SECTION IV

LE SECRET DES INITIES

 

Il ne faut pas s'étonner le moins du monde, de ce qu'un certain nombre de paraboles et de propos de Jésus aient été mal rendus. Depuis Orphée, premier Adepte initié que l'histoire puisse entrevoir au milieu des brumes de l'ère préchrétienne, jusqu'à Ammonius Saccas, en passant  par Pythagore, Confucius, Bouddha, Jésus et Apollonius de Tyane, aucun Instructeur ou Initié n'a jamais rien écrit pour le public. Tous, sans exception, ont invariablement recommandé le silence et le secret pour certains faits et certaines actions ; depuis Confucius, qui refusa d'expliquer publiquement et d'une manière satisfaisante ce qu'il entendait par son "Grand Extrême", ou de donner la clef de la divination au moyen de "fétus de paille", jusqu'à Jésus qui enjoignait à ses disciples de ne dire à personne qu'il était Christ 73 (Chrestos), "l'homme de douleurs" et d'épreuves,  avant sa suprême et dernière Initiation ou qu'il eut accompli – un "miracle" de résurrection 74. Les Apôtres devaient garder le silence afin que la main gauche ignorât ce que faisait la main droite ; pour parler plus clairement, que les dangereux maîtres de la Science de Gauche – les terribles ennemis des Adeptes de Droite, surtout avant leur Initiation suprême – ne pussent profiter de la publicité pour nuire au guérisseur comme au patient. Et si l'on vient prétendre que ce qui précède n'est qu'une simple supposition, quel serait donc le sens de ces terribles paroles :

Il vous est donné à vous de connaître le mystère du royaume de Dieu, mais pour ceux qui sont dehors, toutes choses se traitent par paraboles, afin qu'en voyant ils voient et ne distinguent point, et qu'en entendant, ils entendent et ne comprennent point ; de peur qu'ils ne se convertissent et que leurs péchés ne leur soient pardonnés 75.

 73 Mathieu, XVI, 20.

74 Marc, V, 43.

75 Marc, IV, 11, 12.

 

A moins qu'on ne l'interprète dans le sens de la loi du silence et de Karma, le profond égoïsme et l'esprit peu charitable [V 53] de cette remarque ne sont que trop évidents. Ces paroles se rattachent directement au terrible dogme de la prédestination. Le bon et intelligent chrétien voudra-t-il accuser son Sauveur d'un aussi cruel égoïsme ? 76

La tâche de propager ces vérités au moyen de paraboles était laissée aux disciples des hauts Initiés. Leur devoir était de se conformer au sens fondamental des Enseignements secrets sans en révéler les mystères. L'histoire de tous les grands Adeptes en est la preuve. Pythagore divisait ses classes en auditeurs de conférences exotériques et ésotériques. Les Mages étaient instruits et initiés dans les cavernes les plus cachées de Bactres. Lorsque Josèphe déclare qu'Abraham enseignait les Mathématiques, il entendait par-là "la Magie", car dans le langage de Pythagore, Mathématiques veut dire Science Esotérique ou Gnose.

Le professeur Wilder fait remarquer que :

Les Esséniens de Judée et du Carmel établissent des distinctions similaires, en divisant leurs adhérents en néophytes, frères et parfaits... Ammonius obligeait ses disciples, sous serment, à ne pas divulguer ses  plus hautes doctrines, excepté à ceux qui auraient été complètement instruits et exercés [préparés pour l'initiation] 77.

Une des plus puissantes raisons qui imposent la nécessité du secret le plus strict, est donnée par Jésus lui-même, si l'on en croit Mathieu. En effet, il fait dire clairement au Maître :

 Ne donnez point les choses saintes aux chiens et ne jetez point les perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds et que se retournant ils ne vous déchirent 78.

Paroles profondément vraies et sages. Nombreux sont, de [V 54] nos jours et même parmi nous, ceux auxquels elles ont été rappelées avec force – souvent lorsqu'il était trop tard 79.

76 N'est-il pas évident que les mots : "de peur qu'ils ne se convertissent (ou : "de peur qu'ils ne retournent peut-être" – comme dans la version revue et corrigée) et que "leurs péchés leur soient pardonnés" – n'impliquent pas du tout que Jésus craignait que, grâce au repentir, un étranger, un "de ceux qui sont dehors", n'échappât à la damnation ainsi que l'indique clairement le sens littéral – mais ont un sens tout à fait différent ? Savoir – "de peur qu'un profane ayant compris ses prédications, non voilées sous des paraboles, ne se rendît maître des enseignements secrets et des mystères de l'Initiation – et même de pouvoirs Occultes" ! "Etre converti" veut dire, en d'autres termes, obtenir des connaissances qui appartiennent exclusivement à l'Initié et "que leurs péchés leur soient pardonnés" veut dire que leurs péchés retomberaient sur les auteurs de la publication illicite, sur ceux qui auraient aidé les indignes à récolter, là où ils ne s'étaient jamais donné la peine de semer et leur auraient ainsi fourni le moyen d'échapper sur cette terre au Karma qu'ils avaient mérité et qui doit réagir sur le révélateur qui, au lieu de faire du bien, a fait du mal et a failli.

