"Les Vérités Éternelles", L'homme visible et l'homme invisible
[Traduction de 3 exposés de Robert Crosbie (fondateur de la Loge Unie des Théosophes) extraits de l’ouvrage The Friendly Philosopher, publication posthume (1934) contenant également des lettres du même auteur. Les prochains Cahiers publieront la suite de la série “Les Vérités Éternelles” d’où proviennent ces textes. (N.d.éd.)]
« Il y a deux sortes d’êtres dans le monde, l'une divisible, l'autre indivisible ; la divisible comprend toutes les choses et toutes les créatures, l’indivisible est appelée Kûtastha ? qui se tient imperturbable sur la hauteur. Mais il existe un autre esprit appelé l’Esprit Suprême - Paramâtma - qui pénètre et soutient les trois mondes.» (Bhagavad-Gîtâ, XV, 16-17).
Quand on considère ces déclarations, on a aussitôt tendance à faire mentalement une séparation, ou une division ; mais, pour comprendre un tant soit peu la nature, pour nous comprendre un peu nous-mêmes, nous n'avons pas à le faire. Le divisible et l'indivisible, ainsi que l'Esprit suprême, existent tous à la fois dans chaque être. Les "trois mondes" existent dans la nature de l'homme en tant qu'être. L'homme "visible et invisible", est l'Homme, "divisible et indivisible". Il existe différentes classes d'êtres visibles, comme d'êtres invisibles, mais tout ce que nous pouvons connaître de ces classes, doit venir d'une perception que nous en avons en nous-mêmes. Pour cette perception, aussi élevée soit-elle, il n'y a pas de limites d'aucune sorte : elle peut accéder aux confins ultimes de l'espace. Le pouvoir de perception en chacun est l'Esprit Suprême.
Lorsque nous regardons un être humain avec nos yeux physiques, nous ne pouvons en voir que la forme ; quand nous écoutons parler un être humain, nous ne sommes capables de comprendre que les sons que nous entendons, ou les idées communiquées par les mots. Nous ne pouvons dire précisément ce qu’est un être humain, ce que sont ses possibilités, ou la connaissance qui est la sienne simplement en le regardant ou en l’entendant parler. Il nous est possible de connaître telle ou telle assertion, ou les diverses circonstances qui nous ont mis en contact ; nous pouvons enrichir nos idées de ces contacts, mais connaître quelqu’un à fond, radicalement, cela n’est pas donné à un simple penseur physique. Il y a ainsi dans l'être humain ce qui est invisible - ce pouvoir de perception et d’expression dont nous ne captons qu’une partie. Cette partie invisible de l’homme n’a jamais été sondée, bien qu’elle existe en chacun, et que d'elle tout le visible ait surgi.
L’Esprit est invisible, mais peut-on imaginer un lieu où l'Esprit ne soit pas ? L’Esprit est partout, et en tout, il est la cause et le soutien de tout ce qui fut, est ou sera jamais. L’Esprit n’est pas extérieur à nous, c’est le même Esprit qui est présent en toute chose ; quelles que soient les différences que nous puissions percevoir chez les autres, elles ne concernent pas l’Esprit, mais le champ de notre perception. Tous nos pouvoirs ont pour base cette Nature Spirituelle Unique. Les limitations qui touchent le pouvoir d’expression ne nous sont pas imposées par une quelconque force extérieure, mais par nous-mêmes, par les idées que nous entretenons. Notre champ de perception est régi par les idées que nous avons sur nous-mêmes, sur notre nature et la vie qui nous entoure. Ces conceptions qui gouvernent notre vie physique et notre mental sont en fait les limitations qui sont en nous-mêmes ; cependant, quel que soit leur niveau ou leur diversité, leur permanence même repose sur l’Esprit, et chacune provient de perceptions de l’Esprit. La vérité et l’erreur procèdent toutes deux de perceptions de l’Esprit, et elles sont l'une et l'autre soutenues par le pouvoir même de l’Esprit. Les idées gouvernent les actes et, en tant qu'idées, elles ont, comme les actions, leur cycle de retour, si bien que nous créons un cercle vicieux où nous nous retrouvons enfermés, par le seul fait que nous nous identifions constamment avec telle ou telle condition. Pourtant ce pouvoir d’identification provient lui-même de l’Esprit.
