SECTION XXXII

TRACES DES MYSTERES

 

On lit dans la Royal Masonic Cyclopoedia, à l'article "Soleil" :

De tout temps le soleil a nécessairement joué un rôle important comme symbole, particulièrement dans la Franc-Maçonnerie. Le W. M. représente le Soleil levant, le J. W. le Soleil au méridien et le S. W. le Soleil couchant. Dans les rites druidiques, l'Archi-Druide représentait le Soleil et était assisté de deux autres Officiants, dont l'un représentait la Lune dans l'Ouest et l'autre le Soleil, au Sud de son méridien. Il est tout à fait inutile de s'engager dans une longue discussion au sujet de ce symbole.

C'est d'autant plus "inutile" que J. M. Ragon l'a discuté à fond, comme on peut le constater à la fin de la section XXIX où ont été citées des parties de ses explications. Ainsi que nous l'avons dit, la Franc-Maçonnerie tire ses rites de l'Orient, et s'il est exact de dire des modernes Rose-Croix "qu'ils sont dépositaires d'une connaissance du chaos, qui ne constitue peut-être pas une acquisition bien désirable", la remarque est encore plus vraie lorsqu'on l'applique à toutes les autres branches de la Maçonnerie, puisque la connaissance que possèdent leurs membres au sujet de la signification complète de leurs symboles est nul. Des douzaines d'hypothèses sont invoquées, toutes plus improbables les unes que les autres, comme pour les "Tours Rondes" d'Irlande ; un fait suffit à établir l'ignorance des Maçons, à savoir que, suivant la Royal Masonic Cyclopoedia, l'idée qu'elles puissent avoir un rapport avec l'Initiation Maçonnique peut être écartée aussitôt comme ne méritant pas mention. Les "Tours", que l'on trouve partout dans l'Est de l'Asie, se rattachent aux Initiations aux Mystères, entre autres aux rites de Vishvakarman et de Vikartana. Les candidats à l'Initiation y étaient renfermés pendant trois jours et trois nuits, toutes les fois qu'il n'y avait pas, dans le voisinage, de temple  pourvu  d'une  crypte  souterraine.  La construction de ces tours rondes  n'avait  aucun  autre  but.  Si  décriés  que  soient  ces  monuments d'origine païenne par le clergé chrétien, qui "souille ainsi son propre nid". ce  sont  encore  les  vivantes  et  indestructibles  reliques  de  la  Sagesse  du passé. Dans ce monde objectif et illusoire, il n'existe rien que l'on ne puisse utiliser   [V 316] à deux fins –  une bonne et une   mauvaise. Ainsi, postérieurement, les Initiés de la Voie de Gauche et les anthropomorphistes  s'emparèrent  de  la  plupart  de  ces  vénérables  ruines, alors silencieuses et désertées par leurs premiers et sages habitants, et les transformèrent  effectivement  en  monuments  phalliques,  mais  c'est  une dénaturation   délibérée,   voulue   et   vicieuse   de   leur   sens   réel,   une modification  de  leur  premier  emploi.  Le  Soleil  –  bien  qu'il  fût  toujours, même pour la multitude, le µὸνος ούρανου θεὸς, "le seul et unique Roi et Dieu  dans  le  Ciel"  et  le  Εύβουλη̃,  "le  Dieu  de  Bon  Conseil"  d'Orphée  – avait, dans toutes les religions populaires exotériques, un double aspect qui était anthropomorphisé par le profane. Ainsi le Soleil était Osiris-Typhon, Ormuzd-Ahriman, Bel-Jupiter et Baal, le luminaire qui donne la vie et qui donne la mort. De sorte que le même monolithe, le même pilier, la même pyramide, la tour ou le même temple, originairement édifié pour glorifier le premier principe ou aspect, peut devenir avec le temps le temple d'une idole, ou, pis encore, un emblème phallique dans sa forme brutale et crue. Le  Lingam  des  Hindous  a  une  signification  spirituelle  et  hautement philosophique,  alors  que  les  missionnaires  n'y  voient  qu'un  "emblème indécent" ;  il  a  exactement  le  sens  que  l'on  découvre  à  tous  ces  baalim, chammanim et bamoth, ainsi qu'aux piliers de pierre brute de la Bible, qui étaient érigés pour la glorification du Mâle Jéhovah. Mais cela n'altère en rien  le  fait  que  les  poureia  des  Grecs,  les  nour-hags  de  Sardaigne,  les téocalli du Mexique, etc., avaient tous au début le même caractère que les "Tours Bondes" d'Irlande. C'étaient des lieux sacrés d'Initiation.

