces mystères ?" demande Jésus dans Pistis Sophia. "Nul mystère n'est plus excellent qu'elles [les sept voyelles], car elles conduiront vos âmes dans la Lumière des Lumières", c'est-à-dire dans la vrai Sagesse. "Rien n'est donc plus excellent que les mystères [II 135] que vous cherchez à l'exception du mystère des Sept Voyelles, de leurs quarante- neuf Pouvoirs et de leurs nombres".
255 Op. Cit., pp. 366-8.
256 "est envoyé par Christos" dans l'édition de 1888.
En Inde, c'était le mystère des sept FEUX, de leur quarante-neuf Feux ou aspects ou de "leurs nombres".
Ces Sept Voyelles sont représentées par les signes de la Svastika sur les couronnes des sept têtes du Serpent de l'Eternité, dans l'Inde, chez les Bouddhistes ésotériques, en Egypte, en Chaldée, etc., et chez les Initiés de tous les autres pays. Ce sont les Sept Zones de l'ascension post mortem dans les écrits Hermétiques, zones dans chacune desquelles le "Mortel" quitte l'une de ses "Ames" ou Principes, jusqu'à ce qu'arrivé au plan qui domine toutes les zones, il y reste en qualité de grand Serpent Sans Forme de la Sagesse Absolue ou de la Divinité Elle-même. Le Serpent à sept têtes a plus d'une signification dans les enseignements cachés. C'est le Dragon aux sept têtes dont chacune est une étoile de la Petite Ourse ; mais c'était aussi, et avant tout, le Serpent des Ténèbres, inconcevable et incompréhensible, dont les sept têtes étaient les sept Logoï, reflets de la première et unique Lumière manifestée – le Logos Universel.
257 X, 4.
[II 136]