"Les Vérités Éternelles", Le sommeil et les rêves
[Traduction de 3 exposés de Robert Crosbie (fondateur de la Loge Unie des Théosophes) extraits de l’ouvrage The Friendly Philosopher, publication posthume (1934) contenant également des lettres du même auteur. Les prochains Cahiers publieront la suite de la série “Les Vérités Éternelles” d’où proviennent ces textes. (N.d.éd.)]
II y a en nous quelque chose qui entre dans l'état qu'on appelle les rêves, dans celui qu'on appelle le sommeil sans rêve et celui qu'on appelle la mort. Il est absolument impossible de comprendre les états que nous expérimentons et d'où nous émergeons autrement qu'en postulant qu'il existe un Ego, qui pense, perçoit, connaît, fait des expériences, qui accède à ces états, puis les quitte, et que cet Ego (qui est l'homme réel) garde son intégrité à travers toutes ces expériences.
Nous sommes plus qu'aucun de ces états que nous traversons, même si l'un ou l'autre d'entre eux a pu nous donner l'impression d'être très élevé. Même si nous pensons avoir atteint (ou pouvoir atteindre) le niveau d'intelligence et d'action le plus élevé — celui que nous qualifions de divin — c'est nous qui y avons accédé (ou qui l'avons éprouvé). C'est pourquoi il est impossible de comprendre les états de conscience expérimentés à moins de reconnaître qu'il y a en nous ce qui les traverse tous. Il s'agit ensuite d'essayer de comprendre ce qu'est ce quelque chose et, pour ce faire, de commencer là même où nous nous trouvons actuellement ; nous ne pouvons partir d'un autre point, ou lieu, que celui où nous nous trouvons à un moment quelconque.
Et que découvrons—nous alors ? Que nous sommes une identité qui perdure. De la naissance à l'instant présent, nous sommes passés par de nombreux changements, mais notre identité n'a pas changé, quels qu'aient été, et que soient, ces changements. En nous accrochant fermement en pensée à cette idée, nous finirons par réaliser qu'il y a en chacun de nous une nature immortelle ; qu'elle est d'essence divine et non soumise aux changements, car Elle est permanente.
L'état de rêve est celui où nous entrons lorsque nous quittons le corps, avant d'accéder à celui du sommeil sans rêve ; et, au réveil, c'est celui par lequel nous repassons, avant de retrouver l'état de veille dans le corps. Dans nos rêves, nous savons que nous avons tous nos sens, bien que le corps soit en repos et que les organes des sens soient inactifs. Nous pouvons voir et ressentir, entendre, parler et agir, exactement de la même manière qu'à l'état de veille, sans pour autant utiliser les organes physiques associés à ces perceptions et actions. Cela démontre que nous sommes conscients, vivants, que nous existons, bien que le corps n'en sache rien. De plus, nous savons que notre identité n'est pas perturbée en accédant à l'état de rêve ; c'est nous, et personne d'autre, qui expérimentons cet état.
Chacun sait que, comparée à celle de l'état de veille, la durée de l'état de rêve est très réduite. C'est un fait reconnu que l'on peut rêver et vivre une expérience qui semble alors durer très longtemps, bien que, montre en main, elle ne prenne en réalité que quelques secondes. Il y a une partie (de beaucoup la plus longue) de notre "repos nocturne" que nous identifions seulement (à l'état de veille) comme "le sommeil sans rêve". Ce dernier n'est que le sommeil du corps. Pour celui—ci, c'est comme s'il avait été abandonné complètement. L'entité doit cependant être en contact avec lui d'une manière ou d'une autre, car, à tout moment, elle continue d'exister et elle est consciente — il s'agit de la même identité. Si ce n'était pas le cas, nous ne nous réveillerions pas, ou nous serions une tout autre personne au réveil.
En ce qui concerne le sommeil et les rêves, les psychologues occidentaux n'ont pas dépassé le stade de ces concepts. Ils ignorent ce que l'on savait il y a très longtemps, et ce que certains savent encore aujourd'hui, à savoir que l'Ego, l'homme, le penseur, est plus pleinement occupé, bien plus réellement son vrai soi, pendant le sommeil sans rêve du corps, qu'à aucun autre moment. Aussi disait-on que le jour pour le corps était la nuit pour l'âme, et la nuit du corps était le jour de l'âme. Quand le corps est endormi, l'homme réel est des plus actifs, avec le plus haut degré d'intelligence ; simplement, il pense et agit sur un tout autre plan, dans unétat complètement différent de tous ceux que nous connaissons pendant l'existence humaine de veille ordinaire.
