SECTION XIV
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LES QUATRE ELEMENTS
Voir 374.
374 Voir Addenda, Sections 11 et 12.
METAPHYSIQUEMENT et ésotériquement, il n'existe qu'UN ELEMENT dans la Nature, et à sa source se trouve la Divinité ; les prétendus sept Eléments, dont cinq ont déjà manifesté et affirmé leur existence, ne sont que l'enveloppe, le voile de cette Divinité, de l'essence de laquelle l'HOMME provient directement, qu'on le considère au point de vue physique, psychique, mental ou spirituel. Dans l'antiquité la moins reculée, on ne parle ordinairement que de quatre Eléments, tandis que la philosophie n'en admet que cinq. Le corps de l'Ether n'est pas encore entièrement manifesté et son noumène est encore le "Père Omnipotent Æther", la synthèse des autres. Que sont donc ces "ELEMENTS" dont la Chimie et la Physique ont reconnu que les corps composés renfermaient d'innombrables sous-éléments, dont les soixante ou soixante-dix connus n'épuisent pas ce qu'on en soupçonne ? Suivons leur évolution, au moins depuis leurs commencements historiques.
Les Quatre Eléments furent pleinement caractérisés par Platon, lorsqu'il a dit qu'ils étaient ce "qui compose et décompose les corps composés". Par conséquent la Cosmolâtrie ne fut jamais, même sous son pire aspect, le fétichisme qui adore la forme passive externe et la matière de n'importe quel objet, mais elle chercha toujours le noumène qu'il renfermait. Le Feu, l'Air, l'Eau, la Terre ne furent que les enveloppes visibles, les symboles des Ames ou Esprits invisibles qui les animaient, ou des Dieux Cosmiques, auxquels les ignorants vouaient un culte, mais dont les plus sages se bornaient simplement, mais respectueusement, à reconnaître l'existence. Les subdivisions phénoménales des Eléments nouménaux étaient, à leur tour, animées par ce que l'on appelle les Elémentaux, les "Esprits de la Nature" d'un rang inférieur.
Dans la Théogonie de Môchus, nous trouvons d'abord l'Ether, puis l'Air ; les deux principes auxquels Ulom le Dieu intelligible (νοητὸς), l'Univers visible de la Matière, doit sa naissance 375.
Dans les hymnes Orphiques, l'Erôs-Phanès évolue hors de l'Œuf Spirituel qu'imprègnent les Vents Æthérés, le Vent [II 198] étant "l'Esprit de Dieu" qui est censé se mouvoir dans l'Æther, "couvant le Chaos", l'Idée" Divine. Dans la Kathopanishad hindoue, Pourousha, l'Esprit Divin, se tient déjà devant la matière originale et de leur union jaillit la grande Ame du Monde, "Mahâ-Atmâ, Brahman, l'Esprit de Vie 376" ; ces dernières appellations sont encore identiques à celle d'Ame Universelle ou Anima Mundi et la Lumière Astrale des Théurgistes et des Cabalistes est sa dernière et sa plus basse division.
Les Eléments (στοιχει̃α) de Platon et d'Aristote étaient, par conséquent, les principes non corporels attachés aux quatre grandes divisions de notre Monde Cosmique et c'est avec raison que Creuzer définit ces croyances primitives comme étant "une espèce de magie, un paganisme psychique et une déification des pouvoirs ; une spiritualisation qui plaçait les croyants dans une étroite communauté avec ces pouvoirs 377". Si étroite, en effet, que les Hiérarchies de ces Pouvoirs ou Forces ont été classifiées suivant une échelle graduée qui en comprend sept, depuis le pondérable jusqu'à l'impondérable. Elles sont Septénaires, non pas d'une manière artificielle pour faciliter leur compréhension, mais suivant leur réelle graduation Cosmique, depuis leur composition chimique ou physique, jusqu'à leur composition spirituelle. Pour les masses ignorantes ce sont des Dieux, des Dieux indépendants et suprêmes ; ce sont des Démons pour les fanatiques qui, tout en étant parfois intellectuels, sont incapables de comprendre l'Esprit de la phrase philosophique, in pluribus unum [un en plusieurs, l'unité dans la diversité]. Pour le philosophe Hermétique, ce sont des FORCES relativement "aveugles" ou "intelligentes", selon qu'il a affaire à l'un ou à l'autre des principes qu'elles renferment. Il a fallu plusieurs millénaires avant qu'elles aient été finalement réduites, à notre époque de culture, au rôle de simples éléments chimiques.
