La première technique: « Regardez avec amour un objet. Celui-là et pas un autre. Là, au milieu de l'objet la félicité. »

 
« Regardez avec amour un objet...» Ce qui est important dans cette phrase, c'est « avec amour.» Avez-vous jamais regardé un objet avec amour ? Il se peut que vous répondiez (( oui », parce que vous ne savez pas ce que cela veut dire. Vous avez peut-être regardé un objet avec convoitise, c'est un autre problème. C'est totalement différent diamétralement opposé. Essayons de voir la différence.
Quand vous regardez un beau visage, un beau corps, vous pensez que vous le regardez avec amour. Mais, pourquoi le regardez-vous  Vous en attendez quelque chose, Alors, vous le convoitez, vous ne l'aimez pas. Vous voulez l'exploiter ; Alors, c'est de la convoitise, ce n'est pas de l'amour. En fait, vous cherchez comment utiliser ce corps, comment le posséder, comment faire de ce corps l'instrument de votre plaisir.
la convoitise, c'est le désir d'un objet en fonction de son propre plaisir, de son bonheur personnel l'amour, c'est le désir de donner la convoitise et l'amour sont diamétralement opposés.
Quand on regarde une personne avec amour, ce n'est pas son propre bonheur que l'on recherche; le premier sentiment qui envahit la conscience, c'est l'envie de donner: comment rendre cette personne heureuse l'amour, c'est la préoccupation de l'autre. Dans l'amour l'important, c'est l'autre. Dans la convoitise, l'important, c'est soi. Quand on aime, on essaie d'être l'instrument du bonheur de l'autre. Quand on convoite, on cherche à faire de l'autre l'instrument de son propre bonheur. On sacrifie l'autre, on cherche à obtenir quelque chose de l'autre l'amour signifie sacrifice de soi, don de soi l'amour est une reddition, la convoitise est une agression.
Les mots que vous employez ont perdu leur sens. Quand vous dites « amour », en réalité, vous voulez dire « convoitise ». Alors, essayez de ne pas vous leurrer. Regardez en vous et vous comprendrez que vous n'avez jamais de votre vie regardé quelqu'un ou quelque chose avec amour.
« Regardez avec amour un objet... » Le deuxième terme important dans ce sutra, c'est « objet ». En vérité, si vous regardez avec amour ne serait-ce qu'un objet, votre amour animera cet objet, le transformera, Il;li donnera une âme.
L’autre jour encore, je disais à Vivek (une de nos disciples les plus intimes) que dans le nouvel Ashram, nous donnerons un nom à tous les arbres. On ne donne pas de nom aux arbres parce Qu'on ne ressent pas d'amour pour eux, mais imaginons Qu'on le fasse. Vous verrez, alors, Que l'arbre ainsi personnalisé, n'est plus un arbre parmi les arbres. C'est cet arbre ; il devient unique.
On a l'habitude de donner un nom à un chien ou à un chat. Quand vous appelez votre chien Tiger ou Mirza, ce n'est plus un chien c'est votre chien; un chien Qui a une certaine personnalité, Qui est unique.
Quand on regarde quelque chose avec amour, ce Quelque chose s'anime. Mais le contraire est aussi vrai: Quand on regarde une personne avec convoitise, cette personne devient un objet, une chose. Quand vous regardez une femme ou un homme avec des yeux remplis de convoitise, cette femme ou cet homme se sent blessé, parce Que vous en faites un instrument, un instrument dénué de vie, de personnalité.
Quand vous regardez Quelqu'un avec amour, vous l'anoblissez, vous le rendez unique, vous en faites une personne à part entière.
On peut remplacer un objet, on ne peut pas remplacer une personne. La personne est unique, l'objet ne l'est pas.
L'amour rend toute chose unique. Ainsi, si vous n'êtes pas aimé, vous avez l'impression d'être une personne parmi tant d'autres, un objet interchangeable.
Un fonctionnaire dans une entreprise, un maître d'école, un professeur dans une université, sont interchangeables parce Que c'est leur fonction Qui importe à l'entreprise, à l'école, à l'université ; ce n'est pas leur personnalité; ce n'est pas eux en tant Que personnes.
Si le fonctionnaire disparaît brusquement, un autre fonctionnaire prendra sa place ; l'entreprise continuera à fonctionner. Mais si Quelqu'un tombe amoureux de ce fonctionnaire, ce dernier deviendra un être unique, irremplaçable. Sa disparition sera une perte incommensurable pour celui ou celle Qui l'aime. Le monde continuera à tourner, mais celui ou celle Qui aime ne sera plus jamais pareil.
«  Regardez avec amour un objet ...» Il n'est nul besoin de faire la distinction entre un objet et une personne, parce que dès l'instant où vous regardez quelque chose un objet ou une personne avec amour, cet objet ou cette personne s'anime, devient unique, et c'est l'amour qui opère cette transformation.
Vous avez peut-être remarqué, si vous avez une voiture, que votre voiture est unique pour vous. C'est un modèle courant, il y a des dizaines, des centaines, des milliers de voitures comme la vôtre, mais si vous l'aimez, votre voiture est unique, irremplaçable. Elle a une personnalité que seul vous connaissez.
