Salamandre (légende)

Une salamandre. Illustration du XIVe siècle.

La salamandre, baffie ou lebraude est un reptile légendaire qui était réputé vivre dans le feu et s'y baigner, et ne mourir que lorsque celui-ci s'éteignait. Mentionnée pour la première fois par Pline l'Ancien, la salamandre devint une créature importante des bestiaires médiévaux ainsi qu'un symbole alchimique et héraldique auquel une profonde symbolique est attachée. Ainsi, Paracelse en faisait l'esprit élémentaire du feu, sous l'apparence d'une belle jeune femme vivant dans les brasiers. D'autres légendes plus tardives en font un animal extrêmement venimeux, capable d'empoisonner l'eau des puits et les fruits des arbres par sa seule présence.

Pline l'Ancien

La salamandre semble être mentionnée pour la première fois par Pline l'Ancien dans le livre X de son Histoire naturelle, où il déclare que « la salamandre est si froide qu'elle éteint le feu lorsqu' elle le touche »[1]. Un peu plus loin, au livre XXI, il s'étonne de cette propriété et analyse que si l'animal avait réellement cette vertu, il serait utilisé pour éteindre les incendies[2].

Pline mentionne un autre animal au livre XI, la Pyrallis, sorte de reptile ailé et quadrupède qui vit dans le feu des forges de Chypre. Si elle en émerge et vole sur une courte distance, elle tombe morte car elle ne peut vivre que dans le feu[3]. D'après Jorge Luis Borges, la symbolique de cet animal oublié des bestiaires aurait été englobée dans celle de la salamandre[4].

Saint Augustin

Le philosophe et théologien Saint Augustin reprit la symbolique de la salamandre dans La cité de Dieu, dans un chapitre qui s'intitule Si les corps peuvent être éternels dans le feu :

« Pourquoi devrais-je démontrer sinon pour convaincre les incrédules qu'il est non seulement possible que les corps humains, animés et vivants ne se défassent jamais et ne se dissolvent pas avec la mort, mais encore durent dans les tourments du feu éternel ? Car il ne leur plait pas que nous attribuions ce prodige à l'omnipotence du Tout-Puissant, il prient que nous le démontrions au moyen de quelque exemple. Nous répondons à ceux-là qu'effectivement, certains animaux, corruptibles parce que mortels, vivent, pourtant, au milieu du feu »

— Saint Augustin, La cité de Dieu : Si les corps peuvent être éternels dans le feu

Poèmes

À l'instar du phénix symbolisant la résurrection, la salamandre fut mentionnée par les poètes pour enrichir leurs textes d'une dimension symbolique. Quevedo cite la salamandre dans les sonnets du quatrième livre du parnasse espagnol :


Je rends vrai le phénix dans l'ardente
Flamme, où en renaissant je me rénove,
Et je prouve la virilité du feu,
Et qu'il est père, et qu'il a descendance.
La froide salamandre, qui dément
la note docte, j'ose défendre,
Quand les incendies, que le bois assoiffé,
habite mon cœur, et sans les sentir...

Moyen Âge et Renaissance

Dans sa Vie, Benvenuto Cellini écrivit qu'alors âgé de cinq ans, il vit un petit reptile semblable à un lézard jouer dans le feu et courut en avertir son père. Celui-ci lui révéla qu'il s'agissait d'une salamandre et lui donna une bonne fessée afin de marquer le jour et la vision dans la mémoire de son fils[5].

L'abbé Nicolas Pierre Henri de Montfaucon de Villars, dans un célèbre roman, Le comte de Gabalis ou Entretiens sur les sciences occultes, en 1670, décrit les salamandres :

« [...] Quant aux salamandres, habitants enflammés de la région du feu, ils servent aux philosophes ; mais ils ne recherchent pas avec empressement leur compagnie ; et leurs filles et femmes se font voir rarement »

— Le comte de Gabalis ou Entretiens sur les sciences occultes p. 45-48.

Selon une citation de Cyrano de Bergerac, la salamandre vit sous les montagnes volcaniques comme l'Etna ou le Vésuve, elle sue de l'huile bouillante et crache de l'eau-forte quand elle s'échauffe ou se bat. Si on pend le corps d'une salamandre à une crémaillère, il fait bouillir et rôtir tout ce que l'on met devant la cheminée. Ses yeux, qui éclairent la nuit comme des soleils et font l'effet d'une lampe perpétuelle[6].

