QI ET LA RESPIRATION

 
L'action du mouvement respiratoire sur le Qi est comparable à celle d'un moteur. Nous avons vu plus haut que le Qi circule à chaque respiration par les méridiens dans tout l'organisme. Mais ce qu'on entend par respiration, en Qi Gong, est bien plus que ce que nous comprenons en physiologie sous ce même terme.
La physiologie nous apprend qu'à chaque respiration le thorax et la paroi abdominale sont mis en mouvement à l'aide des muscles striés. Les muscles striés se tendent ou se détendent sous l'effet de la volonté et de la conscience. Nous pouvons donc, par notre conscience, influencer la respiration. Le diaphragme, la grande membrane musculaire séparant le thorax de l'abdomen, joue un rôle essentiel dans celle-ci. A l'inspiration on fait pénétrer de \'oxygène dans l'espace pulmonaire; à l'expiration on élimine de l'oxyde de carbone. Pendant l'inspiration le diaphragme se tend et s'abaisse, la cage thoracique augmente de volume, les poumons se dilatent ; en même temps les muscles du ventre se détendent et la paroi abdominale se soulève. La cavité abdominale, qui avait diminué par l'abaissement du diaphragme, se modifie donc et retrouve son volume. Les viscères abdominaux sont déplacés vers la profondeur. A l'expiration les côtes s'abaissent, le diaphragme se détend et remonte, la cavité thoracique se rétrécit, les poumons diminuent de volume et l'air qui doit être expiré peut s'écouler vers l'extérieur. La paroi abdominale s'abaisse, légèrement tendue. Les viscères abdominaux se redéplacent vers le haut. "
Quand la respiration est négligée, le diaphragme ne se tend ni ne se détend suffisamment; c'est le début de toutes nos maladies de civilisation. Pendant nos activités en position assise nous l'utilisons avec économie. Quand nous avons mal nous le contracturons, car il ne se contracture pas automatiquement. Lorsque nous sommes pressés ou stressés, notre inspiration n'est pas suffisamment ample, et encore moins notre expiration, ce qui provoque un déséquilibre du système neurovégétatif, car l'inspiration stimule le sympathique et l'expiration le parasympathique. En cas de tensions psychiques nous n'expirons pas assez profondément. La deuxième composante du système neurovégétatif, le parasympathique, est donc insuffisamment excitée. Les douleurs contracturent aussi le diaphragme. En cas de crampes abdominales on peut diminuer celles-ci en tendant et détendant très fort le diaphragme. Les excitations psychiques excessives peuvent toutes être réduites par la respiration diaphragmatique, en sorte qu'elles cessent d'être préjudiciables à la santé.
Une colonne vertébrale contracturée est elle aussi un empêchement à la respiration diaphragmatique profonde. La hâte, la précipitation, et le travail derrière un bureau où l'on est constamment assis, rendent la respiration trop superficielle, le diaphragme n'étant pas assez mobile. L'air inspiré ne parvient pas dans toutes les parties du poumon et l'air censé être expiré n'est pas complètement expulsé. D'où la nécessité de réapprendre dans des « écoles de respiration » cette fonction naturelle de notre organisme. Il est étonnant de constater combien de maladies disparaissent avec le réapprentissage de la « vraie » respiration.
Dans la pratique du Qi Gong la respiration ne signifie pas seulement absorption d'air atmosphérique chargé de Qi dans les poumons et rejet de gaz produits par les échanges tissulaires. Pendant une respiration lente, calme et profonde, descendant jusque dans le petit bassin, on accompagne et conduit le Qi par l'imagination dans les méridiens à travers tout le corps. L'attention est entière- ment rassemblée sur la respiration et l'on oublie complètement son entourage. Cette attitude méditative influence également la respiration cellulaire, car la « présence » à la respiration ne se réduit pas à l'activité physique des muscles respiratoires: on est présent avec son organisme tout entier, dans son unité ternaire, c'est-à-dire le Jing, le Qi et le Shen. Dans tout exercice de Qi Gong l'attention est portée exclusivement à la respiration et, par là, .ZJ la conduction du Qi. C'est ce qu'on appelle l'aspect méditatif du Qi Gong. Dans ce type de méditation l'esprit est pleinement en éveil, toutes les zones du cortex cérébral étrangères à la respiration sont mises au repos et leur aptitude à augmenter la force de résistance de l'organisme peut ainsi jouer. Des recherches toutes récentes nous ont appris que la méditation est susceptible de modifier l'ensemble de l'état immunitaire d'un organisme. Il est donc aisément compréhensible que la respiration méditative soit inséparable des exercices de Qi Gong.
Diverses techniques respiratoires nous sont connues par les monastères taoïstes et bouddhistes. Elles ont de tout temps servi à mobiliser le Qi ou à le concentrer d'une manière bien précise. Le Qi Gong « mou »,le plus courant en thérapeutique, utilise ces techniques. A savoir:
1. la respiration naturelle,
2. la respiration régulée,
3. la respiration-Qi, 
4. la respiration-Vent.
A ces modes respiratoires il convient d'ajouter la respiration avec participation de la voix.
 