375 MOVERS, Phoinizer, 282.
376.Weber, Akad. Vorles, 213, 214, etc.
377 IX, 850.
En tout cas, les bons chrétiens, et surtout les Protestants Bibliques devraient montrer plus de respect pour les Quatre Eléments, s'ils voulaient en conserver un peu pour Moïse. La Bible, en effet, prouve, à chaque page du Pentateuque, la considération qu'avait pour eux le Législateur hébreu et le sens mystique qu'il leur attribuait. La tente qui contenait le Saint des Saints était un Symbole Cosmique, consacré, dans une de ses significations, aux Eléments, aux quatre points cardinaux et à l'ETHER. Josephe nous la décrit comme étant la couleur blanche, la couleur de l'Ether. Cela explique aussi pourquoi, dans les temples égyptiens et hébreux, selon Clément d'Alexandrie 378, un rideau gigantesque, porté par cinq [II 199] piliers, séparait de la partie accessible aux profanes, le Sanctum Sanctorum – représenté aujourd'hui par l'autel dans les églises chrétiennes – où les prêtres seuls étaient autorisés à entrer. Par ses quatre couleurs, ce rideau symbolisait les quatre Eléments principaux et [avec les cinq piliers] signifiait la connaissance de ce qui est divin, que les cinq sens permettent à l'homme d'acquérir à l'aide des quatre Eléments.
Dans les Anciens Fragments, de Cory, un des "Oracles Chaldéens" exprime des idées au sujet des éléments et de l'Ether, dans un langage qui ressemble singulièrement à celui de The Unseen Universe, écrit par deux éminents savants de nos jours.
Il dit que toutes choses proviennent de l'Ether, et que tout retournera à lui ; que les images de toutes choses y sont imprimées d'une façon indélébile et que c'est là la réserve des germes ou restes de toutes les formes visibles et même de toutes les idées. On dirait que ce cas corrobore d'une étrange façon notre affirmation, que quelles que soient les découvertes que l'on puisse faire de nos jours on constatera qu'elles avaient déjà été faites des milliers d'années auparavant par nos "ancêtres simples d'esprit" 379.
D'où vinrent les Quatre Eléments et le Malachim des Hébreux ? On est arrivé à les confondre avec Jéhovah, grâce à un tour de main théologique accompli par les Rabbins et les derniers Pères de l'Eglise, mais leur origine est identiquement la même que celle des Dieux Cosmiques de toutes les autres nations. Les symboles qui les désignent, qu'ils soient nés sur les bords de l'Oxus, dans les sables brûlants de la Haute-Egypte, dans les forêts sauvages, mystérieuses et glaciales qui couvrent les flancs et les pics neigeux des montagnes sacrées de Thessalie, ou bien encore dans les Pampas d'Amérique, ces symboles, nous le répétons, sont toujours les mêmes lorsque l'on remonte à leur source. Qu'il fût Egyptien ou Pélasgien, Aryen ou Sémitique, le Genius Loci, le Dieu Local, embrassait dans son unité toute la Nature, mais pas plus les quatre éléments qu'une quelconque de leurs créations, comme les arbres, les fleuves, les montagnes ou les étoiles. Le Genius Loci, idée tardive des dernières races de la Cinquième Race-Racine, lorsque la signification primitive et grandiose fut presque perdue, représentait toujours, sous ses divers titres, tous ses collègues. C'était le Dieu du Feu, symbolisé par le tonnerre, comme Jove ou Agni ; le Dieu de l'Eau, symbolisé par le taureau fluvial ou par un fleuve ou une fontaine sacrés, comme Varouna, Neptune, etc. ; le Dieu de l'Air, se manifestant dans l'ouragan et la tempête, comme Vâyou et [II 200] Indra et le Dieu ou l'Esprit de la Terre, qui apparaissait dans les tremblements de terre, comme Pluton, Yama et tant d'autres.
