SECTION XLII
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LES SEPT PRINCIPES
Le "Mystère de Bouddha" est celui de plusieurs autres Adeptes – peut- être même de beaucoup. Toute la difficulté réside dans la compréhension correcte de l'autre mystère : celui qui concerne le fait réel, si abstrait et si transcendant à première vue. des "Sept Principes" de l'homme, de la réflexion dans l'homme des sept pouvoirs de la Nature, au point de vue physique, et des sept Hiérarchies d'Etres, au point de vue intellectuel et spirituel. Afin de faire comprendre plus clairement (d'une manière générale) la triple nature de l'homme – matériel, éthéré et spirituel – on peut grouper ses éléments constitutifs selon un système ou un autre, la base et le sommet de cette division seront toujours les mêmes. Comme il n'y a chez l'homme que trois Oupadhis (bases), on peut édifier sur eux un nombre quelconque de Koshas (enveloppes) avec leurs divers aspects, sans détruire l'harmonie de l'ensemble. Ainsi, tandis que le Système Esotérique accepte la division septénaire, la classification Védantine donne cinq Koshas, et la Târaka Râja Yoga les réduit à quatre – les trois Oupadhis synthétisés par le principe le plus élevé, Atmâ.
Ce que nous venons d'exposer provoquera naturellement la question suivante : "Comment une personnalité spirituelle (ou semi spirituelle) peut-elle vivre d'une Vie triple, ou même double en changeant ad libitum les "Soi Supérieurs" respectifs et rester pourtant l'unique Monade éternelle dans l'infini d'un Manvantara ?" La réponse à cette question est facile pour un véritable Occultiste, alors qu'elle doit paraître absurde au profane non- initié. Les "Sept Principes" sont, bien entendu, la manifestation d'un seul Esprit indivisible, mais l'unité n'apparaît qu'à la fin du Manvantara et lorsqu'ils sont réunis sur le plan de l'Unique Réalité ; durant le voyage du "Pèlerin", les reflets de cette Unique Flamme indivisible, les aspects de l'unique Esprit éternel, ont chacun le pouvoir d'agir sur l'un des plans manifestés de l'existence – les différenciations graduelles du plan unique non-manifesté – c'est-à-dire sur le plan auquel il appartient réellement. Notre terre fournissant toutes les conditions Mâyâviques, il s'ensuit que le Principe Egotiste purifié, le Soi astral et personnel d'un Adepte, bien que ne formant en réalité qu'un tout complet avec son Soi Supérieur (Atmâ et Bouddhi) peut néanmoins, [VI 68] moins, pour des fins de compassion et de bienveillance universelles se séparer de telle sorte de sa Monade divine qu'il puisse mener, sur ce plan d'illusion et d'être temporaire, une vie consciente, distincte et indépendante, sous une forme d'emprunt illusoire, et atteindre ainsi un double but : l'épuisement de son propre Karma individuel et le salut de millions d'êtres humains moins favorisés que lui, à cause de leur aveuglement mental. Si l'on demande : "Lorsque se produit le changement que l'on décrit comme le passage en Nirvâna d'un Bouddha ou d'un Jîvanmoukta, où donc la conscience originelle qui animait le corps continue-t-elle à résider – dans le Nirvânî ou dans les incarnations suivantes de ses "restes" (le Nirmânakâya) ?" La réponse est que la conscience emprisonnée peut consister en "un certain savoir tiré de l'observation et de l'expérience" suivant l'expression de Gibbon, mais que la conscience désincarnée n'est pas un effet, mais bien une cause. C'est une part du tout, ou plutôt un Rayon sur l'échelle graduée de son activité manifestée, de la Flamme unique, sans limite et pénétrant toute chose, dont les reflets seuls peuvent se différencier ; et, comme telle, la conscience est douée d'ubiquité, et ne peut être ni localisée ni centrée sur, ou dans, un sujet particulier et ne peut non plus être limitée. Ses effets seuls appartiennent à la région de la matière, car la pensée est une énergie qui affecte la matière de différentes manières, mais la conscience, per se, telle que la comprend et la décrit la philosophie Occulte, constitue la suprême qualité du principe spirituel sensible, qui est en nous, l'Ame Divine (ou Bouddhi) et notre Ego Supérieur et n'appartient pas au plan de la matérialité. Après la mort de l'homme physique, si c'est un Initié, elle se transforme, et de qualité humaine qu'elle était, devient le principe indépendant lui-même ; l'Ego conscient devient Conscience per se, sans aucun Ego, en ce sens que ce dernier ne peut être limité ou conditionné par les sens, ni même par l'espace ou le temps. Aussi est-il capable, sans quitter ou abandonner son possesseur, Bouddhi, de se réfléchir en même temps dans ce qui était son homme astral, sans avoir nullement besoin de se localiser. On trouve la même chose, à un degré très inférieur, dans nos rêves. Si, en effet, la conscience peut déployer de l'activité durant nos visions, alors que le corps et son cerveau matériel sont profondément endormis – et si, même durant ces visions, elle est douée d'ubiquité – combien supérieur doit être son pouvoir lorsqu'elle est entièrement dégagée de notre cerveau physique et n'a plus de rapports avec lui.
