LA SUBSTANCE DU VIVANT

 
« L'homme doit sans cesse veiller à lui-même, pour ne pas perdre la bonté innée. Grâce au contrôle de sa respiration, il doit inspirer et expirer le souffle de l'univers. »
 
Mengzi (372-289 av. Co).
 
Erwin Rousselle écrit: « La physiologie et la psychologie chinoises voient en l'homme trois flux ou courants : les germes Jing, le souffle Qi et le génie Shen. Ces trois courants ne sont pas identiques à leurs équivalents corporels mais ils agissent en eux et sont en même temps leur représentation psychologique. Les germes portent en eux l'impulsion de pousser vers l'extérieur, d'agir de manière créative et autonome, et de contrôler les forces supérieures de l’âme.»
 
Que signifient ces trois notions centrales ? Selon Laozi, le Qi est matière qu'on ne peut voir. Le Qi est présent partout et agit comme support énergétique aux effets sensibles, expérimentables, perceptibles. Shen est souvent traduit par « esprit », mais cette traduction est source d'erreurs compte tenu de ce que nous avons l'habitude de comprendre par le terme « esprit ». Alors que le Jing représente le potentiel externe de l'aspect externe des processus ayant cours dans la matière vivante fine (comme la synthèse et la dégradation des protéines), le Shen, lui, englobe une forme supérieure d'énergie, qui permet au Jing d'assurer ses fonctions. Le Shen recouvre les fonctions de la conscience, mais aussi celles de l'inconscient, lequel gouverne l'ensemble des processus dans l'organisme. La pensée rationnelle ne représente qu'une petite partie du Shen, en quelque sorte le sommet de l'iceberg.
Aucun être, qu'il soit unicellulaire ou groupe de cellules hautement organisé, ne peut vivre s'il ne possède pas de Jing, de Qi et de Shen. Que l'un d'eux disparaisse et l'organisme n'est plus viable. Le Qi donne au Jing l'énergie indispensable à ses fonctions et à sa diversification. Shen est l' « âme » des fonctions exprimées par le Jing. Chacun de ces trois trésors de vie a des tâches spécifiques, mais ensemble ils constituent une unité indivisible. Le Jing est le logis du Shen. Si celui-ci est blessé, Shen et Qi fléchissent. La vie s'éteint. Si le Qi est contrarié dans ses fonctions, le Jing et le Shen meurent. Qi est la force originelle, la force vitale. Il donne à la matière vivante, détentrice des plans de construction de la vie, la capacité de réaliser ces plans. Shen (âme, esprit ou tout terme analogue par lequel on pourrait traduire cette notion) commande l'exécution de ce plan.
Dans le Su Wen Shang Gu Tian Zhen L un, livre médical classique, on peut lire: « Le Jing vient du Ciel. C'est le Jing originel. Il est attelé au Qi originel. Il est la source de la vie. » Pour employer un langage moderne, on pourrait dire que le plan de construction de la vie est contenu sous forme de code dans le Jing originel. La matière a pour fonction de faire naître d'elle la vie humaine, toute vie, d'en être le support ; le Qi en fournit l'énergie, le Shen qui anime la matière en a la direction « interne ».
Au cours de la vie s'accomplissent les « dix mille mutations ». La substance vitale à la fois s'use sans arrêt et se reconstitue sans arrêt. La substance usée doit être évacuée, éliminée, processus dont l'énergie est fournie par le Qi. Il y a donc sans arrêt déperdition de Qi, de sorte qu'il faut constamment puiser le complément à la « Grande Nature ».
Le Qi, dont on dit qu'il est présent partout, est puisé dans l'air par les organes de la respiration et la peau, dans la nourriture par les organes digestifs, si bien qu'il se renouvelle sans cesse. La circulation sanguine en fait parvenir une partie aux cellules. Le reste de Qi est libéré des substances qui le contiennent et circule sous forme de « Qi pur » le long de ses voies de transport (méridiens).  L'embryon, qui ne respire pas d'air et n'absorbe pas d'aliments, ne fonctionne qu'avec deux méridiens: le Vaisseau Gouverneur (Du Mai) et le Vaisseau Conception (Ren Mai) (fig. 1 et 2) dont nous faisons mention ici parce qu'il en sera question dans un des exercices, la « circulation embryonnaire du Qi ».
Après la naissance, le Qi remplit sa fonction spécifique en chaque endroit du corps et dans chaque viscère. Il livre l'énergie de croissance, de construction, et assure l'évacuation de l'inutilisable. Si les processus d'apport ou d'évacuation sont perturbés dans un viscère, celui-ci devient malade. Les perturbations de l'apport ou de l'évacuation du Qi sont provoquées par une déviation ou une modification des voies de transport. Dans ce cas le Qi nouvellement absorbé s'accumule en amont de l'endroit défectueux du méridien, il peut irradier dans les environs, causant des dommages ; le Qi utilisé pour l'élimination des résidus rend malade le viscère correspondant. Santé et voies de transport perméables vont de pair. Recouvrer la santé, cela implique d'ouvrir les voies de transport obstruées, d'amener dans le corps du Qi frais, « chargé » d'énergie puissante, d'évacuer et éliminer le Qi usé. Pour rester sain ou le redevenir, le mieux est de pratiquer le Qi Gong, si possible en plein air.
Le Qi pur, celui libéré de la substance qui le transporte, oxygène de l'air ou nourriture absorbée, circule inlassablement à travers l'organisme et, finalement, parvient là où le besoin s'en fait sentir. Le rôle et les particularités du Qi changent suivant les viscères, comme du reste son nom. Dans les organes urogénitaux féminins il prend le nom de « Yin-Qi originel », dans le foie « Qi du Foie », dans le coeur « Qi du Coeur » et ainsi de suite. Le Qi qui assure l'apport énergétique indispensable à l'évacuation des métabolites inutilisables est appelé « Qi de lutte ».
Les chemins empruntés par le Qi dans l'organisme sont appelés voies de conduction ou de transport, ou méridiens. La force qui fait mouvoir le Qi dans ces méridiens est la respiration.