TROISIEME PARTIE

— APPENDICE

TRAITANT DE LA SCIENCE OCCULTE ET DE LA SCIENCE MODERNE

 

Le savoir de ce bas monde,

Dis-moi, ami, qu'est-il : faux ou vrai ?

Le faux, quel mortel le voudrait connaître ? Le vrai, quel mortel l'a jamais connu ?

 [II 215]

 

SECTION I

RAISON D'ETRE DE CET APPENDICE

 

Beaucoup des doctrines contenues dans les sept STANCES que nous venons de donner et dans les Commentaires, ayant été étudiées par certains Théosophes occidentaux et soumises à leur examen critique, quelques-uns des Enseignements Occultes ont été jugés incomplets, en se plaçant au point de vue ordinaire du savoir scientifique moderne. Leur acceptation parut soulever d'insurmontables difficultés et exiger un nouvel examen, en raison de la critique scientifique. Quelques amis ont déjà été portés à regretter la nécessité d'avoir si souvent à mettre en doute les assertions de la Science moderne. Il leur paraissait – et je ne fais, ici, que répéter leurs arguments – que "d'aller à l'encontre des enseignements de ses interprètes les plus éminents, serait, aux yeux du Monde Occidental, courir au-devant d'une défaite prématurée".

Il est donc utile de définir, une fois pour toutes, la manière de voir que l'auteur, qui sur ce point n'est pas d'accord avec ses amis, a l'intention de défendre. Tant que la Science restera telle que l'a définie le professeur Huxley, c'est-à-dire continuera à être "le sens commun organisé" ; tant que ses déductions seront basées sur des prémisses exactes, que ses généralisations reposeront sur une base purement inductive, tous les Théosophes et les Occultistes accueilleront, avec respect et avec l'admiration qui leur est due, ses contributions au domaine de la loi cosmologique. Aucun conflit n'est possible entre les enseignements de la Science Occulte et ceux de la Science dite exacte, tant que les conclusions de cette dernière auront pour base des faits inattaquables. Ce n'est que lorsque ses plus ardents interprètes, dépassant les limites des phénomènes observés afin de pénétrer dans les arcanes de l'Etre, essaient d'arracher à l'Esprit la formation du Cosmos et de [II 216] ses Forces vivantes pour tout attribuer à la Matière aveugle, que les Occultistes réclament le droit de discuter et de mettre en doute leurs théories. La Science ne peut, en raison de la nature même des choses, dévoiler le mystère de l'Univers qui nous entoure. Elle peut, il est vrai, grouper, classifier et généraliser les phénomènes, mais l'Occultiste, basant son raisonnement sur des données métaphysiques admises, déclare que l'audacieux explorateur qui voudrait sonder les plus intimes secrets de la Nature, devrait franchir les limites étroites des sens et transférer sa conscience dans la région des  Noumènes et dans la sphère des Causes Primordiales. Pour y arriver, il lui faut développer des facultés qui, sauf quelques cas rares et exceptionnels, sont absolument latentes dans la constitution des rejetons de notre Cinquième Race-Racine actuelle, en Europe et en Amérique. Il n'est pas concevable qu'il puisse grouper d'une autre manière les faits sur lesquels il basera ses spéculations. Cela n'est-il pas évident, d'après les principes de la Logique Inductive et de la Métaphysique ?

D'autre part, quoi que fasse l'auteur, elle n'arrivera jamais à satisfaire à la fois la Vérité et la Science. Présenter au lecteur une  version systématique et ininterrompue des STANCES Archaïques, est impossible. Il faut laisser subsister une lacune de quarante-trois strophes ou Shlokas, entre la septième que nous avons déjà donnée et la cinquante et unième par laquelle commence le volume III, bien que l'on y ait numéroté les strophes en commençant par le numéro 1 et en suivant la série, pour faciliter la lecture et les références. La simple apparition de l'homme sur Terre sert de texte à un même nombre de STANCES qui décrivent minutieusement son évolution primordiale et, partant des Dhyan-Chohans humains, l'état du Globe à ce moment, etc. Un grand nombre de noms, se rapportant aux substances chimiques et aux autres combinaisons qui ont maintenant cessé de se produire et sont, par suite, inconnues aux derniers rejetons de notre Cinquième Race, occupent une place considérable. Comme ils sont tout simplement intraduisibles et resteraient en tout cas inexplicables, on les a omis, en même temps que les passages que l'on ne peut livrer au public. Néanmoins, le peu que nous donnons suffira pour irriter les partisans et défenseurs de la Science dogmatique et matérialiste qui le liront.