Seul l’homme visible — son corps, son instrument physique — croît de bas en haut. Le corps physique n’est que l’enveloppe de l’homme, constituée de matière terrestre venant des trois règnes inférieurs — minéral, végétal et animal — et il se renouvelle constamment, de jour en jour, il s’use aussi au fil des jours. L’homme est, en lui-même, le pouvoir et l'entité invisible qui habite le corps, qui est la cause de la façon dont il se construit et se développe à partir de formes inférieures de conscience. L’homme réel transcende toute forme physique. Du point de vue physique, l’homme véritable est absolument invisible. Il est celui qui agit. Aucune forme ne peut le limiter, aucune ne peut, de quelque façon réelle, le contenir. N'importe quelle forme est susceptible de lui servir de foyer d'action, et peut être effectivement utilisée.
Selon l'Enseignement Réel, l'homme, en tant qu'être spirituel, descend du plan de la spiritualité ou de la soi-conscience spirituelle, étape par étape, en passant par tous les stades de condensation de la matière ; il rencontre la marée montante des formes des règnes inférieurs, et lorsque la plus perfectionnée de toutes ces formes a été amenée à un plus haut point de développement, il y pénètre. Tant que l'homme invisible n'était pas entré dans l'instrument physique, aucune espèce d'humanité ne pouvait exister. Ainsi, en tant qu'êtres humains, nous sommes le produit de l'Esprit Divin le plus élevé, de toute la connaissance d'une immense période passée, et, également, de tout ce qui est inhérent aux règnes inférieurs, et qui constitue notre nature inférieure.
La nature supérieure de l'homme n'est pas divisible. Elle est permanente, éternelle et vraie. Sa nature inférieure est impermanente et changeante, mais c'est l'homme invisible intérieur qui effectue ces changements, qui les impose et en récolte l'expérience et la connaissance. La condition d'un quelconque instrument ne peut jamais être statique, dans aucun des règnes, mondes ou systèmes. Un mouvement incessant, le pouvoir d'évoluer encore et encore vers des domaines de perception toujours plus vastes, tel est le droit de naissance de tout être humain. Nous sommes semblables à celui qui, après avoir quitté la maison de son père, en était venu à vivre avec les porcs, et à se nourrir de rebuts (Note 1). Il est temps pour nous de dire, à l'instar de ce fils prodigue : "Je vais me lever et retourner chez mon père" — je vais me lever pour reprendre la vraie place qui me revient dans la Nature ; en utilisant tous les instruments dont je dispose, je vais œuvrer afin que tous les êtres puissent avoir leur part de toute la connaissance, qu'ils puissent progresser toujours plus haut et sans interruption, par une succession d'étapes sans les temps morts et les obstacles que génère une fausse conception de notre nature. Tel est, dans sa totalité, l'objectif de l'ancienne Religion-Sagesse : que l'homme retrouve le droit de naissance qui lui revient. Aucun être, ni ensemble d'êtres, à quelque niveau qu'il se trouve, ne peut conférer à l'homme la connaissance qu'il est seul capable d'acquérir. Cette connaissance complète se trouve en attente dans la partie invisible de son être, comme le résultat de chacune des expériences de tout son immense passé : elle est là, avec lui, bien qu'il se soit façonné un instrument physique d'une nature telle qu'il n'enregistre pas ce que lui, l'être réel — l'homme invisible — sait.
L'homme, l'être invisible, est éternellement ; il n'y a jamais pour lui un seul instant d'interruption de conscience. Le rideau tombe sur une scène pour se relever immédiatement sur une autre. Lorsque le corps est au repos, l'homme est encore à agir et à penser, d'une autre façon, dans une forme plus subtile, sur des plans qui ne sont pas limités comme l'est le plan physique. Là, il jouit de la liberté. Là, il voit, ressent, entend, parle et agit (comme il le fait sur le plan physique), mais il peut se trouver ici, là ou ailleurs, en fait, partout où sa pensée le conduit, où peut être son désir ; il peut se mouvoir librement, sans les entraves de la matière grossière du corps. Le pouvoir de percevoir toutes les sortes de substance, et toutes les espèces d'êtres, est le pouvoir de chacun d'entre nous, mais il réside au delà de l'œil physique ; il appartient à l'œil intérieur — l'œil de l'âme.