Nous respirons en moyenne seize à dix-huit fois par minute. Pendant la pratique du Qi Gong le pratiquant ne respire que dix fois au maximum, six fois seulement pendant certains exercices. Durant l'exercice « mouvement du Qi pur dans les Vaisseaux Gouverneur et Conception », on peut arriver sans mal (il suffit d'un peu d'entraînement) à ne respirer que trois fois par minute. Au cours de cet exercice le métabolisme de base est tellement diminué qu'une quantité relativement faible d'oxygène suffit à l'organisme. Mais pendant ce temps le Qi circule, riche en quantité, en qualité et en intensité, et se renouvelle sans cesse dans le Dantian.
 
a) La respiration naturelle
 
La respiration « naturelle » est ronde, douce, lente et profonde. « Ronde » signifie qu'elle vient et va comme le jour et la nuit. Le passage de l'inspiration à l'expiration est imperceptible, jamais brutal. Un peu avant la fin de l'inspiration on se prépare déjà lentement à l'expiration; celle-ci croît puis diminue, se transforme imperceptiblement en une nouvelle inspiration. On respire sans que les muscles respiratoires aient à fournir d'effort, et jamais jusqu'à la pleine capacité pulmonaire.
On inspire et on expire par le nez. Certains exercices (par exemple « la méthode à dix-huit facettes »,) mettent sous tension certains groupes musculaires pendant l'expiration; il convient néanmoins de veiller à ce que le mouvement respiratoire descende profondément dans l'abdomen. Il est important d'utiliser le temps de repos entre deux exercices pour respirer avec rondeur et dans une détente optimum. Ce mode respiratoire rééquilibre un système neurovégétatif hyper excité.
 
b) La respiration régulée (Tiaoxi)
 
Il s'agit de rentrer le ventre pendant l'inspiration, ce qui tend la musculature abdominale. Le diaphragme, en se tendant et s'abaissant davantage, diminue plus encore le volume de la cavité abdominale, comprimant ainsi les viscères abdominaux et en « exprimant » le sang veineux. Mais un tel mode respiratoire réduit aussi le volume de diffusion du Qi, de sorte qu'il est poussé hors du Dan- tian vers les méridiens, à l'intérieur et à la périphérie du corps. La cage thoracique conserve en revanche le même volume que lors d'une respiration diaphragmatique naturelle. A l'expiration, la paroi abdominale se détend et se soulève. Le volume abdominal est augmenté de manière optimale. Le Qi peut se répandre en grande quantité dans le Dantian. Le mouvement respiratoire parcourt la paroi abdominale à la manière d'une grosse vague.
Ce mode de respiration est utilisé quand il s'agit de conduire consciemment le Qi pur dans tous les méridiens (ou seulement dans certains méridiens bien précis) et d'amener le Qi en très grande quantité dans le Dantian. Cette technique, appelée « Tuna », sert à « nourrir » et entretenir le Qi. Dans le traitement des cancers elle est utilisée comme méthode « de réarmement », tout comme dans l'exercice dit « des Cinq Animaux » et l'exercice intitulé « mobiliser le Qi pur dans la petite circulation ». Le but de ces exercices est essentiellement d' « entretenir » le Qi. A chaque circulation le Qi doit par- venir au Dantian pour y être « rechargé » et ainsi être mis à la dis- position de l'organisme avec d'autant plus de force et de puissance.
Le bâillement est ce qui intensifie le plus la respiration régulée. Aucune autre activité respiratoire ne met autant le diaphragme sous tension; la paroi abdominale est rentrée à l'extrême, les poumons dilatés au maximum. Les muscles de la tête, du visage, du cou et de la nuque sont tendus, ainsi que l'anneau musculaire du gosier. Il s'ensuit une agréable sensation de détente dans tout le corps. La tension musculaire inhabituellement forte provoque, dans toute la tête et tout le cou, le massage de points d'acupuncture autrement inaccessibles. Chacun devrait se laisser aller de tout coeur à ce réflexe à tout moment.
 
c) La respiration-Qi
 
Cette respiration consiste à inspirer par le nez et expirer par la bouche. A l'inspiration la langue se place derrière les incisives supérieures, ce qui relie le Vaisseau Gouverneur et le Vaisseau Conception. A l'expiration la pointe de la langue s'abaisse pour se placer derrière les incisives inférieures, ce qui rompt la liaison entre ces deux méridiens. Le Qi lié à des substrats à éliminer peut ainsi quitter l'organisme par la bouche en quantité optimale. Cette technique est proposée par Mme Guo Lin dans les exercices d'ouverture et de conclusion, et les exercices auxiliaires. La respiration-Qi sera décrite en détail dans chacun des exercices correspondants.
 
