SECTION XXV
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OCCULTISME ORIENTAL ET OCCIDENTAL
Dans le Theosophist de mars 1886 420, dans une réponse au "Solar Sphinx", un membre de la London Lodge de la Société Théosophique écrit ceci :
Nous affirmons et nous croyons que la renaissance du savoir occulte qui est actuellement en progrès, prouvera un jour que le système occidental représente des niveaux de perceptions que le système oriental – au moins tel qu'il est exposé dans les pages du Theosophist – a encore à atteindre 421.
L'auteur des lignes ci-dessus n'est pas le seul qui soit sous l'empire de cette impression erronée. De plus grands Cabalistes que lui s'étaient exprimés de la même façon aux Etats-Unis. Cela prouve tout simplement que les Occultistes Occidentaux ont une notion très superficielle de la vraie Philosophie, des "niveaux de perceptions" et de la pensée des doctrines orientales. Il est facile d'établir le bien-fondé de cette assertion, en donnant quelques exemples, en établissant des comparaisons entre les deux manières d'interpréter une seule et même doctrine – la Doctrine Hermétique Universelle. C'est d'autant plus nécessaire que, si nous négligions d'établir ces comparaisons, notre œuvre resterait incomplète.
Nous pouvons considérer Eliphas Levi, cité à juste titre par un autre Mystique Occidental, M. Kenneth Mackenzie, comme un des plus grands représentants de la Philosophie Occulte moderne 422, comme probablement le meilleur et le plus [V 247] savant interprète de la Cabale Chaldéenne et comparer son enseignement avec celui des Occultistes Orientaux. Dans ses manuscrits inédits et ses lettres qui nous ont été prêtés par un Théosophe qui fut son disciple pendant quinze ans, nous espérions découvrir ce qu'il ne désirait pas publier. Cependant ce que nous y avons trouvé nous déçoit beaucoup. Nous considérons donc ces écrits comme renfermant l'essence de l'Occultisme Occidental ou Cabalistique, et nous les analyserons et les comparerons, au fur et mesure, avec les interprétations Orientales.
420 Op. Cit., p. 411.
421 Toutes les fois que les doctrines Occultes ont été exposées dans le Theosophist on a eu le soin de déclarer chaque fois que le sujet était incomplet, lorsque le tout ne pouvait être qu'incomplètement donné et aucun auteur n'a jamais cherché à égarer le lecteur. Quant aux "niveaux de perceptions" Occidentaux, au sujet de doctrines réellement Occultes, les Occultistes Orientaux ont appris à les connaître depuis quelque temps déjà. Ils peuvent ainsi affirmer avec confiance que l'Occident peut posséder la Philosophie Hermétique, en tant que système spéculatif de dialectique, employé admirablement bien en Occident, mais qu'il est entièrement dépourvu de connaissances en Occultisme. Le véritable Occultiste Oriental reste silencieux et inconnu, ne publie jamais ce qu'il sait et n'en parle même que rarement, sachant trop bien quel est le châtiment de l'indiscrétion.
422 Voyez The Royal Masonic Cgclopoedia, art. "Sepher Yetzireh", p. 368.
Eliphas Levi enseigne avec raison, bien qu'il se serve d'un langage trop rhapsodique et rhétorique pour être clairement compris par les commençants, que la vie éternelle est le Mouvement équilibré par les manifestations alternatives de la force.
Mais pourquoi n'ajoute-t-il pas que ce mouvement perpétuel est indépendant des Forces manifestées à l'œuvre ?
Le Chaos est le Tohu-vah-bohu du mouvement perpétuel et la somme totale de la matière primordiale ; dit-il, mais il omet d'ajouter que la matière n'est "primordiale" qu'au début de chaque nouvelle reconstitution de l'Univers. La matière in abscondito, comme l'appellent les Alchimistes, est éternelle, indestructible, sans commencement ni fin. Elle est considérée par les Occultistes Orientaux comme l'éternelle Racine de tout, la Moûlaprakriti des Védantins et le Svabbâvat des Bouddhistes, bref l'Essence ou Substance Divine ; Ses radiations sont périodiquement agrégées en des formes graduées, depuis le pur Esprit jusqu'à la Matière grossière ; la Racine ou l'Espace, dans sa présence abstraite, est la Divinité Elle-même, la Cause Unique Ineffable et Inconnue.