[VI 69]
SECTION XLIII
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LE MYSTERE DE BOUDDHA
Le mystère de Bouddha consiste en ceci : Gautama, incarnation de la pure Sagesse, avait encore à apprendre sous Son enveloppe humaine, et à être initié aux secrets du monde, comme tout autre mortel, jusqu'au jour où Il émergea de Sa retraite secrète des Himalayas et prêcha, pour la première fois, dans les bosquets de Bénarès. Il en est de même pour Jésus : depuis l'âge de douze ans jusqu'à l'âge de trente, lorsqu'on Le voit prononcer le Sermon sur la Montagne, on ne connaît ni ne dit rien de positif à Son sujet. Gautama avait juré un secret inviolable au sujet des Doctrines Esotériques qui Lui avaient été communiquées. En raison de l'immense pitié que faisait naître en Lui l'ignorance de l'humanité – et les souffrances qui en sont les conséquences – quelque désireux qu'Il fût de ne pas violer Ses vœux sacrés, Il ne sut pas se maintenir dans les limites prescrites. Lorsqu'Il édicta Sa philosophie Exotérique (la "Doctrine de l'œil"), en la basant sur la Vérité éternelle, Il ne réussit pas à cacher certains dogmes, et, outrepassant les limites légitimes, Il fut cause que ces dogmes furent mal interprétés. Dans Son désir anxieux d'en finir avec les faux Dieux, Il révéla dans les "Sept Voies conduisant au Nirvâna" quelques-uns des mystères des Sept Lumières du Monde Aroûpa (sans forme). Un fragment de la vérité est souvent pire que pas de vérité du tout :
La vérité et la fiction sont comme l'huile et l'eau ; elles ne se mélangent jamais.
Sa nouvelle doctrine, qui représentait le corps extérieur et mort de l'Enseignement Esotérique, sans l'Ame qui le vivifie, eut des effets désastreux : elle ne fut jamais correctement comprise, et la doctrine elle- même fut repoussée par les Bouddhistes du Sud. Une immense philanthropie, une charité et un amour illimité pour toutes les créatures avaient servi de base à Son erreur involontaire ; mais Karma ne tient guère compte des intentions, bonnes ou mauvaises, si elles restent stériles. Si la "Bonne Loi", telle qu'elle fut prêchée, produisit le plus sublime code de morale et l'incomparable philosophie des choses extérieures du Cosmos visible, elle faussa les intelligences sans maturité et les amena à croire, à tort, qu'il n'y avait rien de plus sous le revêtement extérieur du système, dont on ne prit que la lettre morte. En outre, le nouvel enseignement troubla bien des esprits supérieurs qui avaient suivi, jusqu'alors, l'orthodoxie brahmanique. [VI 70]
Aussi, une cinquantaine d'années après sa mort, "le grand Instructeur 89", ayant refusé le Dharmakâya et le Nirvâna complet, consentit, dans des buts karmiques et philanthropiques, à renaître encore. Pour Lui, la mort n'avait pas été une mort, mais, suivant les termes employés dans "Elixir of Life" 90, Il changea, un brusque plongeon dans les ténèbres en passage à une plus brillante lumière.
Le choc de la mort fut brisé et, comme beaucoup d'autres Adeptes, Il rejeta l'enveloppe mortelle, qu'Il abandonna pour qu'elle fût brûlée et que les cendres en fussent employées comme reliques, puis, revêtu de Son corps subtil, commença la vie interplanétaire. Il renaquit sous la forme de Shankara, le plus grand instructeur Védantin des Indes dont la philosophie – entièrement basée comme elle l'est sur les axiomes fondamentaux de l'éternelle Révélation, le Shrouti ou la Religion-Sagesse primitive, tout comme Bouddha, en Se plaçant à un point de vue différent, avait auparavant basé la sienne – tient un juste milieu entre la métaphysique voilée avec trop d'exubérance des Brahmanes orthodoxes, et celle de Gautama qui, dépouillée, sous son aspect exotérique, de tout espoir qui vivifie l'âme, de toute aspiration transcendante et de tout symbole, ressemble, dans sa froide sagesse, à un glaçon, au squelette des vérités primordiales de la Philosophie Esotérique.