Nous ne savons rien du sommeil, bien que nous prétendions en faire l'expérience. Ce que nous savons, c'est que nous devenons somnolents — autrement dit, que le corps s'épuise progressivement — mais, en fait, le sommeil ne vient jamais à nous. Nous sommes éveillés pendant la journée, nous sommes conscients, nous pensons. Mais notre pouvoir de voir et de connaître pendant la veille s'applique presque uniquement aux choses extérieures, de nature matérielle, si bien que ce que nous appelons connaissance — connaissance de veille — consiste en pratique, à appliquer toutes nos facultés à l'existence physique, à l'exclusion de toute autre. Que se passe-t-il donc quand nous dormons ?
Dans cet intervalle, on sait que le corps reste absolument indifférent à toute sollicitation extérieure. Nous ne savons, ni ne ressentons rien de ce qui arrive à nos amis. La pire des calamités pourrait se produire aux alentours que nous n'en saurions rien, tant que nous n'aurions pas repris le contrôle de notre corps. Et pourtant nous avons forcément été vivants, conscients et en possession de la même identité. Cela pose à notre mental la question suivante : pourquoi et comment se fait-il qu'à l'état de veille, nous ne sachions rien de cette activité qui a lieu sur des plans plus élevés et totalement différents, pendant le sommeil profond du corps ?
Toute cette connaissance est en nous, comme vacante, mais non pas oubliée, ni inaccessible. Elle est enregistrée, imprimée dans notre nature impérissable, aussi réellement que peut l'être un vécu quelconque gardé en mémoire — tout ce que nous avons traversé, tous les degrés d'expérience, de connaissance que nous avons pu jamais acquérir. Quand nous dormons — c'est-à-dire pendant le sommeil du corps — nous retournons vers cette source de connaissance qui réside en nous-mêmes et nous nous "éveillons" le matin, sans être plus sages pour autant. Comment se fait-il que, possédant une telle connaissance, munis des pouvoirs qui appartiennent à l'Esprit immortel, à l'Intelligence divine, nous ne soyons pas en mesure de les utiliser, ni même conscients de leur existence en nous ?
Selon la loi de Karma, la loi d'action et de réaction, "Ce qu'un homme sème, il le récoltera aussi". II est arrivé que nous pensions et agissions, dans le corps, de manière à élaborer finalement un instrument qui n'est pas en accord avec notre véritable nature. Nous avons appliqué le pouvoir de notre intelligence à considérer et exploiter des choses matérielles — lesquelles relèvent d'un état d'être inférieur au nôtre — si bien que nous nous y sommes impliqués. Le cerveau dont nous nous servons réagit presque exclusivement à ces préoccupations d'un ordre inférieur, au point que, lorsque nous retournons à ce cerveau, au réveil, aucune de ses parties n'aura gardé la moindre impression, le moindre enregistrement de ces états de conscience que nous avons expérimentés.
Si nous sommes de ces êtres qui ont expérimenté ces états supérieurs pendant le sommeil, comment allons-nous retrouver un jour le souvenir de ces acquis ? Si on nous dit que nous sommes divins par nature, et non terrestres ; que nous avons un passé immense, que nous avons des plans de conscience plus élevés que le terrestre, avec des pouvoirs d'action sur ces plans, qu'est-ce que cela nous fait ? Qu'est-ce que cela nous apporte — et éveille en nous ? Cela ne nous fait-il pas voir l'existence d'un point de vue différent de celui auquel nous nous étions accoutumés jusque là ?
Dans la vie, tout ce que nous faisons, chaque résultat dont nous faisons l'expérience, dépend de quelque attitude mentale que nous adoptons face à la vie. Prenons l'exemple d'un athée, ou d'un matérialiste, qui pense que la vie a commencé avec le corps et qu'elle cessera avec lui : toutes ses pensées et tous ses actes auront cette conviction pour base. Mais s'il change d'avis, comme il peut le faire, s'il se rend compte qu'il est immortel dans sa nature essentielle, cela va automatiquement commencer à opérer une transformation.
Ce ne sont pas les expériences que nous traversons qui comptent, mais ce qu'elles nous enseignent. Nous devrions désirer la connaissance, et non le confort ou une position sociale. Nous souhaitons la connaissance, car, avec elle, nous découvrons quelle est l'action juste, quelles sont les pensées justes à nourrir. Comme nous n'arrêtons pas de penser, nous avons des pensées bonnes, mauvaises ou indifférentes ; nos actes sont bons, mauvais ou neutres, en fonction de nos pensées. Si nous commençons à penser correctement, nous donnons une direction à cette Force Spirituelle qui est l'essence même de notre nature. Qu'un homme se mette à penser correctement, à penser et agir sans égoïsme, en faisant cela, il est certain qu'il va ouvrir les canaux de son cerveau à une mesure de plus en plus grande de perception et de compréhension de sa propre nature. A un certain stade, il sera capable de comprendre qu'il n'y a jamais d'interruption pour lui, que son corps soit éveillé ou endormi, ou qu'il rêve, ou même qu'il y ait pour le corps un état qu'on appelle la mort.