Description et attributs

Salamandre dans le Château de Fontainebleau, galerie François Ier

L'attribut principal de la salamandre est sa capacité à se baigner dans le feu et l'éteindre, cet animal eut longtemps la réputation d'être totalement insensible aux effets du feu. On lui prêtait aussi le pouvoir de traverser un brasier ou d'être jetée dans les flammes sans subir aucun dommage. Certains affirmaient même que son sang était tellement froid qu'elle pouvait éteindre le feu. Dans le Dictionnaire raisonné et universel des animaux ou le règne animal de 1759, il est expliqué que le hiéroglyphe en forme de salamandre signifie « homme mort de froid », toutefois, ce dictionnaire est antérieur à la découverte de la pierre de Rosette qui permit à Jean-François Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes[7].

Selon Édouard Brasey, la salamandre se présente sous la forme d'un lézard dont le dos est couvert de taches jaunes et noires. Il possède des griffes et sa tête tient du singe et du cochon[6]. Du point de vue de la zoologie, la salamandre n'est toutefois pas un lézard mais bien un amphibien, un batracien[8]. La salamandre est aussi réputée pour deux attributs principaux : sa peau incorruptible et son venin extrêmement puissant.

Peau incorruptible

Une fausse missive rédigée au XIIe siècle mentionne qu'un pays lointain produit des vers appelés salamandres : « Les salamandres vivent dans le feu et font des cocons, que les dames des palais dévident et utilisent pour tisser des etoffes et des habits. Pour laver et nettoyer ces étoffes, elles les jettent au feu. »[5]. Cette thématique se retrouve chez d'autres auteurs, Gossuin de Metz ajoutant qu'un tissu fait en poils de salamandre ne peut se consumer[8], et Guillaume de Tilbury qui explique que même la peau de l'animal ne peut bruler. Ce tissu en soie ou en poils de salamandre pourrait en fait être un textile d'amiante[9], ils se vendaient comme peaux de salamandres et formaient ainsi un témoignage irréfutable de l'existence de l'animal légendaire[5]. Pline l'Ancien mentionnait déjà des étoffes incorruptibles qui se nettoient dans le feu[10], de même que Marco Polo, qui précise que « la salamandre est une étoffe, non un animal ».

Poison de salamandre

Certaines légendes ajoutent que la salamandre sécrète le plus puissant de tous les poisons, celui-ci fonctionnant par simple contact : en tombant dans un puits, elle peut empoisonner toute l'eau qui s'y trouve et en grimpant dans un arbre fruitier, la salamandre peut aussi empoisonner tous ses fruits[8]. Dans le Rosarius, écrit du Xve siècle, le venin est décrit comme une humeur laiteuse que l'animal répand pour se défendre[8]. La salamandre est réputée pour la puissance de son venin : dans le folklore français, sa respiration suffit pour faire enfler une personne jusqu'à ce que sa peau éclate[6]. En Auvergne, où elle est connue sous le nom de soufflet, souffle ou enfleboeuf, elle tue les troupeaux de bovins, et dans le Berry, sa présence suffit à les faire enfler[11]. En Auvergne, la lebraude est un lézard noir et jaune dont la symbolique est proche de celle de la salamandre, réputé pour ne respirer qu'une fois par jour. Son souffle est empoisonné et pour s'en débarrasser, il faut l'enfermer pendant vingt-quatre heures dans un espace confiné afin qu'il soit obligé de respirer et qu'il s'empoisonne lui-même[6]. Selon Paul Sébillot, au XVIIIe, les bretons n'osaient pas nommer la salamandre par son nom véritable, craignant que, l'entendant, elle ne vienne leur faire du mal[11].

Symbolique de la salamandre

 

Gravure d'une salamandre selon Paracelse

Comparaisons

La salamandre symbolise la foi qui ne peut être détruite[9]. Elle a été comparée au prophète Daniel qui survécu au supplice des lions[12], mais aussi aux Hébreux qui furent jetés au feu sur ordre de Nabuchodonosor mais demeurèrent intouchés par les flammes ou encore à l'apôtre Paul[8].

Alchimie

L'alchimiste Paracelse comptait sept races de créatures sans âme : les génies à forme humaine mais sans âme ni esprit (inanimata) des Éléments, les géants et les nains, les nains sur la terre. Il croit aux génies des quatre Éléments. La Terre, par génération spontanée, produit des nains qui gardent les trésors sous la montagne ; l'Eau produit les ondines ; le Feu, les salamandres ; l'Air, les elfes. Ensuite viennent les géants et les nains issus de l'air, mais qui vivent sur la terre[13].