Shankarâchârya était-il donc le Bouddha Gautama sous une nouvelle forme personnelle ? L'étonnement du lecteur ne fera peut-être qu'augmenter si on lui dit qu'il y avait le Gautama "astral" dans le Shankara extérieur, dont le principe supérieur, ou Atman, n'en était pas moins son propre prototype divin – le "Fils de Lumière", en vérité – le fils céleste d'Aditi, né du mental.
89 Lorsque nous disons "grand Instructeur", nous ne voulons pas parler de Son Ego Bouddhique, mais du principe, en Lui, qui servait de véhicule à Son Ego personnel ou terrestre.
90 Five Years of Theosophy, Nouvelle Edition, p. 3.
Ce fait est encore basé sur le mystérieux transfert dans un autre corps, visible ou subjectif, de l'ex-personnalité divine immergée dans l'Individualité impersonnelle – alors dans toute sa forme trinitaire de Monade, comme Atmâ, Bouddhi, Manas. Dans le premier cas, c'est un Manoushya-Bouddha ; dans le second c'est un Nirmânakâya. Le Bouddha est en Nirvâna, dit-on, bien que ce véhicule jadis mortel de Gautama – le corps subtil – soit encore présent parmi les Initiés ; et il ne quittera pas le royaume de l'Etre conscient tant que [VI 71] l'humanité souffrante aura besoin de son assistance divine – pas avant la fin de cette Race-Mère, en tout cas. De temps en temps le Gautama "astral" S'associe d'une façon très mystérieuse – tout à fait incompréhensible pour nous – avec des Avatars et de grands saints et agit par leur entremise. Plusieurs d'entre eux sont nommés.
Ainsi il est avéré que Gautama Bouddha était réincarné en Shankarâchârya – et que, suivant ce qui est dit dans le Bouddhisme Esotérique, Shankarâchârya, à tous égards, était simplement Bouddha dans un nouveau corps 91.
Cette affirmation, tout en étant vraie dans son sens mystique, peut, sans explications, égarer par la façon dont on l'exprime. Shankara était un Bouddha, très certainement, mais il ne fut jamais une réincarnation du Bouddha, bien que l'Ego "astral" de Gautama – ou plutôt son Bodhisattva – puisse avoir été associé, d'une manière mystérieuse, avec Shankarâchârya. Oui, c'était peut-être l'Ego Gautama, sous une enveloppe nouvelle et mieux adaptée – celle d'un Brahmane de l'Inde du Sud. Mais l'Atman, le Soi Supérieur qui les animait tous deux, était distinct du Soi Supérieur du Bouddha passé, qui Se trouvait désormais dans Sa propre sphère du Cosmos.
Shankara était un Avatar dans toute la force du terme. D'après Sayanâchârya, le grand commentateur des Védas, on doit le considérer comme un Avatar, ou une incarnation directe de Shiva Lui-même – le Logos, le Septième Principe de la Nature. Dans La Doctrine Secrète, Shri Sankarâchârya est considéré comme ayant été – durant trente-deux ans de
sa vie mortelle – la demeure d'une Flamme, le plus élevé des Etres Spirituels manifestés, l'un des Sept Rayons Primordiaux.