Aïn-Souph, pour lui aussi, est le Sans-limites, l'Unité Unique et infinie, sans égale et sans cause, comme Parabrahman. Aïn-Souph est le point indivisible et, par suite, comme "il est partout et nulle part", c'est le tout absolu. Il est aussi "Ténèbres" parce qu'il est Lumière absolue et Racine des sept Principes Cosmiques fondamentaux. Pourtant Eliphas Levi, en se bornant à déclarer que "Les Ténèbres couvraient la surface de la Terre" omet d'établir que dans ce sens "Les Ténèbres" signifient la Divinité Elle-même et il cache, en conséquence, la solution philosophique de ce problème pour le mental humain et il laisse croire à l'étudiant inaverti que "Terre" se rapporte à notre petit globe – atome dans l'Univers. En un mot, cet enseignement n'embrasse pas la Cosmogonie Occulte, mais traite seulement de la Géologie Occulte et de la formation de notre petit point [V 248] cosmique. C'est encore établi par le résumé suivant qu'il donne de l'Arbre Séphirothal :
Dieu est harmonie, l'astronomie des Pouvoirs et de l'Unité en dehors du Monde.
Cela semble indiquer, qu'il enseigne l'existence d'un Dieu extra cosmique, de sorte qu'il limite et conditionne à la fois le Cosmos ainsi que l'Infini et l'Omniprésence divins, qui ne peuvent être étrangers ou extérieurs à un seul atome, et qu'en omettant toute la période pré-cosmique – nous voulons parler du Cosmos manifesté – véritable racine de l'enseignement Occulte, il se borne à expliquer le sens cabalistique littéral de la Bibleet de la Genèse, sans s'occuper de leur esprit et de leur essence. Il est certain que les "niveaux de perception" du mental Occidental ne seront guère élargis par un enseignement aussi limité.
Après avoir dit quelques mots au sujet du Tohu-vah-bohu – dont Wordsworth traduit la signification par "sens dessus dessous" – et après avoir expliqué que ce terme désignait le Cosmos, il enseigne que :
Au-dessus du sombre abîme [le chaos] se trouvaient les Eaux... la terre était Tohu-vah-bohu, c'est-à-dire dans la confusion ; et les ténèbres recouvraient la surface de l'Abîme et un Souffle puissant agitait les Eaux lorsque l'Eprit s'écria [?] : "Que la lumière soit" et la lumière fut. Ainsi la terre [notre globe bien entendu] était en état de cataclysme – d'épaisses vapeurs voilaient l'immensité du ciel, la terre était couverte d'eau et un vent violent agitait ce sombre océan, lorsqu'à un certain moment l'équilibre se révéla et la lumière reparut : les lettres qui composent le mot hébreu "Béréshith" (premier mot de la Genèse) sont "Beth", le binaire, le verbe manifesté par l'acte, lettre féminine ; puis "Resch", le Verbe et la vie, le nombre 20, le disque multiplié par 2 et "Aleph", le principe Spirituel, l'Unité, lettre masculine.
Placez ces lettres dans un triangle et vous aurez l'Unité absolue, qui sans être comprise dans les nombres, crée le nombre, la première manifestation, qui est 2 et ces deux, unis par l'harmonie qui résulte de l'analogie des contraires [opposés] ne font qu'un seulement. C'est pour cela que Dieu est appelé Elohim (pluriel).
