SECTION XXXIII
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LE DERNIER DES MYSTERES EN EUROPE
Ainsi que l'avait prédit le grand Hermès, dans son dialogue avec Asclépios, le temps est vraiment venu où les étrangers impies accusent l'Egypte d'avoir adoré des monstres et où il ne reste plus d'elle que les lettres gravées dans la pierre de ses monuments – énigmes inintelligibles pour la postérité. Ses Scribes et ses Hiérophantes sacrés errent sur la surface de la Terre. Ceux qui étaient restés en Egypte se virent obligés, de crainte d'une profanation des Mystères sacrés, de chercher un refuge dans les déserts et les montagnes, de fonder des sociétés secrètes et des fraternités – comme celle des Esséniens ; ceux qui avaient traversé l'océan pour l'Inde et même ce qu'on appelle aujourd'hui le nouveau monde, s'engagèrent par des serments solennels à garder le silence et à conserver secrètes leurs Connaissances et leur Science Sacrée ; elles furent, de la sorte, encore plus profondément enfouies et mises à l'abri des regards humains. En Asie Centrale et sur la frontière septentrionale de l'Inde, l'épée triomphante de l'élève d'Aristote balaya, hors de sa route de conquérant, tout vestige d'une Religion jadis pure, et ses Adeptes reculèrent de plus en plus loin de cette route, jusqu'aux points les plus cachés du globe. Le cycle de *** touchant à sa fin, la première heure de la disparition des Mystères sonna à l'horloge des Races, avec le conquérant macédonien. Les premiers coups de sa dernière heure sonnèrent en l'an 47 avant J.-C. Alésia 547, la fameuse ville de la Gaule, la Thèbes des Celtes, si célèbre par ses anciens rites d'Initiation et ses Mystères, fut, comme le décrit fort bien J. M. Ragon :
L'ancienne métropole et le tombeau de l'Initiation, de la Religion des Druides et de la liberté de la Gaule548.
547 Appelée aujourd'hui Sainte-Reine (Côte-d'Or) sur les deux rivières l'Ose et l'Oserain. Sa chute est un fait historique dans l'histoire Celto-Gauloise.
548 Orthodoxie Maçonnique, p. 22.
Ce fut durant le premier siècle avant notre ère que sonna l'heure dernière et suprême des Grands Mystères. L'histoire nous montre les peuples de la Gaule Centrale se révoltant contre le joug romain. Le pays fut soumis à César et la révolte [V 328] écrasée, ce qui eut pour résultat le massacre de la garnison d'Alésia (ou Alisa) et de tous ses habitants, y compris les Druides, les prêtres du Collège et les néophytes ; après cela, la ville entière fut livrée au pillage et rasée jusqu'au niveau du sol.
Bibracte, ville aussi grande et aussi célèbre, située non loin d'Alésia, périt quelques années plus tard, J. M. Ragon décrit sa fin en ces termes :
Bibracte, la mère des sciences, l'âme des premières nations [d'Europe], ville aussi fameuse par son sacré- collège de Druides, que pour sa civilisation et ses écoles, dans lesquelles 40.000 élèves étudiaient la philosophie, la littérature, la grammaire, la jurisprudence, la médecine, l'astrologie, les sciences occultes, l'architecture, etc. Rivale de Thèbes, de Memphis, d'Athènes et de Rome, elle possédait un amphithéâtre entouré de statues colossales et pouvant contenir 100.000 spectateurs et gladiateurs, un capitole, des temples de Janus, Pluton, Proserpine, Jupiter, Apollon, Minerve, Cybèle, Vénus et Anubis et, au milieu de ces somptueux édifices, la Naumachie avec son vaste bassin, construction incroyable, œuvre gigantesque où flottaient des bateaux et des galères destinés aux jeux navals ; enfin un Champ de Mars, un aqueduc, des fontaines, des bains publics, puis des fortifications et des murailles, dont la construction datait des époques héroïques 549.
549 Op. cit. p. 22.
550 En l'an 389 de notre ère, la populace chrétienne acheva de détruire ce qui restait ; la plupart des œuvres inestimables furent sauvées pour les étudiants de l'Occultisme, mais furent perdues pour le monde.