d) La respiration-Vent
 
Cette respiration a été introduite par Mme Guo Lin dans le traitement des cancers. On inspire une, deux ou trois fois de suite par le nez, puis on expire lentement, en abaissant profondément la paroi abdominale. La respiration-Vent est une forme modérée de la respiration régulée et sera décrite en détail dans le chapitre consacré au traitement des cancers.
 
e) La respiration avec participation de la voix
 
De même, on peut mettre en résonance n'importe quelle partie du corps par l'émission de voyelles ou/et de consonnes. On peut même faire vibrer les viscères individuellement par l'imagination, en pensant certains sons. Il est surprenant de constater que la pensée du son « OMMM » fait vibrer l'oreille moyenne droite et pas la gauche. Ces exercices vocaux ne doivent pas être sous-estimés dans leur vertu de guérison et d'entretien des viscères correspondants ; ils mènent en effet à une harmonisation du Yin et du Yang.
Il existe quelques exercices, qui ne font d'ailleurs pas directe- ment partie du Qi Gong dur, où la respiration se fait comme en un mouchage puissant par le nez (cf. le Jingang Qi Gong et les exercices respiratoires Demantene), ce qui effectue en quelque sorte un massage de points d'acupuncture, non accessibles aux aiguilles, dans le pharynx et les fosses nasales. En outre, la pression abdominale induite par le rejet de l'air est suivie d'un relâchement d'autant plus grand du diaphragme et de la paroi abdominale, ainsi que de la musculature lombaire.
Chacun de nous devrait observer sa manière de respirer pendant son travail quotidien et apprendre à connaître et à neutraliser les tensions qui entravent sa respiration. Ce travail est un premier pas vers l'objectif suivant: ne pas se laisser emporter par ses émotions, diminuer et finalement voir disparaître les peurs et les inhibitions qui en découlent. On ménage ainsi ses viscères, car « l'excès de joie nuit QU Coeur, 10 trop grande peur QU Rein, le souci QU Pou- mon, trop de pensées nostalgiques blessent 10 Rate, 10 colère nuit QU Foie », comme cela est déjà écrit dans le Huang Di Nei Jing.
Les exercices avec participation de la voix sont avant tout des exercices vocaux qui font vibrer des zones bien détermin4es du diaphragme. Les viscères proches du diaphragme (comme le Coeur, la rate, les poumons, le foie, l'estomac, les reins) , mais aussi le plexus solaire entrent en vibration lorsque certaines voyelles sont chantées. Le Qi circule alors multiplié dans les méridiens qui passent dans le diaphragme.
 
I) Difficultés pouvant survenir pendant la respiration
 
Les marques distinctives de la « respiration naturelle » (c'est- à-dire rondeur, douceur, lenteur, régularité) sont bien sûr relatives. La musculature respiratoire ne doit jamais être mise en action avec force ni même par force. Au début le pratiquant peut avoir des difficultés à respirer « lentement » et « profondément », surtout s'il souffre de maladies du coeur ou des poumons. Chacun commencera avec sa respiration et développera progressivement, à partir de ses possibilités propres, une respiration abdominale profonde. On ne doit jamais se sentir mal à l'aise pendant les exercices. Le malade souffrant d'asthme ou d'emphysème peut se faciliter la tâche en plaçant ses mains à plat de part et d'autre du thorax pour le comprimer à l'expiration, mais sans mettre sous tension la paroi abdominale. Il peut ainsi rejeter une partie de l'air restant dans les poumons, le tissu conjonctif pulmonaire peut se recréer et retrouver peu à peu son élasticité.
Prolonger l'expiration dans certaines limites présente des avantages pour les pratiquants souffrant d'hypertension, d'emphysème pulmonaire ou d'épuisement nerveux -à condition toutefois que l'expiration se fasse sans aucun effort de la part de la musculature respiratoire. La mise sous tension de celle-ci provoquerait en effet une compression contrainte du thorax; il s'ensuivrait une sensation de tension dans la tête pouvant aller jusqu'à la douleur. Ce conseil est valable pour le malade comme pour le bien-portant : il faut toujours éviter l'impatience dans les exercices; ne jamais vouloir appliquer coûte que coûte ce qu'on connaît par la théorie! Certains débutants se plaignent de palpitations, de tension thoracique. La raison en est toujours une inspiration trop profonde et une expiration trop forte. C'est pourquoi il convient de revenir sans cesse à la respiration naturelle, puis de nouveau lentement à la respiration profonde.