Tout cela est très ingénieux, mais très embarrassant, et, de plus, incorrect. En effet, par la première phrase "Au-dessus du sombre abîme se trouvaient les Eaux", le Cabaliste Français conduit l'étudiant hors du droit chemin. Un Chéla Oriental remarquera cela au premier coup d'œil, et un profane même pourrait s'en apercevoir. Si le Tohu-vah-Bohu est "au- dessous" et les Eaux "au-dessus", il s'ensuit qu'ils sont distincts l'un de l'autre, ce qui n'est pas le cas. Cette [V 249] déclaration est très importante, en ce qu'elle modifie entièrement l'esprit et la nature de la Cosmogonie et la ramène au même niveau que la Genèseexotérique – et cette déclaration fut peut-être faite pour atteindre ce résultat. Le Tohu-vah-bohu est le "Grand Abîme" et il est identique aux "Eaux du Chaos" ou aux Ténèbres primordiales. En exposant les choses d'une autre façon, on représente le "Grand Abîme" et les "Eaux" – qui ne peuvent être séparés que dans le monde phénoménal – comme limités au point de vue de l'espace et conditionnés en leur nature. Ainsi, Eliphas, dans son désir de cacher le dernier mot de la philosophie Esotérique, omet – intentionnellement ou non, peu importe – de signaler le principe fondamental de la seule vraie Philosophie Occulte, c'est-à-dire l'unité et l'absolue homogénéité de l'Unique et Eternel Elément Divin, et il transforme la Divinité en un Dieu mâle. Puis, Au-dessus des Eaux il y avait le Souffle puissant des Elohim [les Dhyân Chohans créateurs]. Au-dessus du Souffle apparut la Lumière et au-dessus la Lumière le Verbe... qui la créa.
Or, les faits sont précisément l'inverse de cela : c'est la Lumière Primordiale qui crée le Verbe ou Logos, lequel, à Son tour, crée la lumière physique. Pour prouver ce qu'il dit et le faire comprendre, il donne la figure suivante :
Verbe |
Lumière |
Souffle |
Eau |
Nuit |
Or, aucun Occultiste Oriental voyant cette figure n'hésiterait à déclarer que c'est un dessin magique "de gauche". La figure est entièrement renversée et représente la troisième phase de la pensée religieuse, celle qui avait cours dans le Dvâpara Youga, lorsque le principe unique est déjà séparé en mâle et femelle et que l'humanité approche de la chute [V 250] dans la matérialité, qui amène le Kali Youga. Un étudiant de l'Occultisme Oriental dessinerait ainsi la figure :
Eau |
Lumière |
Verbe |
Lumière Phénoménale |
Monde et Homme Célestes |
Monde et Homme Physiques |
Car la DOCTRINE SECRETE nous enseigne que la reconstruction de l'Univers a lieu de la façon suivante : Aux périodes de génération nouvelle, le Mouvement perpétuel devient le Souffle ; du souffle émane la Lumière primordiale, à travers l'éclat radieux de laquelle se manifeste la Pensée Eternelle cachée dans les ténèbres et celle-ci devient le Verbe (Mantra) 423. C'est de Celui-ci (le Mantra ou Verbe) que jaillit à l'existence tout Ceci (l'Univers).
Eliphas Levi dit ensuite :
Celle-ci [la Divinité cachée] dirigea un rayon dans l'Essence Eternelle [les Eaux de l'Espace] et, faisant ainsi fructifier le germe primordial, l'Essence se développa 424 en donnant naissance à l'Homme Céleste du mental duquel naquirent toutes les formes.
L'exposé de la Cabaleest presque le même. Pour apprendre ce qu'elle enseigne réellement, il faut intervertir l'ordre que suit Eliphas Levi et remplacer le mot "au-dessus" par le mot "dans" car il ne peut certainement pas y avoir un "au-dessus" ou un "au-dessous" dans l'Absolu. Voici ce qu'il dit : [V 251]
Au-dessus des Eaux, le Souffle puissant des Elohim ; au- dessus du Souffle, la Lumière ; au-dessus de la Lumière, le Verbe, ou la Parole qui la créa. Nous voyons ici les sphères de l'évolution : les âmes [?] attirées hors du centre sombre (les Ténèbres) vers la circonférence lumineuse. Au fond du cercle le plus bas se trouve le Tohu-vah-bohu ou le chaos qui précède toute manifestation [Naissances-génération] : puis la région de l'Eau ; puis le Souffle ; puis la Lumière et enfin le Verbe.