En 1877, l'auteur de cet ouvrage, citant l'autorité et les opinions de quelques savants éminents, se risque à déclarer qu'il y avait une grande différence entre les termes Chrestos et Christos, différence qui avait une profonde signification Esotérique. Et aussi que, tandis que Christos voulait dire "vivre" et "naître à une vie nouvelle", Chrestos, dans le vocabulaire de "l'Initiation", signifiait la mort, dans l'homme, de la nature interne, inférieure ou personnelle, ce qui donnait la clef du titre brahmanique de "deux fois né", puis enfin Qu'il existait des Chrestiens longtemps avant l'ère du Christianisme et que les Esséniens en faisaient partie 541...

A cause de cette déclaration, on chercha quelles épithètes assez insultantes on pourrait découvrir pour caractériser l'auteur. Et pourtant, alors comme aujourd'hui, l'auteur ne risque jamais une déclaration aussi sérieuse, sans s'appuyer [V 317] sur autant de savantes autorités qu'il en peut rassembler. Ainsi il était dit à la page suivante :

Lepsius établit que le mot Nofre veut dire Chrestos "bon" et que l'un des titres d'Osiris, celui de "Onnofre", doit être traduit par "la bonté de Dieu rendue manifeste". "Le culte du Christ n'était pas universel à cette époque reculée, explique Mackenzie, je veux dire par-là que la Christolâtrie n'avait pas été introduite, mais le culte de Chrestos – le Bon Principe – l'avait précédé de bien des siècles et survécut même à l'adoption générale du Christianisme, comme le prouvent des monuments qui existent encore... Nous avons aussi, sur une épitaphe de pierre, une inscription qui est pré-chrétienne (Spon. Misc. Erud., Ant. X XVIII, 2) Υαχινεο Λαρισαιων ∆ησµόσιε Πρως Χρηστε, et de Rossi (Roma Sotterranea, tome I, tav. XXI) nous donne un autre exemple tiré des catacombes. – "Ællia Chreste, in Pace 542" [Ællia avec Chrestos en paix.]

541 Dans la 1ére épître de Pierre, II, 3, Jésus est appelé "le Seigneur Chrestos". [Dans la version grecque du moins.]

542 Isis Dévoilée, III, 436.

 

Aujourd'hui, l'auteur est en mesure d'ajouter à tous ces témoignages la corroboration d'un savant écrivain, qui prouve tout ce qu'il entreprend de montrer en se basant sur une démonstration géométrique. Il y a dans Source of Measures, dont l'auteur n'a probablement jamais entendu parler du "Dieu Mystère" Vishvakarman des premiers Aryens, un très curieux passage, suivi de remarques et d'explications. Partant de la différence qui existe entre les termes Chrest et Christ, il termine en disant que :

Il y eut deux Messies : l'un qui descendit dans l'abîme pour le salut de ce monde ; celui-ci était le Soleil dépouillé de ses rayons d'or et couronné  (pour symboliser cette perte) de rayons noircis, comme des épines ; l'autre était le Messie triomphant, montant jusqu'au sommet de l'arche du ciel et personnifié  comme le lion de la Tribu de Juda. Dans les deux cas il avait la croix – une fois en signe d'humilité, l'autre fois en la tenant sous son contrôle comme loi de la création, Lui- même étant Jéhovah.

L'auteur entreprend ensuite de démontrer "le fait" que "il y eut deux Messies", etc., comme il est dit plus haut. Et cela – tout en laissant le rôle divin et mystique attribué à Jésus, entièrement indépendant de cet événement de sa vie mortelle – nous Le représente, sans aucun doute possible, comme un Initié aux Mystères Egyptiens, dans lesquels on observait le même rituel de Mort et de Résurrection du néophyte, ou du Chrestos souffrant durant ses épreuves et de nouvelle naissance par la Régénération – car ce rituel était universellement adopté.