Qu'entend-on maintenant par un Bodhisattva ? Les Bouddhistes du système mystique Mahâyâna enseignent que chaque BOUDDHA Se manifeste (hypostatiquement ou autrement) simultanément dans trois mondes de l'Etre, à savoir : dans le monde de Kama (concupiscence ou désir – l'univers sensuel ou notre Terre) sous la forme d'un homme ; dans le monde Roupâ (de la forme, mais supersensuelle) comme Bodhisattva ; et dans le Monde Spirituel supérieur (celui des existences purement incorporelles) comme Dhyâni Bouddha. Ce dernier règne éternellement dans l'espace et le temps, c'est-à-dire d'un Mahâ-Kalpa à l'autre – la culmination synthétique [VI 72] des trois, Adi-Bouddha 92, le Principe- Sagesse, qui est Absolu, étant par, suite, en dehors de l'espace et du temps. Leurs rapports entre eux sont les suivants : Le Dhyâni Bouddha lorsque le monde a besoin d'un Bouddha humain, "crée", grâce au pouvoir de Dhyâna (méditation, dévotion omnipotente), un fils né du mental – un Bodhisattva – qui a pour mission, après la mort physique de son Manoushya-Bouddha humain, de continuer son œuvre sur la Terre, jusqu'à l'apparition du Bouddha suivant. La signification ésotérique de cet enseignement est claire. Dans le cas d'un simple mortel, les principes renfermés en lui ne sont que les reflets, plus ou moins brillants, des sept Principes cosmiques et des sept Principes célestes, la Hiérarchie des Etres supersensuels. Dans le cas d'un Bouddha, ce sont presque les principes eux-mêmes, in esse. Le Bodhisattva remplace en lui le Kârana Sharira, le principe de l'Ego et le reste d'une façon correspondante ; c'est de cette manière que la Philosophie Esotérique explique le sens de la phrase disant que "par la vertu de Dhyâna [ou la méditation abstraite], le Dhyâni-Bouddha [l'Esprit ou la Monade du Bouddha] crée un Bodhisattva" ou l'Ego revêtu d'une enveloppe astrale dans le Manoushya-Bouddha. Aussi, tandis que le Bouddha retourne s'immerger dans le Nirvâna d'où il était sorti, le Bodhisattva reste en arrière pour continuer l'œuvre du Bouddha sur la terre. C'est donc ce Bodhisattva qui peut avoir fourni les principes inférieurs dans le corps d'apparition de l'Avatar Shankarâchârya.
91 Op. cit., p. 230. Troisième Edition.
92 Il serait inutile de soulever des objections d'œuvres exotériques, dans cet ouvrage qui ne vise qu'à exposer, si superficiellement que ce soit, les Enseignements Esotériques seuls. C'est parce qu'ils sont égarés par la doctrine exotérique, que l'Evêque Bigandet et d'autres, affirment que la notion d'un suprême et éternel Adi-Bouddha ne se trouve que dans des écrits d'une date comparativement récente. Ce que nous donnons ici est tiré des parties secrètes de Dus Kyi Rhorlo (Kâla Chakra, en Sanscrit, ou la "Roue du Temps", ou durée).
Or, dire que Bouddha, après avoir atteint le Nirvâna, revient de là pour s'incarner dans un nouveau corps, ce serait émettre une hérésie, tant au point de vue Brahmanique, qu'au point de vue Bouddhique. Même dans l'Ecole exotérique de Mahâyâna, dans l'enseignement qui traite des trois corps "Bouddhiques" 93 on dit du Dharmakâya – l'Etre sans [VI 73] forme, idéal – qu'une fois qu'il l'a revêtu, le Bouddha abandonne à jamais en lui le monde des perceptions sensorielles et n'a plus, ni peut plus avoir, aucun rapport avec lui. Dire, comme l'enseigne l'Ecole Esotérique ou Mystique, que bien que Bouddha soit en Nirvâna, il a laissé derrière lui le Nirmânakâya (le Bodhisattva) pour continuer son œuvre, c'est tout à fait orthodoxe et en accord avec l'Ecole Esotérique de Mahâyâna et avec celle de Prasanga Madhyâmika qui constitue un système anti-ésotérique très rationaliste. En effet, dans le Commentaire Kâla Chakra, il est établi qu'il existe : [1] Adi-Bouddha, éternel et non-conditionné, puis [2] viennent les Sambhogakâya-Bouddhas, ou Dhyâni-Bouddhas existant de toute éternité (æonique) et ne disparaissant jamais, pour ainsi dire les Bouddhas causals, et [3] les Manoushya Bodhisattvas. Les rapports qui existent entre eux sont déterminés par la définition donnée. Adi-Bouddha est Vajradhara et les Dhyâni-Bouddhas sont Vajrasattva ; pourtant, bien que ces deux soient des êtres différents sur leurs plans respectifs, Ils sont, par le fait, identiques, car l'un agit par l'entremise de l'autre, comme un Dhyâni agit par l'entremise d'un Bouddha humain. L'un est "l'Intelligence Illimitée" ; l'autre n'est que "l'Intelligence Suprême". On dit de Phra-Bodhisattva – qui fut ensuite Gautama Bouddha sur la Terre :
Ayant rempli toutes les conditions nécessaires pour atteindre immédiatement l'état parfait de Bouddha, l'Etre Saint préféra, par un sentiment de charité illimitée envers les êtres vivants, se réincarner encore une fois pour le bien de l'homme.