Le mode de construction des phrases qui précèdent prouve que le savant Abbé avait une tendance marquée à anthropomorphiser la création, même si celle-ci devait être formée à l'aide de matériaux préexistants, comme le Zohar l'établit assez clairement.
Voici comment le "grand" Cabaliste Occidental tourne la difficulté : il garde le silence au sujet de la première phase de l'évolution et imagine un second Chaos. Ainsi :
Le Tohu-vah-bohu est le Limbus latin, ou crépuscule du matin et du soir de la vie 425. Il est animé d'un mouvement perpétuel 426, il se décompose continuellement 427, et le travail de putréfaction s'accélère, parce que le monde marche vers la régénération 428. Le Tohu-vah-bohu des Hébreux n'est pas exactement l'état de confusion appelé Chaos par les Grecs et dont on trouve la description au commencement des Métamorphoses d'Ovide : c'est quelque chose de plus grand et de plus profond ; c'est la fondation de la religion, c'est l'affirmation philosophique de l'immatérialité de Dieu.
425 Pourquoi n'en pas donner de suite le sens théologique, tel que nous le trouvons dans Webster ? Pour les Catholiques Romains ce mot veut simplement dire "purgatoire" la frontière entre le ciel et l'enfer (Limbus patrum et Limbus infantum), l'un pour tous les hommes bons, mauvais et indifférents, l'autre pour les âmes des enfants non baptisés ! Pour les Anciens, il désignait simplement ce qui, dans le Bouddhisme Esotérique, est appelé le Kâma-Loka, entre le Dévachan et l'Avitchi.
426 En tant que Chaos, l'Elément éternel, mais assurément pas en tant que Kâma-Loka !
427 C'est la preuve qu'Eliphas Levi désigne par ce mot la plus basse région de l'Akâsha terrestre.
428 Evidemment il ne s'occupe que de notre monde périodique ou du globe terrestre.
C'est plutôt une affirmation de la matérialité d'un Dieu personnel. Si un homme doit chercher sa Divinité dans le Hadès des anciens – car le Tohu-vah-bohu, ou le Limbus des Grecs, est le Hadès – on ne saurait s'étonner plus longtemps des accusations lancées par l'Eglise contre les "sorcières" et les sorciers versés dans le Cabalisme Occidental, d'être les adorateurs du bouc Mendès, ou du diable personnifié par certains fantômes et Elémentals. Mais étant donnée la tâche qu'Eliphas Levi s'était imposée – celle de concilier [V 252] la Magie juive avec les croyances ecclésiastiques Romaines – il ne pouvait s'exprimer autrement.
Il explique ensuite la première phrase de la Genèse :
Mettons de côté la traduction vulgaire des textes sacrés et voyons ce que cache le premier chapitre de la Genèse. Il donne alors, très correctement, le texte hébreu, mais le transcrit ainsi :
Béreschith Bara Eloim uth aschaman ouatti aares ouares ayete Tohu-vah-bohu... Ouimas Eloim rai avur ouiai aour.
Puis il explique :
Le premier mot "Béreschith" signifie "genèse", mot équivalent à "nature".
"L'acte de génération, ou production", disons-nous et non pas à "Nature" :
Il continue ainsi :
La phrase est donc incorrectement traduite dans la Bible. Ce n'est pas "au commencement", attendu que cela devrait être à la phase de la force génératrice 429, ce qui exclurait toute idée d'ex-nihilo... puisque rien ne saurait produire quelque chose. Le mot "Eloim" ou "Elohim" signifie les Puissances génératrices et voici le sens occulte du premier verset... "Béreschith" ("nature" ou "genèse"), "Bara" ("créa") "Eloim" ("les forces") "Athat-ashamaim" ("les cieux") "ouath" et "oaris" ("la Terre") : c'est-à-dire, "Les puissances génératrices créèrent indéfiniment (éternellement) 430 les forces qui constituent les opposés équilibrés que nous appelons ciel et terre, dans le sens de l'espace et les corps, le volatil et le fixe, le mouvement et le poids".
