Védanta
Le Vedānta[1] (devanāgarī: वेदान्त. Terme sanskrit signifiant « fin, ou aboutissement, du Veda ») est une école de philosophie indienne āstika[2] issue de la tradition ancienne de l'Inde qui se consacre à la réalisation de la réalité ultime (mokṣa). Le Vedānta est la pensée Non-dualiste de l'Inde qui affirme l'unité du monde et de l'être.
La littérature upanishadique constituait la partie exégétique du Veda ; le terme, qui finit par désigner l'ensemble des systèmes doctrinaux fondés sur les écrits védiques (Upaniṣad, Bhagavad Gītā , Brahma Sūtra essentiellement), donna son nom au plus important des courants philosophiques hindous[3].
Doctrine
Le Vedānta définit la nature de l'Existence, enseignant que le Soi (ātman) est de même nature que le Brahman, la Réalité ultime indifférenciée. La perception de cette réalité est obscurcie en l'homme par une connaissance erronée (viparyaya) sur lui-même et le monde, qui l'empêchent de vivre la plénitude de l'unité. Dans les Upaniṣad, la Conscience pure, appelée Brahman (le Soi universel), est présentée comme le substrat de l'univers, à partir duquel apparaissent le monde et aussi la conscience individualisée (ahaṃkāra). Mais toutes ces formes, selon le Vedānta, ne sont que des apparences illusoires, parce que seul le Brahman existe en réalité. Le monde tout entier n'est pas ce qu'il semble être : il n'a pas d'existence indépendante, il est la manifestation d'une réalité ultime, il est une simple apparence, et il surgit par le jeu de māyā, le pouvoir créateur inhérent au Brahman.
C'est sur ce dernier aspect que l'Advaita Vedānta qui est l'une des écoles la plus représentative du Vedānta aujourd'hui, insiste particulièrement (Ādi Śaṅkara, 800 ap. J.-C.) C'est elle qui est à l'origine du concept de la Non-Dualité telle qu'elle s'est répandue à travers le monde et principalement en Occident. On dit de Shankara[4] qu'il a influencé beaucoup de penseurs indiens comme Sri Aurobindo, Tagore, Osho, Ramana Maharshi et beaucoup de scientifiques étrangers comme Schrödinger et Einstein.
Les autres écoles du Vedānta sont : Viśiṣṭādvaita de Rāmānuja, Dvaitādvaita[ de Nimbarka, Dvaia de Madhva, Śuddhādvaita de Vallabha Acharya, Bhedābheda de Bhāskara.
On peut résumer cette voie de la connaissance absolue enseignée dans les Upaniṣad par ces trois déclarations :
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seul le brahman est réel (brahma satyam)
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le monde est illusoire (jagan mithyā)
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l'individu n'est pas différent de brahman (jîvo brahmaiva nāparah).
L'étudiant doit réaliser que le Soi en lui n'est pas différent de brahman, par une expérience directe : l'Ātman est Brahman, ce qui l'amène à percevoir la présence du brahman en tout.
C'est le maître (guru) qui aide l'étudiant à réaliser sa nature éternelle en lui délivrant l'enseignement, résumé par cette grande déclaration :
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Tat tvam asi : "Tu es Cela"
Ayant reçu l'enseignement, l'étudiant doit réfléchir par lui-même, et il doit aussi méditer sur le Soi. La contemplation sur le message des Ecritures est un support pour cette méditation, comme ce mantra par exemple qui affirme notre nature divine et pleine de félicité :
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So'ham : "Je suis Lui"
Pour l'Advaita Vedānta, l'univers est une unique entité, une Totalité interconnectée. Les distinctions entre objets résultent de l'ignorance de la vraie nature de la Réalité, identique au brahman, qui transcende le temps et l'espace. Dans cet état d'ignorance, l'individu est prisonnier des illusions du monde et n'échappe pas aux réincarnations successives, fruit de son karma.
