CONCLUSION

 

Nous nous sommes occupés des antiques traditions des nations, de la doctrine des cycles chronologiques et psychiques dont ces traditions constituent la preuve tangible, et de beaucoup d'autres questions qui, à première vue, peuvent ne pas sembler à leur place dans ce volume. Mais elles sont en vérité nécessaires. En traitant des annales et des traditions [60] secrètes de tant de nations, dont l'origine même n'a jamais été déterminée que par des suppositions par voie d'inférences en exposant les croyances et la philosophie de races plus que préhistoriques, le sujet n'est pas aussi facile à traiter qu'il le serait, s'il ne s'agissait que de la philosophie et de l'évolution d'une race spéciale. La Doctrine Secrète était la propriété commune d'innombrables millions d'hommes nés sous des climats différents, à des époques dont l'histoire refuse de s'occuper et auxquelles les enseignements ésotériques assignent des  dates incompatibles avec les théories de la géologie et de l'anthropologie. La naissance et l'évolution de la Science Sacrée du Passé se perdent dans la nuit des temps, et même ce qui est historique – c'est-à-dire ce qui se retrouve disséminé çà et là dans l'antique littérature classique – est presque toujours attribué par la critique moderne à un défaut d'observation chez les anciens auteurs, ou à la superstition due à l'ignorance de l'antiquité. Il est donc impossible de traiter ce sujet comme s'il s'agissait de l'évolution d'un art ou d'une science chez un peuple historique bien connu. Ce n'est qu'en mettant sous les yeux du lecteur de nombreuses preuves tendant toutes à établir, qu'à toutes les époques, quelles que fussent les conditions de civilisation et de savoir, les classes instruites de toutes les nations se firent les échos plus ou moins fidèles d'un système identique et de ses traditions fondamentales, que nous pouvons l'amener à constater que tant de courants de la même eau doivent avoir une source commune pour point de départ. Qu'était donc cette source ? Si l'on assure que des événements futurs projettent leur ombre à l'avance, les événements passés ne peuvent manquer de laisser leurs traces. C'est donc à l'aide de ces ombres d'un passé archaïque et de leurs fantastiques silhouettes sur l'écran extérieur de toutes les religions et de toutes les philosophie, que nous parvenons, en les vérifiant et en les comparant à mesure que nous avançons, à reconstituer le corps qui les a produites. Ce que tous les peuples de l'antiquité acceptaient, ce dont ils faisaient la base de leurs religions et de leur foi, devait être assis sur la vérité et sur des faits. En outre, comme le disait [61] Haliburton :

 "N'écoutez qu'une des parties et vous resterez dans les ténèbres ; écoutez les deux parties et tout s'éclairera".

Le public n'a pu jusqu'à présent approcher et n'a pu entendre qu'une des parties, ou plutôt l'opinion partiale de deux classes d'hommes diamétralement opposées, dont les propositions préliminaires ou les prémisses respectives diffèrent largement, mais dont les conclusions sont les mêmes – les savants et les théologiens. Nos lecteurs ont maintenant l'occasion d'entendre l'autre partie et d'apprendre ainsi quelle est la justification du défendeur et quelle est la nature de nos arguments.

Si l'on abandonnait le public à ses anciennes opinions – c'est-à-dire que d'une part l'occultisme, la magie, les légendes de jadis, etc, sont le résultat de l'ignorance et de la superstition, et que, d'autre part, tout ce qui sort de l'ornière orthodoxe est l'œuvre du diable – qu'en résulterait-il ? En d'autres termes, si aucune œuvre littéraire, théosophique et mystique, n'avait attiré l'attention durant ces dernières années, l'ouvrage actuel n'aurait eu que peu de chances d'être étudié avec impartialité. On aurait proclamé – et beaucoup le proclameront encore – que ce n'était qu'un conte de fées tiré de problèmes abstraits et n'ayant aucune base solide ; bulles de savon que la moindre réflexion sérieuse fait crever. Les anciens auteurs classiques "superstitieux et crédules" n'en parlent pas eux-mêmes en termes clairs et précis, et les symboles eux-mêmes n'arrivent pas à faire soupçonner l'existence d'un pareil système. Tel serait le verdict unanime. Mais, lorsqu'il sera indéniablement prouvé que l'affirmation par les nations Asiatiques modernes, de l'existence d'une Science Secrète et d'une histoire ésotérique du monde repose sur des faits ; que bien que jusqu'à présent inconnus des masses et constituant un mystère voilé pour les savants eux- mêmes – parce qu'ils n'ont jamais possédé la clé d'une compréhension juste de nombreuses allusions des anciens classiques – ce ne sont pourtant pas des contes de fées, mais des réalités : alors le présent ouvrage deviendra le précurseur de beaucoup d'autres livres. L'affirmation [62] que les clés, découvertes jusqu'à présent par quelques grands savants, sont trop rouillées pour pouvoir servir et qu'elles ne constituent que des témoins muets prouvant qu'il existe derrière le voile, des mystères que l'on ne peut atteindre sans une nouvelle clé, cette affirmation, disons nous est appuyée sur trop de preuves pour pouvoir être facilement écartée...