429 Il serait plus correct de dire "du réveil" des forces.
Or, si c'est correct, c'est trop vague pour être compris par une personne ignorant l'enseignement cabalistique. Ses explications sont non seulement peu satisfaisantes et trompeuses – elles sont encore pires dans ses ouvrages publiés – mais sa transcription de l'Hébreu est complètement erronée ; elle empêche l'étudiant qui voudrait la comparer avec les symboles et les chiffres équivalents des mots et des lettres de l'alphabet hébreu, de reconnaître rien de ce qu'il eût pu trouver [V 253] si les mots avaient été correctement orthographiés dans la transcription française.
Si on la compare même avec la Cosmogonie hindoue exotérique, la philosophie qu'Eliphas Levi représente comme cabalistique est tout simplement du Catholicisme romain mystique, adapté à la Cabalechrétienne. Son Histoire de la Magie l'établit clairement et révèle aussi son but, qu'il ne cherche même pas à cacher. En effet, tout en déclarant avec son Eglise que, la Religion Chrétienne a imposé silence aux oracles mensongers des Gentils et mis un terme au prestige des faux dieux 431.
430 Une action qui est incessante dans l'éternité ne saurait être appelée "création", c'est l'évolution et l'éternel devenir du Philosophe Grec et du Védantin Hindou ; c'est le Sat et l'unique Etreté de Parménide, ou l'Etre identique à la Pensée. Comment peut-on donc dire que les Puissances "créent le mouvement", puisque l'on constate que le mouvement n'eut jamais de commencement, mais exista de toute Eternité ? Pourquoi ne pas dire que les Puissances réveillées transportèrent le mouvement du plan éternel au plan temporel de l'être ? Ce n'est pas une Création.
431 Histoire de la Magie, Int. p. 1.
il promet de prouver dans son ouvrage que le véritable Sanctum Regnum, le grand Art Magique, réside dans l'Etoile de Bethléem qui conduisit les trois Mages pour adorer le Sauveur du Monde. Il dit ensuite :
Nous prouverons que l'étude du Pentagramme sacré devait amener tous les Mages à connaître le nouveau nom qui devait se dresser au-dessus de tous les noms et devant lequel tout être capable d'adorer devait ployer le genou 432.
432 Histoire de la Magie, Int. D. 2.
Cela prouve que la Cabalede Levi est du Christianisme mystique et non pas de l'Occultisme, car l'Occultisme est universel et n'établit aucune différence entre les "Sauveurs" (ou grands Avatars) des différentes Nations antiques. Eliphas Levi ne constituait pas une exception en prêchant le Christianisme sous le couvert de la Cabale. Ce fut incontestablement "le plus grand représentant de la Philosophie Occulte moderne", telle qu'elle est étudiée, en général, dans les pays Catholiques Romains, où elle cadre avec les idées préconçues des étudiants Chrétiens, mais il n'enseigna jamais la véritable Cabale universelle et encore moins l'Occultisme Oriental. Que l'étudiant compare l'enseignement Oriental avec celui de l'Occident, pour voir si la philosophie des Oupanishads "a encore à atteindre les niveaux de perception" du système Occidental. Chacun a le droit de défendre le système qu'il préfère, mais, pour le faire, il est inutile de jeter le blâme sur le système de son prochain.
En raison de la grande ressemblance qui existe entre beaucoup des "vérités" fondamentales du Christianisme et des "mythes" du Brahmanisme, on a récemment tenté, d'une façon très sérieuse d'établir que la Bhagavad Gîtâ, ainsi que la plus part des Brahmanas et des Pouranas, sont d'une époque beaucoup plus récente que les Livres Mosaïques et même que les Evangiles. Cependant, même si l'on remportait un succès imposé dans ce sens, cet argument n'atteindrait pas [V 254] le but visé, puisqu'il resterait le Rig Véda. Ramené aux limites les plus modernes de l'âge qui lui est assigné, sa date ne saurait être postérieure à celle du Pentateuque, qui est reconnu comme étant plus récent.