La salamandre était l'être élémentaire associé à l'élément Feu des Anciens. L'animal du même nom n'était en fait qu'une représentation symbolique de l'esprit élémentaire du Feu. La salamandre est un esprit du feu, comme l'Ondine est un esprit élémentaire de l'Eau, le Gnome un esprit élémentaire de la Terre, et le Sylphe un esprit élémentaire de l'Air[14].

Emblématique

la guivre et les boutefeux milanais, inspiration de François Ier

La salamandre va connaître un succès sans précédent sous François Ier, qui l'adopte comme corps de devise avant même son accession au trône. La salamandre est représentée assise dans les flammes et crachant des gouttes d'eau. Le mot qui accompagne cette figure, « Nutrisco et extinguo » ("je nourris le bon feu et j'éteins le mauvais"), est en accord avec cette image. Si le sens global est cohérent, il reste néanmoins assez mal élucidé, aucune interprétation ne faisant à ce jour l'unanimité. Le corps de la devise est probablement une combinaison d'éléments de l'emblématique milanaise, François Ier prétendant à la succession du duché de Milan : la salamandre rappelle la guivre des Viscontis et la cohabitation des flammes et de l'eau rappelle les boutefeux munis de seaux d'eau des Sforzas[15].

La salamandre de François Ier et son mot : « Nutrisco et extinguo » (Château d'Azay-le-Rideau)

Cette formule emblématique sature littéralement le décor des palais de François Ier. À Chambord, la salamandre est le plus présent de tous les éléments du répertoire monarchique, devant les lys et les couronnes. Elle est largement associée à l'hermine, animal qui représente Claude de France, épouse de François Ier, reine de France et duchesse souveraine de Bretagne.

François Ier n'a pas l'exclusivité de la salamandre, on la trouve aussi dans les armes de Jobelot de Montureux, en Franche-Comté (de sable, à la salamandre couronnée d'or), Despierres de Brécourt, de Rochepot, en Berry (d'or, à la salamandre de gueules, accompagnée de trois croisettes de sinople). Néanmoins la plupart des blasons comportant une salamandre couronnée, surtout celles de communes, sont une allusion à un rapport avec François Ier.

Notes et références

  1.  Pline L'Ancien, Histoire naturelle, t. X 

  2.  Pline L'Ancien, Histoire naturelle, t. XXI 

  3.  Pline L'Ancien, Histoire naturelle, t. XI 

  4.  Jorge-Luis Borges, Le livre des êtres imaginaires, Éditions Gallimard, 2007, 192 p. (ISBN 9782070711024) 

  5.  et c Jorge-Luis Borges, Le livre des êtres imaginaires, Éditions Gallimard, 2007, 194 p. (ISBN 9782070711024) 

  6. Édouard Brasey, La Petite Encyclopédie du merveilleux, Paris, Éditions le pré aux clercs, 14 septembre 2007, 435 p. (ISBN 978-2842283216), p. 161-162 

  7.  (fr) Eric DESRENTES, « Question : Salamandre et hiéroglyphes ?  » sur http://hieroglyphes.over-blog.com/ Mis en ligne le 24 juin 2009, consulté le 2 septembre 2009

  8. (fr) Josy Marty-Dufaut, Les animaux du Moyen Âge réels et mythiques, Autres temps, 2005 (ISBN 2845211651) 

  9.  (en) Salamander sur http://www.eaudrey.com/myth/index.html , Mythical Creature. Consulté le 2 septembre 2009

  10.  Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XIX, 4

  11.  Paul Sébillot Croyances, mythes et légendes des pays de France, La faune

  12.  (en) David Badke, « Salamander » sur http://www.bestiary.ca/ , Medieval Bestiary. Mis en ligne le 11 avril 2009, consulté le 2 septembre 2009

  13.  Le livre des nymphes, des sylphes, des pygmées, des salamandres et de tous les autres esprits (1535), trad. de l'all. Nîmes, Lacour, 1998, 308 p

  14.  Psychanalyse du feu Gaston Bachelard p.154

  15.  Anne-Marie Lecocq, François premier imaginaire, Paris, 1987, ppes 49-50

Liens externes

(en) Salamander sur Medieval Bestiary

Bibliographie

Nicolas Pierre Henri de Montfaucon de Villars, Le comte de Gabalis ou Entretiens sur les sciences occultes, 1670