Le Nirvâna des Bouddhistes n'est que le seuil du Paranirvâna, suivant l'Enseignement Esotérique, tandis que pour les Brahmanes c'est le summum bonum, l'état final d'où l'on ne revient plus – en tout cas pas avant le Mahâ-Kalpa suivant. Et encore cette dernière opinion sera combattue par certains philosophes trop orthodoxes et dogmatiques, qui ne veulent pas accepter la Doctrine Esotérique. Pour eux le Nirvâna est le néant absolu, où il n'y a rien ni personne, rien qu'un Tout non-conditionné. Pour comprendre les caractéristiques complètes de ce Principe Abstrait, on doit le sentir par intuition et saisir pleinement la "condition unique permanente dans l'Univers" que les Hindous définissent si bien comme :
L'état d'inconscience parfaite – simple Chidâkâsham (champ de conscience) en fait, [VI 74] si paradoxal que cela puisse paraître aux yeux du lecteur profane 94.
Shankarâchârya avait la réputation d'être un Avatar ; ce que l'auteur croit implicitement, mais ce que d'autres ont naturellement le droit de ne pas admettre. En cette qualité, il prit le corps d'un Brahmane nouveau-né de l'Inde du Sud ; ce corps, pour des raisons aussi importantes que mystérieuses pour nous, était, dit-on, animé par les restes astrals personnels de Gautama. Ce divin Non-Ego choisit pour son propre Oupadhi (base physique), l'Ego humain éthéré d'un grand Sage dans ce monde des formes, comme le véhicule le mieux approprié pour que l'Esprit y descende.
Shankarâchârya a dit :
Parabrahman est Kartâ [Pourousha], puisqu'il n'y a pas d'autre Adhishtâthâ 95 et Parabrahman est Prakriti, puisqu'il n'y a pas d'autre substance 96.
Or, ce qui est vrai pour le plan Macrocosmique est également vrai pour le plan Microcosmique. On se rapproche donc, davantage de la vérité en disant – une fois cette possibilité admise – que le Gautama "astral", ou le Nirmânakâya était l'Oupadhi de l'esprit de Shankarâchârya, plutôt que ce dernier ne fut une réincarnation du précédent.
93 Les trois corps sont : [1] le Nirmânakâya (Proul-pai-Kou, en tibétain), dans lequel le Bodhisattva, après être entré, par les six Pâramitâs, dans le Sentier du Nirvâna, apparaît aux hommes afin de les instruire ; [2] le Sambhogakâya (Dzog-pai-kou), le corps de la béatitude impénétrable pour toutes les sensations physiques et que reçoit celui qui a rempli les trois conditions de perfection morale et [3] le Dharmakâya (en Tibétain, Chos-Kou), le corps Nirvanique.
94 Five Years of Theosophy, art. "Personal and Impersonal God", p. 129.
95 Adhishtâthâ, l'agent actif ou à l'œuvre dans Prakriti (ou la matière).
96 Védânta-Soûtras, Ad. [ch.] 1. Pâda IV. Shi. 23. Commentaire. Le passage est rendu comme suit dans la traduction de Thibaut (Sacred Books of the East, XXXIV, p. 286) : "Le Soi est ainsi la cause opérante, parce qu'il n'y a pas d'autre principe gouvernant et aussi la cause matérielle, parce qu'il n'y a pas d'autre substance d'où le monde pourrait tirer son origine".
Lorsqu'un Sankarâchârya doit naître, il va de soi que tous les principes de l'homme mortel manifesté doivent être les plus purs et les meilleurs qui existent sur la Terre. En conséquence, les principes jadis rattachés à Gautama, le grand prédécesseur direct de Shankara, furent naturellement attirés vers lui, l'économie de la Nature interdisant l'évolution nouvelle de principes similaires tirés de l'état brut. Mais il ne faut pas oublier que les principes éthérés supérieurs, différant en cela des principes inférieurs et plus matériels, ne sont pas parfois visibles pour l'homme (comme corps astrals) et qu'il faut les considérer comme des Pouvoirs, ou Dieux, séparés ou indépendants, plutôt que comme des objets matériels. Aussi la véritable manière de représenter la vérité serait de dire que les divers principes, le Bodhisattva, de Gautama Bouddha, qui ne s'étaient pas rendus en Nirvâna, se réunirent [VI 75] pour constituer les principes moyens de Shankarâchârya, l'Entité terrestre 97.