Les Orientalistes savent bien qu'ils ne peuvent se débarrasser des jalons posés dans cette "Bible de l'Humanité" que l'on appelle le Rig Véda, jalons suivis par toutes les religions subséquentes. C'est là, qu'à l'aurore même de l'humanité intellectuelle, furent établies les fondations de toutes les croyances, de tous les temples et de toutes les églises, depuis les premiers jusqu'aux derniers, et ces fondations subsistent encore. Les "mythes" universels, les personnifications des Puissances divines et cosmiques, primaires et secondaires et des personnages historiques de toutes les religions existantes ou disparues, se retrouvent dans les sept Divinités principales du Rig Véda et dans leurs 330 000 000 de corrélations et ces Sept, ainsi que les quelques millions, sont les Rayons de l'Unité unique et sans limites.
Mais CELLE-CI ne peut être l'objet d'aucun culte profane. Elle peut être seulement "l'objet de la méditation la plus abstraite, à laquelle les Hindous se livrent afin d'arriver à s'absorber en elle". Au début de chaque "aurore" de "Création", la Lumière éternelle – qui est les Ténèbres – revêt l'aspect de ce qu'on appelle le Chaos : chaos pour l'intellect humain ; Racine éternelle pour le sens super-humain ou spirituel.
"Osiris est un Dieu noir." Telles étaient les paroles que l'on prononçait "à voix basse" en Egypte, lors de l'Initiation, parce qu'Osiris Noumène est ténèbres pour le mortel. Dans ce Chaos sont formées les "Eaux", Mère Isis, Aditi, etc. Ce sont les "Eaux de la Vie" dans lesquelles des germes primordiaux sont créés – ou plutôt réveillés – par la Lumière primordiale. C'est Pouroushottama, ou l'Esprit Divin, qui, en sa qualité de Nârâyana, qui se meut sur les Eaux de l'Espace, fructifie, en lui infusant le Souffle vital, le germe qui devient "l'Œuf d'Or, du Monde", dans lequel le Brahmâ mâle est créé 433 et de cet œuf émerge le premier Prajâpati, le Seigneur des Etres, qui devient le progéniteur de l'humanité. Et, bien que ce ne soit pas lui, mais l'Absolu, qui soit dit contenir l'Univers en Lui-même, le devoir du Brahmâ mâle est pourtant de le manifester sous une forme visible. Il faut donc le rattacher à la procréation des espèces, et il revêt, comme [V 255] Jéhovah et les autres Dieux mâles dans les anthropomorphismes subséquents, l'aspect d'un symbole phallique. Tout au plus, chacun de ces Dieux mâles, "Pères" de tout, deviendrait "l'Homme Archétype". Entre lui et la Divinité Infinie s'étend un abîme. Dans les religions théistes de Dieux personnels, ceux-ci sont rabaissés du rang de Forces abstraites à celui de puissances physiques. L'Eau de la Vie – "l'Abîme" de Mère-Nature – est considérée sous son aspect terrestre dans les religions anthropomorphiques. Voyez combien elle est devenue sainte grâce à la magie théologique ? Elle est considérée comme sacrée et déifiée, aujourd'hui comme jadis, dans presque toutes les religions. Mais si les Chrétiens l'emploient comme un moyen de purification spirituelle dans le baptême et les prières ; si les Hindous révèrent leurs torrents, leurs étangs et leurs fleuves sacrés ; si les Parsis, les Mahométans et les Chrétiens croient tous à son efficacité, cet élément doit certainement posséder une importante signification Occulte. Dans l'Occultisme on le considère comme le Cinquième Principe du Cosmos, dans le septénaire inférieur : car tout l'Univers visible fut construit par l'Eau, disent les Cabalistes, qui connaissent la différence qu'il y a entre les deux eaux – les "Eaux de la Vie" et celles du Salut – que les religions dogmatiques confondent si bien entre elles. Le "Roi Prédicateur" dit en parlant de lui-même :
Moi, le Prédicateur, j'étais roi d'Israël à Jérusalem et je m'adonnai de tout mon cœur à faire des recherches au moyen de la sagesse, sur toutes les choses qui se font sous les cieux 434.