77 New-platonisn and Alchemy, 1899, pp. 7, 9.

78 VII, 6.

79 Les preuves de ceci abondent dans l'histoire. Si Anaxagore n'avait pas proclamé la grande vérité enseignée dans les Mystères, à savoir que le Soleil était certainement plus grand que le Péloponnèse, il n'aurait pas été persécuté et presque mis à mort par la foule fanatique. Si la populace soulevée contre Pythagore avait compris ce que voulait dire le mystérieux Sage de Crotone en parlant de son souvenir d'avoir été le "Fils de Mercure" – Dieu de la Sagesse Secrète – il n'aurait pas été forcé de fuir pour sauver sa vie, pas plus que Socrate n'aurait été mis à mort s'il avait gardé le secret sur les révélations de son divin Daïmon. Il savait combien peu son siècle le comprendrait – à part les initiés – s'il communiquait tout ce qu'il savait au sujet de la lune, aussi limita-t-il son exposé à une allégorie, que l'on reconnaît aujourd'hui comme plus scientifique qu'on ne l'avait d'abord cru. Il soutenait que la lune était habitée, et que les êtres lunaires vivaient dans des vallées profondes, vastes et obscures, notre satellite étant dépourvue d'air et d'atmosphère en dehors de ces profondes vallées. Sans parler de la révélation significative destinée à quelques-uns seulement, il doit nécessairement en être ainsi, s'il existe la moindre atmosphère autour de notre brillant Séléné. Les faits enregistrés dans les annales secrètes des Mystères devaient demeurer cachés sous peine de mort.

 

Maimonide, lui-même, recommande le silence en ce qui touche le véritable sens des textes Bibliques. Cette injonction détruit l'affirmation habituelle, d'après laquelle "Les Ecritures Saintes" sont le seul livre de ce monde dont les oracles divins renferment la vérité claire et sans tache. Il peut en être ainsi pour les savants Cabalistes, mais c'est certainement le contraire en ce qui concerne les Chrétiens. Voici, en effet, ce que dit le savant philosophe hébreu :

Celui qui découvrira le véritable sens du Livre de la Genèsedevra faire bien attention à ne pas le divulguer. C'est une maxime que tous nos sages nous répètent, surtout en ce qui concerne l'œuvre des six jours. Si quelqu'un en découvrait le vrai sens, à lui seul ou avec l'aide d'un autre, il devrait garder le silence, ou, s'il parlait, il devrait le faire en termes obscurs et énigmatiques,  comme  je  le  fais  moi-même,  laissant  à ceux qui sont capables de me comprendre le soin de deviner le reste.

Le Symbolisme et l'Esotérisme de l'Ancien Testament se trouvant ainsi avoués par un des plus grands philosophes Juifs, il est tout naturel de voir les Pères Chrétiens faire le même aveu en ce qui concerne le Nouveau Testament et la Bibleen général. Nous voyons ainsi Clément d'Alexandrie et Origène l'admettre d'une façon aussi claire que possible. Clément, qui avait été initié aux Mystères d'Eleusis, dit que :

Les doctrines qui y étaient enseignées renfermaient la fin de toutes les instructions, car elles étaient empruntées à Moïse et aux prophètes.

Légère perversion des faits bien pardonnable au bon Père. Ces mots admettent, après tout, que les Mystères des Juifs [V 55] étaient  identiques à ceux des Grecs païens, qui les avaient pris aux Egyptiens et que ceux-ci, à leur tour, les avaient empruntés aux Chaldéens, qui les avaient reçus des Aryens, des Atlantéens et ainsi de suite – bien au-delà des temps de cette Race. La signification secrète de l'Evangile est encore avouée publiquement par Clément lorsqu'il dit que les Mystères de la Foi ne doivent pas être divulgués à tous :

Mais puisque cette tradition n'est pas publiée uniquement pour celui qui perçoit la magnificence de la parole, il est, par suite, requis de voiler, sous un Mystère, la sagesse énoncée, qu'enseignait le Fils de Dieu 80.

Origène n'est pas moins explicite en ce qui concerne la Bibleet ses fables symboliques. Il s'écrie :

Si nous nous en tenions à la lettre et qu'il nous fallût interpréter ce qui est écrit dans la loi, à la façon des Juifs et des gens du commun, je rougirais alors d'avouer que c'est Dieu qui nous a donné ces lois : les lois des hommes sembleraient alors meilleures et plus raisonnables 81.