Mais bien que nous ayons fait allusion à beaucoup de symboles mal interprétés se rapportant à notre thèse, il nous reste encore à triompher de plus d'une difficulté. Le plus important de ces obstacles réside dans la chronologie ; mais on ne peut guère y remédier. Pris entre la chronologie théologique et celle des géologues soutenue par tous les anthropologues matérialistes, qui assignent à l'homme et à la nature des dates ne s'adaptant qu'à leurs propres théories – que pouvait faire l'auteur de plus que ce qu'il a fait ? Puisque la théologie fait remonter le déluge à 2 448 ans avant J.C., et la création du monde à 5 890 ans seulement ; et puisque les recherches précises faites d'après les méthodes de la science "exacte" ont amené les géologues et les physiciens à faire remonter l'époque de la formation de la croûte de notre globe à une date variant entre dix millions et mille millions d'années (une insignifiante différence, en vérité !) et puisque les anthropologues réclament, pour leurs divergences d'opinions au sujet de la date d'apparition de l'homme, une marge de 25 000 à 500 000 ans – que peut faire celui qui étudie la Doctrine Occulte, si ce n'est de présenter bravement au monde les calculs ésotériques ?

Mais, pour faire cela, il a été nécessaire d'avoir recours à quelques preuves "historiques", bien que nous sachions tous ce que  valent réellement les soi-disant "preuves historiques". En effet, que l'homme soit apparu sur la Terre il y a 18 000 ou 18 000 000 d'années, cela importe peu à l'histoire profane, puisqu'elle ne commence qu'environ deux mille ans avant notre ère et puisque, même alors, elle lutte désespérément contre le fracas des opinions contradictoires qui se détruisent mutuellement autour d'elle. Néanmoins, en raison du respect pour la science exacte dans [63] lequel le lecteur, en général, a été élevé, cette brève période du Passé resterait elle-même sans signification, si les Enseignements Esotériques n'étaient pas corroborés et appuyés sur place – toutes les fois que c'est possible – par des références à des noms historiques d'une période soi- disant historique. C'est le seul guide qu'on puisse donner en commençant, avant de lui permettre de s'engager dans les méandres, pour lui peu familiers, du sombre labyrinthe que l'on appelle les  époques préhistoriques. Nous nous sommes soumis à cette nécessité. Nous espérons seulement que le désir d'agir ainsi, qui a amené l'auteur à présenter constamment des preuves anciennes et modernes pour corroborer ses dires au sujet d'un Passé archaïque et nullement historique, ne le fera  pas accuser d'avoir mêlé, sans ordre ni méthode, les périodes diverses et très espacées de l'histoire et de la tradition. La forme littéraire et la méthode devaient être sacrifiées dans l'intérêt de la clarté de l'exposé général.

 Pour accomplir la tâche qu'il se proposait, l'auteur a dû avoir recours à la méthode peu usitée de diviser chaque volume en trois Parties, dont la première seule est l'histoire suivie, bien que très fragmentée de la Cosmogonie et de l'évolution de l'homme sur ce globe... En traitant de la cosmogonie, puis de l'anthropogenèse de l'humanité, il était nécessaire d'établir qu'aucune religion, depuis la plus ancienne, n'a jamais été entièrement basée sur la fiction, qu'aucune ne fut l'objet d'une révélation spéciale, et que c'est le dogme seul qui a toujours tué la vérité primordiale ; enfin, qu'aucune doctrine d'origine humaine, qu'aucune croyance, si Sanctifiée qu'elle ait pu être par la coutume et l'antiquité, ne peut être comparée, au point de vue du caractère sacré, à la religion de la Nature. La Clé de la Sagesse, qui ouvre les portes massives conduisant aux arcanes des sanctuaires les plus cachés, ne peut être découverte que dans son sein, et son sein se trouve dans les contrées signalées par le grand voyant du siècle passé, Emmanuel Svedenborg. Là se trouve le cœur de la Nature, ce sanctuaire d'où sortirent les premières races de l'humanité primordiale et qui est le berceau de l'homme physique. [64]

Telle est l'esquisse sommaire des croyances et des dogmes des premières Races archaïques, contenus dans leurs archives jusqu'à présent secrètes. Mais nos explications sont loin d'être complètes et nous ne prétendons pas avoir donné le texte complet, ni l'avoir déchiffré avec l'aide de plus de trois ou quatre clés, sur les sept qui constituent l'interprétation ésotérique ; et cela même n'a été accompli qu'en partie. La tâche est trop gigantesque pour qu'une personne puisse seule l'entreprendre et encore moins la mener à bonne fin. Notre Intérêt principal a été simplement de préparer le terrain. Ce que nous croyons avoir fait. Ces deux volumes ne représentent que l'œuvre d'un pionnier qui s'est frayé un chemin à travers la jungle presque impénétrable de la forêt vierge au Pays de l'Occulte. Un premier pas a été fait en abattant et en déracinant les mortels upas 6 de la superstition, du préjugé, et de l'ignorance pleine de suffisance, de sorte que ces deux volumes devraient constituer pour l'étudiant une bonne préparation aux Volumes III et IV. Tant que le rebut des époques passées n'aura pas été chassé de l'esprit des Théosophes auxquels nous dédions ces pages, il est impossible qu'ils puissent comprendre l'enseignement plus pratique que renferme le Troisième Volume. La publication des deux derniers volumes, bien que la rédaction en soit presque terminée, dépend donc entièrement de l'accueil que les Théosophes et les Mystiques réserveront aux Volumes I et II.

Il n'y a pas de Religion supérieure à la Vérité.

6 Poison végétal (N.d.T.).

 

La Doctrine Secrète, IV 442-447.