A cause de la critique qu'on en fait, nous nous proposons, avant de passer aux STANCES suivantes, de défendre celles que nous avons déjà données. Qu'elles ne soient pas en parfait accord ou en harmonie avec la Science moderne, c'est ce que nous savons tous. Cependant, si même elles avaient aussi bien cadré avec les idées du savoir moderne qu'une conférence de Sir William Thomson, elles n'en auraient pas [II 217] moins été rejetées. Elles enseignent, en effet, la croyance à des Pouvoirs conscients  et  à  des  Entités  Spirituelles ;  à  des  Forces  terrestres, semi-intelligentes et très intellectuelles, situées sur d'autres plans 403 et à des Etres qui habitent autour de nous dans des sphères que ne sauraient déceler ni le télescope ni le microscope. De là vient la nécessité d'examiner les croyances de la Science matérialiste, de comparer ses vues au sujet des "Eléments" avec les opinions des Anciens et d'analyser les Forces physiques telles qu'elles existent d'après les conceptions modernes, avant que les Occultistes admettent qu'ils ont tort. Nous dirons quelques mots de la constitution du Soleil et des planètes et des caractéristiques Occultes de ce que l'on appelle les Dévas et les Génies, auxquels la science a maintenant donné le nom de Forces ou de "modes de mouvement" et nous verrons si la croyance Esotérique est susceptible ou non d'être défendue. Quels que soient les efforts faits pour établir le contraire, un mental sans préjugés s'apercevra que "l'agent matériel ou immatériel" de Newton 404, l'agent qui produit la pesanteur et Dieu, dans son activité personnelle, se rapprochent tout autant des Dévas et des Génies métaphysiques que le Rector Angelus [Régent Angélique] de Kepler, qui dirige chaque  planète et que la species immateriata [agent immatériel] par laquelle les corps célestes étaient, suivant cet Astronome, transportés dans leur parcours.

403 Le fonctionnement de leur intelligence étant, nécessairement, d'une nature tout à fait différente de ce que nous pouvons concevoir sur Terre.

404 Voir sa troisième lettre à Bentley.

 

Dans le volume III, nous serons forcés d'aborder ouvertement de dangereux sujets. Il nous faudra faire hardiment face à la Science et déclarer, au mépris du savoir matérialiste, de l'Idéalisme, de l'Hylo- Idéalisme, du Positivisme et de la Psychologie moderne qui nie tout, que le véritable Occultiste croit aux "Seigneurs de Lumière" ; qu'il croit en un Soleil qui, loin de n'être qu'une "lampe de jour" se mouvant suivant les lois physiques et loin de n'être qu'un de ces Soleils qui, selon Richter, "sont les tournesols d'une lumière supérieure", est, comme des milliards d'autres Soleils, la demeure ou le véhicule d'un Dieu et d'une légion de Dieux.

Dans ce débat, ce seront nécessairement les Occultistes qui seront vaincus. Ils seront considérés, en s'en tenant au premier aspect de la question, comme des ignorants et on leur infligera plus d'une des épithètes habituelles, que le public au jugement superficiel, qui ignore lui-même les grandes vérités fondamentales de la Nature, prodigue à ceux qu'il accuse de croire aux superstitions du moyen âge. Qu'il en soit ainsi. Se soumettant d'avance à toutes les critiques, [II 218]  afin de pouvoir continuer leur tâche, les Occultistes ne réclament que le privilège de démontrer qu'il y a aussi peu d'accord entre les Physiciens, dans leurs spéculations, qu'il y en a entre celles-ci et les enseignements de l'Occultisme.