80 Stromates, I., chap. XII.

81 Voyez Homélies 7, dans le Lévitique ; cité dans Source of Measures, p. 306-7.

 

Et il aurait eu raison de "rougir", le sincère et honnête Père du Christianisme primitif, à son époque de pureté relative. Mais les Chrétiens de notre époque hautement littéraire et civilisée ne rougissent pas du tout ; au contraire, ils avalent la "lumière" avant la formation du Soleil, le Jardin de l'Eden, la baleine de Jonas, tout enfin, bien qu'Origène, dans un moment d'indignation bien naturelle, pose la question suivante :

Quel est l'homme sensé qui admettrait que le premier, le second et le troisième jour, à propos desquels il est fait mention du soir et du matin, étaient sans soleil, sans lune et sans étoiles et que le premier jour il n'y avait pas de ciel ? Quel est l'homme qui serait assez idiot pour supposer que Dieu plantait des arbres dans le Paradis, dans l'Eden, comme un cultivateur, etc. ? Je suis d'avis que les hommes devraient considérer ces choses comme des images, sous lesquelles un sens est caché 82.

Pourtant on trouve des millions de ces "idiots" non seulement au IIIème siècle, mais encore à notre époque de lumières. Lorsque l'on ajoute à cela la déclaration peu équivoque que Paul fait dans l'épître aux Galates, IV, 22-25, disant que l'histoire d'Abraham et de ses deux fils est  une "allégorie" et "qu'Agar est le mont Sinaï", on ne saurait guère blâmer le Chrétien ou le Païen qui refuse d'accepter la Bibleautrement que comme une ingénieuse allégorie. [V 56] Le rabbin Siméon Ben- "Jochaï", le compilateur du Zohar, ne communiqua jamais les points les plus importants de sa doctrine autrement que verbalement et encore à un nombre très restreint de disciples. Aussi, sans l'initiation finale à la Mercavah, l'étude de la Cabalesera toujours incomplète, et la Mercavahne peut être enseignée que "dans les ténèbres, dans un endroit désert et après de nombreuses et terribles épreuves". Depuis la mort du grand Initié Juif, cette doctrine est restée, pour le monde extérieur, un secret inviolé.

Parmi les membres de la vénérable secte des Tanaim, ou plutôt des Tananim, hommes sages, il y en avait qui enseignait pratiquement les secrets et initiaient quelques disciples au grand Mystère final. Mais la  Mishna Hagiga, 2ème  section, dit que la table des matières de la Mercavah  "ne  doit  être  confiée  qu'aux  sages  d'un âge avancé". La Gemaraest encore plus dogmatique. "Les plus importants secrets des Mystères n'étaient même pas révélés à tous les prêtres. On ne les divulguait qu'aux Initiés". Nous voyons ainsi ce même profond secret dominer dans toutes les anciennes religions 83.

Que dit la Cabaleelle-même. ? Ses grands Rabbins menacent réellement celui qui accepte à la lettre ce qu'ils disent. Nous lisons dans le Zohar :

 Malheur... à l'homme qui ne voit dans la Thorah, c'est-à- dire la Loi, que de simples récits et des mots ordinaires ! En effet, si elle ne contenait véritablement que cela, nous serions capables, même aujourd'hui, de composer une Thorah encore plus digne d'admiration. Si nous ne découvrions que les simples mots, nous n'aurions qu'à nous adresser aux législateurs de la Terre84, à ceux chez lesquels nous rencontrons fréquemment le plus de grandeur. Il suffirait de les imiter et de composer une Thorah d'après leurs paroles et leurs exemples. Mais il n'en est pas ainsi ; chaque mot de la Thorah renferme un sens élevé et un mystère sublime... Les récits de la Thorah constituent le revêtement de la Thorah.  Malheur à celui qui confond ce revêtement avec la Thorah elle- même... Les simples ne remarquent que le vêtement ou les récits de la Thorah, ils ne savent rien de plus, ils ne voient pas ce qui est caché sous le vêtement. Les plus instruits ne font pas attention au vêtement mais concentrent  leur  attention  sur  le  corps   qu'il enveloppe 85.[V 57]

 82 Origène : Huet., Origineniana, 16 ; Franck, 21 ; citation tirée du Sod de Dunlap, p. 176.

 83 Isis Dévoilée, IV, 4.

84 Les "législateurs" matérialistes, les critiques et les Sadducéens, qui ont tâché de mettre en pièces les doctrines et les enseignements des grands Maîtres Asiatiques passés et présents – pas des savants au sens moderne du mot – feraient bien de réfléchir là-dessus. Il est hors de doute que si les doctrines et les enseignements secrets avaient été inventés et rédigés à Oxford ou à Cambridge, leur forme extérieure eût été plus brillante. Répondraient-ils aussi bien aux vérités universelles et aux faits voilà ce qu'il reste à voir ?