378 Stromala, I, V. 6.
379 Voir Isis Dévoilée.
Tels étaient les Dieux Cosmiques, se fondant toujours tous en un seul, comme on le constate dans toutes les cosmogonies ou mythologies. Ainsi les Grecs avaient leur Jupiter de Dodone, qui renfermait en lui-même les quatre Eléments et les quatre points cardinaux et qui, donc, était reconnu par la Rome antique, sous le titre panthéiste de Jupiter Mundus ; maintenant, dans la Rome moderne, il est devenu le Deus Mundus, l'unique Dieu du Monde, qui est représenté, dans la théologie la plus récente, comme absorbant tous les autres en vertu de la décision arbitraire de ses ministres particuliers.
En leur qualité de Dieux du Feu, de l'Air et de l'Eau, ils étaient des Dieux Célestes ; en leur qualité de Dieux de la région inférieure, ils étaient les Divinités infernales, mais ce dernier adjectif s'appliquait simplement à la Terre. Ils étaient les "Esprits de la Terre" sous leurs noms respectifs de Yama, Pluton, Osiris, le "Seigneur du Royaume Inférieur", etc., et leur caractère tellurique le prouve suffisamment. Les Anciens n'avaient connaissance d'aucun séjour, après la mort, pire que le Kama-Loka, les Limbes sur cette Terre 380. Si l'on prétend que le Jupiter de Dodone était identifié à Dès ou le Pluton des Romains à Dyonysus Chthonius, le Souterrain, et à Aïdoneus le Roi du Monde Souterrain, dans lequel, selon Creuzer 381, les oracles étaient donnés, les Occultistes auront alors du plaisir à prouver qu'Aïdoneus et Dionysus sont les bases d'Adonaï, ou de Iurbo-Adonaï comme on appelle Jéhovah dans le Codex Nazaraeus. "Tu n'adoreras pas le Soleil, qui s'appelle Adonaï, dont le nom est aussi Kadush et El-El 382" et "le Seigneur Bacchus". Le Baal-Adonis des Sôds, ou Mystères, des Juifs pré-babyloniens, devint l'Adonaï chez les Massorah et fut plus tard écrit Jéhovah. Par conséquent les Catholiques Romains ont raison. Tous ces Jupiters sont de la même famille, mais il faut y comprendre Jéhovah pour la rendre complète. Le Jupiter Aérius ou Pan, le Jupiter-Ammon et le Jupiter Bel-Moloch, sont tous des corrélations et ne font qu'un avec Iurbo-Adonaï, parce qu'ils sont tous de la même Nature Cosmique. C'est cette Nature et ce Pouvoir qui créent le symbole terrestre spécifique et son enveloppe [II 201] physique et matérielle, ce qui prouve que l'Energie qui s'y manifeste est extrinsèque.
La religion primitive était, en effet, quelque chose de mieux qu'une simple préoccupation au sujet des phénomènes physiques, comme l'a fait remarquer Schelling ; et des principes, plus élevés que ceux dont nous avons connaissance, nous les Saducéens modernes, "étaient cachés sous le voile transparent de divinités purement naturelles, comme le tonnerre, le vent et la pluie". Les Anciens connaissaient et savaient distinguer les Eléments corporels des Eléments spirituels, dans les Forces de la Nature.
Le Jupiter quadruple, comme aussi le Brahma à quatre faces, le Dieu aérien, fulgurant, terrestre et marin, le seigneur et maître des quatre Eléments, peuvent être considérés comme représentant les grands Dieux Cosmiques de toutes les nations. Bien que déléguant son pouvoir sur le feu à Hephaestus-Vulcain, sur la mer à Poseidon-Neptune et sur la Terre à Pluton-Aïdoneus, le Jove AERIEN les englobait tous, car l'Æther avait, dès le début, le pas sur tous les Eléments dont il était la synthèse.
La tradition parle d'une grotte, d'une vaste caverne dans les déserts de l'Asie Centrale, dans laquelle la lumière pénètre par quatre ouvertures ou fentes, qui semblent naturelles et qui sont placées en croix, face aux quatre points cardinaux. Depuis midi jusqu'à une heure avant le coucher du soleil, la lumière entre à flots, sous quatre couleurs différentes, affirme-t-on, rouge, bleue, orange doré et blanche, par suite des conditions, naturelles ou artificielles, de la végétation et du sol. La lumière converge au centre autour d'un pilier de marbre blanc, surmonté d'un globe représentant notre terre. On l'appelle la "Grotte de Zarathoustra".