Le Soleil est Matière et le Soleil est Esprit. Nos ancêtres, les "Païens", comme leurs successeurs modernes, les Parsis, étaient, et sont encore, assez sages pour y voir le symbole de la Divinité et pour y deviner, en même temps, caché sous le symbole physique, le Dieu radieux de la Lumière Spirituelle et Terrestre. Une telle croyance ne peut être considérée comme une superstition que par le Matérialisme le plus grossier, qui nie la Divinité, l'Esprit, l'Ame et n'admet aucune intelligence en dehors  du mental de l'homme. Toutefois, si l'abus des superstitions encouragées par ce que Laurence Oliphant appelle "l'ecclésiasticisme 405" "rend un homme sot", l'abus du scepticisme le rend fou. Nous préférons être accusés de sottise parce que nous croyons trop, que d'être accusés de la folie de tout nier, comme le font le Matérialisme et l'Hylo-Idéalisme. Les Occultistes sont donc bien préparés à recevoir ce que leur réserve le Matérialisme et à soutenir le choc des critiques hostiles qui seront déversées sur l'auteur de cet ouvrage, non pour l'avoir écrit, mais parce qu'elle croit à ce qu'il renferme.

405 Dans le texte anglais "Churchianity", de "Church" (église). (N.d.T.)

 

Il nous faut donc aller au-devant des découvertes, des hypothèses et des inévitables objections qui seront présentées par les critiques scientifiques et les combattre. Il faut aussi établir jusqu'à quel point les Enseignements Occultes s'écartent de ceux de la Science moderne et lesquelles, des théories anciennes ou des théories modernes, sont les plus logiquement et philosophiquement correctes. L'unité et les relations mutuelles de toutes les parties du Cosmos étaient connues des Anciens, avant de devenir évidentes aux yeux des Astronomes et des Philosophes modernes. Même si les parties extérieures et visibles de l'Univers, ainsi que leurs mutuelles relations, ne peuvent être expliquées par la Science Physique au moyen d'autres termes que ceux dont se servent les tenants de la théorie mécanique de l'Univers, il ne s'ensuit pas que le matérialiste, qui nie l'existence de l'Ame du Cosmos (qui relève de la Philosophie Métaphysique), ait le droit de violer ce domaine métaphysique. Le fait que la Science Physique s'efforce de le violer et y parvient en effet, n'aboutit qu'à prouver que "la force prime le droit" et rien de plus.

 Voici une autre bonne raison pour la publication de cet Appendice. Puisqu'une partie seulement des Enseignements [II 219] Secrets peut être publiée durant la période actuelle, les doctrines ne seraient jamais comprises, même par les Théosophes, si elles étaient publiées sans explication ou commentaires d'aucune sorte. Il faut donc qu'elles soient mises en contraste avec les spéculations de la Science moderne. Les Axiomes Archaïques doivent être mis en regard des hypothèses modernes et la comparaison de leur valeur respective doit être laissée à la finesse du lecteur.

En ce qui concerne la question des "Sept Gouverneurs" – comme Hermès appelle les "Sept Constructeurs", les Esprits qui guident les opérations de la Nature et dont les atomes animés sont, dans leur propre monde, les ombres de leurs Primaires des Royaumes Astraux – cet ouvrage aura, naturellement, contre lui tous les Matérialistes, ainsi que tous les hommes de Science. Toutefois, cette opposition ne peut, tout au plus, être que temporaire. On s'est toujours moqué de tout ce qui sort de l'ordinaire et l'on a toujours commencé par repousser les idées qui n'étaient pas populaires, pour finir ensuite par les accepter. Le matérialisme et le scepticisme sont des maux qui doivent subsister dans le monde tant que l'homme n'aura pas quitté son enveloppe grossière actuelle, pour revêtir celle qu'il portait pendant les Première et Seconde Races de cette Ronde. A moins que le scepticisme et notre ignorance naturelle actuelle ne soient équilibrés par l'intuition et par une spiritualité naturelle, tout être affligé de pareils sentiments ne verra en lui-même rien de plus qu'une masse d'os, de chair et de muscles, ayant à l'intérieur un réduit vide qui sert à emmagasiner ses sensations et ses sentiments. Sir Humphrey Davy était un grand Savant, aussi profondément versé en Physique que n'importe quel théoricien de nos jours et pourtant il détestait le Matérialisme. Il a dit :

J'écoute avec dégoût, dans les salles de dissection, la théorie du Physiologiste sur la sécrétion graduelle de la matière, chez laquelle naîtrait l'irritabilité, qui se transformerait en sensibilité, développerait les organes nécessaires au moyen des forces qui lui sont inhérentes et finirait par s'élever jusqu'à l'existence intellectuelle.