Il est absolument nécessaire d'étudier ésotériquement la doctrine des Bouddhas et de se rendre compte des différences subtiles qui existent entre les différents plans de l'existence, pour être à même de comprendre correctement ce qui précède. Pour parler plus clairement, Gautama, le Bouddha humain, qui avait, exotériquement, Amitâbha pour son Bodhisattva et Avalokitésvara pour son Dhyâni-Bouddha – la triade émanant directement d'Adi-Bouddha – les assimila par sa "Dhyâna" (méditation) et devint ainsi un Bouddha (un "illuminé"). D'une autre façon, le cas est le même pour tous les hommes ; chacun de nous a son Bodhisattva – le principe moyen, si nous nous en tenons pour un instant à la division trinitaire du groupe septénaire – et son Dhyâni Bouddha, ou Chohan, le "Père du Fils". C'est là que se trouve, dans une coquille de noix, le chaînon qui nous rattache à la Hiérarchie supérieure des Etres Célestes, mais nous sommes trop grands pécheurs pour nous les assimiler.
97 Dans Five Years of Theosophy, [éd. de 19101 (art. "Shâkya Muni's Place in History", p. 234, note) il est dit qu'un jour où le Seigneur se tenait dans la caverne Sattapanni (Saptaparna) il compara l'homme à une plante Saptaparna (à sept feuilles).
"Mendiants, dit-il, il y a sept Bouddhas dans chaque Bouddha et il y a dans chaque mendiant six Bhikshous et un seul Bouddha. Quels sont les sept ? Les sept branches de la connaissance complète. Quels sont les Six ? Les six organes des sens. Que sont les cinq ? Les cinq éléments de l'être illusoire. Et l'Unique qui est aussi dix ? C'est un vrai Bouddha qui développe en lui les dix formes de sainteté et les soumet toutes à l'unique..." Ce qui signifie que chacun des principes du Bouddha, était le plus haut qui pût être évolué sur cette terre ; tandis que dans le cas d'autres hommes, qui atteignent le Nirvâna, il n'en est pas nécessairement ainsi. Même en tant que simple Bouddha humain (Manousha), Gautama fut un modèle pour tous les hommes. Mais ses Arhats n'en étaient pas nécessairement.
Six siècles après le départ du Bouddha humain (Gautama), un autre Réformateur aussi noble et aussi plein d'amour, bien que moins favorisé par les circonstances, apparut dans une autre partie du monde, au milieu d'une autre race moins spirituelle. Il y a une grande similitude entre les opinions que se fit plus tard le monde au sujet des deux Sauveurs, l'Oriental et l'Occidental. Alors que des millions d'êtres se convertissaient aux doctrines des deux Maîtres, leurs ennemis – les adversaires sectaires, les plus dangereux de tous les déchirèrent tous deux en lançant des insinuations basées sur des vérités Occultes méchamment déformées et, par suite, doublement dangereuses. Tandis que les Brahmanes disent de Bouddha qu'Il était véritablement un Avatar de Vishnou, mais qu'Il était venu pour tenter les Brahmanes [VI 76] et les détourner de leur foi, et était, par suite, le mauvais aspect du Dieu, les Gnostiques Bardesanes et d'autres affirmaient que Jésus était Nébou, le faux Messie, le destructeur de l'antique religion orthodoxe. "Il est le fondateur d'une nouvelle secte de Nazars", disaient d'autres sectaires. En Hébreu, le mot "Naba" veut dire "parler par inspiration", (אבנ et ובנ, c'est Nébo, le Dieu de la sagesse.) Mais Nébo est aussi Mercure, qui est Bouddha dans le monogramme Hindou des planètes. C'est établi par le fait que, suivant les Talmudistes, Jésus était inspiré par le Génie (ou Régent) de Mercure confondu par Sir William Jones avec Gautama Bouddha. Il y a beaucoup d'autres étranges similitudes entre Gautama et Jésus, qui ne peuvent être exposées ici 98.
98 Voyez Isis Dévoilée. III, 179.
Si les deux Initiés, conscients du danger de livrer aux masses ignorantes les pouvoirs acquis grâce au savoir ultime, laissèrent dans de profondes ténèbres le coin le plus reculé du sanctuaire, qui, parmi ceux qui connaissent la nature humaine, oserait les en blâmer ? Cependant, bien que Gautama, guidé par la prudence, ait passé sous silence les parties Esotériques et très dangereuses du Savoir Secret et qu'il ait vécu jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans – la Doctrine Esotérique dit, de cent ans – et soit mort avec la certitude d'avoir enseigné les vérités essentielles et d'avoir semé les germes qui devaient amener la conversion d'un tiers des êtres humains, Il en révéla peut-être plus qu'il en fallait strictement pour le bien de la postérité. Mais Jésus, qui avait promis à Ses disciples la connaissance qui confère à l'homme le pouvoir de produire des "miracles" plus grand qu'Il n'en avait jamais produit Lui-même, mourut en ne laissant que quelques disciples fidèles – gens qui n'étaient arrivés qu'à mi-chemin du savoir. Ils avaient donc à lutter contre un monde auquel ils ne pouvaient communiquer que ce qu'ils ne connaissaient eux-mêmes qu'à demi, et rien de plus. Plus tard, les disciples exotériques des deux Maîtres brouillèrent les vérités communiquées, au point de les rendre souvent méconnaissables. En ce qui concerne les adhérents du Maître Occidental, la preuve en est qu'aucun d'eux ne peut aujourd'hui accomplir les "miracles" promis. C'est à eux de choisir ; ou bien ils se sont égarés, ou bien c'est à leur Maître qu'il faut reprocher une vaine promesse, une vantardise gratuite 99. Pourquoi cette différence entre la destinée [VI 77] des deux ? Pour l'Occultiste, cette énigme d'une faveur inégale de Karma ou de la Providence est déchiffrée grâce à La Doctrine Secrète.