380 La Géhenne de la Bibleétait un vallon situé près de Jérusalem, où les Juifs monothéistes immolaient leurs enfants à Moloch, si l'on en croit le prophète Jérémie. Le Séjour scandinave de
Hel ou Héla était une région glaciale – encore le Kama-Loka – et l'Amenti des Egyptiens un endroit de purification. (Voir Isis Dévoilée, III, 17.)
381 I, VI, 1.
382 Cod Naz., I, 47 ; voir aussi les Psaumes, LXXXIX, 18.
Comprise parmi les arts et les sciences de la Quatrième Race, celle des Atlantes, la manifestation phénoménale des Quatre Eléments, que les croyants attribuaient avec raison à l'intelligente intervention des Dieux Cosmiques, revêtit un caractère scientifique. Toute la Magie des anciens prêtres consistait, à cette époque, à s'adresser à leurs Dieux dans leurs propres langues.
Le langage des hommes de la Terre ne peut atteindre les Seigneurs. Il faut s'adresser à chacun d'eux en employant le langage de son Elément respectif.
Ainsi s'exprime le Livre des Lois, en se servant d'une phrase qu'on montrera lourde de sens, et en ajoutant en guise d'explication sur la nature de ce langage des Eléments :
Il est composé de SONS et non pas de mots ; de sons, de nombres et de formes. Celui qui sait mêler les trois ensemble attirera la réponse du Pouvoir dirigeant [le Dieu-Régent de l'Elément spécial dont on a besoin]. [II 202]
Ce "langage" est donc celui des incantations ou des MANTRAS, comme on les appelle en Inde ; le son est, en effet, l'agent magique le plus puissant et le plus efficace et la première des clefs qui ouvrent la porte de communication entre les Mortels et les Immortels. Celui qui croit aux paroles et aux enseignements de saint Paul n'a pas le droit d'y choisir uniquement les phrases qu'il lui plaît d'accepter et de rejeter les autres ; or saint Paul enseigne incontestablement l'existence de Dieux Cosmiques et leur présence parmi nous. Le Paganisme prêchait une évolution double et simultanée, une "création" spiritualem ac mundanum [spirituelle et terrestre], comme dit l'Eglise Romaine, bien des siècles avant l'avènement de cette même Eglise Romaine. La phraséologie exotérique a introduit peu de changements en ce qui concerne les Hiérarchies Divines, depuis l'époque la plus glorieuse du Paganisme ou "Idolâtrie". Les noms seuls ont changé, en même temps que des prétentions qui sont devenues aujourd'hui absolument fausses. En effet, lorsque, par exemple, Platon met dans la bouche du Principe Supérieur, "le Père Æther" ou Jupiter, ces mots : "Les Dieux des Dieux dont je suis le créateur (Opifex), comme je suis le père de toutes leurs œuvres (operumque parens)", il connaissait l'esprit de cette phrase aussi complètement, pensons-nous, que saint Paul lorsqu'il disait : "Bien qu'il y en ait, en effet, que l'on appelle des Dieux, que ce soit dans le Ciel ou sur la Terre, car il y a de nombreux Dieux et de nombreux Seigneurs 383..." Tous deux connaissaient la signification et le sens de ce qu'ils avançaient dans des termes si mesurés.
[Les Protestants ne peuvent nous prendre à partie pour avoir interprété ainsi le verset des Corinthiens, car si la traduction donnée dans la Bibleanglaise est ambiguë, il n'en est pas de même dans les textes originaux, et l'Eglise Catholique Romaine accepte les dires de l'apôtre dans leur vrai sens. Comme preuve, lisez saint Denys l'Aréopagite qui était "directement inspiré par l'Apôtre" et "qui écrivit sous sa dictée" comme l'affirme le marquis de Mirville, dont les ouvrages sont approuvés par Rome et qui dit, en commentant ce verset : "Bien qu'il y en ait (en effet) qui soient appelés des Dieux, car il semble qu'il y ait, en réalité, plusieurs Dieux, quand même et malgré cela, le Dieu Principe ou Dieu Supérieur n'en reste pas moins essentiellement un et indivisible 384." Ainsi s'exprimaient les anciens Initiés, sachant que le culte des Dieux mineurs ne pouvait jamais nuire au "Dieu-Principe"] 385. [II 203]