Parlant du grand œuvre et de la gloire des Elohim 435 – unifiés dans le "Seigneur Dieu" selon la Bibleanglaise, dont le revêtement est la lumière, nous dit-il, et dont le ciel est le rideau – il se reporte au constructeur, qui place les poutres de ses chambres dans les eaux 436.
433 Les Vaishnavas, qui considèrent Vishnou comme le Dieu Suprême et l'auteur de l'Univers, prétendent que Brahmâ jaillit du nombril de Vishnou, "l'impérissable", ou plutôt du Lotus qui en sortait. Mais ici "nombril" veut dire Point Central, le symbole mathématique de l'infini, ou Para- brahman, l'Unique et le Sans-Pareil.
434 Ecclésiaste, I, 12, 13.
435 Il est probablement inutile de répéter ici ce que tout le monde sait. La traduction de la Bible Protestante n'est pas la reproduction mot à mot des Bibles Grecque et Latine plus anciennes : le sens y est très souvent défiguré et on y lit "Dieu" où il y avait "Jahvé" et "Elohim".
436 Psaumes, CIV, 2, 3.
c'est-à-dire à la Légion divine des Séphiroths, qui ont construit l'Univers en le tirant de l'Abîme, des Eaux du Chaos. Moïse et Thalès avaient raison de dire que seules la terre et l'eau pouvaient donner naissance à une Ame vivante, l'eau étant sur ce plan le principe de toutes choses. Moïse était un Initié, Thalès un Philosophe – c'est-à-dire un Savant, car de son temps les deux mots étaient synonymes. [V 256]
Le sens secret en est que dans les Livres mosaïques l'eau et la terre représentent la matière première et le Principe créateur (féminin) sur notre plan. En Egypte, Osiris était le Feu et Isis la Terre ou son synonyme l'Eau ; les deux éléments opposés – précisément à cause de leurs propriétés contraires – étant mutuellement nécessaires en vue d'un même but à atteindre, celui de la procréation. La terre a besoin de la chaleur solaire et de la pluie pour faire pousser ses germes. Mais ces propriétés procréatrices du Feu et de l'Eau, ou de l'Esprit et de la Matière, ne sont symboles que de la génération physique. Alors que les Cabalistes juifs symbolisaient ces éléments simplement dans leur application aux choses manifestées et les révéraient comme les emblèmes de la production de la vie terrestre, la Philosophie Orientale ne les considérait que comme une émanation illusoire de leurs prototypes spirituels, et aucune pensée impure ou impie ne souillait son symbolisme religieux Esotérique.
Chaos, ainsi que nous l'avons montré ailleurs, est Théos qui devient Cosmos ; c'est l'Espace, qui contient toutes choses dans l'Univers. Comme l'affirment les Enseignements Occultes, il est appelé par les Chaldéens, les Egyptiens et toutes les autres nations, Tohu-vah-bohu, ou Chaos, Confusion, parce que l'Espace est le grand magasin de la Création, d'où procèdent, non seulement les formes, mais aussi les idées, qui ne pouvaient être exprimées que par l'entremise du Logos, Mot, Verbe ou Son.
... Les nombres 1, 2, 3, 4, sont les émanations successives de la Mère [l'Espace] telle qu'elle les forme en abaissant son vêtement, en l'étalant sur les sept degrés de la Création 437. Le rouleau revient sur lui-même, lorsqu'une de ses extrémités rejoint l'autre dans l'infini, et les nombres 4, 3 et 2 sont étalés, car c'est le seul côté du voile que nous pouvons apercevoir, le premier nombre se trouvant perdu dans sa solitude inaccessible.
... Le Père, qui est le Temps Sans-Limites, génère la Mère, qui est l'Espace infini dans l'Eternité ; et la Mère génère le Père dans les Manvantaras, qui sont des divisions de durée, [V 257] le Jour où ce monde devient un océan. La Mère devient alors Nârâ [les Eaux – le Grand Abîme] pour que Nârâ [l'Esprit Suprême] s'y repose – ou s'y meuve – lorsqu'il est dit que 1, 2, 3, 4 descendent et résident dans le monde de l'invisible, tandis que 4, 3, 2 deviennent les limites du monde visible, pour s'y occuper des manifestations du Père [le Temps] 438.