Supposons que nous soyons capables de passer de l'état de veille à celui du rêve, du rêve au sommeil, du sommeil à la mort, puis de la mort à la réincarnation, dans un autre corps — en traversant tous ces états et changements sans avoir un seul trou de mémoire, si bien que nous puissions non seulement garder un souvenir intact des plans inférieurs aux états supérieurs, mais aussi ramener avec nous la mémoire des états supérieurs aux niveaux inférieurs, à travers chacun des plans traversés, en rapportant avec nous cette connaissance dans un corps ou dans un autre — que serions nous alors ? Nous saurions alors exactement ce que nous sommes. Nous connaîtrions alors les relations qui existent entre notre plan et tous les autres. Nous pourrions lire dans le cœur des hommes. Nous pourrions les aider à obtenir un statut plus grand et plus élevé. Nous ne serions plus trompés par les idées qui agitent la plupart des hommes. Nous cesserions de nous battre pour obtenir tel rang ou telle position. Nous ne lutterions plus que pour acquérir la connaissance, gagner les possessions de toutes sortes susceptibles de nous rendre plus aptes à aider et instruire les autres. Nous séjournerions sans cesse avec la Déité, que ce soit dans un corps ou en dehors.
C'est pour éveiller l'humanité à la compréhension de sa propre nature et à une juste utilisation de ses facultés que la Théosophie lui a été présentée à nouveau, comme elle l'a été d'âge en âge par Ceux qui sont plus avancés que nous — Ceux qui sont passés par les mêmes stades que nous traversons aujourd'hui, nos Frères Aînés, les Christs de tous les temps, les Incarnations divines. Ce sont Eux qui viennent nous rappeler notre véritable nature, nous rendre la mémoire et nous inciter à l'action, afin que nous sachions qui nous sommes vraiment et que nous l'exprimions ici, sur ce plan physique inférieur où nous forgeons notre destinés — une destinée élaborée par nous, que nous seuls pouvons modifier, par le pouvoir même de cet Esprit que nous sommes.
Personne ne peut rien connaître à la place d'un autre. Chacun doit gagner la connaissance par lui-même. Chacun doit faire son propre apprentissage. L'objectif de la Théosophie est d'enseigner à l'homme ce qu'il est, de lui montrer ce qu'il est et de lui faire admettre la nécessité d'apprendre par lui-même. Il n'y a pas de "rémission des péchés" [par le sacrifice d'un autre] pas de transmission de connaissance par procuration — c'est impossible. Mais il est possible d'indiquer la direction où chercher la connaissance ; les étapes à franchir dans ce sens peuvent nous être indiquées, et ce uniquement par ceux qui les ont franchies avant nous. Et c'est exactement ce qui est en train de se passer. C'est la démarche de tous les Sauveurs de l'Humanité. C'est la doctrine de Krishna, du Bouddha, de Jésus, tout comme celle de H.P.Blavatsky. Les deux enseignements dont l'Occident a le plus besoin sont ceux de Karma et de la Réincarnation, des doctrines d'espoir et de responsabilisation. Karma, doctrine de la responsabilité, enseigne que tout ce qu'un homme sème, il le récoltera. Et la Réincarnation est doctrine d'espoir en ceci : quelle que soit la récolte actuelle, jamais ne viendra un temps où l'homme ne pourra semer de meilleures graines. Le fait même de souffrir est une bénédiction. Karma et Réincarnation nous enseignent que la souffrance résulte de pensées et d'actions erronées ; c'est elle qui amène à comprendre que nous avons mal agi. Nous apprenons par notre souffrance.
La vie est la grande Ecole de l'Existence, et nous sommes parvenus à un stade où nous devrions apprendre à réaliser quel est le but de l'existence ; à saisir fermement la totalité de notre nature ; à utiliser tous les moyens en notre pouvoir, dans toutes les directions — à l'état de veille, de rêve, de sommeil, ou tout autre — afin d'harmoniser tous les aspects de notre nature, de sorte que notre instrument inférieur se trouve "accordé", et reflète ainsi, de plus en plus, notre nature divine intérieure.
Cahier Théosophique 183
© Textes Théosophiques, Paris
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