383 I, Cor., VIII, 5.
384 Concerning Divine Names, traduction Darbory, 364. [Cité dans Des Esprits, Vol. II, p. 322.]
385 Voir de Mirville. Des Esprits, II, 322.
Sir W. Grove dit, en parlant de la corrélation des forces :
Les anciens, lorsqu'ils étaient témoins d'un phénomène naturel s'écartant des faits ordinaires et que n'expliquait aucune des actions mécaniques à eux connues, l'attribuaient à une âme, à un pouvoir spirituel ou surnaturel... L'air et les gaz furent d'abord considérés aussi comme spirituels, mais plus tard on leur attribua un caractère plus matériel et les mêmes mots πνευ̃µα esprit, etc., furent employés pour désigner l'âme ou un gaz. Le mot gaz, lui-même, tiré de geist, revenant ou esprit, nous fournit un exemple de la transformation graduelle d'une conception spirituelle en une conception physique 386.
Le grand homme de science, dans la préface de la sixième édition de son œuvre, considère cela comme étant la seule chose intéressant la Science exacte, qui n'a pas à s'occuper des CAUSES.
La cause et l'effet ne sont donc, dans leur relation abstraite avec ces forces, que de simples termes de convention. Nous ne savons rien du pouvoir générateur final de chacun d'eux et il en sera probablement toujours ainsi. Nous ne pouvons que déterminer la normale de leurs actions. Il nous faut humblement attribuer leur cause à une influence unique omniprésente et nous contenter d'étudier leurs effets et de développer, par des expériences, leurs relations mutuelles 387.
Cette méthode une fois acceptée et le système virtuellement admis tel que le décrivent les mots que nous venons de citer, c'est-à-dire en admettant la spiritualité du "pouvoir générateur final", il serait plus qu'illogique de refuser de reconnaître cette qualité inhérente aux éléments matériels ou plutôt à leurs composés, comme étant présente dans le feu, l'air, l'eau ou la terre. Les Anciens connaissaient si bien ces pouvoirs, que tout en cachant leur vraie nature sous des allégories diverses au profit ou au détriment de la foule ignorante, ils ne s'écartèrent jamais du multiple objectif qu'ils avaient en vue, même en les inversant. Ils s'efforcèrent à jeter un voile épais sur le noyau de vérité que cachait le symbole, mais ils essayèrent toujours de le conserver comme archive pour les générations futures et dans un état suffisamment transparent pour permettre à leurs sages d'apercevoir la vérité derrière l'apparence fabuleuse du glyphe ou de l'allégorie. Ces anciens sages sont accusés de superstition et de crédulité et cela par ces mêmes nations qui, bien que versées dans tous les arts et dans toutes les sciences modernes, bien que leur génération actuelle soit cultivée et sage, acceptent, [II 204] jusqu'à nos jours, pour leur unique Dieu vivant et infini, le "Jéhovah" anthropomorphe des Juifs.
