MADAME LE BŒUF

 

Si un Français traite quelqu'un de vache, c'est une petite déclaration de guerre. Vache est un gros mot. Les enfants n'ont pas la permission de s'en servir, à moins qu'ils ne soient en train de parler de l'animal, dans une leçon sur la ferme. Même ainsi, vous pouvez être certain que le mot la vache provoquera des sourires dans la classe. Si quelqu'un (mâle ou femelle) est qualifié de vache, cela signifie qu'il est vraiment mauvais. En France, si on se pince le doigt ou si on se donne un coup de marteau dessus, on dit couramment: Oh! la vache! Dans la culture essentiellement rurale de la France, le juron vache est resté, sans aucun doute parce que tant de gens ont journellement affaire à cette créature mal embouchée. Je n'aimerais pas avoir à annoncer à une Française qu'elle est née sous le signe femelle du Boeuf. Elle pourrait penser que je la traite de vache.

Voilà où je veux en venir par cette route campagnarde et sinueuse : si je n'avais pas la chance de parler français, il me serait plus difficile d'avoir des sentiments au~si affirmés sur les natives du Boeuf. Je ne recommanderai pas la native de ce signe à n'importe quel ringard sans méfiance. Les femmes du Boeuf sont ce qu'on pourrait appeler des dures à cuire. Les radotages sentimentaux les ennuient. Les films qui font pleurer leur déplaisent souvent. Chez un compagnon, une volonté faible peut attirer la femme du Boeuf. Mais, après un certain temps, le lait de la gentillesse pourra tourner et transformer une vache placide et satisfaite en mégère autoritaire.

A dire vrai, les natives du Boeuf n'ont pas vraiment besoin d'un compagnon au sens traditionnel du mot. Une épaule sur laquelle pleurer, un corps tiède contre lequel se pelotonner, ou un pilier inébranlable sur lequel s'appuyer en cas de difficultés ne seraient sans doute pour elles que des symboles de faiblesse. Bien que beaucoup de natives du Boeuf répugnent à le reconnaître en cette époque de libération de la femme et d'épouses séparée. La majorité d'entre elles préfèrent rester chez elles et tout diriger de la coulisse plutôt que d'aller courir le tf1onde. De cette façon, elles n'ont jamais à s'abaisser devant personne.

Les femmes nées dans les années du Boeuf sont vulnérables. Chez elles, elles peuvent édicter des ukases ou émettre des ultimatums avec la sévérité d'un officier SS. Dans leur royaume domestique, elles manoeuvrent leur entourage avec un courage extraordinaire. On pourrait presque croire qu'elles sentent que leurs limites ne dépassent pas celles du seuil familial. Quand les natives du Boeuf s'aventurent dans l'hostilité du vaste monde, elles prennent presque toujours soin de se protéger d'une armure impénétrable d'assurance. Elles ne savent pas sourire avec grâce et elles ne projettent pas cette fantaisie que l'on associe souvent à la féminité. Les natives du boeuf sont le sel de la terre. Elles engendrent et élèvent de petites choses sans défense enfants, chiens perdus, ivrognes. Quand elles essayent de rejeter cet instinct de procréation (comme les plus folles d'entre elles le font de temps en temps), elles deviennent souvent amères et cyniques. C'est à la maison qu'elles sont le mieux. De leur foyer, elles enverront dans le monde des enfants parfaitement élevés, des maris travailleurs et de merveilleux jambons rôtis.

Quand j'ai dit, plus haut, qu'un nombre étonnant d'hommes du Boeuf avaient réussi dans la vie, j'ai promis de parler des raisons de cet avantage extraordinaire dont jouissent les hommes de ce signe sur les femmes. Franchement, je ne peux pas dire que les femmes nées dans les années du Boeuf ne sont jamais douées pour le commerce ou les arts. Après tout, la comédie n'a jamais nui à la belle Jane Fonda.

Pour la native du Boeuf, sentiment et devoir ne sont qu'une seule et même chose. Elle est presque toujours un modèle de fidélité conjugale. Si son mari la trompe, c'est le genre de femme qui commencera par se faire des reproches à elle-même. Mais quand elle l'aura ramené, elle ne lui laissera jamais oublier sa peccadille. Elie pourra la lui rappeler jusqu'à la fin de ses jours. Non, elle ne doute pas de sa capacité à conquérir et à garder son homme. Ce n'est pas son problème. Mais les femmes nées sous le signe du Boeuf, assez semblables à leur pendant masculin, déplorent l'insubordination dans tous les domaines. Ce qu'elles donnent, elles pensent qu'elles ont le droit de le demander en retour pour l'honneur.

Par-dessus tout, la native du Boeuf adore sa famille. Elle révère son passé et s'attarde avec délice dans le présent. La perte d'un être aimé, une parole non tenue, ou n'importe laquelle des blessures inévitables de la vie, déchireront son coeur pur et confiant. Si vous aimez ce solide rocher de Gibraltar, promettez-moi de ne jamais la laisser tomber. Elle mérite ce qu'il y a de mieux parce qu'elle donne le meilleur d'elle-même.