SECTION XXVI

LES IDOLES ET LES TERAPHIM

 

La signification des "contes de fées" raconté par le Chaldéen Qoû- tâmy est facile à comprendre. Son modus operandi en ce qui concerne "l'idole de la lune" était celui qu'employaient tous les Sémites, avant que Térah, père d'Abraham, n'eût fait des images – nommées Téraphim, d'après son nom – ou que le "peuple élu" d'Israël n'eût cessé de s'en servir pour prédire. Ces téraphim étaient des "idoles", tant autant que n'importe quelle image ou statue païenne 441. L'injonction : "Tu ne t'inclineras pas devant une image ciselée", ou téraphim, doit avoir pris naissance à une date postérieure, ou bien on n'en a pas tenu compte, puisque la prosternation devant les téraphim et leur emploi pour prédire, semblent avoir été si orthodoxes et si générales que le "Seigneur" menaça effectivement les Israélites, par l'entremise d'Osée, de les priver de leurs téraphim.

Car les enfants d'Israël souffriront pendant de  longs jours, sans roi... sans sacrifices et sans images.

Le mot Matzébah, statue ou pilier, est traduit dans la Biblepar "sans éphod et sans téraphim 442".

Le Père Kircher soutient très fortement l'idée que la statue du Sérapis Egyptien était identique, sous tous les rapports, à celles des séraphim, ou téraphim, dans le temple de Salomon. Louis de Dieu dit C'étaient peut-être des images d'anges ou des statues dédiées aux anges, la présence de l'un de ces esprits étant ainsi attirée dans les téraphim et répondant à ceux qui venaient le consulter, et, même dans cette hypothèse, le mot "téraphim" deviendrait un équivalent de  "séraphim" en changeant le "t" en "s", à la façon des Syriens 443.[V 260]

441 Le fait que les téraphim étaient des statues et non pas quelque chose de plus petit est démontré dans Samuel, XIX, où Michal prend un des téraphim ("Image" suivant la traduction) et le met dans le lit pour représenter David, son mari, qui avait fui Saül (voyez versets 13 et seq.). Il avait donc la forme et la taille d'un corps humain – une statue, ou véritable idole.

442 Op. cit., III, 4.

 

Que dit la Version des Septante ? Les téraphim sont successivement traduits par έίδωλα – formes ressemblant à quelqu'un ; eidolon, "corps astral" γλυπτά – les sculptés ; χενοτάφια sculptures, dans le sens de renfermant quelque chose de caché, ou réceptacles ; θηλους – manifestations ; άλήθειας – vérités ou réalités ; µορφώµατα ou  φωτισµούς – ressemblances lumineuses, brillantes. Cette dernière expression prouve clairement ce qu'étaient les téraphim. La Vulgatetraduit le terme par "annuntientes", les "messagers qui annoncent" et il devient ainsi certain que les téraphim étaient des oracles. C'étaient les statues animées, les Dieux qui se révélaient aux masses par l'entremise de Prêtres initiés et d'Adeptes, dans les temples Egyptiens, Chaldéens, Grecs et autres.

Quant au moyen de prédire ou d'apprendre son destin et d'être instruit par les téraphim 444, il est très clairement expliqué par Maimonide et Seldenus. Le premier dit :

Les adorateurs des téraphim prétendaient que la lumière des principales étoiles [planètes] remplissant la statue sculptée et la pénétrant de part en part, la vertu angélique [des régents, ou principes animateurs des planètes] causait avec eux et leur enseignait beaucoup ; d'arts et de sciences de la plus grande utilité 445.

 443 Louis de Dieu, Genèse, XXXI, 19. Voyez de Mirville, III, 257.

444 "Les téraphim du père d'Abraham, Térah, le "faiseur d'images", étaient les Dieux Kabires et nous les voyons adorés par Micah, par les Danites et par d'autres (Juges, XVII-XVIII, etc.). Les téraphim étaient identiques aux séraphins et c'étaient des images de serpents, qui tiraient leur origine du "Sarpa" Sanscrit (le Serpent), symbole consacré à toutes les divinités, comme celui de l'immortalité. Kiyun ou le Dieu Kivan, adoré par les Hébreux dans le désert, c'est Shiva, le Saturne Hindou. [L' "h" Zende est en Inde "s" ; ainsi "Hapta" devient "Sapta" ; "Hindou" devient "Sindhaya" (A. Wilder). L' "s" s'adoucit continuellement jusqu'à devenir "h" depuis la Grèce  jusqu'à Calcutta, depuis le Caucase jusqu'à l'Egypte", dit Dunlap. Il en résulte que les lettres "k", "h" et "s" sont interchangeables.] L'histoire grecque nous montre que l'Arcadien Dardanus les ayant reçus en dot, les transporta dans l'île de Samothrace et de là à Troie, et ils étaient adorés longtemps avant les jours de gloire de Tyr et de Sidon, bien que la première ait été construite 2 760 ans av. J.-C. D'où Dardanus les tira-t-il ?" Isis Dévoilée, II, 391.