386 The Correlation of Physical Forces, p. 89.
387 Ibid., XIV.
Voyons ce qu'étaient certaines de ces prétendues "superstitions !" Hésiode croyait, par exemple, que les vents étaient les fils du géant Tiphoêus", qu'Eole enchaînait ou déchaînait à volonté et les Grecs polythéistes adoptèrent cette idée comme Hésiode. Pourquoi ne l'auraient- ils pas fait, puisque les juifs monothéistes avaient les mêmes croyances, en choisissant d'autres noms pour leurs dramatis personae et puisque les chrétiens conservent cette même croyance jusqu'à nos jours ? L'Eole, le Borée, etc., d'Hésiode étaient nommés Kedem, Tzephum, Derum et Ruach Hagum par le "peuple élu" d'Israël. Quelle est donc la différence fondamentale ? Tandis que l'on enseignait aux Hellènes qu'Eole attachait et détachait les vents, les juifs croyaient tout aussi fermement que leur Seigneur Dieu soufflant la "fumée" par ses narines et le feu par sa bouche... volait, monté sur un chérubin et qu'on le voyait sur les ailes du vent 388. Les expressions employées par les deux nations sont toutes deux, soit des figures de rhétorique, soit des superstitions. Nous croyons qu'elles ne sont rien de tout cela mais qu'elles naissent d'un sentiment délicat d'unité avec la Nature et d'une conception de ce qu'il y a de mystérieux et d'intelligent derrière tout phénomène naturel, perception que les modernes ne possèdent plus. Ce n'était pas non plus "superstitieux", de la part des Grecs Païens, d'écouter l'oracle de Delphes, lorsque, à l'approche de la flotte de Xerxès, il leur conseilla de "sacrifier aux vents", si l'on doit considérer le même acte comme un Culte Divin, de la part des Israélites qui sacrifiaient souvent aussi au vent et surtout au feu. Ne disent-ils pas que leur "Dieu est un feu dévorant 389", qu'il apparaissait généralement sous l'aspect du feu et "entouré de feu" ? Elie ne chercha-t-il pas le "Seigneur" dans "le grand vent violent et dans le tremblement de terre" ? Les Chrétiens ne répètent-ils pas la même chose après eux ? Ne sacrifient-ils pas, même jusqu'à nos jours, au même "Dieu du Vent et de l'Eau" ? Ils le font, certes, car des prières spéciales pour la pluie, la sécheresse, les vents propices et l'apaisement des orages sur mer existent jusqu'à présent dans les livres de prières des trois Eglises Chrétiennes et les quelques centaines de sectes de la religion Protestante les offrent à leur Dieu à chaque menace de calamité. Le fait qu'elles ne sont pas plus exaucées par Jéhovah qu'elles ne l'étaient probablement par Jupiter Pluvius, ne change rien au fait que ces prières sont adressées au Pouvoir ou aux Pouvoirs que l'on suppose gouverner les Eléments, ni au fait que ces Pouvoirs sont identiques dans le Paganisme [II 205] et dans le Christianisme. Ou faut-il croire que ces prières sont une forme d'idolâtrie grossière et de "superstition" absurde, seulement lorsqu'elles sont adressées par un Païen à son "idole" et que cette même superstition est, tout à coup, changée en louable piété et en religion dès que le nom du destinataire céleste est modifié ? Mais on reconnaît l'arbre à ses fruits, et le fruit de l'arbre Chrétien ne valant pas mieux que celui de l'arbre Païen, pourquoi le premier imposerait-il plus de respect que le dernier ?
Ainsi, lorsque le chevalier Drach, un juif converti et le marquis de Mirville, un fanatique Catholique Romain de l'aristocratie Française, nous apprennent qu'en hébreu éclair est synonyme de furie et que l'éclair est toujours manié par l'Esprit mauvais ; que Jupiter Fulgur ou Fulgurans est aussi appelé par les chrétiens, Elicius et dénoncé comme étant l'âme de l'éclair, son Daïmon 390, il nous faut appliquer la même explication et les mêmes définitions au "Seigneur Dieu d'Israël", dans les mêmes circonstances, ou renoncer à notre droit d'injurier les Dieux et les croyances des autres nations.
Les données que nous venons de citer, émanant de deux Catholiques Romains ardents et érudits, sont tout au moins dangereuses en présence de la Bibleet de ses prophètes. En effet, si Jupiter, le "Daïmon en chef des Grecs Païens", lançait sa foudre mortelle et ses éclairs contre ceux qui excitaient sa colère, le Seigneur Dieu d'Abraham et de Jacob en faisait autant, car nous lisons que :
Le Seigneur lança le tonnerre du haut du ciel et le Très Haut fit entendre sa voix. Il lança des flèches [la foudre] et les éparpilla [les armées de Saül] ; il envoya l'éclair et les mit en déroute 391.