"L'abîme" dans lequel on faisait descendre l'Initié oriental était, comme nous l'avons exposé, Pâtâla, l'une des sept régions du monde inférieur, sur laquelle régnait Vâsouki, le grand "Dieu serpent". Dans le Symbolisme oriental, cet [V 318] abîme de Pâtâla a précisément la même signification multiple que celle que Mr. Ralston Skinner découvre au mot shiac, dans son application au cas qui nous occupe. C'était, en effet, le synonyme du Scorpion – les profondeurs de Pâtâla étant "imprégnées de l'éclat du nouveau Soleil" – représenté par le nouveau-né" dans la gloire, et Pâtâla était, et est encore, dans un sens, "un gouffre, un tombeau, le lieu de la mort, et la porte de Hadès ou Shéol" – de même que dans les Initiations, en partie exotériques, de l'Inde le candidat devait traverser la matrice de la génisse avant de se rendre à Pâtâla. Dans le sens non mystique ce sont les Antipodes – en Inde on parle de l'Amérique comme étant Pâtâla – mais dans le symbolisme cela signifiait tout cela et bien d'autres choses encore. Le fait seul que Vâsouki, Dignité régnante de Pâtâla, est représentée dans le Panthéon hindou comme le grand Nâga (Serpent) – que les Dieux et les Asouros employèrent en guise de corde autour du mont Mandara, lors du barattage de l'Océan pour obtenir l'Amrita, l'eau de l'immortalité – le rattache directement à l'Initiation.

Car il est aussi Shésha Nâga, servant de couche à Vishnou  et soutenant les sept mondes, et il est aussi Ananta, "le sans fin" et  le symbole de l'éternité – par suite, il est le "Dieu de la Sagesse Secrète" que l'Eglise a abaissé jusqu'au rôle de Serpent tentateur, de Satan. On peut vérifier l'exactitude de ce que nous disons à l'aide des preuves que fournit même l'exposé exotérique des attributs des divers Dieux et Sages, tant dans le Panthéon Hindou que dans le Panthéon Bouddhique. Deux exemples suffiront à prouver à quel point les meilleurs et les plus érudits de nos orientalistes sont peu capables de traiter correctement et loyalement du symbolisme des peuples Orientaux, alors qu'ils restent dans l'ignorance des points correspondants que l'on ne peut découvrir que dans l'Occultisme et dans LA DOCTRINE SECRETE.

Le savant Orientaliste qui visita le Tibet, le professeur Emil Schlagintweit, mentionne, dans un de ses ouvrages sur ce pays une légende nationale d'après laquelle Nâgârjuna [personnage "mythologique" n'ayant "aucune existence réelle", suivant l'opinion du savant allemand] reçut le livre Paramârtha, ou, suivant d'autres, le livre Avatamsaka, des Nâgas, créatures fabuleuses de la nature des serpents, qui occupent une place parmi les êtres supérieurs à l'homme et sont considérés comme les protecteurs de la loi de Bouddha. On dit que Shâkyamouni enseigna à ces êtres spirituels un système religieux plus philosophique que celui qu'il donna aux hommes, qui n'étaient pas assez avancés pour le comprendre à l'époque où il parut 543. [V 319]

Aujourd'hui encore, les hommes ne sont pas assez avancés car "le système religieux le plus philosophique", c'est la DOCTRINE SECRETE, la Philosophie Orientale Occulte, pierre angulaire de toutes les sciences, repoussée jusqu'à présent par les constructeurs sans sagesse et, peut-être plus aujourd'hui que jamais auparavant, en raison de la grande infatuation de notre époque. Cette allégorie veut tout simplement dire que Nâgârouna, ayant été initié par les Serpents – les Adeptes, les "Sages" – et ayant été chassé de l'Inde par les Brahmanes, qui redoutaient la divulgation de leurs Mystères et de leur Science sacerdotale (véritable cause de leur haine pour le Bouddhisme), se rendit en Chine et au Tibet, où il initia de nombreuses personnes aux vérités des Mystères cachés, enseignés par Gautama Bouddha.