Il n'est "pas permis" de parler publiquement de ces choses, comme nous le dit saint Paul. Une seule explication peut encore être donnée à ce sujet. Il a été dit, quelques pages plus haut, qu'un Adepte qui se sacrifie ainsi pour vivre, en renonçant au Nirvâna complet, sans pouvoir jamais perdre les connaissances acquises par lui durant ses existences précédentes, ne peut jamais s'élever plus haut en de tels corps d'emprunt. Pourquoi ? Parce qu'il devient simplement le véhicule d'un "Fils de la Lumière" d'une sphère encore plus haute, Lequel étant Aroûpa, ne possède pas en propre de corps astral personnel et qui soit approprié à ce monde. Ces "Fils de la Lumière" ou Dhyânis-Bouddhas, sont les Dharmakayâs de Manvantaras précédents, qui ont clos leurs cercles d'incarnations, au sens ordinaire du mot et qui, se trouvant ainsi sans Karma, ont depuis longtemps abandonné leurs Roûpas individuels et se sont identifiés avec le premier Principe. De là la nécessité d'un Nirmânakâya qui se sacrifie, prêt à souffrir pour les méfaits ou les erreurs du nouveau corps, durant son pèlerinage terrestre, sans la perspective d'aucune récompense sur le plan des progrès et des renaissances, puisqu'il n'y a plus pour lui de renaissances, au sens ordinaire du mot. Le Soi Supérieur, ou Monade Divine, n'est pas, en pareil cas, rattaché à l'Ego inférieur ; son rattachement n'est que temporaire et, dans la plupart des cas, il agit par des décrets de Karma. C'est là un réel, un véritable sacrifice, dont l'explication se rattache à la plus haute Initiation de Jnâna (Savoir Occulte). Il se rattache, étroitement, par une évolution directe de l'Esprit et une involution de la Matière, au grand Sacrifice primordial qui sert de base aux Mondes manifestés, l'étouffement graduel, la mort du spirituel dans le matériel. Le grain "n'est pas vivifié s'il ne meurt auparavant" 100. Aussi, dans la Pourousha[VI 78] Soûkta du Rig Véda 101 source de toutes les religions postérieures, est-il exposé allégoriquement que "le Pourousha aux mille têtes" fut égorgé à la fondation du Monde, afin que l'Univers pût naître de ses restes. Cela n'est autre que la base – le germe, en vérité – du symbole de l'agneau sacrifié, qui se retrouve sous tant de formes dans les différentes religions, y compris le Christianisme. C'est un jeu de mots, car "Aja" (Pourousha), "le non-né", Esprit éternel, veut dire aussi "agneau" en Sanscrit. L'Esprit disparaît – meurt métaphoriquement – au fur et à mesure qu'il s'involue dans la matière ; de là vient le sacrifice du "non-né" ou de "l'agneau".
99 Avant que l'on ne devienne un Bouddha, on doit être un Bodhisattva ; avant d'évoluer en un Bodhisattva, on doit être un Dhyâni-Bouddha... Un Bodhisattva est la voie et le Sentier vers son Père et de là vers l'Unique Essence Suprême" (Descent of Buddhas, p. 17, d'Aryâsanga). "Je suis la Voie, la Vérité et la Vie ; aucun homme n'atteint le Père, si ce n'est par moi". (Saint Jean, XIV, 6). La "voie" n'est pas le but. Nulle part dans tout le Nouveau Testament, Jésus ne s'appelle lui-même Dieu, ou quoi que ce soit de plus haut que "un Fils de Dieu", le fils d'un "Père" commun à tous synthétiquement. Paul n'a jamais dit (1. Tim., III, 16) "Dieu était manifesté dans la chair", mais bien "Celui qui était manifesté dans la chair" (Edition Revue). Alors que le troupeau commun des Bouddhistes – ceux de Birmanie particulièrement – considère Jésus comme une incarnation de Dévadatta, un parent qui s'opposa aux enseignements de Bouddha, ceux qui étudient la Philosophie Esotérique voient dans le Sage Nazaréen un Bodhisattva ayant en Lui l'esprit de Bouddha Lui- même.