Telle était la dernière ville de la Gaule où moururent pour l'Europe les secrets des Initiations aux Grands Mystères de la Nature et de ses vérités Occultes oubliées. Les rouleaux et les manuscrits de la fameuse Bibliothèque d'Alexandrie furent brûlés et détruits par ce même César 550 mais tandis que l'Histoire condamne l'action du général arabe Amrous, qui compléta cet acte de vandalisme commis par le grand conquérant, elle n'adresse par un mot de reproche à ce dernier ni pour la destruction, à Alésia, d'une quantité à peu près égale de rouleaux précieux, ni pour la destruction de Bibracte. Pendant que Sacrovir – chef des Gaulois qui, sous le règne de Tibère, se révoltèrent contre le despotisme romain et furent vaincus par Silius en l'an 21 de notre ère – se brûlait vivant avec ses compagnons sur un bûcher funéraire, dressé devant les portes de la ville, nous dit Ragon, celle-ci fut saccagée et pillée et ses trésors littéraires, traitant des Sciences Occultes, périrent par le feu. La ville jadis majestueuse de Bibracte est devenue aujourd'hui Autun, comme l'explique Ragon. [V 329]
Quelques monuments, d'une glorieuse antiquité, y subsistent encore, comme les temples de Janus et de Cybèle.
Ragon ajoute :
Arles, fondée deux mille ans avant le Christ, fut saccagée en 270. Cette métropole de la Gaule, restaurée 40 ans plus tard par Constantin, a conservé jusqu'à présent quelques vestiges de son ancienne splendeur ; un amphithéâtre, un capitole, un obélisque, un bloc de granit de dix-sept mètres de haut, un arc de triomphe, des catacombes, etc. Ainsi finit la civilisation Celto- Gauloise. César, en barbare digne de Rome, avait déjà accompli la destruction des anciens Mystères, par le sac des temples et de leurs Collèges d'Initiation et par le massacre des Initiés et des Druides. Il restait Rome, mais elle n'eut jamais que des Mystères mineurs, ombres des Sciences Secrètes. La Grande Initiation était éteinte 551
551 Op. cit., p. 23. Ragon, Belge de naissance et Franc-Maçon, en savait plus, au sujet de l'Occultisme, que tout autre auteur non-initié. Durant cinquante ans, il étudia les anciens Mystères partout où il put en trouver des récits. En 1805, il fonda à Paris la Fraternité des Trinosophes, Loge dans laquelle il fit pendant des années, sur l'Initiation antique et moderne (en 1818 et aussi en 1841), des conférences qui furent publiées et qui sont aujourd'hui perdues. Il devint ensuite rédacteur en chef de l'Hermès, journal maçonnique. Ses meilleurs ouvrages sont : la Maçonnerie Occulteet les Fastes Initiatiques. Après sa mort, en 1866, un certain nombre de ses manuscrits restèrent au Grand Orient de France. Un Maçon d'un rang élevé a dit à l'auteur que Ragon avait pendant des années, entretenu une correspondance avec deux Orientalistes de Syrie et d'Egypte, dont l'un était un Copte.
Nous pouvons encore donner quelques extraits de sa Maçonnerie Occulte, car ils se rapportent directement au sujet que nous traitons. Si savant et si érudit qu'il soit, cet auteur commet des erreurs chronologiques très importantes. Il dit :
Après l'homme déifié (Hermès) vint le Roi-Prêtre [Hiérophante]. Ménès fut le fondateur et le premier législateur de Thèbes aux cent palais. Il entassa dans cette ville de magnifiques splendeurs et c'est de son règne que date l'époque sacerdotale de l'Egypte. Les prêtres régnaient, car c'étaient eux qui rédigeaient les lois. On dit qu'il y eut, depuis son règne, trois cent vingt- neuf [Hiérophantes] – qui tous sont demeurés inconnus.
Après cela, les vrais Adeptes devenant rares, l'auteur nous montre les Prêtres en choisissant de faux dans la foule des esclaves et, les ayant couronnés et déifiés, les présentant à l'adoration des masses ignorantes.
Fatigués de régner d'une manière aussi servile, les rois se révoltèrent et se libérèrent. Vint alors Sésostris, le fondateur de Memphis (1613 avant notre ère, dit-on). A l'élection sacerdotale au trône succéda celle des guerriers... Chéops, qui régna de 1178 [V 330] à 1122, fit construire la Grande Pyramide qui porte son nom. On l'accusa d'avoir persécuté la théocratie et d'avoir fermé les temples.