437 Pour éviter un contresens sur le mot "Création", que nous employons si souvent, nous pouvons citer les remarques de l'auteur de Through the Gates of Gold, en raison de leur clarté et de leur simplicité. "Le mot "créer" est souvent traduit par le mental ordinaire comme donnant l'idée de tirer quelque chose du néant. Ce n'est clairement pas le sens du mot. Nous sommes mentalement obligés de fournir à notre Créateur le chaos, pour qu'il en tire les mondes. Le laboureur, qui est le producteur type de la vie sociale, doit avoir ses matériaux : sa terre, son ciel, sa pluie et son soleil, ainsi que les semences à mettre en terre. Avec rien il ne peut rien produire. Du vide, la nature ne peut jaillir, il y a au-delà, derrière, ou dedans, les matériaux à l'aide desquels elle est formée par notre désir d'un Univers." (p. 72-2)
438 Commentaire de la Stance IX sur les Cycles.
439 Ou bien, si vous lisez de droite à gauche, les lettres et leurs nombres correspondants donnent : "t", 4 , "hs", 5 ; "bh", 2 ; "v", 6 ; "v", 6 ; "h", 5 ; "v" ou "w", 6 ; ce qui fait "Thuvbhu", 4566256 ou "Tohu-vah-bohu".
Cela se rapporte aux Mahàyougas qui deviennent, en chiffres, 432 et, avec addition de zéros 4 320 000.
Or, il est excessivement étrange, si ce n'est qu'une simple coïncidence, que la valeur numérique de Tohu-vah-bohu, ou du "Chaos", dans la Bible– lequel Chaos est, bien entendu, la "Mère" Abîme, ou les Eaux de l'Espace – donne les mêmes chiffres. En effet, voici ce qu'on découvre dans un manuscrit cabalistique :
Au sujet des Cieux et de la Terre, il est dit dans le second verset de la Genèsequ'ils étaient "Chaos et Confusion", c'est-à-dire qu'ils étaient "Tohu-vah-bohu" et que "les ténèbres régnaient sur la surface de l'abîme", c'est-à-dire que "la matière parfaite qui devait servir à édifier la construction manquait d'organisation". L'ordre des chiffres de ces mots, tels qu'ils se trouvent – c'est-à- dire 439 les lettres représentées par leur valeur numérique – est 6.526.654 et 2.386. Dans l'art de la parole, ce sont des nombres clefs négligemment mêlés ensemble, ce sont les germes et les clefs de la construction, qui ne doivent être reconnus qu'un à un, au fur et à mesure qu'on les emploie. Ils suivent symétriquement l'œuvre, comme suivant immédiatement la première phrase de la grande énonciation : "En Rash se développèrent des Dieux, les cieux et la terre".
Multipliez entre eux les nombres des lettres de "Tohu- vah-bohu", d'une façon continue, de droite à gauche, en inscrivant au fur et à mesure les simples produits et nous aurons la série suivante de valeurs, à savoir :
(a) 30, 60, 360, 2.160, 10.800, 43.200 ou, avec les chiffres caractéristiques, 3, 6, 36, 216, 108 et 432 ;
(b) 20, 120, 720, 1.440, 7.200, ou, 2, 12, 72, 144, 72,
432, la série se terminant par 432, un des plus fameux nombres de l'antiquité, qui, bien qu'obscurci, apparaît dans la chronologie jusqu'au Déluge 440.
Cela prouve que la coutume des Hébreux de jouer sur les nombres doit être venue de l'Inde aux Juifs. Comme nous l'avons vue, la série finale donne, outre de nombreuses autres [V 258] combinaisons, les nombres 108 et 1008 – le nombre des noms de Vishnou, d'où viennent les 108 grains du rosaire du Yogî – et se termine par 432, le nombre véritablement "fameux" dans l'antiquité Indienne et Chaldéenne, qui apparaît dans le cycle de 4 320 000 ans de la première, et dans la durée de 432 000 ans des dynasties divines Chaldéennes.
440 Manuscrits de M. Ralston Skinner.