100 I. Corinth., XV, 36.
101 Op. cit., Mandala X, Hymne 90.
Pourquoi le BOUDDHA voulut-il accomplir ce sacrifice, c'est ce qui n'apparaîtra clairement qu'à ceux qui ajoutent à l'insignifiante connaissance de Sa vie terrestre, la complète compréhension des lois de karma. De telles circonstances ne se rencontrent néanmoins que dans les cas les plus exceptionnels.
D'après la tradition, les Brahmanes avaient commis un grand péché en persécutant Gautama BOUDDHA et Ses Enseignements, au lieu de les fondre et de les concilier avec les dogmes du pur Brahmanisme Védique, comme le fit plus tard Shankarâchârya. Gautama n'a jamais été à l'encontre des Védas, mais seulement contre le développement exotérique d'interprétations préconçues. Le Shrouti – révélation divine orale qui donna naissance au Véda – est éternel. Cette révélation parvint aux oreilles de Gautama Siddhârta, comme elle était parvenue à celles des Richis qui l'avaient transcrite. Il accepta la révélation tout en en repoussant le développement postérieur dû à la pensée et à l'Imagination des Brahmanes et Il édifia Sa doctrine sur la base de la même vérité impérissable. Comme ce fut le cas pour Son successeur Occidental, Gautama, le "Compatissant", le "Pur" et le "Juste", fut le premier de la Hiérarchie Orientale des Adeptes historiques, sinon des annales des mortels divins de ce monde, qui fut poussé par le généreux sentiment qui fait étreindre l'humanité entière dans un même embrassement, sans tenir compte des petites différences de race, de naissance ou de caste. Ce fut Lui qui énonça le premier ce grand et noble principe, et ce fut Lui encore qui fut le premier à le mettre en pratique. Dans l'intérêt des pauvres et des méprisés, des proscrits et des malheureux, invités par Lui à prendre place à la table du festin royal, Il avait exclu ceux qui, jusqu'alors, étaient restés seuls dans une réclusion hautaine et égoïste, croyant qu'ils seraient souillés par l'ombre [VI 79] même des déshérités du pays – et ces Brahmanes dépourvus de spiritualité prirent parti contre Lui, à cause de cette préférence. Depuis lors, ces gens n'ont jamais pardonné au prince-mendiant, au fils de roi, qui, oublieux de Son rang et de Sa situation, avaient grand ouvert les portes du sanctuaire interdit, au paria, à l'homme de basse extraction, en donnant ainsi le pas au mérite personnel sur le rang héréditaire et la fortune. La faute leur incombait – néanmoins Lui-même en était la cause : aussi "le Compatissant et le Béni" ne put se dégager entièrement de ce monde d'illusion et des causes générées, sans expier les fautes de tous – donc aussi celles de ces Brahmanes. Si "l'homme affligé par l'homme" trouva un sûr refuge auprès du Tathâgata, "l'homme affligeant l'homme" eut aussi sa part de Son amour plein de sacrifice et de pardon et qui enveloppait tout. Il est dit qu'il désira racheter tous les péchés de Ses ennemis. C'est après cela seulement, qu'Il consentit à devenir un Darmakâya complet, un Jîvanmoukta "sans restes".
La fin de la vie de Shankarâchârya nous met en présence d'un nouveau mystère. Shankarâchârya se retire dans une caverne des Himalayas, sans permettre à aucun de ses disciples de le suivre et y disparaît à jamais aux yeux des profanes. Est-il mort ? La tradition et la croyance populaire répondent négativement et quelques-uns des Gourous locaux ne contredisent pas ce bruit, s'ils ne le corroborent pas expressément. La vérité, avec les mystérieux détails que donne La Doctrine Secrète, n'est connue que d'eux seuls ; elle ne peut être communiquée dans son entier qu'aux disciples directs du grand Gourou Dravidien et c'est à eux seuls qu'il appartient d'en révéler autant qu'ils jugent convenable de le faire. On soutient cependant que cet Adepte des Adeptes vit jusqu'à présent dans son entité spirituelle, comme une présence mystérieuse, invisible et pourtant toute-puissante, parmi la Fraternité de Shamballa, au-delà, bien au-delà des Himalayas aux sommets neigeux.