SECTION XXXI
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LE BUT DES MYSTERES
Les plus anciens Mystères dont parle l'histoire sont ceux de Samothrace. Après la distribution du Feu pur, une nouvelle vie commençait. C'était la nouvelle naissance de l'Initié, après laquelle, de même que les Brahmanes de l'Inde antique, il devenait un dwija – un "deux fois né".
Initié à ce qu'on peut appeler avec raison les plus bénis de tous les Mystères... étant nous-mêmes purs 526. dit Platon. Diodore de Sicile, Hérodote et le Phénicien Sanchoniathon – le plus ancien des Historiens – disent que l'origine de ces Mystères se perd dans la nuit des temps, probablement à des milliers d'année au-delà de la période historique. Jamblique nous apprend que Pythagore fut initié à tous les Mystères de Byblos et de Tyr, aux opérations sacrées des Syriens et à tous les Mystères des Phéniciens 527
Ainsi qu'il est dit dans Isis dévoilée :
Lorsque des hommes comme Pythagore, Platon et Jamblique, célèbres par leur sévère moralité, participaient aux Mystères et en parlaient avec vénération, il ne sied guère à nos critiques modernes de les juger [eux et leurs Initiés] d'après leur simple aspect extérieur.
526 Le Phèdre, traduction anglaise de Cary, p. 326.
527 Vie de Pythagore, p. 297. "Puisque Pythagore, ajoute-t-il, passa aussi vingt-deux ans dans les adyta des temples de l'Egypte, s'associa aux Mages de Babylone et fut instruit par eux dans leur vénérable savoir, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'il fût expert en Magie ou Théurgie, et, par suite, capable d'accomplir des choses surpassant le pouvoir simplement humain et qui paraissaient parfaitement incroyables aux yeux du vulgaire" (p. 298).
C'est pourtant ce qui a été fait jusqu'à présent, surtout par les Pères Chrétiens. Clément d'Alexandrie stigmatise les Mystères comme "indécents et diaboliques" bien que ses propres paroles, par lesquelles il expose que les Mystères d'Eleusis étaient identiques à ceux des Juifs et même, selon lui, leur avaient été empruntés, aient été citées ailleurs dans cet ouvrage. Les Mystères comportaient deux parties, l'Inférieure pratiquée à Agra, et la Supérieure pratiquée à Eleusis, et Clément lui-même avait été initié. Mais la Katharsis, ou [V 310] épreuves de purification, a toujours été mal comprise. Jamblique en explique le pire, et son explication devrait être parfaitement satisfaisante, au moins pour les esprits exempts de préjugés.
Il dit :
Les exhibitions de ce genre, au cours des Mystères, avaient pour but de nous délivrer des passions licencieuses, en flattant nos regards et en nous amenant en même temps à vaincre toutes mauvaises pensées, grâce au redoutable caractère de sainteté qui accompagnait tout ce rituel.
Le docteur Warbuton fait remarquer que :
Les plus sages et les meilleurs hommes du monde Païen sont unanimes à reconnaître que l'institution des Mystères était pure et tendait aux buts les plus nobles, par les moyens les plus dignes.
Bien que ces gens des deux sectes et de toutes les classes aient été admis à participer aux Mystères, et que cette participation fût même obligatoire, très rares étaient ceux qui atteignaient la finale et suprême Initiation de ces rites célèbres. Les divers degrés des Mystères nous sont indiqués par Proclus dans le quatrième livre de sa Théologie de Platon.
Le rite de perfectionnement précède l'Initiation Telete, Muesis et l'Initiation Epopteia, ou apocalypse [révélation] finale.