 543 Buddhism in Tibet, p. 31. – [V. trad. française, Annales du Musée Guimet, t. III, p. 21. Lyon, 1881.]

 

Le symbolisme caché de Nârada – le grand Richi auteur de quelques-uns des hymnes du Rig Véda, qui s'incarna de nouveau plus tard, à l'époque de Krishna – n'a jamais été compris. Cependant, par rapport aux Sciences Occultes, Nârada, fils de Brahmâ est un des plus importants personnages ; dans sa première incarnation, il se rattache directement aux  "Constructeurs"  – et par suite aux sept "Recteurs" de l'Eglise Chrétienne, qui "assistèrent Dieu dans l'œuvre de création". Cette grande personnification est à peine remarquée par nos Orientalistes, qui font seulement allusion à ce qu'il aurait dit de Pâtâla, à savoir que "c'est un lieu de satisfactions sexuels et sensuels". On trouve cela amusant, et l'on se livre à cette réflexion que Nârada, sans doute, "trouva cet endroit fort agréable". Pourtant cette phrase nous prouve simplement que c'était un Initié, ayant des rapports directs avec les Mystères et traversant, comme tous les autres néophytes qui le précédèrent et le suivirent, "le gouffre plein d'épines" dans "l'état sacrificiel de Chrest", comme la victime souffrante qu'on y fait descendre – un mystère en vérité !

Nârada est l'un des sept Richis, les "fils nés-du-mental" de Brahmâ. Le fait qu'il fut un haut Initié durant son incarnation – car, de même qu'Orphée, c'était le fondateur des Mystères – est corroboré et rendu évident par son histoire. Le Mahâbhârata dit que Nârada, ayant fait échouer le plan conçu pour peupler l'univers, afin de demeurer fidèle à son vœux de chasteté, fut maudit par Daksha et condamné à renaître une fois de plus. Lorsqu'il naquit à l'époque de Krishna, il fut encore accusé d'appeler son père, Brahmâ, un "faux instructeur" parce qu'il lui conseillait de se marier ; et il refusa de le faire. Cela prouve qu'il était un Initié, dont la conduite allait à l'encontre du culte et de la religion orthodoxes. Il est curieux de découvrir ce Richi, ce chef, parmi les "Constructeurs" et la "Légion Céleste", comme prototype [V 320] du "chef" Chrétien de la même "Légion", l'Archange Michel. Ce sont tous les deux les "Vierges" mâles, et tous deux sont les seuls de leurs "Légions" respectives qui aient refusé de créer. Nârada est représenté comme ayant dissuadé les Hari- ashvas, les cinq mille fils de Daksha, engendrés dans le but de peupler la Terre, d'avoir une descendance. Depuis lors, les Hari-ashvas se sont "dispersés à travers les régions et ne sont jamais revenus". Les Initiés sont, peut-être, les incarnations des ces Hari-ashvas ?

 C'était le septième jour, le troisième de sa dernière épreuve, que le néophyte reprenait ses sens, homme régénéré qui, après avoir passé par sa seconde naissance spirituelle, revenait sur terre comme le glorieux et triomphant vainqueur de la Mort, comme Hiérophante.

On peut voir un néophyte Oriental dans son état de Chrest dans une certaine gravure de l'Hindu Pantheon de Moor, dont l'auteur prend à tort une autre forme du Soleil ou de Vichnou crucifié, Vithoba, pour Krishna et l'appelle "Krishna crucifié dans l'Espace". Cette gravure se trouve aussi dans Monumental Christianity du docteur Lundy, ouvrage dans lequel le révérend auteur a rassemblé autant de preuves qu'en pouvait contenir son gros volume, de ce qu'il appelle les "Symboles Chrétiens avant le Christianisme". Il nous représente Krishna et Apollon comme de bons pasteurs, Krishna tenant la Conque cruciforme et le Chakra, et Krishna "crucifié dans l'Espace", suivant son expression. On petit vraiment dire de ce dessin comme l'auteur lui-même :

Je crois que ce dessin est antérieur au Christianisme... Il ressemble sous beaucoup de rapports à un crucifix Chrétien... le dessin, l'attitude, les marques des clous aux mains et aux pieds, indiquent une origine Chrétienne, tandis que la couronne Parthe à sept pointes, l'absence du bois et de l'inscription habituelle et des rayons de gloire au-dessus, indiqueraient une origine autre que Chrétienne. Serait-ce l'homme-victime, ou le prêtre et la victime réunis de la Mythologie Hindoue, qui s'offrit lui- même en sacrifice avant que les mondes ne fument ?