445 Maimonide, More Nevochim, III, XXX.

 

 Seldenus donne à son tour la même explication et ajoute que les téraphim 446 étaient construits et façonnés en concordance  avec les positions de leurs planètes respectives, chacun des téraphim étant consacré à un "ange stellaire" spécial, de ceux que les Grecs appelaient stoichae et aussi d'après les formes situées dans le firmament et appelées "Dieux tutélaires" :

Ceux qui retraçaient les στοιχει̃α étaient appelés στοιχειωµατικοὶ  (ou  les  devins  par  les  planètes)  et  les στοιχει̃α [éléments] 447. [V 261]

Ammien Marcellin déclare que les divinations antiques s'accomplissaient toujours avec l'aide des "esprits" des éléments (spiritus elementorum) ou, comme on les appelle en grec, πνεύµατα τω̃ν στοιχείων. Or, ces derniers ne sont pas les "esprits" des étoiles (planètes), ni non plus des Etres divins, ce sont simplement les créatures qui habitent leurs éléments respectifs, que les Cabalistes appellent esprits élémentaires et les théosophes des élémentals 448. Le Père Jésuite Kircher dit au lecteur :

Chaque dieu avait de semblables instruments de divination par qui parler. Chacun d'eux avait  sa spécialité.

Sérapis donnait des instructions sur l'agriculture ; Anubis enseignait les sciences ; Horus donnait des conseils sur des questions psychiques et spirituelles ; Isis était consultée au sujet de la crue du Nil et ainsi de suite 449.

446 Ceux dédiés au Soleil étaient en or et ceux dédié à la Lune en argent.

447 De Diis Syrüs Teraph. II, Syat, p. 31.

448 Ceux que les Cabalistes appellent esprits élémentaires sont les sylphes, les gnomes, les  ondines et les salamandres, bref, les esprits de la Nature. Les esprits des anges formaient une catégorie distincte.

449 Œdipus, II, 444.

 

Ce fait historique fourni par l'un des plus capables et des plus érudits parmi les Jésuites est fatal au prestige du "Seigneur Dieu d'Israël", en ce qui concerne sa prétention à la priorité et à être l'unique Dieu vivant. Jéhovah, de l'aveu de l'Ancien Testament lui-même, n'employait pas d'autres moyens pour converser avec ses élus et cela le place sur un pied d'égalité  avec  tous  les  autres  Dieux  païens,  même  ceux  des catégories inférieures. Dans les Juges XVII, nous lisons que Michah se fit faire un éphod et un téraphim et les consacra à Jéhovah (voyez la Version des Septante et la Vulgate) ; ces objets furent fabriqués par un fondeur à l'aide de deux cents sicles d'argent, qui lui furent donnés par sa mère. Il est vrai que la "Sainte Bible" du Roi Jacques explique ce soupçon d'idolâtrie en disant :

 En ce temps-là, il n'y avait pas de roi en Israël, chacun faisait ce que lui-même jugeait bon.

Pourtant cet acte devait être orthodoxe, puisque Micah, après s'être assuré les services d'un prêtre, d'un devin, pour l'emploi de son éphod et de ses téraphim, s'écria : "Je sais maintenant que le Seigneur me  fera du bien." Et si l'action de Micah – qui avait une maison des Dieux fit un éphod et des téraphim et consacra un de ses fils à leur service, de même qu'à celui de "l'image sculptée" dédiée "au Seigneur" par sa mère – semble aujourd'hui fâcheuse, il n'en était pas ainsi à cette époque où il n'existait qu'une religion et une langue. Comment l'Eglise Latine peut-elle [V 262] blâmer cet acte, puisque Kircher, un des meilleurs auteurs, appelle les téraphim "les saints instruments des révélations primitives" ; puisque la Genèsenous montre Rebecca allant "interroger le Seigneur" 450 et le Seigneur lui répondant (certainement par des téraphim) et lui communiquant plusieurs prophéties ? Et si ce n'est pas suffisant, voici Saül qui déplore le silence de l'éphod 451 et David qui consulte les thummim et reçoit des conseils oraux dit Seigneur au sujet du meilleur moyen de tuer ses ennemis.

