L' ESSENCE DE LA MARCHE : KIN-HIN
Dans le dojo sont enseignées les quatre attitudes fondamentales du corps: comment se tenir debout, comment marcher, comment s'asseoir, comment s'allonger. Ce sont les postures originelles. Celles que nous prenons habituellement, les attitudes auxquelles nous nous laissons aller, ne sont dans la plupart des cas que des postures brisées.
La posture debout, et en marche, est très importante. On la désigne par KIN-HIN. Maurice Béjart a reconnu en elle l'origine des pas et des postures de danse enseignés dans le ballet classique européen.
La posture est la suivante :
On se tient debout, la colonne vertébrale bien droite, le menton rentré, la nuque tendue, le regard posé à trois mètres devant soi, c'est-à-dire à peu près à la hauteur de la taille de la personne qui précède lorsqu'on est en file indienne. Le pouce gauche est serré dans le poing gauche, lequel est posé par la tranche sur le plexus solaire. La main droite enveloppe le poing gauche et les deux mains sont fortement serrées ensemble et appuyées contre le sternum pendant l'expiration. Les coudes sont écartés, et les avant-bras tenus à l'horizontale; les épaules relâchées et rejetées en arrière. Au début de l'expiration, on avance avec la jambe droite d'un demi pied, et l'on appuie énergiquement sur le sol avec la plante du pied précisément avec la racine du gros orteil, comme si l'on voulait imprimer une trace dans le sol. Il y a une profonde correspondance entre cette extrémité du pied et le cerveau. Il est bon de ressentir le contact avec la terre. Le genou étant bien tendu, la jambe est alors en tension ainsi que tout le côté droit depuis le sommet de la tête jusqu'au bout du pied. L'autre jambe, l'autre côté restent souples, détendus. En même temps, l'expiration par le nez est profonde, lente, aussi longue que possible, mais sans forcer et sans bruit. Quand elle arrive à la fin, on marque un temps d'arrêt, on relâche tout le corps et l'inspiration se fait d'elle-même, automatiquement, librement. Au début de l'expiration suivante, on change de jambe, et tout le processus recommence en prenant appui sur le pied gauche, la jambe droite restant souple. C'est une marche rythmée, comme celle d'un canard, faisant alterner tension et détente, temps forts et temps faibles. Les maîtres Zen disent qu'il s'agit d'avancer comme le tigre dans la forêt ou le dragon dans la mer. L'appui du pied est sûr et silencieux, comme le pas d'un voleur !
Pendant cette marche, on ne doit pas regarder le visage des autres personnes. Le regard est tourné vers l'intérieur comme si l'on était seul avec soi-même. Comme pendant le za-zen, on laisse passer les pensées. La marche en kin-hin repose de l'assise en za-zen. Au long d'une journée de sesshin, on fait alterner l'une et l'autre. Le corps et l'esprit retrouvent leur unité, ainsi qu'une résistance et un dynamisme remarquables.
Kin-hin est, comme za-zen, une méthode de profonde concentration. L'énergie, poussée par l'expiration, est rassemblée dans le bas-ventre où elle est vraiment active. Entraînement à la stabilité de l'énergie: les arts martiaux du Japon sont fondés sur cette tenue des jambes et sur la concentration de l'énergie dans le hara (Centre de gravité du corps, situé à quelques centimètres en dessous du nombril (en fait, trois largeurs de vos doigts). Cette posture est enseignée dans la pratique du judo, du karaté, de l'aïkido, du tir à l'arc.
De nos jours, on tend à oublier cette influence de l'attitude spirituelle dans la pratique des arts martiaux. On recherche la force par la seule technique. Do, dans judo, aïkido, signifie Voie. Les arts martiaux ne sont ni une technique de compétition ni un sport de combat, mais une méthode en vue d'atteindre la maîtrise de soi, le contrôle de l'énergie dans l'abandon de l'ego et la l'univers. Entraînement de la flèche, la flèche part à l'instant est prêt, dépouillé de soi.