C'est certainement cela.

Serait-ce ce Second Dieu de Platon, qui s'imprime sur l'univers sous forme de la croix ? Ou bien serait-ce son homme divin, qui devait être flagellé, tourmenté, enchaîné, avoir les yeux brûlés et enfin... être crucifié ?

C'est tout cela et beaucoup d'autres choses encore : la Philosophie religieuse archaïque était universelle et ces Mystères sont aussi antiques que l'homme. C'est l'éternel symbole du Soleil personnifié – astronomiquement purifié – dans sa signification mystique, régénérée et symbolisée par [V 321] les Initiés en souvenir d'une Humanité sans péché, au temps où tous étaient des "Fils de Dieu". Aujourd'hui le genre humain est vraiment devenu les "fils du Mal". Cela enlève-t-il quoi que ce soit à la dignité du Christ comme idéal, ou de Jésus comme homme divin ? Pas du tout. Au contraire, isolé, glorifié au-dessus de tous les autres  "Fils de Dieu", Il ne peut que fomenter de mauvais sentiments parmi les millions d'hommes des nations qui ne croient pas au système Chrétien, en provoquant leur haine et en faisant naître des guerres et des luttes iniques. Si d'autre part, nous Le plaçons dans une longue série de "Fils de Dieu" et de Fils de la Lumière divine, chaque homme peut être laissé libre de choisir, parmi ces nombreuses idées, celui qu'il reconnaîtra comme un Dieu, qu'il appellera à son aide et auquel il vouera un culte sur la terre et dans le Ciel.

Beaucoup de ceux que l'on appelle des "Sauveurs" étaient de "bons pasteurs", comme Krishna par exemple, et tous sont représentés comme ayant "écrasé la tête dit serpent" – en d'autres termes, comme ayant vaincu leur nature sensuelle et conquis la Sagesse divine et Occulte. Apollon tua Python, ce qui le met à l'abri de l'accusation d'être lui-même le grand Dragon, Satan ; Krishna tua le serpent Kalinâga, le Serpent Noir ; et le Thor Scandinave écrasa la tête du reptile symbolique avec sa masse de crucifixion.

En Egypte, chaque cité importante était séparée de son cimetière par un lac sacré. La cérémonie même du jugement, telle qu'elle est décrite dans le Livre des Morts – "ce précieux et mystérieux livre" (Bunsen) – comme se passant dans le monde de l'Esprit, se passait aussi sur terre pendant les obsèques de la momie. Quarante-deux juges ou assesseurs s'assemblaient sur le rivage et jugeaient "l'Ame" qui venait de partir, d'après les actions qu'elle avait accomplies dans le corps. Après cela, les prêtres retournaient dans l'enceinte sacrée et faisaient connaître aux néophytes le sort probable de l'Ame et le drame solennel qui se jouait en ce moment dans le royaume invisible vers lequel l'Ame avait fui. La croyance à l'immortalité de l'Esprit était fortement inculquée aux néophytes par le Al-om-jah – titre que portait le plus haut Hiérophante égyptien. Dans les Crata Népoa – les Mystères sacerdotaux en Egypte – les degrés ci-dessous sont décrits comme étant quatre des sept degrés de l'Initiation. Après une épreuve préliminaire subie à Thèbes, où le néophyte était soumis à de nombreuses probations appelées les "Douze Tortures", il recevait l'ordre de gouverner ses passions et de ne jamais oublier un seul moment l'idée de son Dieu intime ou de son septième Principe, afin de pouvoir sortir triomphant de l'épreuve. Puis, pour symboliser la [V 322] course errante de l'Ame non purifiée, il   devait gravir plusieurs, échelles et errer dans les ténèbres d'une caverne aux nombreuses portes, qui toutes étaient fermées. Ayant tout surmonté, il recevait le degré de Pastophoris, après quoi il devenait, avec le second et le troisième degré, le Néocoris et le Mélancphoris. Amené dans une vaste salle souterraine, amplement garnie de momies rangées en ordre, il était placé devant le cercueil renfermant le corps mutilé d'Osiris. Cette salle portait le nom de "Porte de la Mort" et de là vient ce verset de Job :