Le Vedānta a associé à son développement ultérieur d'autres éléments philosophiques empruntés à un autre système Indien, le Sāṃkhya, qui définit par exemple trois "qualités" (les guṇa) présidant à la Nature, trois modes d'existence, trois modalités de la matière :
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tamas (ténèbre), principe inférieur d'obscurité, d'inertie, de lourdeur, d'ignorance (notamment spirituelle), d'incapacité.
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rajas (rouge), principe de désir, action et passion.
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sattva (le fait d'être), principe supérieur d'équilibre, d'harmonie, de lumière, de sincérité, de pureté.
Advaita signifie littéralement « pas deux, non duel ». C'est la doctrine du monisme avancée par Ādi Śaṅkara. La réalité est classée en trois niveaux : Transcendental, Pragmatique et Apparent. Comme en comparaison du Brahman, qui est la Réalité Suprême, toutes les autres réalités - y compris l'univers, les individus et même Ishvara (le Seigneur Suprême) - ne sont pas réelles. L'univers, les individus et Ishvara sont vrais seulement dans le niveau Pragmatique. Shankara dit qu'ils ont une "réalité relative". Pour les Advaitistes (non-dualistes), la Réalité Ultime s'exprime comme nirguna-Brahman, "Absolu sans qualité", "Dieu sans attribut". Le Brahman est Vérité infinie, Conscience infinie et Félicité infinie (Sat-Chit-Ânanda). Le Brahman absolu devient le Seigneur Suprême (Īśvara) sous l'effet de Son pouvoir créateur appelé Māyā. L'univers matériel, et l'apparence des âmes individuelles innombrables, sont aussi à cause de la Māyā. La vraie connaissance (Jñāna) du Brahman est le moyen de la libération - quand l'âme individuelle réalise qu'elle n'est rien d'autre que le Brahman ; cependant, les bons Karma (fruits de l'action juste) et la Bhakti (dévotion) sont également reconnus comme des soutiens dans la voie vers la vraie connaissance.
Gauḍapāda et le Vedānta
Le plus ancien commentateur du Vedānta est Gauḍapāda (v. 600 av. J.-C.), maître de Shankara et auteur de la Gaudapadiya Karika , un commentaire du Mândukya-upanishad[3]. Pour lui, ātman et brahman coïncident, et il n'existe ni multiplicité ni devenir ; aussi les consciences individuelles et le monde empirique ne sont-ils qu'illusion : « De même qu'une corde, dans l'obscurité, peut être prise pour un serpent, de même l'ātman est pris à tort pour le monde, dans l'obscurité de la non-connaissance[3].»
Shankara et le Vedānta
Adi Shankara
L'un des interprètes les plus connus du Vedānta, Adi Shankara (788-820) peut être considéré comme le philosophe, pionnier et réformateur le plus marquant de la philosophie hindoue[3]. C'est Shankara qui a mis le Vedānta dans sa forme définitive.
Selon Shankara, la plus haute vérité est constituée par la « doctrine d'unité », l'advaïta ou non-dualisme. Shankara enseigne en effet un strict monisme selon lequel dualité ou multiplicité constituent le voile qui masque la vérité, sont donc une « illusion » (māyā). Le principe fondamental du monde, le « pouvoir infini, omniprésent » (brahman) et le soi (âtman) sont pure unité[3].
Le brahman universel et l’ātman individuel ont entre eux le même rapport que celui existant entre l'espace universel et des espaces distincts (par exemple, une pièce, l'espace d'un pot...) ; seules des notions les font apparaître distincts et séparés. Si l’advaïta est l'unique réalité, alors le monde empirique dans sa multiplicité peut seulement être māyā, résultat de la non-connaissance (avidyā). La vérité absolue de l'identité du brahman (Âme universelle) et de l’ātman (Âme individuelle) ne s'ouvre à l'homme qu'au moyen de la « connaissance suprême » (para-vidyā), opposée à la « connaissance inférieure » (aparavidya)[3].