85 III, fol. 1, 526 ; cité dans la Qabbalahde Myer, p. 202.

 

Ammonius Saccas enseignait que la DOCTRINE SECRETE de la Religion-Sagesse se trouvait, au complet, dans les Livres de Thoth (Hermès), où Pythagore et Platon avaient puisé leurs connaissances et beaucoup de leur Philosophie, et il déclarait que ces Livres étaient "identiques aux enseignements des Sages de l'Extrême-Orient". Le professeur A. Wilder fait la remarque suivante :

Comme le nom de Thoth veut dire un collège ou une assemblée, il est assez probable que ce nom fut donné à ces livres, parce qu'ils constituaient la collection des oracles et des doctrines de la fraternité sacerdotale de Memphis. Le rabbin Wise a émis la même hypothèse à propos des maximes divines conservées dans les Ecritures hébraïques 86.

C'est fort probable. Seulement, les "propos divins" n'ont jamais été compris, jusqu'à présent, par les profanes. Philon, le Juif, qui n'était pas initié, tenta d'expliquer leur sens secret et échoua.

Toutefois, les Livres de Thoth comme la Bible, les Védas comme la Cabale, tous prescrivent le même secret au sujet de certains mystères de la nature qui y sont symbolisés. "Malheur à celui qui divulgue indûment les paroles murmurées à l'oreille de Manoushi par le Premier Initiateur." Le Livre d'Enoch indique clairement qui fut cet "Initiateur" :

Par eux [les Anges] j'ai entendu toutes choses et j'ai compris ce que je voyais ce qui ne se produira pas durant cette génération [Race], mais durant une génération qui lui succédera à une époque lointaine [les 6ème et 7ème Races] au sujet des Elus [les Initiés] 87.

Il est dit aussi, au sujet du jugement de ceux qui, ayant appris "tous les secrets des anges", les révèlent, que :

Ils ont découvert des secrets et ce sont eux qui ont été jugés, mais pas toi, mon fils [Noé]... tu es pur, bon et à l'abri du reproche  d'avoir  découvert  [révélé]  des secrets 88.

Il existe cependant à notre siècle des gens qui, ayant "découvert des secrets" sans être aidés et grâce seulement à leur savoir et à leur pénétration, homme honnêtes et directs, et n'étant effrayés ni par des menaces ni par des avertissements, puisqu'ils n'ont jamais prêté serment de garder le secret, sont très surpris par ces révélations. Un de ceux-ci est l'auteur de "Key to the Hebrew-Egyptian Mystery". Ainsi qu'il le dit, il y a "quelques traits étranges qui se rattachent à la promulgation et à la condition de la Bible". [V 58]

Ceux qui ont compilé ce livre étaient des hommes comme nous. Ils savaient, voyaient, maniaient et comprenaient, au moyen de la mesure de la clef 89 la loi de Dieu vivant et à jamais actif 90. La foi ne leur était pas nécessaire pour savoir qu'il existait, qu'il travaillait, traçait des plans et les mettait à exécution comme un puissant mécanicien et architecte 91. Qu'était donc ce qui leur réservait, à eux seuls, ce savoir, alors qu'en qualité d'hommes de Dieu, d'abord, puis en qualité d'Apôtres de Jésus-Christ, ils répartissaient un service rituel aveuglant et un vain enseignement de foi, sans substance ni preuve, découlant naturellement de la mise en exercice des sens précisément donnés à tous les hommes par la Divinité, comme le moyen essentiel d'obtenir une compréhension correcte ? Le Mystère et la Parabole, les paroles obscures et l'action de voiler le véritable sens, constituent le fardeau des Testaments, tant Ancien que Nouveau. Tenez pour certain que les récits de la Biblefurent   inventés   à   dessein pour tromper les masses ignorantes, même lorsqu'ils recommandaient un code parfait d'obligations morales : comment serait-il possible de justifier de telles fraudes comme faisant partie d'un système divin, lorsque la nature même des choses exige que l'on assigne, comme attribut, à ce système la véracité simple et parfaite ? Qu'est-ce que le mystère a à faire, ou que pourrait-il avoir à faire avec la promulgation des vérités de Dieu 92 ?