On accuse les Athéniens d'avoir sacrifié à Borée et l'on accuse ce "Daïmon" d'avoir fait faire naufrage à 400 vaisseaux de la flotte des Perses sur les rochers du mont Pélion et d'avoir déployé une telle furie, que tous les Mages de Xerxès purent à peine le neutraliser, en offrant des contre- sacrifices à Thétis 392. Fort heureusement, on ne cite, au cours des guerres chrétiennes, aucun cas authentique ou une catastrophe de ce genre, sur la même échelle que celle-ci, ait frappé une flotte chrétienne grâce aux "prières" d'une autre nation chrétienne, son ennemie. Non pas que l'on ait à leur reprocher un manque de zèle, car chacune prie Jéhovah de détruire l'autre aussi ardemment que le faisaient les Athéniens en invoquant Borée. Les uns comme les autres recouraient con amore à un joli petit acte de magie noire. Puisque l'abstention de toute intervention divine ne saurait guère [II 206] être attribuée à un manque de prières adressées à un même Dieu Tout-Puissant pour la destruction mutuelle, où donc pouvons-nous tracer la ligne de démarcation qui sépare le Païen du Chrétien ? Qui pourrait douter de la joie qu'éprouverait toute l'Angleterre Protestante et des actions de grâce qu'elle adresserait au Seigneur si, pendant quelque guerre future, quatre cents vaisseaux de la flotte ennemie venaient à faire naufrage, grâce à de saintes prières de ce genre ? Quelle est donc, nous le demandons encore une fois, la différence qui existe entre un Jupiter, un Borée et un Jéhovah ? Elle se borne à ceci : le crime d'un proche parent, d'un père par exemple, est toujours excusé et souvent loué, tandis que le crime du parent d'un voisin est toujours joyeusement puni par la corde. Pourtant le crime est le même.
388 II, Sam., XXII, 9-11.
389 Deut., IV, 24.
390 Op. cit., III, 415.
391 II, Sam., XXII, 14-15.
392 Hérodote, Polymnia, 190, 191.
Jusqu'ici, les "bienfaits du Christianisme" ne semblent guère constituer un progrès appréciable sur la morale des Païens convertis.
Ce que nous venons d'écrire n'est ni une défense des Dieux Païens ni une attaque contre la Divinité Chrétienne et n'implique pas davantage notre croyance dans les premiers ou dans cette dernière. L'auteur est tout à fait impartial et repousse les témoignages en faveur de tous, car elle n'adresse de prières à aucun Dieu "personnel" et anthropomorphe de ce genre, ne croit à aucun et n'en craint aucun. Nous n'avons établi ces parallèles que pour mettre curieusement en relief le fanatisme illogique et aveugle du théologien civilisé. Jusqu'à présent, en effet, il n'y a pas une grande différence entre les deux croyances et il n'y en a aucune dans l'effet qu'elles produisent sur la moralité ou sur la nature spirituelle. La "Lumière du Christ" tombe maintenant sur des visages de l'homme animal, aussi hideux que l'étaient ceux sur lesquels tombait jadis la "Lumière de Lucifer". Le missionnaire Lavoisier dit dans le Journal des Colonies :
Ces malheureux païens, dans leur superstition, considèrent les Eléments eux-mêmes comme une chose possédant la compréhension !... Ils conservent toujours leur foi dans leur idole Vâyou, le Dieu ou, plutôt, le Démon du Vent et de l'Air... Ils croient fermement à l'efficacité de leurs prières et aux pouvoirs qu'ont leurs brahmanes sur les vents et les orages.
En réponse à cela, nous citerons un passage de Luc : "Et il [Jésus] se leva et réprimanda le vent et la fureur de l'eau, et ils cessèrent et le calme régna 393." Voici encore une autre citation tirée d'un Livre de Prières : "O Vierge de la mer, Mère et Souveraine bénie des eaux, calme tes vagues." Cette prière des marins napolitains et provençaux est copiée textuellement [II 207] sur celle qu'adressaient les marins phéniciens à leur Déesse- Vierge Astarté. La conclusion logique et incontestable qui découle des parallèles que nous avons établis et de la dénonciation du missionnaire, est que l'ordre adressé par les Brahmanes à leurs Dieux des Eléments ne restant pas "inefficace", le pouvoir de ces Brahmanes est ainsi placé au même niveau que celui de Jésus. De plus, il est prouvé qu'Astarté n'est pas le moins du monde inférieure en puissance à la "Vierge des Mers" des marins chrétiens. Il ne suffit pas de dire que son chien est enragé pour le pendre ; il faut prouver que le chien est coupable. Il est possible que Borée et Astarté soient des Diables dans l'imagination théologique, mais, comme nous venons de le dire, il faut juger l'arbre à son fruit et du moment où l'on constate que les chrétiens sont aussi immoraux et aussi méchants que l'ont été les païens, quel bienfait l'humanité a-t-elle tiré de son changement de Dieux et d'Idoles ?