Cependant, les Physiologistes ne sont pas ceux que l'on devrait blâmer le plus de ne parler que de ce qu'ils peuvent voir et apprécier avec le témoignage de leurs sens physiques. Les Astronomes et les Physiciens sont, à notre avis, bien plus illogiques dans leurs idées matérialistes que ne le sont les Physiologistes eux-mêmes, et cela doit être prouvé. La lumière Ethérée, première de toutes les choses,  quintessence pure, dont parle Milton, n'est plus pour les Matérialistes que [II 220] primordial boute-en-train, lumière, De tous les êtres matériels, le premier et le meilleur 406

Pour les Occultistes, c'est en même temps Esprit et Matière. Derrière le "mode de mouvement", considéré maintenant comme la "propriété de la matière" et rien de plus, ils ont conscience du Noumène radieux. C'est "l'Esprit de Lumière", le premier-né de l'Eternel Elément pur, dont l'énergie ou l'émanation est emmagasinée dans le Soleil, le grand Distributeur de la Vie du Monde Physique, comme le  Soleil Spirituel caché est le distributeur de vie et de lumière du Royaume Spirituel et du Royaume Psychique. Bacon fut un des premiers à frapper la tonique du Matérialisme, non seulement par sa méthode d'induction – renouvelée d'Aristote mal compris – mais par la teneur de ses ouvrages. Il intervertit l'ordre de l'Evolution mentale, lorsqu'il dit :

La première création de Dieu fut la lumière des sens ; la dernière fut la lumière de la raison ; et le travail de son Sabbat est depuis lors l'illumination de l'Esprit 407.

406 Le Paradis Perdu, Livre VII.

407 Essais. De la Vérité.

 

C'est tout le contraire. La lumière de l'Esprit est le Sabbat éternel du Mystique ou de l'Occultiste et il se préoccupe peu de celle des sens. Ce que signifie la phrase allégorique "Fiat Lux", c'est, lorsqu'elle est ésotériquement interprétée, "que les Fils de Lumière soient", c'est-à-dire les noumènes de tous les phénomènes. Les Catholiques Romains interprètent donc correctement le passage en disant qu'il a trait à  des Anges, mais incorrectement, en lui donnant le sens de Pouvoirs créés par un Dieu anthropomorphe qu'ils personnifient par le Jéhovah qui tonne et punit sans cesse.

Ces êtres sont les "Fils de Lumière", parce qu'ils émanent  de cet Océan infini de Lumière où ils naissent d'eux-mêmes, océan dont l'un des pôles est l'Esprit pur perdu dans l'absolu du Non-Etre et l'autre la Matière dans laquelle il se condense, en se cristallisant suivant des types de plus en plus grossiers, à mesure qu'il descend en manifestation. C'est pourquoi la Matière, bien qu'elle ne soit, dans un sens, que le résidu illusoire de cette Lumière dont les membres [Rayons] sont les Forces Créatrices, renferme cependant en elle-même l'entière présence de son Ame, de ce Principe que nul – pas même les "Fils de Lumière" – évolué, hors de son OBSCURITE ABSOLUE, ne connaîtra jamais. L'idée est exprimée d'une façon aussi belle que vraie par Milton, qui salue la Lumière sacrée qui est l'enfant premier-né du Ciel [II 221] Ou de l'Eternel rayon-co-éternel ; Puisque Dieu est Lumière Et que dans la Lumière hors d'atteintes, seule, Il a habité de toute Eternité ; habité par conséquent en toi, Radieuse effluence de radieuse essence incréée 408.

  408 Le Paradis Perdu, Livre III.

 

[II 222]