Les portes de la Mort se sont-elles ouvertes devant toi, As-tu vu les portes de l'ombre de la Mort ?

Telle est la question que pose le "Seigneur", le Hiérophante, l'Al-om- jah, l'Initiateur de Job, faisant allusion à ce troisième degré de l'Initiation, car le Livre de Job est le poème par excellence de l'Initiation.

Lorsque le néophyte avait surmonté les terreurs de cette épreuve, on le conduisait dans le "Hall des Esprits", pour y être jugé par eux. Parmi les règles qu'on lui inculquait, il recevait l'injonction :

De ne jamais désirer ni chercher la vengeance ; d'être toujours prêt à aider un frère en danger, fût-ce  en risquant sa propre vie ; de donner la sépulture à tout corps mort ; d'honorer ses père et mère avant tout ; de respecter la vieillesse et de protéger les plus faibles que lui et enfin de penser toujours à l'heure de la mort et à celle de la résurrection dans un nouveau corps impérissable.

La pureté et la chasteté étaient hautement recommandées et l'adultère était menacé de mort. De cette façon, le néophyte égyptien devenait un Kristophoros. Dans ce degré, le, mystérieux nom de IAO lui était communiqué.

Que le lecteur compare les sublimes préceptes ci-dessus avec les préceptes de Bouddha et les nobles commandements que contient  la "Règle de Vie" pour les Ascètes de l'Inde et il comprendra l'unité universelle de la DOCTRINE SECRETE.

Il est impossible de nier la présence d'un élément sexuel dans beaucoup de symboles religieux, mais ce fait ne mérite pas le moins du monde d'être censuré, dès qu'on sait, en général, que – dans les traditions religieuses de tous les pays – l'homme ne naquit pas dans la première race "humaine" d'un père et d'une mère. Depuis les brillants "Fils de Brahmâ nés-du-mental", les Richis, et depuis Adam Kadmon avec ses Emanations, les Séphiroths, jusqu'aux Anoupâdaka "sans parents", ou Dhyâni- Bouddhas, de qui jaillirent les Bodhisattvas et Manoushi-Bouddhas, les Initiés terrestres – hommes – toutes les nations considéraient la première race d'hommes comme étant née sans père ni mère. L'Homme, le "Manoushi-Bouddha", le Manou, "l'Enoch" [V 323] fils de Seth ou le "Fils de l'Homme" – comme on l'appelle – ne naît suivant le mode actuel qu'en conséquence de l'inévitable fatalité, de la loi d'évolution naturelle. L'Humanité – ayant atteint la dernière limite et le point tournant où sa nature spirituelle devait faire place à la simple organisation physique – devait "tomber dans la matière" et la génération, mais l'évolution et l'involution de l'homme sont cycliques ; il finira comme il a commencé. Naturellement, pour nos esprits grossièrement matériels, le symbolisme sublime du Cosmos conçu dans la matrice de l'Espace, après que l'Unité divine y fut entrée et l'eut fructifiée, par son décret sacré, suggère une notion de matérialité. Il n'en était pas de même pour l'humanité primitive. Le rituel d'initiation aux Mystères de la Victime volontaire, qui meurt d'une mort spirituelle pour sauver le monde de la destruction – en réalité de la dépopulation – fut établi durant la Quatrième Race, pour commémorer un événement qui, physiologiquement, est  maintenant devenu le Mystère des Mystères parmi les problèmes du monde. Dans les écritures juives, ce sont Caïn et l'Abel féminin qui constituent le couple sacrifié et sacrifiant – en s'immolant tous deux (comme permutations d'Adam et d'Eve, ou du double Jéhovah.) et en répandant leur sang "de séparation et d'union", pour sauver l'humanité en inaugurant une nouvelle race physiologique. Plus tard encore, lorsque, ainsi que nous l'avons déjà mentionné, le néophyte devait, afin de renaître une fois de plus dans son état spirituel perdu, traverser les entrailles (la matrice) d'une  génisse vierge 544 immolée au moment de la cérémonie, cela impliquait encore un mystère aussi important, car cela avait trait au processus de la naissance ou à la première entrée de l'homme sur cette terre, par l'entremise de Vâch – "la vache mélodieuse dont les pis fournissent l'alimentation et l'eau" – qui n'est autre que le Logos féminin. Cela se rapportait aussi au même auto-sacrifice du "divin Hermaphrodite" – de la troisième Race-Racine – à la transformation de l'Humanité en hommes vraiment physiques, après la perte du pouvoir spirituel. Lorsque le fruit du mal eut été goûté en même temps que celui du bien et que le résultat fut l'atrophie graduelle de la spiritualité et le renforcement de la matérialité chez l'homme, celui-ci fut condamné à naître désormais suivant le processus actuel. Tel est  le Mystère de l'Hermaphrodite que les Anciens maintenaient si secret  et voilé. Ce n'était ni l'absence de sentiments moraux, ni l'existence en eux d'une sensualité grossière, qui leur faisait imaginer leurs Divinités [V 324] sous un double aspect ; c'était plutôt la connaissance qu'ils avaient des mystères et des Procédés de la Nature primitive. La Physiologie était une Science qu'ils connaissaient mieux qu'on ne la connaît aujourd'hui. C'est là que se trouve cachée la clé du Symbolisme de jadis, du vrai foyer de pensée nationale, et des étranges images bisexuées de presque tous les Dieux et de toutes les Déesses du Panthéon païen, comme de celui des monothéistes.