Théon de Smyrne, dans Mathematica, divise aussi le rituel mystique en cinq parties :
Dont la première est la purification préalable, car les Mystères ne sont pas communiqués à tous ceux qui désirent les recevoir, mais il y a certaines personnes qui sont écartées par la voix du crieur... il est donc nécessaire que ceux qui ne sont pas écartés des Mystères soient d'abord affinés par certaines purifications : la réception des rites sacrés succède à la purification. La troisième partie est appelée Epopteia ou réception, et la quatrième, qui est la fin et le but de la révélation, est (l'investiture) le bandage de la tête et le placement des couronnes 528... soit qu'il [l'individu initié] devienne après cela un porteur de torche, ou un hiérophante des Mystères, ou qu'il soit chargé d'une autre partie de l'office sacerdotal. Mais la cinquième, qui est la résultante de toutes les précédentes, est l'amitié et la communion avec Dieu, et constituait le dernier et le plus redoutable de tous les Mystères 529. [V 311]
Les principaux buts des Mystères, représentés comme diaboliques par les Pères Chrétiens et ridiculisés par les auteurs modernes, furent institués en vue du dessein le plus élevé et le plus moral. Il est inutile de répéter ici ce qui a été déjà expliqué dans Isis Dévoilée 530, à savoir que grâce à l'Initiation dans le temple ou à l'étude privée de la Théurgie, chaque étudiant obtenait la preuve de l'immortalité de son Esprit et de la survivance de son Ame. Platon fait allusion, dans le Phèdre, à ce qu'était l'épopteia finale :
Etant initiés à ces Mystères qu'il est légitime d'appeler les plus sacrés de tous les mystères... nous nous trouvions délivrés de l'attaque des maux qui, autrement, nous attendent dans une période future. De même, comme conséquence de cette divine initiation, nous devenions les spectateurs de visions complètes, simples, immuables et bénies, qui baignaient dans une pure lumière 531.
528 Cette expression ne doit pas être prise simplement à la lettre, car il y a, comme dans l'initiation de certaines Fraternités, un sens secret que nous venons d'expliquer : Pythagore y fait allusion lorsqu'il décrit ses impressions, après l'Initiation, et dit qu'il fut couronné par les Dieux en présence desquels il avait bu "les eaux de la vie" ; – dans les mystères Hindous, il y avait la fontaine de vie et le soma, le breuvage sacré.
529 Eleusinian and Bacchic Mysteries, T. Taylor, pp. 46, 47. [Voir aussi Œuvres de Théon de Smyrne, traduction française par J. Dupuis. Paris, 1892, p. 23. N.d.T. ]
530 III, 150, 153.
531 Eleusinian and Bacchic Mysteries, p. 63.
532 Op. cit., p. 65.
533 Cité par Taylor, p. 66.
534 Versets 35-38.
Cette confession voilée prouve que les Initiés jouissaient de la Théophanie – qu'ils avaient des visions des Dieux et de véritables Esprits immortels. Taylor en conclut avec raison que :
La partie la plus sublime de l'épopteia ou révélation finale consistait en la vue des Dieux [des hauts Esprits Planétaires] eux-mêmes, enveloppés d'une lumière resplendissante 532.
La déclaration de Proclus, sur le même sujet, est sans équivoque :
Dans toutes les Initiations et dans tous les Mystères, les Dieux se montrent sous des nombreuses formes et apparaissent sous des aspects variés : parfois leur lumière sans forme est exposée aux regards, parfois cette lumière revêt une forme humaine et parfois encore elle se montre sous un aspect différent 533.
Puis encore :
Tout ce qui existe sur la terre n'est que l'image et l'ombre de quelque chose qui existe dans la sphère ; tandis que cette chose resplendissante [le prototype de l'Ame- Esprit] demeure dans une condition inchangeable, son ombre est bien aussi. Lorsque cet être resplendissant s'éloigne de son ombre, la vie s'éloigne aussi [de cette ombre]. En outre, cette lumière est elle-même l'ombre de quelque chose de plus resplendissant qu'elle 534.