Absolument rien, très certainement, si ces mystères avaient été dévoilés dès le début, et il en était ainsi pour les premières Races, semi- divines, pures et spirituelles de l'Humanité. Elles possédaient les "vérités de Dieu" et y conformaient leur vie et leur idéal. Elles les conservèrent tant qu'il n'y eut pour ainsi dire pas de mal et, par suite, de possibilité d'abuser de la connaissance de ces vérités. Mais l'évolution et la chute graduelle dans la matérialité et aussi une de ces "vérités" est une des lois de "Dieu". A mesure que le genre progresse et devient plus terrestre avec chaque génération, l'individualité de chaque Ego temporaire commence à s'affirmer. C'est l'égoïsme personnel qui se développe et pousse l'homme à abuser de son savoir et de sa puissance ; or, l'égoïsme est un édifice humain, dont les portes et fenêtres sont toujours grandes ouvertes pour laisser entrer dans l'âme de l'homme [V 59] tous les genres d'iniquités. Bien rares furent, durant la première adolescence de l'homme, et plus rares encore sont aujourd'hui, les hommes disposés à mettre en pratique l'énergique déclaration de Pope, disant qu'il mettrait son propre cœur en pièces, si ce dernier n'était disposé qu'à l'aimer lui-même et à se rire de tous ses voisins. De là la nécessité de retirer graduellement à l'homme le savoir et le pouvoir divins, qui devenaient, avec chaque nouveau cycle humain, plus dangereux, pareils à une arme à deux tranchants dont le mauvais côté menaçait sans cesse le voisin, et dont la puissance pour le bien n'était utilisée que pour soi-même. Les rares "élus" chez lesquels la nature interne n'avait pas été affectée par croissance physique externe, devinrent ainsi, avec le temps, les seuls gardiens des mystères révélés et transmirent leurs connaissances à ceux qui étaient les plus aptes à les recevoir, tout en les rendant inaccessibles aux autres. Ecartez cette explication des Enseignements Secrets, et le nom même de Religion deviendra synonyme de déception et de fraude.

  86 New-platonism and Alchemy, p. 6.

87 I, 2.

 88 LXIV, 10.

89 On constate que la clé réside dans "la source des mesures ayant donné naissance au Pouce britannique et à l'ancienne coudée", ainsi que l'auteur cherche à le prouver.

90 Employé au pluriel, le mot eût pu mieux résoudre le mystère. Dieu est toujours présent ; s'il était toujours actif, il ne pourrait plus être un Dieu infini – ni toujours présent dans sa limitation.

91 L'auteur est évidemment un franc-maçon qui partage la manière de penser du Général Pike. Tant que les francs-maçons américains et anglais repousseront le "Principe créateur" du "Grand Orient" de France, ils resteront dans les ténèbres.

 92 Sources of Measures, pp. 308, 309.

 

On ne pouvait cependant abandonner les masses sans un frein moral quelconque. L'homme aspire sans cesse à un "au-delà" et ne peut vivre sans un idéal quelconque, en guise de phare et de consolation. En même temps, même à notre époque d'instruction universelle, on ne pourrait confier à aucun homme ordinaire des vérités trop métaphysiques, trop subtiles pour que son intellect puisse les comprendre, sans courir le risque de voir se produire une réaction imminente, et de voir la croyance à Dieu et aux Saints céder la place à un pur Athéisme peu scientifique. Aucun véritable philanthrope, par suite aucun Occultiste, ne rêverait jamais, un seul instant, d'un genre humain sans une Religion quelconque. La Religion moderne de l'Europe, limitée aux dimanches, est elle-même mieux que rien. Mais, si, suivant l'expression de Bunyan : "La Religion constitue la meilleure armure que puisse posséder un homme", c'est certainement le "pire des manteaux" et c'est ce "manteau" et les faux-semblants, contre lesquels luttent les Occultistes et les Théosophes. La véritable Divinité idéale, l'unique Dieu vivant dans la Nature, ne peut jamais souffrir dans le culte de l'homme, si l'on met de côté le manteau extérieur tissé par l'imagination humaine et jeté sur la Divinité par les soins de prêtres rusés, avides de pouvoir et de domination. Avec le commencement de ce siècle, l'heure a sonné de détrôner le "Dieu suprême" de chaque nation, en faveur d'une Divinité Universelle Unique – le Dieu de la Loi Immuable, non pas le Dieu de charité ; le Dieu de la Juste Rétribution, non pas le Dieu de merci, ce qui n'est qu'une incitation à mal faire et à recommencer. Le plus grand crime dont on se soit rendu coupable envers [V 60] l'humanité a été commis le jour où un prêtre inventa la première prière ayant un objectif égoïste. Un Dieu qui peut être amené, au moyen de prières iniques, à "bénir les armes" de celui qui l'invoque et à envoyer la défaite et la mort à des milliers de ses ennemis – ses frères ; une Divinité que l'on peut considérer comme ne restant pas sourde aux chants pleins de louanges mêlés de prières pour obtenir "un vent favorable" pour soi,  et naturellement désastreux pour les autres navigateurs qui viennent en sens contraire – telle est l'idée de Dieu qui a développé l'égoïsme chez l'homme et l'a amené à ne pas compter sur lui-même. La prière est un acte qui ennoblit lorsqu'elle découle d'une sensation intense, d'un ardent désir qui jaillit du fond de notre cœur pour le bonheur d'autrui et qu'elle n'est entachée d'aucune intention personnelle égoïste ; l'aspiration à l'au-delà est une chose naturelle et sainte chez l'homme, mais à condition de partager cette  béatitude  avec  les  autres.  On  comprend  et  on  apprécie  bien  les paroles du "païen" Socrate, qui déclarait, dans sa sagesse profonde, et acquise sans aide, que :

Nos prières ne devraient demander que des bénédictions pour tous, en général, car les Dieux savent mieux que nous ce qu'il nous faut.