Comment allons-nous reconnaître ce pouvoir ? En agissant sur la base de notre nature éternelle, divine ; en assumant notre identité propre ; en cessant de dépendre d'aucune philosophie, science, religion, ou affirmation d'aucune sorte ; en dépendant de la réalité de l'homme intérieur, réel, spirituel ; en clarifiant les conceptions de notre mental ; en pensant des pensées correctes et en agissant en accord avec elles. Ainsi chaque canal de notre corps deviendra ouvert à ce qui se passe lorsque, comme des êtres spirituels, nous quittons l'instrument physique pendant la nuit, et sommes actifs sur les plans intérieurs et spirituels de l'être. Tout individu humain doit ouvrir par lui-même ces canaux qui ouvrent sur sa nature supérieure. Il doit apprendre par lui-même et le seul lieu où il lui soit possible d'avoir la connaissance se trouve en lui. En réalité, chacun se tient au centre de l'univers, tout le reste n'étant qu'images, sons et expériences où il peut observer le jeu de l'esprit.
Comment parvenir à regagner la divinité ? Ce ne sera pas en parlant beaucoup, ni en argumentant, mais seulement en prenant la position convenable. Nous agissons toujours conformément à la position que nous avons adoptée. Ainsi donc, adoptons la plus élevée qui soit, celle que tout dans la nature indique. La plus élevée de toutes est la nôtre. Nous devons assumer cette position élevée. Nous devons l'affirmer. Comment acquérir une connaissance de l'immortalité autrement qu'en prenant la position de l'immortalité ? Nous prenons très facilement la position de la méchanceté, et agissons en conséquence. Si nous adoptons la position élevée, non seulement nous agissons en accord avec sa grandeur, mais nous en venons à la réaliser en nous-mêmes, là où se trouve toute perception, et tout accomplissement de ce que contient cette grandeur.
Quelle connaissance pourrions-nous avoir de l'immortalité, du point de vue de la mortalité ? En nous fondant sur l'imperfection, quelle idée pourrions-nous avoir de la perfection ? Elle ne pourrait être que fausse. Sur cette base, on pourrait tout au plus obtenir la notion d'une moindre imperfection. Réelle perfection ne signifie pas perfection relative, mais connaissance intime de la base essentielle de tout ce qui existe dans la nature. La véritable spiritualité n'est pas une notion vague, ni une simple existence exempte d'activité, mais le pouvoir de connaître et d'agir, la possession de ce que les anciens ont appelé "l'omniscience". L'accès à "l'omniscience" nous rend véritablement divins ? divins en connaissance, en puissance, actifs dans tous les états de matière concevables et au moyen de tous les instruments imaginables. Et c'est là notre grande destinée. Saisissons-là donc. La vie nous appartient, tout comme l'esprit et la conscience. La vie éternelle nous appartient. Nous n'avons qu'à nous en emparer.
La connaissance maximale existe. Toute l'expérience du passé, toutes les civilisations qui ont jamais existé, ont produit des êtres qui sont actuellement les gardiens de toute la connaissance acquise. Cette connaissance attend que nous ayons pris les mesures nécessaires pour devenir aptes à la posséder. Elle inclut toute la connaissance intellectuelle, toute la connaissance spirituelle, et toute la connaissance concernant chacune des forces de la nature. Aussi grandes et puissantes que soient certaines forces que nous connaissons actuellement, il y en a d'autres à découvrir qui les transcendent toutes de beaucoup. Le pouvoir de détruire un monde peut être acquis par celui qui fait la démarche convenable, mais celui-là ne détruira jamais rien : il ne fera que construire. Il utilisera tout le pouvoir à sa portée pour frayer un chemin où l'humanité puisse faire le trajet qu'il a déjà parcouru.
Ainsi donc, si nous nous concevons comme des êtres invisibles et éternels, agissant au moyen d'instruments visibles, impermanents, nous aurons une conception de la vie meilleure et plus vraie ; et si nous voulons bien essayer d'accéder à la partie enfouie au plus profond de notre cœur, nous acquerrons une vision plus vaste — un pouvoir de perception embrassant des dimensions plus vastes, à une plus grande profondeur, avec une acuité dépassant tout ce que pourra jamais saisir l'organe physique de la vue. Un de nos Grands Instructeurs a dit : " Toute la nature est à vos pieds ; prenez ce que vous pouvez ". Chacun devrait l'écouter, en tirer la leçon et l'appliquer.
Note
1) Allusion à la parabole de l'enfant prodigue dans l'Evangile de Luc (15,12-32).
Cahier Théosophique 184
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