Ainsi parle le Désatir dans le Livre de Shet (le prophète Zirtusht), établissant ainsi l'identité de ses doctrines Esotériques avec celles des Philosophes Grecs. [V 312]
La seconde déclaration de Platon confirme l'opinion que les Mystères des Anciens étaient identiques aux Initiations que l'on pratique, même maintenant, parmi les Bouddhistes et les Adeptes Hindous. Les visions supérieures, les plus remplies de vérité, étaient produite grâce à une discipline régulière d'Initiations graduelles et au développement des pouvoirs psychiques. En Europe et en Egypte, les Mystes étaient mis en rapports étroits avec ceux que Proclus appelle "les natures mystiques", "les Dieux resplendissants", parce que, comme le dit Platon :
[Nous] étions nous-mêmes purs et immaculés, étant libérés de ce vêtement qui nous entoure, que nous appelons le corps et auquel nous sommes maintenant rattachés, comme l'est l'huître à sa coquille 535.
En ce qui concerne l'Orient :
La doctrine des Pitris planétaires et terrestres n'était entièrement révélée dans l'Inde antique, tout comme aujourd'hui, qu'au dernier moment de l'Initiation et seulement aux adeptes aux degrés supérieurs 536.
535 Phèdre, 64, cité par Taylor, p. 64.
536 Isis Dévoilée, III, 154.
Nous pouvons maintenant expliquer le mot Pitris et ajouter quelque chose. En Inde, le chéla du troisième degré a deux Gourous : l'un est l'Adepte vivant ; l'autre le Mahâtmâ désincarné et glorifié, Qui reste le conseiller ou instructeur des hauts Adeptes eux-mêmes. Rares sont les chélas acceptés qui voient même leur Maître vivant, leur Gourou, jusqu'au jour et à l'heure du vœu final qui les lie à jamais. C'est ce que nous voulions dire, dans Isis Dévoilée, lorsque nous déclarions que peu de fakirs (le mot chéla étant alors inconnu en Europe et en Amérique), bien que purs, honnêtes et dévoués, ont encore vu la forme astrale d'un pur pitar humain (un ancêtre ou père), autrement qu'aux moments solennels de leur première et de leur dernière initiation. C'est en présence de son instructeur, le Gourou, et immédiatement avant que le vatou-fakir [le chéla qui vient d'être initié] ne soit envoyé dans le monde des vivants avec sa baguette de bambou aux sept nœuds pour seule protection, qu'il est soudainement mis en face de la PRESENCE inconnue [de son Pitar ou Père, le glorieux Maître invisible, ou Mahâtmâ désincarné]. Il le voit et se prosterne aux pieds de la forme évanescente, mais le grand secret de son évocation ne lui est pas confié, car c'est le mystère suprême de la syllabe sacrée.
L'initié sait, dit Eliphas Lévi ; aussi "ose-t-il tout et garde-t-il le silence". Le grand Cabaliste Français ajoute : [V 313]
Vous pourrez le voir souvent triste, jamais découragé ou désespéré ; souvent pauvre, jamais humilié ou misérable ; souvent persécuté, jamais dompté ou vaincu. Il se souvient, en effet, du veuvage et du meurtre d'Orphée, de l'exil et de la mort solitaire de Moïse, du martyre des prophètes, des tortures d'Apollonius, de la Croix du Sauveur. Il voit dans quel état d'abandon mourut Agrippa, dont la mémoire est calomniée jusqu'à présent ; il connaît les épreuves qui brisèrent le grand Paracelse et tout ce que Raymond Lulle eut à souffrir avant de périr d'une mort sanglante. Il se souvient de Swedenborg, obligé de feindre la folie et perdant même la raison, avant que son savoir lui fût pardonné ; de Saint-Martin, qui dut se cacher toute sa vie ; de Cagliostro qui mourut délaissé dans les cachots de l'Inquisition 537 ; de Cazotte qui mourut sur la guillotine. Successeur de tant de victimes, il n'en ose pas moins, mais il comprend mieux la nécessité de se taire 538.