« Regardez avec amour un objet ...» Que faut-il faire ? Pour regarder un objet avec amour, que devez-vous faire ? Il faut d'abord et avant tout vous oublier totalement. Regardez une fleur et oubliez-vous totalement. Vous n'êtes plus là, vous êtes absent. Seule, la fleur existe. Vous ressentirez alors un profond amour pour cette fleur. Qu'une seule pensée vous habite: comment faire épanouir cette fleur, comment la rendre encore plus belle, encore plus heureuse.
L'important n'est pas que vous puissiez faire quelque chose. C'est la préoccupation qui vous hante, le souci de rendre cette fleur encore plus belle, encore plus vivante, encore plus épanouie, qui est important. Il faut que ce souci se reflète dans tout votre être, dans chaque fibre de votre corps.
« Celui-là et pas un autre ...» Si vous aimez, vous ne voyez plus rien d'autre que l'objet de votre amour. Si vous aimez quelqu'un dans ce groupe, le groupe n'existe pas, vous ne voyez que la personne que vous aimez. Les autres sont là, mais ils existent à la périphérie de votre conscience. Ce ne sont que des ombres. Pour vous, une seule personne n’existe.
Regardez cet objet et pas un autre. Restez là. Restez avec la fleur ou le visage de l'aimé. Ne soyez plus qu'un cœur débordant d'amour, ne soyez plus qu'une pensée: comment rendre celui ou celle que j'aime encore plus heureux, encore plus épanoui?
« Là, au milieu de l'objet la félicité. » Quand vous aimez, quand vous n'êtes plus là, quand vous ne pensez plus à votre plaisir, à votre intérêt, l'autre devient le centre de votre amour, la pensée de l'autre envahit totalement votre conscience. Et « là, au milieu de l'objet... » Soudain, l'amour pour l'autre vous apporte la félicité, vous met au centre de vous-même.
Cela peut vous sembler paradoxal qu'en pensant à l'autre, qu'en vous oubliant totalement, vous puissiez atteindre le centre de vous-même. Mais Bouddha lui-même disait qu'il fallait prier pour les autres, jamais pour soi.
Un jour, un homme vint voir Bouddha et lui dit, « il y a une chose qui m'est difficile à accepter dans votre enseignement. Vous avez dit que lorsque nous prions, nous ne devons pas penser à nous-mêmes, nous ne devons pas essayer d'obtenir quelque bienfait pour nous-mêmes. Nous devons dire. « Quel que soit le résultat de ma prière, faites qu'il bénéficie à tous. »
((Mais ne pourrais-je pas faire une petite exception Mon voisin immédiat est mon pire ennemi. Ne pourrais-je pas demander que les bienfaits de ma prière soient distribués à tous sauf à lui »
Bouddha lui répondit, « votre prière, dans ce cas, n'aurait aucun sens. Rien n'en résultera si vous n'êtes pas prêt à tout donner. Si vous voulez tout obtenir, il faut tout donner. »
Dans l'amour, il faut vous oublier. Alors, quand et comment peut-on atteindre le centre de soi-même. Même si cela vous semble paradoxal, c'est en étant totalement oublieux de soi, en étant totalement préoccupé de l'autre, du bonheur de l'autre, qu'on parvient au centre de soi-même.
Pourquoi. Parce que, lorsque vous ne pensez pas à vous, votre tête est vide, disponible; l'espace intérieur se crée. Quand votre pensée est totalement occupée par l'autre, elle se dissout, elle disparaît. La seule pensée qui occupait le mental (comment puis-je rendre l'autre encore plus heureux) cesse elle-même d'être, parce qu'en fait, vous ne pouvez rien faire. Cette pensée se dissout d'elle-même, parce que vous ne pouvez RIEN faire. Si vous persistez à penser que vous pouvez faire quelque chose, c'est que votre ego est toujours là, vous ne l'avez pas oublié.
Quand on aime, on se sent totalement impuissant. C'est le drame de l'amour: on ne sait pas ce qu'il faut faire. On veut tout faire, on veut donner le monde entier à l'être aimé, mais on ne peut rien faire. Si vous pensez que vous pouvez faire ceci ou cela, vous n'êtes pas totalement amoureux. L'amour est impuissant, et c'est dans cette impuissance que réside la beauté, parce que cela veut dire que vous vous abandonnez totalement.
L'amour est impuissant parce que tout ce que vous faites vous semble insignifiant, inutile. Ce n'est jamais assez. Quand on veut tout faire et qu'on ne peut rien faire, le mental s'arrête. L'amour est un don de soi total et, pour cette raison, c'est une profonde méditation.
En vérité, quand on aime totalement, vraiment, il n'est nul besoin de méditer autrement.