Mais les prières officielles – au sujet d'une calamité publique, ou pour le bien d'un individu, sans tenir compte des pertes de milliers d'autres – est le plus ignoble des crimes, sans ajouter que cela indique une impertinente suffisance et de la superstition. C'est l'héritage direct, par spoliation, des Jéhovites – les Juifs du désert et du Veau d'Or.

C'est "Jéhovah", ainsi que nous allons l'établir, qui suggéra  la nécessité de voiler et de cacher ce substitut du nom qui ne peut être prononcé, et qui conduisit à tous ces "mystères, paraboles,  paroles obscures et voilées". Moïse avait, en quelque manière, initié ses soixante- dix Anciens aux vérités cachées, de sorte que les auteurs de l'Ancien Testament se trouvent justifiés jusqu'à un certain point. Ceux du Nouveau Testament n'ont pas réussi à en faire autant ou aussi peu. Ils ont défiguré par leurs dogmes la grande figure centrale du Christ et, depuis lors, ils ont plongé le public dans des milliers d'erreurs et dans les crimes les plus sombres, en invoquant Son nom sacré.

Il est évident qu'à l'exception de Paul et de Clément d'Alexandrie, qui avaient tous deux été initiés aux mystères, aucun des Pères ne savait grand-chose au sujet des vérités elles-mêmes. C'étaient, en général, des gens ignorants et sans éducation et si des hommes comme Augustin et Lactance, ou comme le Vénérable Bède et d'autres encore, se montrent, [V 61] jusqu'à l'époque de Galilée 93, si lamentablement ignorants des plus importantes vérités qui étaient enseignées dans les temples païens – de la rotondité de la Terre, par exemple, sans parler du système héliocentrique – combien grande doit avoir été l'ignorance des autres ! Pour les premiers Chrétiens, le savoir et le péché étaient synonymes. De là l'accusation de commerce avec le Diable, lancée contre les Philosophe païens.

93 Dans le 4ème volume de la Pneumatologie, pp. 105-113, le marquis de Mirville attribue au pape Urbain VIII la connaissance du système héliocentrique – avant Galilée. L'auteur va plus loin. Il s'efforce à dépeindre ce fameux pape, non pas comme le persécuteur de Galilée, mais comme ayant été persécuté par lui et comme ayant été, par-dessus le marché, calomnié par l'astronome florentin. S'il en est ainsi, c'est encore pire pour l'Eglise latine, puisque ses papes gardèrent le silence sur ce fait important qu'ils connaissaient, pour couvrir Josué ou leur propre infaillibilité. On comprend facilement que la Bibleayant été tellement exaltée au-dessus de tous les autres systèmes et son prétendu monothéisme dépendant du silence observé, il ne restait plus qu'à accepter tranquillement son symbolisme et à en laisser ainsi attribuer toutes les bévues à son Dieu.

 

La vérité doit pourtant se faire jour. Les Occultistes, que des écrivains comme de Mirville qualifient de "sectateurs du Caïn maudit", sont maintenant en état de renverser la situation. Ce qui n'était connu, jusqu'à présent, que des cabalistes anciens et modernes, de l'Europe et de l'Asie, est aujourd'hui public et démontré comme étant mathématiquement vrai. L'auteur de Key to the Hebrew-Eggptian Mystery or the Source of Measures a maintenant prouvé, à la satisfaction générale, il faut l'espérer, que les deux grands noms divins de Jéhovah et d'Elohim représentaient respectivement, dans un des sens de leur valeur numérique, la valeur d'un diamètre et d'une circonférence, en d'autres termes que c'étaient les indices numériques de rapports géométriques, puis enfin que Jéhovah est Caïn et vice versa.

Cette manière de voir, dit l'auteur :

aide aussi à effacer l'horrible tache qui souille le nom de Caïn, comme pour dénaturer son rôle, car, même sans preuves, il résulte du texte même qu'il (Caïn) était Jéhovah. Les écoles théologiques feraient donc mieux de se préparer à faire amende honorable, si c'est possible, envers le nom et la bonne renommée du Dieu qu'elles adorent 94.[V 62]

 Ce n'est pas le premier avertissement que reçoivent les "écoles théologiques", qui le savaient sans doute depuis le début, tout comme le savaient Clément d'Alexandrie et d'autres. Mais s'il en est ainsi, ils en profiteront encore moins, car le fait d'admettre cela aurait pour eux d'autres conséquences que d'atteindre le caractère sacré et la dignité de la foi établie.