544 Les Aryens remplacèrent la génisse vivante par une génisse en or, en argent ou tout autre métal, et le rituel s'est conservé jusqu'à présent, lorsqu'en Inde quelqu'un désire devenir un Brahmane, un deux-fois-né.

 

Sir William Drummond dit, dans Œdipus Judaïcus :

Les vérités de la science constituaient les arcanes des prêtres, parce que ces vérités étaient les bases de la religion.

Mais pourquoi les missionnaires reprochent-ils si cruellement aux Vaishnavas et aux disciples de Krishna la signification supposée indécente de leurs symboles, puisqu'il a été établi, avec une clarté qui ne laisse place à aucun doute, et cela par les auteurs les plus exempts de préjugés, que le Chrestos dans l'abîme – que ce mot soit interprété comme signifiant tombeau ou enfer – avait en lui un élément sexuel, dès l'origine même du symbole ?

Ce fait n'est plus nié aujourd'hui. Les "Frères de la Rose-Croix" du Moyen Age étaient aussi bons Chrétiens que n'importe qui en Europe et pourtant tous leurs rites étaient basés sur des symboles dont le sens était éminemment phallique et sexuel. Leur biographe, Hargrave Jennings, la meilleure autorité moderne pour ce qui a trait au Rosicrucianisme, parlant de cette Fraternité mystique, nous explique que les tortures et le sacrifice du Calvaire, la Passion de la Croix, représentaient dans leur [celle des Rose-Croix] glorieuse et sainte magie et leur triomphe, la protestation et l'appel.

Protestation – de qui ? La réponse est la protestation de la Rose crucifiée, le plus grand et le plus dévoilé des symboles sexuels – le Yoni et le Lingam, la "victime" et le "meurtrier", le principe femelle et le principe mâle dans la Nature. Ouvrez le dernier ouvrage de cet auteur, Phallicism, et constatez en quels termes ardents il décrit le symbolisme sexuel, dans ce qu'il y a de plus sacré pour le Chrétien.