Comme le dit notre ami, après l'espoir vient la déception. Mais, en réalité, ces méthodes nous sont utiles parce qu'il nous manque la méthode de base. Si vous êtes capable d'aimer, vous n'avez besoin d'aucune méthode. L'amour est la plus grande des méthodes, mais elle est difficile presque impossible. Aimer, cela veut dire enlever votre ego de votre conscience pour y mettre J'autre. Cela veut dire, mettre J'autre à sa place; comme si vous n'existiez plus et que seul, J'autre existait.
Jean-Paul Sartre a dit que l'enfer, c'est les autres. Et il a raison en ce sens que l'autre peut effectivement être l'enfer pour vous. Mais il a également tort, parce que J'autre peut être aussi Je paradis. Si vous regardez J'autre avec convoitise, si vous essayez de faire de J'autre un objet, votre vie sera un enfer parce que l'autre essaiera de faire de même avec vous. Dans une relation amoureuse, chacun essaie de posséder l'autre. Mais on ne peut jamais posséder l'autre; on ne peut posséder que des objets. Quand on essaie de posséder quelqu'un, on fait de cette personne un objet. Si j'essaie de vous réduire à l'état d'objet, vous allez réagir. A vos yeux, je serai une menace, un ennemi, et vous tenterez, à votre tour, de me réduire à l'état d'objet.
Imaginons que vous soyez seul dans une pièce et que, soudain, vous preniez conscience que quelqu'un vous observe par le trou de la serrure. Vous en êtes immédiatement furieux. Pourquoi ? Celui qui vous regarde ne vous fait pas de mal pourquoi éprouvez-vous de la colère ? Parce qu'il vous réduit à l'état d'objet. Parce qu'il vous observe comme on observe un objet. Et vous avez soudain l'impression qu'il trouble votre liberté, qu'il la détruit. Si vous inversez les rôles, c'est l'autre qui se sentira attaqué.
C'est ainsi que l'on ne peut pas regarder fixement quelqu'un si l'on n'en est pas amoureux. Parce que le regard devient une agression. Quand on aime, le regard que l'on pose sur l'autre est merveilleux, parce qu'il ne transforme pas l'autre en objet. Au contraire, il fait de l'autre une personne à part entière.
Selon les psychologues, il existe un temps limite vous le savez sans doute pour l'avoir observé vous-même au-delà duquel vous ne pouvez plus regarder une personne inconnue avec insistance. Une seconde de plus, et cette personne se mettra en colère. Il n'est permis, en public, que d'effleurer du regard.
Le regard est une chose importante. Si je vous regarde seulement en passant, vous ne m'en tiendrez pas rigueur. Mais si je me plante devant vous pour vous regarder avec insistance, vous vous sentirez insulté. Pourquoi me regarde-t-il comme ça, vous demanderez-vous, je ne suis pas un objet de curiosité.
Le vêtement prend alors tout son sens. On ne peut être nu librement que devant quelqu'un qui vous aime. Le vêtement vous protège contre le regard des autres, ceux qui ne vous aiment pas, ceux qui font de votre corps un objet. Quand vous aimez quelqu'un, vous pouvez être nu devant lui ou elle, sans vous sentir nu, parce que son regard ne vous gêne pas.
« Au milieu de l'objet la félicité. » Soudain, vous n'êtes plus là. C'est l'autre qui occupe votre esprit. Et quand vous n'êtes plus là, quand VOUS êtes totalement absent, l'autre disparait aussi. Et vous atteignez la félicité. Parce que, inconsciemment, l'amour vous a plongé dans une profonde méditation.
Quand deux personnes s'aiment, leur ego respectif disparait. Il ne reste plus qu'une pure existence, une communion profonde. Et c'est cette communion qui vous apporte la félicité. On en déduit à tort, que c'est l'autre qui vous a apporté le bonheur. En réalité, c'est l'amour qui vous a plongé dans une profonde méditation l'amour est une technique de méditation.
Si vous pratiquez cette technique consciemment, elle vous entraîne plus loin parce que vous n'êtes plus obsédé par l'objet. Quand vous aimez quelqu'un, votre bonheur ne provient pas de l'être aimé mais du fait même d'aimer. Voilà ce que veut dire ce sutra.
Mais le plus souvent, on pense que c'est à cause de « A », disons, à cause de sa présence, de son amour, que l'on est heureux. On se dit alors, « il faut que je possède A, parce sans A je ne pourrais pas être heureux. » On devient jaloux, on veut que A appartienne à soi et à personne d'autre. Et on détruit ainsi toute la beauté de l'amour et l'amour lui-même.
Quand on veut posséder l'être aimé, l'amour disparaît l'être aimé n'est plus qu'un objet qu'on peut utiliser pour son plaisir mais le bonheur est absent de cette relation. Car on ne peut être heureux que lorsqu'on considère l'autre comme une personne, et que l'autre fait une personne de vous.
Gardel bien cela à l'esprit: on atteint la félicité non pas grâce à l'autre, mais grâce à soi, quand on est totalement absorbé par l'autre.
On peut ainsi atteindre la félicité en s'absorbant dans une rose, une pierre, un arbre. Quand l'ego n'est plus, quand la conscience est totalement préoccupée par l'autre, quand on est absent à soi-même, vient la félicité.