Cependant, le thummin et l'urim – objets de nos jours de tant de conjectures et de spéculations – ne sont pas une invention des Juifs et leur usage n'a pas commencé chez eux, en dépit des minutieuses instructions que Jéhovah donna à Moïse à leur sujet. En effet, le prêtre-hiérophante des temples égyptiens portait un pectoral en pierres précieuses, en tous points semblables à celui du grand-prêtre des Israélites.

 450 Op. cit., XXV 22 et seq.

451 L'éphod était un vêtement de lin que portait le grand-prètre, mais comme les thummim y étaient attachés, tout l'attirail de la divination était souvent compris dans le seul mot d'éphod. Voyez I, Sam., XXVIII, 6, et XXX, 7 8.

 

Les grands-prêtres de l'Egypte portaient, suspendue  à leur cou, une image en saphir appelée Vérité, la manifestation de la vérité devenant évidente en elle.

Seldenus n'est pas seul auteur Chrétien qui assimile les téraphim des Juifs à ceux des Païens, en exprimant l'opinion que les premiers les avaient empruntés aux Egyptiens. En outre, Döllinger, un auteur éminemment Catholique Latin nous dit :

Les téraphim, furent employés et conservés dans beaucoup  de  familles  juives,  jusqu'à  l'époque  de Josias 452.

Quant à l'opinion personnelle de Döllinger, un papiste, et à celle de Seldenus, un protestant – qui retrouvent tous deux Jéhovah dans les téraphim des Juifs et les "mauvais esprits" dans ceux des Païens – c'est l'habituel jugement partial de l'odium theologicum et du sectarisme. Seldenus a pourtant raison de prétendre qu'aux temps jadis, tous ces modes de communication n'avaient été primitivement établis qu'en vue de communication divines et angéliques. Mais le saint Esprit (les esprits, plutôt) [ne] parlaient [pas] aux enfants d'Israël [seuls] par l'urim et le thummim, alors que le tabernacle demeurait, comme le docteur A. Cruden voudrait le faire croire. Et les Juifs n'étaient pas les seuls à avoir besoin d'un "tabernacle" pour des communications théophaniques ou divines de ce genre, car aucune Bath-Kol (ou "Fille de la Voix-Divine") [V 263] appelée thummim, ne pouvait être entendue par un Juif, un Païen ou un Chrétien, s'il n'existait pas un tabernacle approprié à cela.  Le "tabernacle" était simplement le téléphone archaïque de cette époque de Magie, alors que les pouvoirs occultes s'acquéraient par l'Initiation, exactement comme maintenant. Le XIXème siècle a  remplacé par un téléphone électrique le "tabernacle" fait de métaux et de bois spécifiés et disposé d'une façon spéciale et il a des médiums naturels au lieu de grands-prêtres et de hiérophantes. Pourquoi s'étonnerait-on donc qu'au lieu d'atteindre des Esprits Planétaires et des Dieux, les croyants communiquent maintenant avec des êtres aussi peu  élevés que des élémentals et des coques animées – les démons de Porphyre ? Ce qu'étaient ceux-ci, il nous le dit franchement dans son ouvrage intitulé Sur les bons et les mauvais Démons.

452 Paganism and Judaism, IV, 197.

 

Ceux qui ambitionnent d'être pris pour des Dieux et dont le chef prétend être reconnu comme le Dieu Suprême.

Indubitablement – et ce ne sont pas les Théosophes qui nieront jamais le fait – il y a, à toutes les époques, de bons et de mauvais esprits, des "Dieux", bienveillants et malveillants. Toute la difficulté consistait, et consiste encore, à savoir auquel on avait affaire. Et cela, nous le soutenons, l'Eglise Chrétienne ne le sait pas mieux que son troupeau profane. Si quelque chose le prouve, ce sont certainement les innombrables bévues théologiques commises dans ce sens. Il est vain d'appeler "diables" les Dieux des païens, puis de copier servilement leurs symboles en imposant une distinction entre les bons et les mauvais, basée seulement sur le fait qu'ils sont respectivement, les uns Chrétiens et les autres Païens. Les planètes – les éléments du Zodiaque – n'ont pas seulement figuré à Héliopolis, sous forme des douze pierres appelées "mystères des éléments" (elementorum arcana) ; d'après de nombreux et orthodoxes auteurs Chrétiens, on les voyait aussi dans le temple de Salomon et on peut les voir jusqu'à présent dans plusieurs antiques églises italiennes et même à Notre-Dame de Paris.