C'est tout à fait inexact, bien que Ragon répète "l'Histoire". La Pyramide qui porte le nom de Chéops est la Grande Pyramide, dont la construction remonte, même pour le baron Bunsen, à 5 000 ans avant J.-C. Il dit dans Egypt's Place in Univereal History :
Les origines de l'Egypte remontent au neuvième millénaire avant le Christ 552.
552 Op. cit., 462.
Et comme les Mystères étaient célébrés clans cette Pyramide et que les Initiations y avaient lieu – c'est à vrai dire pour cela qu'elle avait été construite – il paraît étrange et en contradiction totale avec les faits connus de l'histoire des Mystères, de supposer que Chéops, s'il fut constructeur de cette Pyramide, s'attaqua jamais aux Prêtres initiés et à leurs temples. En outre, d'après ce qu'enseigne la DOCTRINE SECRETE, ce ne fut pas Chéops qui fit construire la Pyramide qui porte son nom, qu'elles que soient les autres choses qu'il ait faites.
Il est pourtant très vrai que :
Par suite d'une invasion éthiopienne et d'un gouvernement fédéral de douze chefs, la royauté tomba entre les mains d'Amasis, homme de basse extraction.
Cela se passa en 750 avant J.-C., et c'est Amasis qui détruisit le pouvoir sacerdotal. Et ainsi périt cette antique théocratie qui présenta pendant tant de siècles ses prêtres couronnés à l'Egypte et au monde entier.
L'Egypte avait rassemblé les étudiants de tous les pays autour de ses prêtres et de ses Hiérophantes, avant qu'Alexandrie ne fût fondée. Ennemoser demande :
Comment se fait-il que l'on ait connu si peu de choses des Mystères et de ce qu'ils renfermaient, après tant de siècles et parmi tant de peuples de différentes époques ? La réponse est que cela tient au strict et universel silence des Initiés. On pourrait en trouver une autre cause dans la destruction et la perte totale de tous les mémoires écrits sur le savoir secret de l'antiquité la plus reculée.
Les livres de Numa, décrits par Tite-Live et traitant de la philosophie naturelle, furent découverts dans sa tombe, mais il ne fut pas Permis de les faire connaître, de peur qu'ils ne révélassent les mystères les plus secrets de la religion d'Etat... Le [V 331] Sénat et les Tribuns du peuple décidèrent... que les livres seraient brûlés, ce qui fut fait 553.
553 History of Magie. II, 11.
Cassain mentionne un traité, bien connu au quatrième et au cinquième siècle, qui était attribué à Cham, fils de Noé, qui passait lui-même pour l'avoir reçu de Jared, de la quatrième génération de Seth, fils d'Adam.
L'Alchimie était aussi enseignée en Egypte par ses savants Prêtres, bien que la première apparition de ce système soit aussi ancienne que l'homme. Beaucoup d'auteurs ont déclaré qu'Adam fut le premier Adepte, mais ce n'était qu'un voile et un jeu de mots sur le nom, dont une des significations est "terre rouge". Le renseignement exact – sous son voile allégorique – se trouve dans le sixième chapitre de la Genèse, où il est question des "Fils de Dieu" qui prirent des épouses parmi les filles des hommes, après quoi ils communiquèrent à ces épouses maintes mystère et secret du monde phénoménal. Le berceau de l'Alchimie, dit Olaüs Borrichius, doit être cherché aux époques les plus reculées. Démocrite d'Abdère était un Alchimiste et un Philosophe Hermétique. Clément d'Alexandrie a écrit longuement sur cette Science dans laquelle Moïse et Salomon sont considérés comme ayant été très versés. W. Godwin nous dit :
Le premier document authentique sur ce sujet est un édit de Dioclétien vers 300 de notre ère, qui ordonne de faire d'actives recherches en Egypte pour retrouver tous les anciens livres qui traitaient de l'art de faire de l'or et de l'argent, afin de les livrer tous, sans distinction, aux flammes.
L'Alchimie des Chaldéens et des anciens Chinois n'est-elle pas la mère de l'Alchimie dont la renaissance s'opéra bien des siècles après parmi les Arabes. Il y a une Alchimie spirituelle et une transmutation physique. La connaissance de toutes deux était communiquée à l'Initiation.