Le stade de l'aparavidya est caractérisé par une vision relative de la réalité et par Brahmā, le Dieu Créateur conçu comme divinité anthropomorphique. La connaissance inférieure, premier degré menant à la connaissance suprême, ne peut offrir qu'un soulagement temporaire et très précaire. Seul celui qui a déjà atteint une connaissance plus haute parvient à la vraie libération[3].
Shankara est l'auteur de nombreux commentaires des Upanishad, dont le plus important est celui apporté aux Brahma-sūtra, 555 sūtra (« aphorismes ») du sage Badarayana[3]. Il a aussi écrit Viveka-Chūdāmani (Le plus beau fleuron de la discrimination), l'un des grands écrits de la philosophie indienne.
Rāmānuja et le Vedānta
A la différence de Shankara et de son rigoureux monisme, Rāmānuja (env. 1017-1137), fondateur du Vishistādvaita, prône un monisme qualifié, selon lequel le monde empirique et les consciences individuelles sont réels même en tant qu'attributs de l'Absolu[3].
L'âme de l'homme et la divinité sont unies par un rapport, non d'identité mais de ressemblance, et exercent l'une sur l'autre une activité réciproque. Il s'ensuit qu'au moment de la délivrance suprême, la conscience de l'homme ne perd pas son individualité pour se fondre dans l'Un coïncidant avec Tout, mais conserve ses caractéristiques et le même rapport avec l'Absolu[3].
Nimbarka et le Vedānta
Nimbarka (XIIe siècle), fondateur du Dvaitadvaita, propose une médiation entre, d'une part, la diversité des âmes individuelles par rapport à l'âme universelle, et, d'autre part, leur identité (bheda) : « Les consciences, comme les vagues de l'océan, ne sont ni différentes de l'Être suprême, ni totalement identiques à Lui[3].»
Mādhva et le Vedānta
Selon Madhva (1197-1276 - Fondateur de la Dvaita) au contraire, l'Être et les consciences sont complètement différents puisque tout dépend de Dieu, unique cause absolue et indépendante[3].
Vallabha et le Vedānta
Vallabha Acharya (1479-1531 - Fondateur du Suddhadvaita), quant à lui, élabore une théorie fondée sur le non-dualisme total, selon laquelle le monde n'est rien d'autre que la manifestation visible de la réalité absolue[3].
Bibliographie
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Œuvres de Shankara dans Râmana Maharshi, Oeuvres réunies, Paris, Éditions traditionnelles, 1988, p. 213-314 : Hymne dédié à Dakshinamûrti, Hymne à la louange du Guru (Guru Stuti), Hymne de Hastâmalaka, Connaissance de Soi (Atmâ-Bodha), Le plus beau fleuron de la discrimination (Vivéka-chûdâmani), Comment discriminer le spectateur du spectacle (Drik-Drishya-Vivéka).
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René Guénon : L'Homme et son devenir selon le Vedânta, Éditions Traditionnelles. ISBN 2-7138-0065-X
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A history of Indian philosophy de Surendranath Dasgupta, 5 vol., 1922/1955. Un classique incontournable.
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Tattva bodha, de Shankara, Paris, Editions Chinmaya Mission France, 1996. Une présentation de la vision du Vedânta
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Traité d'épanouissement personnel, de Swami Chinmayananda, Paris, Editions Chinmaya Mission France, 1994. Un exposé des méthodes concrètes pour expérimenter la vision de la Non-dualité.
Références
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The Sanskrit Heritage Dictionary de Gérard Huet
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āstika : qui reconnaît l'autorité des Ecritures sacrées comme les Vedas
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d'après L'encyclopédie des religions de Gerhard J. Bellinger, ISBN 2-253-13111-3
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Lire le Viveka Cuda Mani de Shankara "Le plus beau fleuron de la discrimination" dans sa traduction française