On dirait vraiment que l'avertissement donné dans les Stromates de Clément a été donné en vain, bien qu'il soit supposé citer des paroles prononcées par saint Pierre. Il dit :

N'adorez pas Dieu comme le font les Juifs, qui se figurent être les seuls à connaître la Divinité et qui ne s'aperçoivent pas qu'au lieu d'adorer Dieu, ils adorent les anges, les mois lunaires et la lune 453.

453 Op. cit., I, VI, 5.

 

Qui ne s'étonnerait, après avoir lu cela, de voir qu'en dépit de cette compréhension de l'erreur juive, les Chrétiens adorent [V 264] encore le Jéhovah juif, l'Esprit qui parlait par l'entremise de ses téraphim ? Qu'il en soit ainsi et que Jéhovah n'ait été que "le génie tutélaire", on esprit, du peuple d'Israël – un des "pneumata tôn stoicheiôn" (ou "grands esprits  des éléments") seulement et non pas même un "Esprit Planétaire" supérieur – c'est un fait dont la démonstration s'appuie sur l'autorité de saint Paul et de Clément  d'Alexandrie,  si  les  mots  qu'ils  emploient  ont  le  moindre  sens. Pour le second, le mot στοιχει̃α ne signifie pas seulement éléments, mais aussi principes générateurs cosmologiques et notamment les signes [ou constellations] du Zodiaque, des mois, des jours, du soleil et de la lune 454.

L'expression est employée par Aristote dans le même sens. Il dit τω̃ν άστρω̃ν στοιχει̃α 455    tandis que Diogène Laerte appelle δώδεκα στοιχι̃α les douze   signes du Zodiaque 456. Or,   comme  nous savons, d'après le témoignage positif d'Ammien Marcellin, que la divination antique s'accomplissait toujours avec l'aide des esprits des éléments.

c'est-à-dire avec les mêmes πνευµατα τω̃ν στοιχίων [esprits des éléments] et que nous constatons dans de nombreux passages de la Bible, que les Israélites, y compris Saül et David, avaient recours à la même divination, en employant les mêmes moyens et que c'était leur "Seigneur" – c'est-à-dire Jéhovah – qui leur répondait, comment pouvons-nous considérer Jéhovah, si ce n'est comme un spiritus elementorum ?

On ne voit donc pas une grande différence entre "l'idole de la lune" – un des téraphim chaldéens par l'entremise duquel parlait Saturne –  et l'idole d'urim et thummim, organe de Jéhovah. Les rites Occultes, scientifiques au début et constituant la plus solennelle et la plus sacrée des sciences ont dégénéré, par suite de la dégradation de l'humanité, en sorcellerie, que l'on qualifie aujourd'hui de "superstition". Comme l'explique Diogène dans son Histoire :

 454 Discours aux Gentils, p. 146 [éd. anglaise].

455 De Gener., I, II, IV.

456 Voyez Cosmos, de Ménage, I, IV, § 101.

 

Les Chaldéens, ayant longuement observé les planètes et connaissant, mieux que personne, la signification  de leurs mouvements et leurs influences, prédisent aux gens leur avenir. Ils considèrent leur doctrine des cinq grands orbes – qu'ils appellent interprètes et nous planètes – comme la plus importante. Et bien qu'ils prétendent que ce soit le soleil qui leur fournisse le plus de prédictions au sujet des grands événements à venir, c'est cependant Saturne qu'ils adorent plus particulièrement. Ces prédictions, communiquées à un certain nombre de rois, particulièrement [V 265] à Alexandre, Antigone, Séleucus, Nicanor, etc... se sont si, merveilleusement réalisées que les gens en ont été frappés d'admiration 457.

Il s'ensuit que la déclaration faite par Ku-tâmy, l'Adepte Chaldéen – à savoir que tout ce qu'il prétend communiquer aux profanes, dans son ouvrage, avait été dit par Saturne à la Lune, par celle-ci à son idole et par cette idole, un téraphim, à lui-même, le scribe – n'implique pas plus d'idolâtrie que la pratique de la même méthode par le Roi David ; on ne saurait donc le considérer ni comme un apocryphe ni comme un "conte de fées". L'Initié Chaldéen en question vivait à une époque bien antérieure à celle qui est assignée à Moïse, à l'époque duquel la Science Sacrée du sanctuaire était encore florissante. Elle ne commença à décliner que lorsque des railleurs comme Lucien furent admis et que les perles de la Science Occulte eussent été trop souvent jetées aux chiens affamés de la critique et de l'ignorance.

457 op. cit., I, II.