393 VIII, 24.
Ce que l'on reconnaît à Dieu et aux Saints chrétiens le droit de faire, devient un crime chez un simple mortel s'il arrive à réussir. On considère maintenant la sorcellerie et les incantations comme des fables ; cependant, depuis les Institutes de Justinien jusqu'aux lois de l'Angleterre et de l'Amérique contre la sorcellerie – loi tombées en désuétude, mais qui n'ont pas été abrogées jusqu'à nos jours – toutes les lois punissaient de pareilles incantations, comme criminelles lors même qu'elles n'étaient que soupçonnées. Pourquoi punir une chimère ? Nous lisons, pourtant, que l'Empereur Constantin condamna à mort le philosophe Sopatrus pour avoir déchaîné les vents et avoir empêché des vaisseaux chargés de blé d'arriver à temps pour mettre fin à la famine. On se moque de Pausanias lorsqu'il affirme avoir vu de ses propres yeux "des hommes qui, par de simples prières et incantations", arrêtèrent un orage de grêle. Cela n'empêche pas les écrivains Chrétiens modernes de recommander la prière pendant l'orage et le danger et de croire à son efficacité. Hoppo et Stadlein, deux magiciens et sorciers, furent condamnés à mort pour "avoir jeté des charmes sur des fruits" et avoir transporté, par des moyens magiques, une moisson d'un champ à un autre, il y a de cela à peine un siècle, si nous en croyons le fameux écrivain Sprenger qui l'affirme : Qui fruges excantassent segetem pellicentes incantando [qui enchantèrent les fruits et enlevèrent la récolte par leur magie].
Terminons en rappelant au lecteur que l'on peut, sans la moindre ombre de superstition, croire à la nature double de tout objet existant sur Terre, à la Nature spirituelle et matérielle, visible et invisible et que la Science elle-même le prouve virtuellement, tout en niant ses propres démonstrations. En [II 208] effet, si, comme le dit Sir William Grove, l'électricité que nous manions n'est que le produit de la matière ordinaire, sur laquelle opère quelque chose d'invisible, le "pouvoir générateur ultime" de toute force, "l'influence unique omniprésente", il devient alors tout naturel de partager la croyance des Anciens, en vertu de laquelle tout Elément est double dans sa nature. "Le Feu ETHERE est l'émanation du Kabir proprement dit, le feu aérien n'est que l'union [la corrélation] du premier avec le feu terrestre et sa direction et son application sur notre plan terrestre appartient à un Kabir de moindre dignité" – peut-être un Elémental, comme l'appellerait un Occultiste – et l'on peut dire la même chose de tout Elément Cosmique.
Personne ne niera que l'être humain soit en possession de diverses forces, magnétiques, sympathiques, antipathiques, nerveuses, dynamiques, occultes, mécaniques, mentales, en un mot, de toutes sortes de forces et que les forces physiques sont toutes biologiques dans leur essence, puisqu'elles se mêlent et, souvent, se fondent avec les forces que nous avons appelées intellectuelles et morales, les premières étant, pour ainsi dire, les véhicules, les oupâdhis des secondes. Personne, parmi ceux qui ne refusent pas une âme à l'homme, n'hésiterait à dire que leur présence et leur mélange sont l'essence même de notre être ; qu'elles constituent en fait l'Ego dans l'homme. Ces pouvoirs ont leurs phénomènes physiologiques, physiques, mécaniques, tout comme leurs phénomènes nerveux, extatiques, clairaudients et clairvoyants, que la Science elle-même considère et admet maintenant comme étant parfaitement naturels. Pourquoi l'homme constituerait-il la seule exception dans la Nature et pourquoi les ELEMENTS eux-mêmes n'auraient-ils pas leurs Véhicules, leur Vâhanas, dans ce que nous appelons les FORCES PHYSIQUES ? Pourquoi, surtout, ces croyances, en même temps que les religions de jadis, seraient-elles qualifiées de "superstition" ?
[II 209]