Le sang ruisselant coulait de la couronne, ou du cercle perçant des épines de l'Enfer. La Rose est féminine. Ses rutilants pétales sont protégés par des épines. La Rose est la plus belle des fleurs. La Rose est la Reine du Jardin de Dieu [la Vierge Marie]. Ce n'est pas la Rose seule qui constitue l'idée [ou la vérité] magique, mais c'est  la "Rose Crucifiée", ou la "Rose Martyrisée" (par la grandiose forme mystique Apocalyptique) qui est le talisman, l'étendard, l'objet de l'adoration de tous  les "Fils de la Sagesse" ou des vrais Rose-Croix 545. [V 325]

545 Op. cit., p. 141.

 

Non pas de tous les "Fils de la Sagesse", assurément, pas même des vrais Rose-Croix. En effet, ceux-ci n'auraient jamais donné un aussi écœurant relief, n'auraient jamais éclairé d'une lumière aussi complètement sensuelle et terrestre, pour ne pas dire animale, les symboles les plus grandioses et les plus nobles de la Nature. Pour le Rosicrucien, la "Rose" était le symbole de la Nature, de la Terre à jamais prolifique et vierge, ou d'Isis, la mère et nourrice de l'homme, considérée comme féminine et représentée sous la forme d'une femme vierge par les Initiés égyptiens. Comme toutes les autres personnifications de la Nature et de la Terre, elle est la sœur et l'épouse d'Osiris, car les deux personnages répondent au symbole personnifié de la Terre, puisqu'elle et le Soleil sont les progénitures du même Père mystérieux, parce que la Terre est fécondée par le Soleil – selon le plus antique Mysticisme – par insufflation divine. C'était le pur idéal de la Nature mystique qui était personnifiée par les "Vierges  du  Monde",  "les  Jeunes  Filles  Célestes"  et,  plus  tard,  par la Vierge humaine, Marie, Mère du Sauveur, Salvator Mundi choisi maintenant par le monde chrétien. Et ce fut le personnage de la vierge juive qui fut adapté par la Théologie au Symbolisme archaïque 546 et non pas le symbole Païen qui fut modelé pour cette nouvelle occasion.

Nous savons par Hérodote que les mystères furent importés de l'Inde par Orphée – héros antérieur à Homère et à Hésiode. On est, en réalité, très peu renseigné à son égard et jusqu'à une époque toute récente, la littérature Orphique et même les Argonautes, étaient attribués à Onamacrite, contemporain de Pisistrate, Solon et Pythagore, auquel on attribuait cette compilation dans leur forme actuelle vers la fin du sixième siècle avant Jésus-Christ, ou 800 ans après l'époque d'Orphée. Mais on nous dit que, du temps de Pausanias, il existait une famille sacerdotale, qui, de même que le firent les Brahmanes pour les Védas, avait appris par cœur tous  les Hymnes Orphiques et qu'en général, ils étaient ainsi transmis d'une génération à l'autre. En faisant remonter l'époque [V 326] d'Orphée jusqu'à 1200 ans avant Jésus-Christ, la Science officielle – si attentive à choisir, dans tous les cas, pour sa chronologie, une période aussi peu reculée que possible – admet que les Mystères, ou, en d'autres termes, l'Occultisme dramatisé, datent d'une époque encore plus reculée que les Chaldéens et les Egyptiens.

On peut maintenant faire mention de la décadence des mystères en Europe.

546 Dans l'Orthodoxie Maçonnique de Ragon, p. 105, note, nous trouvons l'exposé suivant emprunté probablement à l'Arabe Albumazar "La Vierge des Mages et des Chaldéens. La sphère [le globe] des Chaldéens montrait dans ses cieux un enfant nouveau-né appelé Christ et Jésus ; il était placé dans les bras de la Vierge Céleste.. C'est à cette Vierge qu'Eratosthènes, le bibliothécaire d'Alexandrie, né 276 ans avant notre ère, donna le nom d'Isis, mère de Horus." Voici ce que se borne à nous donner Kircher (dans AEdipus AEgypticus, III, 5) citant Albumazar : "Dans le premier décan de la Vierge, s'élève une jeune fille appelée Adérénos, qui est une vierge, pure et immaculée... assise sur un trône couvert de broderies et berçant un petit garçon... ; un petit garçon appelé Jessus... ce qui veut dire Issa et que l'on appelle aussi Christ en Grec." (Voyez Isis Dévoilée, IV, 193.)