537 C'est faux et l'Abbé Constant (Eliphas Lévi) le savait. Pourquoi a-t-il publié un mensonge ?
538 Dogme et Rituel de la Haute Magie, I, 219, 220. [Traduction faite sur l'édition anglaise.]
La Franc-Maçonnerie – non pas l'institution politique connue sous le nom de Loge Ecossaise, mais la véritable Franc-Maçonnerie, dont quelques rites sont encore conservés au Grand-Orient de France et qu'Elias Ashmole, célèbre Philosophe Occulte anglais du XVIIème siècle chercha en vain à reconstituer sur le modèle des Mystères de l'Inde et de l'Egypte – la Franc-Maçonnerie, dis-je, repose, suivant Ragon, qui fait autorité en la matière, sur trois degrés fondamentaux : le triple savoir d'un Franc-Maçon est d'étudier d'où il vient, ce qu'il est et où il va ; c'est-à-dire l'étude de Dieu, de lui-même et de la transformation future 539. L'Initiation Maçonnique était copiée sur celle des Mystères mineurs. Le troisième degré était employé de temps immémorial, tant en Egypte qu'en Inde, et son souvenir se retrouve jusqu'à présent dans toutes les loges sous le nom de mort et résurrection d'Hiram Abiff, le "Fils de la Veuve". En Egypte, ce dernier était appelé "Osiris" ; en Inde, "Lokachakshou" (Œil du Monde) et "Dinakara" (auteur du jour) ou le Soleil – et le rite lui-même portait partout le nom de "portail de la mort". Le cercueil ou sarcophage d'Osiris, tué par Typhon, était apporté et placé au milieu du Hall des Morts, avec les Initiés rangés tout autour et le candidat placé à côté. On demandait à ce dernier s'il avait participé au meurtre et, en dépit de sa réponse négative, après diverses épreuves très pénibles, l'Initiateur feignait de frapper à la tête avec une hachette : il était renversé, enveloppé de bandages comme une momie et on pleurait sur lui. Puis venaient les éclairs et le [V 314] tonnerre, le supposé cadavre était entouré de feu et, enfin, il était rappelé à la vie.
Ragon mentionne un bruit qui accusait l'empereur Commode – alors qu'il remplissait une fois le rôle d'Initiateur – d'avoir joué si sérieusement son rôle dans le drame de l'Initiation, qu'il tua réellement le postulant lorsqu'il lui porta le coup de hachette. Cela prouve que les mystères mineurs n'avaient pas complètement disparu au second siècle de notre ère.
Les Mystères étaient célébrés dans l'Amérique du Sud et l'Amérique Centrale, le Nord du Mexique et le Pérou, par les Atlantes, à l'époque où un piéton venant du Nord [de ce qui, à une certaine époque, fut aussi l'Inde] aurait pu atteindre – sans presque se mouiller les pieds – la presqu'île de l'Alaska, à travers la Mandchourie, le futur golfe de Tartarie, les Kourilles et les îles Aléoutiennes, tandis qu'un autre voyageur, possédant un canot et partant du Sud, aurait pu traverser le Siam, les îles de la Polynésie et porter ses pas vers une partie quelconque du continent Sud-Américain 540.
539 Orthodoxie Maçonnique, p. 99.
540 Five Years of Theosophy, p. 214.
Ils continuèrent à exister jusqu'au jour de l'invasion des Espagnols. Ceux-ci détruisirent les archives du Mexique et du Pérou, mais ne purent porter leurs mains sacrilèges sur les nombreuses Pyramides – les loges d'une antique Initiation – dont les ruines sont disséminées à Puente Nacional, Cholula et Téotihuacan. Les ruines de Palenque, d'Ococimgo en Chiapas, et d'autres dans l'Amérique Centrale, sont connues de tous. Si les Pyramides et les temples de Guiengola et de Mitla livrent jamais leurs secrets, il sera prouvé que la DOCTRINE actuelle était l'avant-coureur des plus grandioses vérités de la Nature. En attendant, elles ont toutes le droit de s'appeler Mitla, "le lieu de tristesse" et "le séjour des morts (profanés)".