Mais on pourrait se demander aussi pourquoi les religions asiatiques, qui n'ont rien de ce genre à cacher, et qui proclament ouvertement l'Esotérisme de leurs doctrines, suivent la même marche ? Voici pourquoi : tandis que le silence actuel, et sans doute imposé, de l'Eglise sur ce sujet, ne se rapporte simplement qu'à la forme extérieure et théorique de la Bible dont les secrets auraient pu être dévoilés sans causer aucun mal réel, si on les avait expliqués dès le début – la question est bien différente en ce qui concerne l'Esotérisme oriental et le Symbolisme. La grande figure des Evangiles aurait été aussi peu affectée par la révélation du symbolisme de l'Ancien Testament, que l'aurait été le fondateur du Bouddhisme si l'on avait démontré que les écrits brahmaniques des Pourânas qui précédèrent sa naissance, étaient allégoriques. En outre, Jésus de Nazareth aurait gagné plus qu'il n'aurait perdu à être présenté comme un simple mortel, qu'il fallait juger d'après ses préceptes et ses mérites, au lieu d'être présenté à la chrétienté comme un Dieu dont les nombreuses paroles et les  actes donnent aujourd'hui tant de prise à la critique. D'autre part, les symboles et les paroles allégoriques qui voilent les grandes vérités de la Nature dans les Védas, les Brâhmanas, les Oupanishads et surtout dans le Chagpa Thogmed et dans d'autres ouvrages lamaïstes, sont d'une nature tout à fait différente et ont un sens secret bien plus compliqué. Alors que les glyphes bibliques ont presque tous une triple base, ceux des livres orientaux sont basés sur un principe septénaire. Ils se rattachent aussi étroitement aux mystères de la physique et de la physiologie, qu'au psychisme et à la nature transcendante des éléments cosmiques et de la théogonie ; dévoilés, ils seraient plus que néfastes pour les non-initiés ; mis entre les mains des générations d'aujourd'hui, [V 63] en l'état actuel de leur développement physique et intellectuel, en l'absence de toute spiritualité et même de moralité pratique, leur effet serait absolument désastreux.

Néanmoins, les enseignements secrets des sanctuaires ne sont pas demeurés sans témoins ; ils ont été immortalisés de diverses manières. Ils ont été répandus dans le monde sous forme de centaines de volumes remplis des phrases étranges des casse-têtes des alchimistes ; ils ont coulé des plumes des poètes et des bardes comme d'irrésistibles torrents de trésors Occultes. Le génie seul jouissait de certains privilèges durant les sombres époques au cours desquelles aucun rêveur ne pouvait même offrir au monde une fiction, sans avoir adapté son ciel et sa terre au texte biblique. Durant ces siècles d'aveuglement mental, lorsque la crainte du "Saint-Office" jetait un voile épais sur toutes les vérités cosmiques et psychiques, il n'était permis qu'au génie seul de révéler sans en être empêché quelques-unes des plus grandes vérités de l'Initiation. D'où l'Arioste, dans son Roland Furieux, tira-t-il sa conception de la vallée de la Lune où, après notre mort, nous pouvons retrouver les idées et les images de tout ce qui existe sur la terre ? Comment Dante arriva-t-il à imaginer les nombreuses descriptions que renferme son Enfer – véritable apocalypse de Jean, véritable Révélation Occulte en vers – sa visite et sa communion avec les âmes des Sept Sphères ? Toutes les vérités Occultes ont été bien accueillies dans la poésie et dans la satire – aucune n'a été reconnue comme sérieuse. Le comte de Gabalis est plus connu et mieux apprécié, que Porphyre et Jamblique. On proclame que la mystérieuse Atlantide de Platon est une fiction, tandis que le déluge de Noé est jusqu'à présent imprimé dans le cerveau de certains archéologues qui se moquent du monde archétype du Zodiaque de Marcel Palingène et qui se sentiraient offensés si on les invitait à discuter les quatre mondes d'Hermès Trismégiste – l'Archétype, le Spirituel, l'Astral et l'Elémentaire, avec trois autres en arrière de la scène découverte. Il est évident que la société civilisée n'est encore qu'à moitié prête pour la révélation. Aussi les Initiés ne donneront-ils jamais le secret entier, tant que la masse de l'humanité n'aura pas modifié sa nature réelle et ne sera pas mieux préparée à recevoir la vérité. Clément d'Alexandrie avait positivement raison lorsqu'il disait : "Il est nécessaire de cacher sous un mystère la sagesse révélée" – que les "Fils de Dieu" enseignent.

Cette Sagesse, comme on le verra, se rattache à toutes les vérités primordiales communiquées aux premières Races, aux "Nés du Mental", par les "constructeurs" de l'Univers, Eux-mêmes. [V 64]

Dans toutes les anciennes contrées ayant le droit de se dire civilisées, il existait une Doctrine Esotérique, un système désigné sous le nom de SAGESSE 95  et ceux qui

 

 

 

 

 

se consacraient à son étude étaient d'abord appelés sages, ou hommes sages... Pythagore appelait ce système ὴ γνω̃σις τω̃ν οντων, la Gnose ou Connaissance des choses qui existent. Sous le noble titre de SAGESSE, les anciens instructeurs, les sages de l'Inde, les mages de Perse et de Babylone, les voyants et les prophètes d'Israël, les hiérophantes d'Egypte et d'Arabie et les philosophes de Grèce et d'Occident englobaient tout le savoir qu'ils considéraient comme essentiellement divin ; classant une partie comme ésotérique et le reste comme extérieur. Les Rabbins donnaient à la série exotérique et séculière le nom de Mercavah, comme étant le corps ou véhicule renfermant le savoir supérieur 96.

Nous parlerons plus tard de la loi du silence imposée aux Chélas orientaux.

  93 Dans le 4ème volume de la Pneumatologie, pp. 105-113, le marquis de Mirville attribue au pape Urbain VIII la connaissance du système héliocentrique – avant Galilée. L'auteur va plus loin. Il s'efforce à dépeindre ce fameux pape, non pas comme le persécuteur de Galilée, mais comme ayant été persécuté par lui et comme ayant été, par-dessus le marché, calomnié par l'astronome florentin. S'il en est ainsi, c'est encore pire pour l'Eglise latine, puisque ses papes gardèrent le silence sur ce fait important qu'ils connaissaient, pour couvrir Josué ou leur propre infaillibilité. On comprend facilement que la Bibleayant été tellement exaltée au-dessus de tous les autres systèmes et son prétendu monothéisme dépendant du silence observé, il ne restait plus qu'à accepter tranquillement son symbolisme et à en laisser ainsi attribuer toutes les bévues à son Dieu.

  94 Op. cit., app. VII, p. 296. L'auteur est heureux de constater que ce fait est aujourd'hui mathématiquement démontré. Lorsqu'il fut exposé dans Isis Dévoilée que Jéhovah et Saturne ne faisaient qu'un avec Adam Kadmon, Caïn, Adam et Eve, Abel, Seth, etc., et que l'on pouvait les convertir tous en symboles dans la DOCTRINE SECRETE (Voyez Vol. IV, 136, 137, 157 et seq.) ; qu'ils répondaient, en somme, à des nombres secrets et avaient plus d'un sens dans la Biblecomme dans les autres doctrines – les déclarations de l'auteur passèrent inaperçues. Isis n'avait pas réussi à apparaître sous une forme scientifique et tout en donnant trop de choses, n'en donnait par le fait, que trop peu pour satisfaire le chercheur. Mais aujourd'hui, si, en plus des preuves fournies par la Bibleet la Cabale, les mathématiques et la géométrie sont bonnes à quelque chose, le public doit se trouver satisfait. On ne pourrait trouver de preuves plus complètes, plus scientifiquement établies pour montrer que Caïn est la transformation d'un Elohim (la Séphira Binah) en Iah-Veh (ou Dieu- Eve) androgyne et que Seth est le Jéhovah mâle que dans les découvertes combinées de Seyffarsh, Knight, etc. et finalement dans le très érudit ouvrage de M. Ralston Skinner. Nous indiquerons plus tard dans le texte, les rapports subséquents de ces personnifications des premières races humaines, au cours de leur développement graduel.

95 Les écrits qui existaient au temps jadis personnifiaient souvent la Sagesse comme une émanation, un associé du Créateur. Nous avons ainsi le Bouddha Hindou, le Nébo Babylonien, le Thoth de Memphis, l'Hermès de Grèce ; puis les divinités féminines, Néitha, Métis, Athéna et la puissance Gnostique Achamoth ou Sophia. Le Pentateuque Samaritain appelé le Livre de la Genèse, Akamouth ou Sagesse et deux fragments d'antiques traités, la Sagesse de Salomon et la Sagesse de Jésus, se rattachent aux mêmes questions. Le. Livre de Mashalim – les Discours ou Proverbes de Salomon – personnifie la sagesse comme l'auxiliaire du Créateur. Dans la Sagesse  secrète de l'Orient cet auxiliaire se trouve collectivement dans les premières émanations de la Lumière Primordiale, les sept Dhyân-Chohans, que l'on a décrits comme étant identiques aux "Sept Esprits de la Présence" des Catholiques Romains.

96 New-platonism and Alchemy, p. 6.

 

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